Bien absolu - bien suprême

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 20 oct. 2010, 02:25

@ Miam.

Intéressant, je n'y avais pas encore pensé de cette façon-là (il se fait que je suis pour l'instant en train de lire Marion (théologie blanche; livre absolument excellent), mais je n'ai pas encore rencontré de passage sur absolu-relatif).

Qu'il n'y ait pas vraiment d'opposition ontologique dans le spinozisme: d'accord. Que dès lors Spinoza ne puisse pas tout à fait accepter la logique aristotélicienne: c'est ce que depuis quelque temps je pense aussi, mais sans déjà avoir travaillé dessus. Que cela puisse expliquer l'absence d'un usage explicite du couple relatif-absolu: je ne vois pas immédiatement comment, mais cela ne me semble pas à exclure.

Deux arguments auxquels je pense de prime abord:

1. les relatifs peuvent être des correlatifs (froid-chaud), ce qui est clairement le cas chez Spinoza (puissance qui augmente ou diminue). Or dans ce cas on est dans le binaire (une seule et même chose ne peut pas à la fois, en même temps augmenter et diminuer ma puissance; c'est l'un ou l'autre (ou les deux en même temps mais alors dans un autre sens)).

2. toute l'Ethique est écrite ordine geometrico, ce qui implique que les démonstrations se basent sur une logique parfaitement binaire. Une argumentation par l'absurde par exemple perd tout sens s'il faut abandonner une logique binaire.

Premier contre-argument: l'Ethique appartient au deuxième genre de connaissance, donc celui des êtres de raison, qui de toute façon n'ont pas une existence "réelle" en dehors de notre entendement. Une logique binaire utilisé à ce niveau-ci n'excluerait donc éventuellement pas une ontologie sans oppositions binaires (voire sans opposition tout court).

Or dans ce cas utiliser le couple "absolu-relatif" pour décrire certains aspects révolutionnaires de la conception spinoziste du bien me semble être parfaitement possible, puisque justement, on se situe sur le niveau du deuxième genre de connaissance. Pourtant Spinoza ne l'utilise pas ... pourquoi pas...?

Bonne nuit.

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Messagepar hokousai » 20 oct. 2010, 13:48

à Louisa

Ce serait un acte qui ne serait pas bon pour nous, ou pour autre chose hors de nous, mais bon tout court. Ce qui est absurde, du moins d'un point de vue spinoziste.


Admettons qu'il y ait une multitude d'actes dont nous ne jugeons pas moralement .Que ce soit des actes naturels ( séisme par exemple ) ou des activités animales ( le renard dans le poulailler ) ? Ces actes ne sont pas en soi .
Et puis il y a des actes que nous jugeons moralement ( le bien ou le mal )ces actes ne sont pas en soi .

Nous attribuons aux premiers des qualités ,certes plus ou moins anthropocentriques ( un séisme c'est dévastateur par exemple )
Spinoza essaie de sortir de l'anthropocentrisme :tel et tel évènement naturel est de na nécessité des choses naturelles ( point barre )

Nous attribuons aux seconds des qualités dites "morales"prétendues fortement anthropocentriques .Spinoza essaie de sortir de l'anthropocentrisme :tel et tel évènement moral est de la nécessité des choses naturelles ( point barre )
Je vous parle d' événement moral parce que considéré sans cette qualité de moralité l 'évènement n' existe pas .

Un meurtre dépouillé de sa qualité d immoralité ce n'est pas un meurtre . Ni l'adultère n'est adultère . Dépouiller les évènement de leur qualité morale c'est leur substituer d'autres événements , c'est tout bonnement nier qu'il y ait des meurtres, des adultères,des tortures, des viols , des vols, des mensonges , des parjures . Une fois niés , les évènements qui leur sont substitués n' auront bien évidemment plus aucune qualité de moralité .
Ainsi au meurtre est substitué une activité violente mécanique de destruction d'un corps par un plus puissant . Il n'y a pas de justification autre que celle de la mécanique des corps .

Dire qu'on verse dans l'utilitarisme le plus plat n'est pas excessif .
Phénomène fort curieux chez certain qui se veulent de gauche et qui empruntent les voies de l'utilitarisme ( Bentham ) servant des théories libérales en économie .
Ils n'ont entre parenthèse compris (ou gardé )d 'Adam Smith que la moitié de ce grand penseur .(Comme le souligne d'ailleurs Chomsky )
...................................................................

Vous pouvez fonctionner tel que l'époque fonctionne , c' est à dire sur l'idéologie du calcul des choix ("Rational Choice" )
Désolant de voir Spinoza embarqué dans cette croisade .

hokousai

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Messagepar Louisa » 21 oct. 2010, 03:08

Hokousai a écrit :Admettons qu'il y ait une multitude d'actes dont nous ne jugeons pas moralement .Que ce soit des actes naturels ( séisme par exemple ) ou des activités animales ( le renard dans le poulailler ) ? Ces actes ne sont pas en soi .
Et puis il y a des actes que nous jugeons moralement ( le bien ou le mal )ces actes ne sont pas en soi .


Déjà je ne vois pas ce que l'idée d'un "acte en soi" pourrait vouloir dire, comme je l'ai déjà signalé dans mon message précédent.

Donc que voulez-vous dire par là?

Et si par "juger moralement" vous voulez dire "trouver bon ou mauvais, bien ou mal", comment nier le fait qu'un séisme est horrible pour ceux qui le subissent, et donc en principe certainement jugé moralement .. ?

Hokousai a écrit :Nous attribuons aux premiers des qualités ,certes plus ou moins anthropocentriques ( un séisme c'est dévastateur par exemple )
Spinoza essaie de sortir de l'anthropocentrisme :tel et tel évènement naturel est de na nécessité des choses naturelles ( point barre )


non je ne pense pas. Le but de l'Ethique est ... euh ... éthique: le bien suprême. L'idée n'est pas de devenir indifférent et de laisser tomber toute notion de bien ou de mal, l'idée est en revanche de chercher ce qui est le plus grand bien pour nous. C'est non seulement de l'anthropocentrisme, c'est de l'égocentrisme (sachant qu'heureusement, ce qui est le plus grand bien pour moi l'est en même temps pour tout le monde, donc il ne s'agit pas du tout d'un égoïsme).

Oui, tout est nécessaire chez Spinoza, mais ce serait absurde de supposer que dès qu'on a compris qu'un événement était nécessaire, il ne nous laisse froid, on ne le trouve plus bon ou mauvais. Ce n'est pas parce qu'il est nécessaire de manger qu'il n'est pas bon de manger .. .

Hokousai a écrit :Nous attribuons aux seconds des qualités dites "morales"prétendues fortement anthropocentriques .Spinoza essaie de sortir de l'anthropocentrisme :tel et tel évènement moral est de la nécessité des choses naturelles ( point barre )
Je vous parle d' événement moral parce que considéré sans cette qualité de moralité l 'évènement n' existe pas .

Un meurtre dépouillé de sa qualité d immoralité ce n'est pas un meurtre . Ni l'adultère n'est adultère .


ce sont des jugements juridiques, non pas moraux. Selon le système judiciaire dans lequel on vit, tel et tel acte sera appelé "adultère" ou non. Idem en ce qui concerne le meutre.

C'était même déjà le cas à l'origine, lors des dix commandements. C'est Kant qui a décidé de "moraliser" tout cela, et alors il faut une "loi morale" et un libre arbitre, sinon cela ne fonctionne pas.

Mais on peut tout aussi bien concevoir nos jugements de bien et de mal en fonction de l'effet que les choses ont sur nous, comme le fait Spinoza, et non pas en fonction des dix commandements ou de ces mêmes commandements "laïcisés" par Kant.

Hokousai a écrit :Dépouiller les évènement de leur qualité morale c'est leur substituer d'autres événements , c'est tout bonnement nier qu'il y ait des meurtres, des adultères,des tortures, des viols , des vols, des mensonges , des parjures . Une fois niés , les évènements qui leur sont substitués n' auront bien évidemment plus aucune qualité de moralité .
Ainsi au meurtre est substitué une activité violente mécanique de destruction d'un corps par un plus puissant . Il n'y a pas de justification autre que celle de la mécanique des corps .

Dire qu'on verse dans l'utilitarisme le plus plat n'est pas excessif .
Phénomène fort curieux chez certain qui se veulent de gauche


j'avoue que je ne vois pas le problème.

Mais on est en train de changer de sujet. Dans ce fil il s'agit de la question de savoir dans quelle mesure on peut identifier summum dans l'expression "bien suprême" à une sorte d'absolu. Alors que dans ce post-ci on reprend le débat concernant la possibilité de combiner un engagement politique dans le monde et un jugement de bien/mal avec une ontologie déterministe, sans liberté au sens de libre arbitre, et sans "loi morale" à la Kant. Peut-être faudrait-il ouvrir un nouveau fil si l'on veut discuter de cela? A moins que vous voyiez un lien entre les deux?

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Messagepar hokousai » 21 oct. 2010, 18:51

à Louisa

Déjà je ne vois pas ce que l'idée d'un "acte en soi" pourrait vouloir dire,

Enchanté de vous le voir dire car c'est vous qui en parliez , pas moi .
.....................................................

Dans ce sens je dis qu'il y a des actes immoraux , les meurtres par exemple ,qui sans cette qualité (morale) attribuée ne sont plus des meurtres. Si tel évènement qualifié de meurtre n 'a pas la qualité attribuée d' être répréhensible du point de vue de la valeur on ne dit pas que c'est un meurtre on dit que c'est un accident .
Nolens volens en droit ou en morale la valeur attribuée est de l'ordre du bien et du mal ( pas du vrai et du faux ).

Maintenant vous pouvez vouloir anéantir ce régime de valeur ( le bien et le mal ) bien antérieur à Kant , et lui substituer celui de l 'utile et de l 'inutile . Vous êtes utilitariste .

Je pense que Spinoza n'est pas utilitariste ,en dépit de sa référence à l'utilité .
Car l 'homme pour Spinoza ne se définit pas essentiellement (en son essence ) par ses besoins (suivant l'état commun des choses extérieures ) mais par la raison .
La raison a des vertus merveilleuses aux yeux de Spinoza puisque de fait vivre sous la conduite de la raison c'est finalement vivre moralement (au sens le plus canonique et traditionnel )

De mon point de vue chez Spinoza les sentiments moraux sont certifiés dans leur justesse par la raison .
Ce que nous jugions par sentiment être le bien et le mal se retrouve intégralement réendossé par le vivre sous la conduite de la raison .


Il me semble que Spinoza par la raison veut sortir de l'anthropocentrisme,à tout le moins qu'il veut fonder la moralité autrement et ailleurs que dans la révélation et l'autorité des théologiens .
C'est un projet qui a sa cohérence mais qui néanmoins n'est pas unanimement reconnu quand le travail de la raison chez d' autres conduite à d' autres conclusions (cf Hobbes , Bentham , Nietzsche)

..................................

Mais pour revenir au sujet , Spinoza parle d' absolu dans cette phrase
"Or l homme absolument parlant agit d après les lois de sa nature quand il vit sous la conduite de la raison . ." coroll1 prop35/4

et prop 24/4

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Messagepar Louisa » 21 oct. 2010, 19:48

Hokousai a écrit :
louisa a écrit :Déjà je ne vois pas ce que l'idée d'un "acte en soi" pourrait vouloir dire,


Enchanté de vous le voir dire car c'est vous qui en parliez , pas moi .


rapido ... comme déjà dit, il s'agit d'une erreur de lecture de votre part.

Vous aviez coupé l'une de mes phrases en deux, ce qui faisait que vous restiez avec l'expression étrange "acte en soi", alors que je parlais d'un acte "bon en soi". C'est ce que je vous avais expliqué il y a deux messages .. . En réponse à cette explication, vous avez commencé à développer ... tout un message sur l'idée d'un "acte en soi"... :?
Bien à vous.

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Messagepar hokousai » 22 oct. 2010, 00:54

à Louisa

J' avais très bien compris que vous me parliez d' actes bon en soi et non pas d'actes en soi bons .
Oui mais comme je pense qu'il y a des des actes bons et qui ne sont pas des actes en soi je voulais éclaircir un peu la question .

Un acte de bienveillance est bon mais certainement pas "en soi" c'est à dire distinct de l'intention de bienveillance .
L'acte se rapporte à un "autre " qui est l'intention , sans cette intention pas de joie ou de tristesse ( ou alors autre et pour un autre acte ).
L'intention est dans le désir de mise en accord de deux natures la notre et celle qui nous ressemble .(partie 3 de l 'Éthique )
La ressemblance des natures n 'est pas subjective ( pour Spinoza ) elle n est pas décrétée par les individus , elle est subie .On a là un jeu de puissance entre des affects .
( j'ai des réserve sur cette idée force de ressemblance .Après tout c'est aussi en ce que la femme diffère de l homme qu ''elle est aimé et réciproquement).Élargissons ressemblance à convenance de nature .
..........................................

Mais il se trouve que comme le dit Ovide " je vois le meilleur et l'approuve , je fais le pire ".
Sur ce constat déplorable reste donc à montrer quels sont les affects qui conviennent avec les règles de la raison humaine .

Je doute ( mais c'est un autre débat )que le raisonnement de Spinoza sur la solidarité (scolie prop 18/4) soit convaincant hors de ( ou indépendamment de) sentiments moraux préexistants et forts .
Je doute donc que le raisonnement de Spinoza soit indépendant des affects.
( c'est ce que je voulais dire en citant Hobbes , Bentham et Nietzsche )
.......................

Je ne m'insurge pas contre l 'attribution de mérites à la raison (ici au raisonnement ), je souhaite en mesurer l 'effet et ce contre la promotion exaltée que certain rationalisme pourraient en faire . Je pointe l' utilitarisme calculateur et ses tentatives de mathématisation de la moralité .

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Messagepar sescho » 01 nov. 2010, 11:48

Un rappel pour commencer – comme certain(e)s ont tendance, par gros défaut d’écoute, à réécrire les propos d’autrui pour en faire le commentaire ensuite : je dis que le Bien et le Mal sont des êtres de Raison (et donc pas des êtres réels, confusion que le philosophe doit à tout prix éviter !!!) qui traduisent – de façon pratique, sans être nécessaires – des Lois de la Nature (celles régissant le malheur-bonheur, ou tout autre nom qu’on voudra y donner, de l’Homme – Homme étant une notion généralement considérée elle-même comme absolue, en passant, au contraire par exemple de « père » ou « mère ».) Bien et Mal « tiennent » leur absoluité de ces Lois et n’y ajoutent strictement rien. Exactement la même question peut donc être traitée par la seule considération des Lois. Il est en retour parfaitement incohérent dans ce cadre de qualifier de « bien » ou de « mal » un quelconque phénomène réel, « entité » ou acte.

Les Lois de la Nature – probablement la notion la plus utilisée, en particulier dans le TTP, par Spinoza après Dieu ; en passant, prétendre parler pour Spinoza en en faisant totale abstraction est donc pour le moins curieux… ; des extraits partiels sont – sont dites par Spinoza être l’essence même de Dieu. Et il s’agit forcément de Dieu en tant que naturé. En fait, les Lois de la Nature sont l’essence du Mouvement (et de son parallèle dans la Pensée), et le Mouvement est un mode infini qui suit de la nature absolue de l’Etendue (E1P21, E1P28S, E1P32C2, CT1Ch3, CT1Ch8-9, etc.)

Bref, le Bien et le Mal ont le même degré d’absoluité que le Mouvement.

S’agissant de l’analogie (partiellement pertinente) avec le zéro absolu de température, l’ « objection » qui consiste à parler (du Hume ?) de comparaison et d’extrême dans cette comparaison ne vaut rien : même si c’est de peu, personne n’a jamais mesuré le zéro absolu et donc n’a pu le comparer à quoi que ce soit. Et quand bien même l’aurait-il mesuré qu’il n’aurait aucune raison de penser qu’il ne peut pas aller plus bas… Ce qui fixe le zéro absolu de température c’est une Loi. (Notons que la Température est elle-même quelque chose d’absolu, ce que ne sont pas « chaud » ou « froid » – le problème s’agissant du « bonheur » est que Spinoza utilise le même mot de bonum dans tous les cas, c’est à dire sous plusieurs acceptions nettement différentes, dont la confusion est une autre cause principale d’erreurs de fond.)

En prime, puisqu’il a été invoqué, et qu’il s’est exprimé directement sur le sujet (même si ce n’est pas une référence de premier plan en Philosophie morale de mon point de vue) :

Aristote, Ethique à Nicomaque, a écrit :Puisque les fins sont manifestement multiples, et nous choisissons certaines d’entre elles (par exemple la richesse, les flûtes et en général les instruments) en vue d’autres choses, il est clair que ce ne sont pas là des fins parfaites, alors que le Souverain Bien est, de toute évidence, quelque chose de parfait. Il en résulte que s’il y a une seule chose qui soit une fin parfaite, elle sera le bien que nous cherchons, et s’il y en a plusieurs, ce sera la plus parfaite d’entre elles. Or, ce qui est digne d’être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi pour une autre chose, et ce qui n’est jamais désirable en vue d’une autre chose, nous le déclarons plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles-mêmes et pour cette autre chose, et nous appelons parfait au sens absolu ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l’est jamais en vue d’une autre chose. Or le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre, car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d’une autre chose ; au contraire, l’honneur, le plaisir, l’intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons assurément pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n’en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous les choisissons aussi en vue du bonheur, car c’est par leur intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n’est jamais choisi en vue de ces biens, ni d’une manière générale en vue d’autre chose que lui-même. …

… nous posons le bonheur comme une fin, comme quelque chose d’absolument parfait…

… ne doit-on pas dire que, dans l’absolu et, selon la vérité, c’est le bien réel qui est l’objet du souhait, mais que pour chacun de nous c’est ce qui lui apparaît comme tel ? Que, par conséquent, pour l’honnête homme, c’est ce qui est véritablement un bien, tandis que pour le méchant c’est tout ce qu’on voudra ? N’en serait-il pas comme dans le cas de notre corps : un organisme en bon état trouve salutaire ce qui est véritablement tel, alors que pour un organisme débilité ce sera autre chose qui sera salutaire ; et il en serait de même pour les choses amères, douces, chaudes, pesantes, et ainsi de suite dans chaque cas ? En effet, l’homme de bien juge toutes choses avec rectitude, et toutes lui apparaissent comme elles sont véritablement. C’est que, à chacune des dispositions de notre nature il y a des choses bonnes et agréables qui lui sont appropriées ; et sans doute, ce qui distingue principalement l’homme de bien, c’est qu’il perçoit en toutes choses la vérité qu’elles renferment, étant pour elles en quelque sorte une règle et une mesure. Chez la plupart des hommes, au contraire, l’erreur semble bien avoir le plaisir pour cause, car, tout en n’étant pas un bien, il en a l’apparence ; aussi choisissent-ils ce qui est agréable comme étant un bien, et évitent-ils ce qui est pénible comme étant un mal. …

Mais nous ne devons pas oublier que l’objet de notre investigation est non seulement le juste au sens absolu, mais encore le juste politique. …

De là vient que l’équitable est juste, et qu’il est supérieur à une certaine espèce de juste, non pas supérieur au juste absolu, mais seulement au juste où peut se rencontrer l’erreur due au caractère absolu de la règle. …

Reprenons donc depuis le début, et traitons à nouveau de ces dispositions. Admettons que les états par lesquels l’âme énonce ce qui est vrai sous une forme affirmative ou négative sont au nombre de cinq : ce sont l’art, la science, la prudence, la sagesse et la raison intuitive, car par le jugement et l’opinion il peut arriver que nous soyons induits en erreur.

La nature de la science (si nous employons ce terme dans son sens rigoureux, et en négligeant les sens de pure similitude) résulte clairement des considérations suivantes. Nous concevons tous que les choses dont nous avons la science ne peuvent être autrement qu’elles ne sont ; pour les choses qui peuvent être autrement, dès qu’elles sont sorties du champ de notre connaissance, nous ne voyons plus si elles existent ou non. L’objet de la science existe donc nécessairement ; il est par suite éternel, car les êtres qui existent d’une nécessité absolue sont tous éternels ; et les êtres éternels sont inengendrés et incorruptibles. De plus, on pense d’ordinaire que toute science est susceptible d’être enseignée, et que l’objet de science peut s’apprendre. Mais tout enseignement donné vient de connaissances préexistantes, comme nous l’établissons aussi dans les Analytiques puisqu’il procède soit par induction, soit par syllogisme. L’induction dès lors est principe aussi de l’universel tandis que le syllogisme procède à partir des universels. Il y a par conséquent des principes qui servent de point de départ au syllogisme, principes dont il n’y a pas de syllogisme possible, et qui par suite sont obtenus par induction. Ainsi la science est une disposition capable de démontrer, en ajoutant à cette définition toutes les autres caractéristiques mentionnées dans nos Analytiques car lorsque un homme a sa conviction établie d’une certaine façon et que les principes lui sont familiers, c’est alors qu’il a la science, car si les principes ne lui sont pas plus connus que la conclusion il aura seulement la science par accident. …

Or la prudence a rapport aux choses humaines et aux choses qui admettent la délibération : car le prudent, disons-nous, a pour oeuvre principale de bien délibérer ; mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qui ne comportent pas quelque fin à atteindre, fin qui consiste en un bien réalisable. Le bon délibérateur au sens absolu est l’homme qui s’efforce d’atteindre le meilleur des biens réalisables pour l’homme, et qui le fait par raisonnement.

En outre, on peut avoir bien délibéré soit au sens absolu, soit par rapport à une fin déterminée. La bonne délibération au sens absolu est dès lors celle qui mène à un résultat correct par rapport à la fin prise absolument, alors que la bonne délibération en un sens déterminé est celle qui n’aboutit à un résultat correct que par rapport à une fin elle-même déterminée. Si donc les hommes prudents ont pour caractère propre le fait d’avoir bien délibéré, la bonne délibération sera une rectitude en ce qui concerne ce qui est utile à la réalisation d’une fin, utilité dont la véritable conception est la prudence elle-même. …

L’étude du plaisir et de la peine est l’affaire du philosophe politique : c’est lui, en effet, dont l’art architectonique détermine la fin sur laquelle nous fixons les yeux pour appeler chaque chose bonne ou mauvaise au sens absolu. En outre, cette investigation est l’une de nos tâches indispensables car non seulement nous avons posé que la vertu morale et le vice ont rapport à des plaisirs et à des peines, mais encore, au dire de la plupart des hommes, le bonheur ne va pas sans le plaisir, et c’est la raison pour laquelle l’homme bienheureux est désigné par un nom dérivé de se réjouir …

En premier lieu puisque le bien est pris en un double sens (il y a le bien au sens absolu et, le bien pour telle personne), il s’ensuivra que les états naturels et les dispositions seront aussi appelés bons en un double sens, et par suite également les mouvements et les devenirs correspondants. Et de ces mouvements et devenirs considérés comme mauvais, les uns seront mauvais au sens absolu, : les autres, mauvais pour une personne déterminée et non pour une autre, mais au contraire désirables pour tel individu certains autres ne seront même pas désirables en général pour tel individu, mais seulement à un moment donné et pour peu de temps et non : toujours ; les autres devenirs, enfin, ne sont pas même des plaisirs, mais le paraissent seulement, ce sont tous ceux qui s’accompagnent de peine et ont pour fin une guérison, par exemple les processus des maladies. …

Il y a aussi les gens qui regardent le plaisir comme un devenir, parce que c’est pour eux un bien au sens absolu, car à leurs yeux l’activité est un devenir, alors qu’en fait elle est tout autre chose. …

Les arguments qui s’appuient sur le fait que l’homme modéré évite le plaisir et que l’homme prudent poursuit la vie exempte de peine seulement, et que d’autre part les enfants et les bêtes poursuivent le plaisir, ces arguments-là sont réfutés tous à la fois par la même considération : nous avons indiqué en effet, comment les plaisirs sont bons au sens absolu, et comment certains plaisirs ne sont pas bons ; or ce sont ces derniers plaisirs que les bêtes et les enfants poursuivent (et c’est l’absence de la peine causée par la privation des plaisirs de ce genre que recherche l’homme prudent), c’est-à-dire les plaisirs qui impliquent appétit et peine, en d’autres termes les plaisirs corporels (qui sont bien de cette sorte-là) et leurs formes excessives, plaisirs qui rendent précisément déréglé l’homme déréglé. Telle est la raison pour laquelle l’homme modéré fuit ces plaisirs, car même l’homme modéré a des plaisirs. …

… l’activité de l’homme parfait et jouissant de la béatitude soit une ou multiple, les plaisirs qui complètent ces activités seront appelés au sens absolu plaisirs propres de l’homme, et les autres ne seront des plaisirs qu’à titre secondaire et à un moindre degré, comme le sont les activités correspondantes. …

… sont à la fois dignes de prix et agréables les choses qui sont telles pour l’homme de bien ; et pour tout homme l’activité la plus désirable étant celle qui est en accord avec sa disposition propre, il en résulte que pour l’homme de bien c’est l’activité conforme à la vertu. …
Connais-toi toi-même.


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