Spinoza et l'IVG

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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aldum
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Messagepar aldum » 09 sept. 2010, 20:18

Alexandre,

Nous pouvons personnaliser notre échange, puisque nous sommes manifestement les seuls à hanter ce fil...
le nombre et la qualité des analyses que vous présentez appelle plusieurs remarques:

-toutes, en tant que telles, sont recevables et porteuses d'une part de vérité (comme le seraient, sans doute, d'autres analyses, fondées sur l'effort de la raison et la bonne foi, et qui ne figurent pas dans nos échanges)
-décider, entre toutes ces analyses, de celle qui « scientifiquement » s'impose aux autres est manifestement impossible, provisoirement ou non;
-la pluralité des « options » possibles nous renvoie ici, chacun d'entre nous, à notre « intime conviction »

le problème, dans cette affaire, et puisqu'il s'agit aussi d'un "problème de société", tient plutôt à ce que certains s'arrogent, non pas le droit d'avoir la vision qui leur convient, ce qui est acquis, mais celui d'en faire un absolu et de vouloir l'imposer, en tant que tel, à tous; cela s'appelle le fanatisme; le rôle d'une démocratie laïque ne consiste pas, sur chaque sujet difficile, à sonder chacun dans ses replis de conscience les plus secrets, mais de faire des lois, affranchies des dogmes philosophiques et religieux, pour le bien du plus grand nombre, et comme ceux qui la représentent en ont reçu le mandat;
bien cordialement.
Modifié en dernier par aldum le 09 sept. 2010, 23:06, modifié 1 fois.

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Alexandre_VI
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Messagepar Alexandre_VI » 09 sept. 2010, 20:44

Bonjour,

Il n'a jamais été question pour moi de militer pour la recriminalisation de l'avortement. Mais je peux du moins soulever des doutes sur la moralité de cette pratique, du moins à l'échelle individuelle. L'État n'a pas pour objectif de faire de nous des saints, mais simplement de rendre la coexistence d'individus aux intérêts antagonistes possible.

Il y a aussi lieu de se questionner: pourquoi, en dépit de la diffusion de la contraception, le nombre d'avortements n'a-t-il pas diminué? La permission de l'avortement viendrait-elle déresponsabiliser les couples?

Enfin, bref, si je suis pour la légalité de l'avortement, c'est que je crois que l'avortement est le symptôme d'un malaise social plus profond, qui consiste en une société qui fait très peu de place aux enfants (et aux personnes âgées) et qui valorise au contraire le confort, les accomplissements professionnels (la carrière, quoi) et le succès mondain plutôt que la famille. Résultat: l'Europe se dépeuple, et doit compter sur une importante immigration pour maintenir ses activités. En interdisant l'avortement, on se tromperait de cible, et on ne ferait que créer d'immenses souffrances et des vies gâchées.

Mais je me demande quelquefois ce que serait le débat sur l'avortement si le ventre de la femme enceinte était transparent et nous permettait de voir à l'intérieur le foetus se développer. Sans doute qu'alors nous aurions une perception plus aiguisée de la valeur du foetus. Les fanatiques pro-vie l'ont bien compris: ils montrent des photos de foetus dans des manifestations pour manipuler nos émotions. Il n'est pas facile de voir un être humain en miniature se faire tuer. Surtout que les méthodes dont on use pour tuer le foetus ne font pas dans la dentelle.

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Messagepar sescho » 11 sept. 2010, 11:11

Sujet fort intéressant, en lui-même mais aussi vis-à-vis de la question de l'application à des cas particuliers de la Philosophie morale telle que développée par Spinoza.

Je commence cependant par un point plus général, suite à une affirmation d'aldum au sujet de Spinoza :

aldum a écrit :... pour lui, les notions de bien et de mal ne sont pas absolues, mais comparatives: entre deux biens, le « moins » est un mal; entre deux maux, le « moins » est un bien;

E4P65:
"sous la conduite de la raison, nous rechercherons de deux biens le plus grand, et de deux maux le moindre" ...

Si, il y a un Bien et un Mal absolus chez Spinoza. D'où le terme qu'il emploie de "Souverain Bien." Et la proposition mise en extrait le montre d'ailleurs elle-même. Car pour choisir entre maux et biens, la Raison doit savoir ce qu'est "mal" et "bien." La proposition ne porte que sur les situations particulières, où maux et biens sont en balance, et dit que c'est le bilan global qui fait la décision (et ceci s'applique bien, effectivement, au sujet du fil, mais ne justifie nullement l’affirmation en cause.)

Mais ceci est souvent mal compris. Plusieurs confusions peuvent en être à l'origine, en général sous-tendues par un désir fort de rejeter toute morale moralisante : l’accusation de mal faire, de faute intrinsèque (ce qui suppose le libre arbitre, totalement exclu chez Spinoza, effectivement.) Ce désir (qui « peut » conduire non à la Béatitude mais au contraire à la banalisation, selon la terminologie de Paul Diel) conduit à jeter le bébé avec l’eau du bain : la loi Éthique avec le côté moralisateur de la morale moralisante (tout en argumentant en même temps dans des sens particuliers, lesquels sens sont donc pris, qu’on choisisse ce mot ou un autre, pour « bien »...)

Comme ce n’est pas le sujet du fil (mais il y a plusieurs articles et fils consacrés à cela ; je propose d’en reprendre un si quelqu’un souhaite poursuivre), je fais très court : les confusions classiques portent sur : 1) Plan divin / plan humain (la plus fondamentale.) 2) Faits / êtres de Raison. 3) Les différents sens que Spinoza donne à bonum / malum (il y en a trois : a) le bien / mal tel qu’un individu se l’imagine en son état du moment, b) la tristesse / joie en tant qu’émotion / sentiment, c) le Bien / Mal tel que connu en vérité par la Raison.

Du point de vue de la Nature, qui est le plus vaste, il n'y a ni bien ni mal : ce qui est est, point. Ceci vaut pour tous les faits sans aucune distinction : tout acte comme toute réaction à cet acte, par exemple. Ajoutons qu’en conséquence il n’y a strictement aucune place à l’argumentation dans ce seul cadre (tout se vaut en tant que fait, quel qu’il soit, point.)

Du point de vue de l'Homme, qui n'est qu'une partie de la Nature confrontée à d'autres parties, il y a un Bien et un Mal "absolus" (fixés par la Nature), le bien étant la joie de vivre (le bonheur), le souverain Bien la joie de vivre la plus intense possible, ou Béatitude, (le mal étant le contraire : ce sont des notions relatives), le tout déterminé légalement.

Bien / Mal ne sont absolus que parce que la loi Éthique qu’ils substantifient par commodité est une vérité éternelle. Ils ne sont pas des êtres réels et n’ajoutent strictement rien à cette loi. Dans tous les cas, en outre, le plan de la Nature reste le premier. Dire d’un fait (factuel) quel qu’il soit qu’il est « bien » ou « mal » per se (et non intellectuellement en relation avec la loi Éthique), est un non-sens total. C’est le véritable blasphème : prétendre juger en valeur intrinsèque la Nature !

Après, il reste effectivement à voir comment ceci peut s’appliquer aux situations particulières (qui ont donc la particularité d’être particulières… :-))
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Messagepar aldum » 12 sept. 2010, 20:49

l'idée d'un bien absolu ne se conçoit, chez Spinoza, que dans le cadre d'une recherche éthique et existentielle personnelle; un objectif dont les modalités se poursuivent tout au long de l'Ethique; ce n'était pas le cas ici, comme vous l'avez souligné vous-même, et l'incise en cause tenait implicitement compte qu'elle figurait là dans le contexte d'une analyse de situations particulières;
mais cela n'enlève évidemment rien à la pertinence de votre remarque.

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Messagepar sescho » 22 sept. 2010, 22:26

Le contraire m'aurait d'ailleurs surpris, en fait : je n'ai pas trouvé d'indication majeure de Spinoza qui pourrait se rapporter directement au "cas éthique" de l'IVG. Comme ce n'est pas l'Intrépidité (ou force vitale propre dirigée selon la Raison ; encore que les prescriptions de la Raison soient assez nombreuses et variées) ni directement la Religion (l'Amour de Dieu-Nature et de ses manifestations qui découle de sa (re-)connaissance intuitive) qui peut donner une voie sur ce plan, "il ne reste" que la Piété et la Générosité. Et là nous retombons directement sur ce qui caractérise "un homme", avec lequel la Raison commande de se lier d'amitié (à tout le moins s'il est un homme véritablement conforme à sa nature intrinsèque, et donc lui-même conduit par la Raison.)

Spinoza a écrit :E3P59S : Toutes les actions qui résultent de cet ordre d’affections qui se rapportent à l’âme en tant qu’elle pense, constituent la force d’âme. Il y a deux espèces de force d’âme, savoir : l’intrépidité et la générosité. J’entends par intrépidité, ce désir qui porte chacun de nous à faire effort pour conserver son être en vertu des seuls commandements de la raison. J’entends par générosité, ce désir qui porte chacun de nous, en vertu des seuls commandements de la raison, à faire effort pour aider les autres hommes et se les attacher par les liens de l’amitié. Ainsi donc, ces actions qui ne tendent qu’à l’intérêt particulier de l’agent, je les rapporte à l’intrépidité, et à la générosité celles qui tendent en outre à l’intérêt d’autrui. De cette façon, la tempérance, la sobriété, la présence d’esprit dans le danger, etc., sont des espèces particulières d’intrépidité ; la modestie, la clémence, etc., sont des espèces de générosité. ...

E4P37S1 : ... Tout désir, toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause en tant que nous avons l’idée de Dieu, je les rapporte à la religion. J’appelle piété le désir de faire du bien dans une âme que la raison conduit. Le désir de s’unir aux autres par les liens de l’amitié, quand il possède une âme qui se gouverne par la raison, je le nomme honnêteté, et l’honnête est pour moi ce qui est l’objet des louanges des hommes que la raison gouverne, comme le déshonnête est ce qui est contraire à la formation de l’amitié. ...

E4AppCh15 : Les actions qui produisent la concorde sont celles qui se rapportent à la justice, à l’équité, à l’honnêteté. Car, outre les choses injustes et iniques, les hommes ne peuvent supporter celles qui passent pour honteuses et viennent du mépris des mœurs établies dans la société. Quant au moyen d’unir les hommes par l’amour, je le trouve surtout dans les actions qui se rapportent à la religion ou à la piété (voyez sur ce point les Schol. 1 et 2 de la Propos. 37, et le Schol. de la Propos. 46, ainsi que le Schol. de la Propos. 73, part. 4).

E5P41 : Alors même que nous ne saurions pas que notre âme est éternelle, nous ne cesserions pas de considérer comme les premiers objets de la vie humaine la piété, la religion, en un mot, tout ce qui se rapporte, ainsi qu’on l’a montré dans la quatrième partie, à l’intrépidité et à la générosité de l’âme.

Je ne peux proposer, moi-aussi, que des pistes (en vrac) :

- Considérer la mort comme un ennemi (conception nettement moins prégnante du temps de Spinoza qu'aujourd'hui, me semble-t-il) est déjà plutôt incohérent. La mort ne s'oppose pas à la vie (et d'ailleurs c'est le dernier moment d'une vie particulière, sa "poursuite" n'étant qu'imaginaire), mais à la naissance. Et ce qui naît meurt, toujours. Ce qui ne naît pas ne meurt pas. Donc nous en revenons à la question : de quoi parlons nous, qui naît et meurt ? Si l'on s'en tient à l'ordre de puissance selon Spinoza, l'enfant étant déjà moins accompli que l'adulte, ce qui est infra l'enfant s'en éloigne encore. Nous sommes bien dans les nuances de gris.

- Quand Spinoza dit (E4P50) que "si un homme n’est jamais conduit, ni par la raison, ni par la pitié, à venir au secours d’autrui, il mérite assurément le nom d’inhumain, puisqu’il ne garde plus avec l’homme aucune ressemblance", on peut même considérer que la question se pose pour un individu humain organiquement constitué...

- Considérer l'Homme non seulement comme une manifestation de Dieu mais comme Dieu lui-même est conjointement une dérive nettement plus forte actuellement qu'à l'époque, me semble-t-il, en dépit des apparences.

- Dans la logique (fausse, puisque tout acte étant manifestation divine, rien de rien ne les distingue de ce point de vue quels qu'ils soient) qu'on n'a pas le droit d'empêcher une naissance "voulue par Dieu", ceux qui luttent non seulement contre l'IVG, mais contre la pilule abortive, la contraception, voire même contre l'évitement par calcul sur le cycle menstruel et autres moyens mécaniques, sont cohérents (ce n'est encore qu'une question de degré.)

- D'un autre côté, la destruction de la Terre par la surpopulation humaine me semble contraire à la Raison...

Et il n'y a aucune justification à affirmer que le volume de la population est le but d'un quelconque "plan divin" particulier, puisque l'essence de tout ce qui possible est déjà en Dieu de toute éternité, le nombre de manifestations en acte - a priori extensible à l'infini, du moins tant que l'environnement en interdépendance n'y met pas fin pour une raison ou une autre - n'y change strictement rien...

- D'un autre côté encore, en tirant, l'infanticide à la naissance peut être vu comme la forme extrême de l'avortement (et dans leur verdict les jurés en tiennent généralement compte, d'ailleurs, même si c'est sous d'autres motifs apparents.)

- Il faut si peu d'écart de cause (transitive) pour passer de la neutralité au problème que cela est confondant (comme le racontait Soleil-couchant-d'un-jour-d'été à son jeune frère Capote-trouée...)

- De vouloir des enfants est déjà un fait culturel. Le premier moteur de la procréation en est psychologiquement indépendant en fait : c'est la pulsion sexuelle pure (puis ensuite l'amour maternel, puis paternel, puis la générosité des hommes propre à la Raison, etc.)

- Bref, je tends à être - dans ce domaine définitivement en nuances de gris, donc - assez proche d'Alexandre VI : dans la situation de fait, priorité est aux vivants constitués en l'état : une naissance doit être suffisamment souhaitée par la mère, sous la limite du risque qu'elle prendrait à l'interrompre, et évidemment à la manifestation d'un être humain autonome. Mais la Sagesse pourrait sans doute dire : "le destin a voulu que j'entre malgré moi dans le dharma de mère ; tout homme naît avec la potentialité de vivre selon la Raison ; assumons donc la tâche malgré les difficultés du moment pour tenter de faire de cet être à venir un Fils de l'Homme..."

Mais si la Sagesse était donnée avec la vie, tout serait différent...
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Messagepar Louisa » 24 sept. 2010, 14:12

aldum a écrit :... pour lui, les notions de bien et de mal ne sont pas absolues, mais comparatives: entre deux biens, le « moins » est un mal; entre deux maux, le « moins » est un bien;

E4P65:
"sous la conduite de la raison, nous rechercherons de deux biens le plus grand, et de deux maux le moindre" ...


Si, il y a un Bien et un Mal absolus chez Spinoza. D'où le terme qu'il emploie de "Souverain Bien."


Juste en passant:

1. "souverain" traduit summum, qui est un superlatif (le plus haut/grand). Tous les superlatifs sont des relatifs, pas des absolus.

Cela signifie qu'ils recoivent leur définition, leur sens, d'une comparaison avec les membres de la série à laquelle ils appartiennent, et non pas "en soi". Leur définition ne désigne pas une essence d'une chose mais un rapport, une relation entre deux choses.

Exemple: si je dis "mon frère est le plus grand", on me demandera immédiatement "le plus grand de ...?" si l'on a envie de savoir ce que je veux dire. Et ce n'est que lorsque je réponds "le plus grand de sa classe", par exemple, que l'on sait comment comprendre dans ce cas précis ce "le plus grand". Or, il va de soi qu'il est parfaitement possible que l'année prochaine il se trouvera dans une autre classe où il n'est peut-être plus du tout le plus grand. "Le plus grand" ne désigne que sa place dans telle ou telle série concrète, et non pas quelque chose d'essentiel de lui-même.

2. De même, dire qu'il n'y a pas de bien absolu chez Spinoza (ou que tout bien est relatif), c'est dire qu'aucune chose n'est bonne "par essence". "Etre bon" n'appartient à l'essence d'aucune chose (même pas à l'essence divine!). Une chose ne peut être dite bonne qu'en rapport/relation avec une autre chose, au sens où "être bon" signifie toujours "bon pour quelque chose" (ce qui chez Spinoza signifie à son tour "augmenter durablement la puissance d'agir et de penser de cette chose").

Que l'on puisse trouver certaines choses qui en général sont bonnes pour la majorité des êtres humains ne les rend pas moins "relatives". Une chose x pourrait même être bonne pour toute autre chose qui existe dans la nature, cela n'en fait toujours pas un absolu, si sa bonté ne se définit qu'en rapport avec ces autres choses (comme c'est le cas chez Spinoza), donc on ne pourra toujours pas dire qu'elle est bonne "en soi", ou un "bien absolu".

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Messagepar AUgustindercrois » 25 sept. 2010, 00:49

@ Louisa: On peut dire que le seul absolu est Dieu, en tant qu'il est seul libre, car il est sa propre cause?

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Messagepar Louisa » 25 sept. 2010, 01:46

Bonjour AUgustindercrois,

en fait, pour l'instant j'aurais tendance à penser qu'il y a beaucoup d'absolus chez Spinoza, et non pas un seul. Il ne faut pas nécessairement qu'une chose soit cause de soi pour pouvoir être dite absolue, il faut juste que ce qu'on dit de la chose la décrit en son essence, au lieu de référer à un rapport entre cette chose et autre chose (dans ce cas on a un terme "relatif" et non pas un terme "absolu").

C'est ainsi que Spinoza peut dire que toute idée adéquate est absolue (E2P34): car dire d'une idée qu'elle est adéquate c'est dire quelque chose de son essence même, telle que l'idée est en Dieu. Or on sait qu'une idée est un mode, mode de l'attribut de la pensée, et les modes ne sont pas cause de soi, ils sont toujours causés par autre chose. Les idées vraies seraient donc des exemples de choses qui chez Spinoza sont absolues tout en n'étant pas cause de soi.

Inversement, ce n'est que lorsqu'on parle d'un absolu tout à fait particulier, l'absolument infini, qu'on doit dire que seul Dieu ou la cause de soi possède cette caractéristique (E1 Déf. VI). Les attributs ne sont pas absolument infinis, ils ne sont infinis qu'en leur genre, c'est-à-dire ils ne sont délimités par rien que lorsque par ce "rien" on comprend "rien de leur genre". Ils ne sont donc que "relativement" infinis, ils ne sont infinis que comparé à certaines choses, mais ne le sont plus lorsqu'on les compare à autres choses (ils sont finis au sens où l'on peut en nier une infinité d'autres attributs). Alors que Dieu ou l'essence divine est infinie de manière absolue.

Or, si toute idée vraie est absolue, on peut aussi dire que toute idée vraie d'un bien, autrement dit de ce qui est bon pour moi, est une idée absolue (c'est peut-être cela ce que Sescho a voulu dire ci-dessus ... ?). Il n'en demeure pas moins que ce qui est absolue ici c'est l'idée, et non pas la chose que l'on appelle "bonne", car cette désignation ne peut jamais nommer une caractéristique essentielle de la chose, puisque qu'elle augmente durablement ma puissance d'agir et de penser ne dit strictement rien de son essence singulière à elle.

Enfin, pour revenir à une discussion qu'on avait ici il y a quelques semaines: je pense que c'est en cela qu'on peut dire que d'un point de vue spinoziste "tout le monde a toujours quelque part raison", comme tu le suggerais à l'époque: toute idée, rapportée à Dieu, est vraie (E2P32), et toute idée vraie est absolue. Mais cela est un autre sujet ... .

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Messagepar aldum » 25 sept. 2010, 10:07

Louisa a écrit :Or, si toute idée vraie est absolue, on peut aussi dire que toute idée vraie d'un bien, autrement dit de ce qui est bon pour moi, est une idée absolue (c'est peut-être cela ce que Sescho a voulu dire ci-dessus ... ?). Il n'en demeure pas moins que ce qui est absolue ici c'est l'idée, et non pas la chose que l'on appelle "bonne", car cette désignation ne peut jamais nommer une caractéristique essentielle de la chose, puisque qu'elle augmente durablement ma puissance d'agir et de penser ne dit strictement rien de son essence singulière à elle.


À mon sens, Louisa dit là l'essentiel;
telle que je l'ai comprise, et en langage ordinaire, l'idée de bien absolu est concue par Spinoza comme une perspective commune accessible à tous, et qui existe bien en tant que telle, mais pas, ou rarement, en tant que réalisation, toujours imparfaite, dont les modalités pratiques dépendent de la puissance de chacun, et dont Spinoza sait bien à quel point elle se distingue en gradation d'un homme à l'autre; chacun « poursuivra » cet objectif, et l'accomplira selon sa puissance; la conclusion même de l'Ethique dans son ultime scolie me paraît correspondre à cette interprétation.

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Messagepar Louisa » 25 sept. 2010, 13:38

Bonjour Aldum,

disons que je ne vois pas comment défendre l'idée d'un bien absolu chez Spinoza.

Tout bien, dans le spinozisme, est relatif, et non pas absolu.

Cela signifie simplement que dire d'une chose qu'elle est bonne n'a du sens que si l'on y ajoute pour qui elle est bonne, sachant qu'elle n'est jamais bonne en soi (le même vaut pour le mauvais/mal: aucune chose ni personne n'est mauvaise ou "mal" par essence, ou est "essentiellement mauvais"; le mal absolu n'existe pas).

Par exemple, on peut dire que le vin est bon. Mais on sait qu'il faut nuancer cela: à partir d'un certain âge il est bon de boire un ou deux verres de vin rouge par jour. Cela montre que le vin n'est jamais "bon en soi", tout dépend de qui et comment on l'utilise ou boit. Donner le même vin à un bébé ou à quelqu'un sous médication peut même être très mauvais. Les termes "bon" et "mauvais", ou "bien" et "mal" ne réfèrent donc pas à l'essence même du vin, ils ne désignent que l'effet du vin sur une autre chose (moi qui le bois, par exemple), effet dont le vin n'est que partiellement "responsable" (cause inadéquate).

Un bien absolu serait quelque chose qui est bon en soi, c'est-à-dire qui serait utile pour n'importe qui ou n'importe quoi dans le monde. Cela n'existe pas chez Spinoza.

Ce qui peut être absolu dans le spinozisme c'est l'infini (il l'est dans le cas de l'essence divine; mais déjà plus dans le cas de l'essence d'un attribut divin), et aussi toute idée vraie. Il y a donc une infinité de choses absolues chez Spinoza (puisqu'il y a une infinité d'idées vraies), et chaque homme a au moins une idée vraie, donc l'absolu nous est parfaitement accessible, dans la réalité.

On peut même aussi avoir une idée vraie de ce qui est bon pour tout homme: c'est vivre sous la conduite de la raison, et essayer d'avoir des idées vraies produites par le troisième genre de connaissance. Mais ces deux choses ne sont pas des "biens absolus", elles ne sont bonnes que pour l'homme, et non pas "en soi".

Conclusion: il n'y a pas de bien absolu chez Spinoza, tout bien est relatif. Il n'y a donc pas d'idée vraie d'un bien absolu non plus (au contraire, toute idée d'un bien absolu est fausse). Mais nous pouvons bel et bien avoir une idée absolue (= vraie) de certains "biens relatifs", par exemple de ce qui est bon pour nous en tant qu'homme.

Autrement dit: pas d'idée de bien absolu, mais une idée absolue d'un bien relatif.


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