Spinoza et l'IVG

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Alexandre_VI
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Spinoza et l'IVG

Messagepar Alexandre_VI » 04 sept. 2010, 23:53

Que pensent les spinozistes du problème éthique de l'avortement (IVG)?

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Messagepar Alexandre_VI » 05 sept. 2010, 00:33

(On comprend que cette question soit importante pour un pape, si dépravé soit-il.)

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aldum
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Messagepar aldum » 05 sept. 2010, 10:07

l'opposition essentielle à l'IVG est celle des autorités religieuses;( mais pas seulement)et on pourrait dire qu'elle repose donc sur un dogme, et ne concerne, en tant que telle, que ceux qui le partagent; mais on sait que les tentatives d'empêchement concernent tous les individus et non les seuls « fidèles » ; les Eglises, pour justifier leur attitude, universalisent l'interdiction en la fondant non sur le seul impératif du dogme, mais sur des critères « absolus » : l'IVG selon elles, et opinion partagée par de nombreux laïcs, constitue un meurtre, et aucune société n'accepte le meurtre en dehors de situations précises et identifiées; la question mute ainsi, devient de la sorte celle de tous les humains, et concerne le statut de l'embryon, être humain ou non, vivant ou non, et si oui, à partir de quel moment? je peux signaler sur ce thème difficile l'ouvrage éclairant de l'épistémologue Francis Kaplan:
« L'embryon est-il un être vivant » (éditions du Félin)

pour ma part, mon acceptation du principe de l'IVG repose sur l'idée de "moindre mal"

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Messagepar hokousai » 05 sept. 2010, 12:42

"""""pour ma part, mon acceptation du principe de l'IVG repose sur l'idée de "moindre mal"""""""
D'accord avec vous .

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Messagepar Alexandre_VI » 08 sept. 2010, 06:44

Le sens de ma question était plutôt: qu'est-ce que Spinoza aurait pensé de l'avortement?

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aldum
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Messagepar aldum » 08 sept. 2010, 12:27

c'est en effet une tout autre question...
spinoza n'était pas un gourou qui indique, de façon univoque et pour chaque situation concrète, une conduite à tenir, mais plutôt une méthode;
pour lui, les notions de bien et de mal ne sont pas absolues, mais comparatives: entre deux biens, le « moins » est un mal; entre deux maux, le « moins » est un bien;

E4P65:
"sous la conduite de la raison, nous rechercherons de deux biens le plus grand, et de deux maux le moindre"

l'homme raisonnable choisira donc le bien le plus grand, ou le moindre mal, qui est aussi un bien, l'idée de bien définie comme ce qui concoure à la réalisation d'un modèle de vie parfaite; par contre cette même définition, dans le cadre strict d'une situation concrète particulière, comme celle objet de votre question, ne peut être donnée une fois pour toutes;

je ne conçois pas non plus qu'elle pourrait faire tout à fait abstraction d'un contexte historique et sociétal; (et Spinoza, homme du 17° siècle, ne pouvait s'affranchir absolument des paradigmes de son époque (cf ce qu'il écrit sur les femmes par ex.)

remarque incidente: vous posez là, à mon sens, des questions intéressantes; mais il serait aussi intéressant que vous exprimiez ce que vous en pensez vous-même.

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Messagepar Alexandre_VI » 08 sept. 2010, 22:17

Mon opinion sur l'avortement (je prépare un papier sur le sujet): les approches religieuses ou libérales ne me convainquent pas. Le problème est de poser des grands principes au point de départ et de vouloir ensuite déduire des règles qui s'appliqueraient à l'avortement. Cela aboutit à mon sens à des positions radicales qui finissent en quelque sorte par déshumaniser...

Or, mes idées sur les différentes formes de l'avortement (avortement de convenance, après un viol, après l'inceste, avec un foetus gravement malade, avortement tardif, etc.) ne peuvent être justifiées par l'appel à de tels principes généraux, qu'ils soient d'essence libérale ou religieuse. J'interroge plutôt des intuitions immédiates et non des systèmes éthiques bien ficelés.

Je vais vous donner une petite illustration: du côté libéral, Tooley, Peter Singer et dans une certaine mesure Warren, tous des acteurs de premier plan en éthique appliquée, sont prêts à justifier l'infanticide pour être d'accord avec leurs principes. Du côté religieux, il n'est pas évident de justifier l'avortement même en cas de viol ou d'inceste, puisque dans tous les cas, on fait une victime innocente.

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Messagepar aldum » 09 sept. 2010, 12:26

vous dites que votre point de vue ne dépend pas des systèmes philosophiques ou des dogmes religieux, qui ne vous satisfont pas, et vous concluez en parlant de « victimes innocentes »; mais sur quels critères vous fondez-vous ? J'en déduis que votre position ne consiste en rien d'autre qu'à affirmer que l'embryon est un être humain vivant; mais que répondrez-vous à ceux qui rétorquerons qu'un être humain vivant doit être un être humain à part entière, autonome, et qu'un embryon ne l'est pas, qu'il constitue seulement une partie d'un autre être vivant, sa mère, puisqu'il dépend totalement d'elle pour se développer; quels critères scientifiques viendront étayer votre thèse? et à défaut de critères scientifiques , ne peut-on concevoir que le statut dêtre humain accordé à l'embryon dépende d'abord du désir qu'en a sa mère, et de l'amour qu'elle lui porte?
Sans autre argument que votre intuition, ou conviction, que direz-vous à une femme porteuse d'un embryon à haut risque de handicap lourd ? À une femme violée? Comment les persuaderez-vous que maintenir leur état coûte que coûte constitue pour elles un « modèle de vie parfaite » ?
vous n'aurez aucune difficulté, par contre, à me faire admettre qu'un avortement reste un drame; qui prétend le contraire ? la loi Veil ? mais est-elle autre chose qu'une simple et stricte illustration de l'idée spinozienne du moindre mal ?
Dommage, en passant, que cette intéressante question n'ait suscité aucune autre réaction.

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Messagepar Alexandre_VI » 09 sept. 2010, 17:44

Bonjour Aldum,

La question me semble être: quand l'embryon devient-il une personne, qui a pleinement sa place dans la communauté humaine?

Les catholiques et les fondamentalistes répondent: dès la conception. Un des arguments pour cette thèse est que l'oeuf fécondé dispose d'un patrimoine génétique distinct de celui de la mère.

D'autres répondent que l'embryon devient une personne au 14ème jour, se basant sur le fait qu'à ce moment, l'embryon ne peut plus se diviser pour donner des jumeaux.

D'autres encore sont inclinés à considérer que la capacité d'éprouver de la douleur est ce qui compte, et ainsi l'embryon deviendrait une personne dans les derniers stades de la grossesse.

D'autres pensent que le petit ne devient une personne, sujet de droits, que dans la mesure où il a un intérêt à rester vivant et à chercher le bonheur.

D'autres pensent que c'est la conscience de soi, la pensée rationnelle, la liberté et la capacité de former des relations humaines qui fait une personne. Cette vision tendrait à justifier le meurtre du nouveau-né.

Il y a aussi votre théorie qui a quelques adeptes: un embryon est une personne dans la mesure où il est reconnu comme tel par d'autres personnes. Dans cette vision, la qualité de personne ne dépend pas d'une propriété intrinsèque, mais plutôt relationnelle...

En ce qui me concerne, j'hésite entre la deuxième et la troisième théorie.

Dworkin pense d'ailleurs que cette question (qui est celle de la plupart des éthiciens) est mal formulée, et qu'il faut plutôt dire que la vie humaine est sacrée, mais en même temps que cette «sacralité» ne justifie pas nécessairement qu'on défende une vie privée de sens à tout prix. Car le sens de la vie est aussi important et peut éventuellement peser plus lourd que la vie en soi. Le tout consiste donc à déterminer à quel point la sacralité de la vie humaine justifie qu'on la défende contre des intérêts opposés.

J.J. Thomson fait aussi une réflexion intéressante. Elle dit que même si l'embryon était une personne, son droit à la vie inhérent à son statut de personne ne justifie pas des mesures disproportionnées pour le respecter. Le devoir de solidarité n'est pas infini... Pour cette philosophe, exiger une grossesse de neuf mois fait justement partie de ces mesures disproportionnées.

Dans tous les cas, je suis d'accord avec vous qu'un avortement est un drame. On ne peut y voir un simple procédé contraceptif ou une opération banale.

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Messagepar Alexandre_VI » 09 sept. 2010, 18:29

Bien, pour être plus précis, l'Église catholique ne dit pas exactement que l'embryon est une personne dès la conception. Elle dit que la précaution exige qu'on le tienne pour une personne.

Cela revient à l'argument du chasseur: un chasseur ne peut tirer dans un buisson qui remue, de crainte de toucher un être humain. De même, on ne peut avorter un embryon, de crainte de toucher à une personne humaine (même si le risque est mince).


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