A Miam,
Certes, à l'université, la capacité à se soumettre à l'autorité des professeurs est la cause principale de réussite. Souvent cette autorité se justifie séculairement par la nécessité de former les jeunes esprits. Et cela se comprend dans la mesure où raisonner de façon méthodique et rigoureuse ne va pas de soi et n'est que très rarement acquis suffisamment à la sortie du lycée. Mais il y a aussi un effet pervers : la difficulté à accepter toute forme de remise en question externe. Parfois, il y a les questions et objections acceptables parce qu'elles viennent de collègues qui parlent le même langage et il y a celles qu'on ne peut entendre parce qu'elles viennent du dehors de la doxa partagée. Et il y a un qu'en dira-t-on universitaire qui interdit qu'on aborde certaines idées en toute liberté. Ce qu'en dira-t-on qui fit avoir des problèmes à Christian Wolff, à Hume ou encore à Fichte... Mais cela n'empêche pas absolument qu'il y ait des Wolff, des Hume, des Fichte !
Je dois avouer que j'ai parfois été assez déçu par la platitude des interprétations de Moreau, du moins ce que je pense en avoir compris. C'est peut-être un trait de la tendance universitaire actuelle : ne pas trop s'engager, pour faire neutre. Du coup, ça peut donner des lectures presque littérales, ou juste occasions d'établir des liens érudits, qui résolvent des problèmes d'une façon sommaire, même si le nombre de pages est grand. Je ne crois pas qu'il ne puisse y avoir que des interprétations personnelles, d'abord parce qu'il y a les textes qui n'autorisent pas n'importe quoi (cf. justement la méthode d'interprétation des textes de Spinoza dans le TTP : il explique lui-même comment sortir des projections personnelles) et aussi, malheureusement, parce qu'il y a des lectures qui en restent presque à la répétition du texte, de sorte qu'il est difficile d'y trouver une quelconque profondeur.
Mais même si on est en droit d'estimer qu'un commentateur n'apporte rien de nouveau à la compréhension d'un auteur, je ne vois pas pourquoi il faudrait chercher à en dégoûter ceux qui cherchent principalement à découvrir l'auteur commenté. PF Moreau contribue grandement à la connaissance et je dirais même à la reconnaissance de Spinoza dans le milieu universitaire, ce qui reste pas évident du tout en France. Aussi, s'il se peut que ses contributions paraissent peu innovantes sur le plan interprétatif, elles peuvent toujours apporter quelque chose sur le plan de la connaissance de l'auteur. Tout simplement parce que déjà sur ce forum, certains lecteurs amateurs de Spinoza peuvent attirer mon attention sur des points que j'avais négligé chez cet auteur que je lis pourtant depuis des années, alors ce que peut apporter un universitaire qui le fréquente depuis des dizaines d'années est nécessairement bon à prendre.
Quant à F. Lordon, c'est vraiment injuste de le réduire au mimétisme hérité de Girard. Il me semble partir au contraire du
conatus pour voir comment il peut fournir un principe général de compréhension de la puissance et des limites du capitalisme, sans se limiter à l'imitation des affects qui en découle. D'ailleurs, il est économiste avant d'être sociologue et c'est un économiste alternatif au néolibéralisme. Rien que pour cela il est intéressant de voir ce que peut lui apporter, dans ce cadre, ce qu'il retient de Spinoza. Peu m'importe qu'il ait une lecture totale de Spinoza, s'il intègre deux trois idées à son analyse économique, c'est déjà intéressant. D'autre part, il propose régulièrement des idées concrètes pour faire avancer les choses, comme récemment de supprimer la Bourse, dans la mesure où elle ne sert plus qu'à constituer des fortunes déconnectées de l'économie réelle. Je crois savoir que tu lui reproches de reprendre la distinction entre capitalisme industriel et capitalisme financier, le premier étant moins pervers et plus facile à combattre. Mais cela ne veut pas dire qu'il préconiserait un retour au capitalisme industriel.
Sur la théorie de l'imitation des affects, je trouve assez convaincant et utile l'usage qu'en fait Kempf dans "
Comment les riches détruisent la planète".
Dire que tous ces gens sont des bavards alors qu'ils essayent principalement de connaître l'adversaire (l'ignorance et la domination qui en découle) pour mieux le combattre, tout en disant qu'il vaut mieux prendre un café avec un délégué syndical qui vous en apprendra forcément beaucoup plus, cela me semble relever d'un mépris de l'intellectuel en général qu'autrefois, on appelait clairement misologie et qu'aujourd'hui on appelle plus confusément poujadisme ou "populisme". Ce n'est pas parce qu'on est du côté des masses laborieuses qu'il faut se passer des instruments d'analyse proposés par les intellectuels, même si ces instruments sont toujours à améliorer.