Spinoza et les sciences sociales

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar hokousai » 22 oct. 2010, 02:24

Matheron, à mon souvenir, n'évoque pas même Girard


Individu et communauté chez Spinoza (Minuit 1969)

"La violence et le sacré" n' est publié qu'en 1972
..............
remarquez aussi que Spinoza n' évoque pas même Matheron .

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Messagepar JLT » 22 oct. 2010, 11:27

Merci pour vos réponses qui, chacune à leur manière, m’ont invité à relire l’article de Françoise Barbaras (Le magazine littéraire Dossier Spinoza N°493 janvier 2010 pages 82-83 : « Une sociologie de la puissance ? ».

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Messagepar hokousai » 23 oct. 2010, 00:23

à Henrique

Quant à F. Lordon, c'est vraiment injuste de le réduire au mimétisme hérité de Girard. Il me semble partir au contraire du conatus pour voir comment il peut fournir un principe général de compréhension de la puissance et des limites du capitalisme, sans se limiter à l'imitation des affects qui en découle.


Son interprétation du conatus spinoziste est douteuse .Il rabat le conatus sur les affects .
Essentiellement le conatus s' active (pour Lordon ) dans la sphère des passions .

Or pour Spinoza le conatus dans la sphère des affects est impuissance Spinoza l'en extrait ( théoriquement et pragmatiquement ) pour le faire passer et je dirais naitre à lui même ( consciemment ) dans le domaine de la raison .

Alors que Spinoza dit que les hommes peuvent discorder en nature en tant qu'ils sont en proie aux passions ce n'est que quand ils vivent sous la conduite de la raison qu'ils conviennent nécessairement entre eux .

On est bien au delà d'une métaphysique des luttes telle qu'en parle Lordon , on est dans la vertu .

Je dirais donc comme miam qu'il y a une utilisation partisane de Spinoza par Lordon .(du moins dans le texte que j' ai lu : métaphysique des luttes 2004)( sous réserve donc )

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Messagepar Miam » 28 oct. 2010, 15:45

Je persiste à affirmer que Moreau est un simple épigône de Matheron. En témoigne son dernier travail : "Spinoza. Etat et religion". J'ajoute que cette filiation s'inscrit dans la tradition académique d'une (pitoyable) lecture néo-libérale de Spinoza, comme le montre par exemple la distinction que fait Moreau entre le domaine des affects et celui des intérêts (p. 57 et infra), ce qui constitue une pure absurdité.

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Messagepar hokousai » 28 oct. 2010, 23:46

à miam

Matheron était marxiste , Lordon ne l'est pas mais n'est pas du tout neolibéral .
Quant à Spinoza ?

Un propos d' Alexandre Matheron qui me pose problème
je cite :http://hyperspinoza.caute.lautre.net/article.php3?id_article=939

"Non, Brunschvicg ne m’a servi à rien. Effectivement, j’ai oublié de parler de Brunschvicg... Et j’ai oublié aussi de vous dire que, parmi tous les vieux auteurs qui ont écrit sur Spinoza, il y en a un qui m’a énormément éclairé : cela peut paraître paradoxal, mais c’est Lachièze-Rey dans son livre sur Les origines cartésiennes du Dieu de Spinoza . Il est, je crois, le premier a avoir dit que la "nature naturante" et la "nature naturée" sont une seule et même nature considérée en tant que naturante et en tant que naturée. Aujourd’hui, c’est devenu banal, encore que tout le monde ne l’ait pas vraiment compris. Mais pour moi, ça a été une illumination, parce que je n’y avais jamais pensé avant."

Je ne sais après tout quoi tirer cette cette banalité laquelle va un peu à l'encontre de ce que j 'en pense puisque je tiens à cette distinction entre nature naturante et nature naturée .

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Messagepar JLT » 30 oct. 2010, 10:44

Bonjour à tous,

Quant à moi qui ne suis ni marxiste ni néolibéral ni professionnel de la philosophie mais parisien, ayant du "temps libre" et considérant Spinoza comme un penseur majeur, j'ai la chance de pouvoir suivre le séminaire de Bernard Pautrat consacré cette année au TP (le mardi matin de 10 h 30 à 13 h à l'ENS Ulm).
Ainsi dans quelques mois, j'y verrai beaucoup plus clair.

Cordialement
JLT
Bien cordialement.
JLT

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Messagepar Henrique » 30 oct. 2010, 11:18

JLT, ce sera un plaisir d'apprendre ce que vous aurez compris ! C'est vrai qu'ici le TP est moins abordé, l'ontologie spinozienne reste le principal sujet de discussion. Mais si vous remontez aux débats de 2005 autour du TCE et de 2007 autour de la présidentielle, vous trouverez des échanges.

Sur l'imitation des affects, il y a me semble-t-il un passage qui ne doit pas être difficile à retrouver, dans le prologue du TRE je crois, où Spinoza montre qu'en confondant le souverain bien et les honneurs, ceux qui recherchent le pouvoir politique sont condamnés à imiter les affects de la foule et ainsi à perdre toute autonomie intellectuelle...

Hokousai, je ne vois pas comment faire du conatus autre chose qu'un affect et de ramener les affects passifs que sont les passions à cet affect fondamental qu'est le conatus. Je crois que vous confondez affect et passion. Spinoza n'extraie pas le conatus des affects, mais des affects passifs dominés par l'imagination, pour montrer comment il peut devenir affect actif, ou vertu, par la domination de la raison sur la vie mentale. Quant aux luttes, rappelez vous que "La vertu de l'homme libre se montre aussi grande à éviter les périls qu'à en triompher." (E4P69) et le corollaire qui s'ensuit : "On doit tenir compte à l'homme libre d'un aussi grand courage, quand il prend la fuite en de certains moments, que s'il engageait la lutte ; en d'autres termes, l'homme libre choisit la retraite comme le combat, avec un égal courage, avec une égale présence d'esprit. "

Lordon utilise surtout l'anthropologie spinozienne pour réintroduire le concept de passion dans un système qui n'est pas aussi rationnel que le prétendent « les économistes orthodoxes ». « Prenez une vue de la salle des marchés avec des traders hystériques, insiste-t-il. Qu'est-ce que c'est, sinon de la passion ? »
Voir la vidéo de l'entretien qu'il a accordé au site "Arrêt sur image" :
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3405

Pour connaître assez en détail la position de Lordon sur Spinoza, il faut sans doute se référer à son dernier livre : Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza (le commentaire sur cette page d'un lecteur donne quelques pistes).

En voici aussi une petite présentation dans le Monde :
Depuis Karl Marx (1818-1883), de l'eau a coulé sous les ponts. Frédéric Lordon fait référence à l'auteur du Capital pour ce qui concerne la "servitude". Mais c'est surtout dans l'usage qu'il fait de Baruch Spinoza (1632-1677) et du concept, central chez ce philosophe, de désir, que sa pensée est singulière.

Frédéric Lordon montre, en particulier, que ce qu'il appelle "l'épithumè capitaliste" ("épithumè" signifie en grec désir) a évolué. Le projet du capitalisme néolibéral, affirme-t-il, est désormais de façonner notre désir, en optimisant "l'exploitation passionnelle". Sus aux "passions tristes", tel est le mot d'ordre. L'entreprise veut des salariés contents. Du coup, tout le monde est gentiment schizophrène. Là où les choses se gâtent, et l'auteur le montre bien, c'est quand la maltraitance des salariés s'en mêle. Sur ce point, le diagnostic du livre sur la violence sociale cachée est imparable, même s'il n'est pas nouveau.

Plus originales, en revanche, sont les pages où M. Lordon, classé à gauche, trouve des accents tocquevilliens quand il décrit le projet "totalitaire" néolibéral de "possession des âmes". Ou encore le chapitre sur la préférence pour la liquidité, où il montre que la liquidité est sans doute aujourd'hui le "fantasme" absolu de la toute-puissance. Qui va jusqu'à liquider le social.

Le capitalisme est prédateur par nature, affirme M. Lordon. "Une hypothétique sortie du capitalisme, écrit-il, ne (libérera) nullement des enjeux de la capture." Si l'idée d'une rupture avec le capitalisme a encore un sens, elle passe par une reconfiguration de nos désirs (une nécessité écologique, soit dit en passant). Mais, comme le dit l'auteur, en citant encore Spinoza - à moins que ce ne soit le chinois Lao Tseu : "La voie est escarpée."

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Messagepar hokousai » 30 oct. 2010, 13:51

à Henrique

L' affect est passion ou action .Effectivement, j 'aurai du écrire affect-passions (ainsi que je 'l'entendais )

Je ne vois pas le conataus comme un affect , disons que je distingue conatus et affect parce que Spinoza distingue " par affect j"entend les affections du corps qui augmentent ou contrarient la puissance d'agir de ce corps def /part 3
L 'affect (comme idée ) est un indicateur de la puissance d'agir laquelle suit de la nature déterminée d'une chose .
'
Spinoza n'extraie pas le conatus des affects, mais des affects passifs dominés par l'imagination, pour montrer comment il peut devenir affect actif, ou vertu, par la domination de la raison sur la vie mentale.

Je suis d'accord avec vous.

.............................................................................

Lordon utilise surtout l'anthropologie spinozienne pour réintroduire le concept de passion dans un système qui n'est pas aussi rationnel que le prétendent « les économistes orthodoxes »

Non mais pour ça d'accord ? On peut très bien se référer à Spinoza pour ce qu'il en est de l'emprise des passions , c' est justifié .

Je cite (en gras )Lordon ( un Lordon de 2004 certes )

c'est pourquoi l' ontologie du conatus est immédiatement politique et que déterminant une agonistique générale elle débouche sur une métaphysique des luttes .

Ainsi la bataille est-elle le produit nécessaire du mouvement des puissances .


On ne peut dire que ce n'est pas ,quelque part, un emprunt à "l'anthropologie " spinoziste , certes , sauf que Spinoza nous invite à justement ,si ce n'est à sortir de la bataille , à ,du moins , raisonner nos désirs et nos comportements .
Excusez- moi si je vois plus en Spinoza un sage retiré et circonspect qu'un activiste politique .
......................................................

Maintenant , personnellement, je n'ai pas d' animosité envers Lordon ni envers ce qui ce pense d 'anti -libéral.

Si la critique du libéralisme est fondée, il n'est pourtant pas dit que le texte de Spinoza n apporte pas d 'eau à ses moulins, ni que , donc ,la théorie du conatus ne soit pas exploitable théoriquement par le camp libéral .
C'est bien pourquoi cette ontologisation du conatus ramenée sur le terrain des luttes politiques servira les uns comme les autres .

Est- elle utile au sage ?
...............................................................
PS

Les libéraux ( qui savent très bien se défendre ) n'ont pas ou guère eu recours à Spinoza , ils ont pléthore de grands penseurs à leur service . Cela n' implique pas que quelque malin à la rhétorique habile ne se mette , un jour , en devoir de montrer que chez Spinoza il y a l' individu libre et rationalisant voire calculateur de ses intérêts personnels et de son utilité , la lutte des conatus tout autant que la coopération, la concurrence nécessaire pour le plus grand bien de tous , un état régalien sans plus .
Enfin bref que le libéralisme est le meilleur promoteur non seulement des désirs mais de leurs libres novations métamorphoses ou reconfigurations .

bien à vous
Hokousai

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Messagepar Miam » 31 oct. 2010, 23:20

Si Mathéron était marxiste alors je suis un un catholique fanatique. A mon avis Hokusai n'a pas lu Matheron. Ecrit en 1969, l'"Individu et communauté chez Spinoza" est un violent réquisitoire contre mai 68 et fonde une sorte d'évolutionnisme sur le commerce et l'argent allié à une bonne dose d'ambition, d'espoir et de mimétisme. Au mieux, dans ce livre il règle ses comptes avec le marxisme et mai 68. Au pire il était au PC parce que cela faisait chic à l'époque avant de se détacher du marxisme comme l'ont fait nos chers "nouveaux philosophes".

Hokusai ne peut pas nier que Spinoza était un politique. Il a écrit le TP et le TTP. Il était protégé par De Witt. Il a failli risquer sa peau pour protester contre l'assassinat de De Witt. Il a été désigné pour engager des tractations politiques avec les Français, etc...
Si on réfléchit un peu, il devient clair que le TP a suivi l'Ethique parce que la condition pratique de l'Ethique est politique. Il devient également clair que, si la religion est un instrument politique comme l'affirme Spinoza dans le TTP, alors la conséquence d'une théologie, fut-elle celle de Spinoza, est politique.

Il est indéniable que l'affect actif ou passif est conatif puisqu'il traduit les variations de la puissance d'agir qui est un autre nom pour le conatus. La définition de l'affect l'identifie à l'affection + l'idée de cette affection + l'effort - diminué,augmenté, secondé ou contrarié - c'est à dire le conatus.
En voulant distinguer totalement un domaine éthique des affects et un domaine politique des intérêts liés au conatus, non en le montrant mais en nous demandant de "lire entre les lignes" comme il le fait(ce qui est déjà se foutre de la gueule du lecteur), Moreau vise à montrer que l'intérêt est capable de créeer une société alors que l'affect, qu'il traduit par passion comme le fait Descartes, serait, comme Hokusai le croit, de l'ordre d'une sagesse solitaire - ce que nie l'Ethique entre autres par l'allégation des notions communes entre les hommes et toute la fin de la quatrième partie.
Du reste, comme Moreau est l'épigone de Matheron, il confond comme lui le "commun" et le "similaire". Ce qui est détruire toute l'épistémologie spinozienne des notions communes. Bref : cela sent la manipulation et la mort.

J'aime bien Pautrat. Je ne sais trop ce qu'il est devenu mais j'aimais bien ses interventions dans les années 80.
Guéroult n'était certainement pas marxiste mais ce qu'il écrit sur Spinoza est, malgré des erreurs, dix fois plus sérieux que ce qu'ont écrit Matheron et Moreau réunis.

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Messagepar JLT » 01 nov. 2010, 11:35

Pour Miam.
Bernard Pautrat a terminé ses enseignements à l’ENS Ulm à la fin juin de cette année.
Pour l’année universitaire 2010-2011, il se consacre à un séminaire relatif au TP (les mardis matin à l’ENS Ulm).
N’ayant plus d’obligations salariales depuis le second semestre 2008, j’ai ainsi pu suivre les deux dernières années universitaires de Bernard Pautrat :
- 2008-2009 : Ethique partie 1
- 2009-2010 : Ethique partie 5
Pour chacun de ces séminaires, il s’agissait d’une lecture explicative minutieuse de chacune des propositions et des démonstrations des parties concernées. J’en ai tiré un très grand profit.
Sans doute Bernard Pautrat n’était-il pas un universitaire conformiste (ou orthodoxe) ? Sans doute défendait-il au sein de l’ENS une position minoritaire ? L’important n’était-il pas que nous puissions comprendre l’Ethique ?
Pour Henrique.
Merci pour la référence du lien vers l’émission d’arretsurimages.net dans laquelle Frédéric Lordon commente son dernier ouvrage : « Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza ».
La clarté de ses propos est une qualité nécessaire à la compréhension de sa démarche ainsi qu’à la critique de son argumentation.
En ce qui me concerne, je continue à penser qu’il fait œuvre utile dans le domaine qui est le sien ainsi que dans celui du « grand public » (je veux dire celui des non-spécialistes de la philosophie ou de l’économie).
Les philosophes et les spécialistes de Spinoza trouvent peut-être à redire dans les tentatives de traductions des concepts spinozistes dans une ou des pratiques ?
La question que je me pose est la suivante :
- Un « Spinozisme concret » (Un « Spinozisme pratique ») est-il possible au niveau individuel ? Est-il possible au niveau de la multitude ? Et quelles en seraient les modalités ?
Pour ce qui est du niveau individuel, ma réponse est positive (Cf. par exemple l’usage du spinozisme fait par Paul Diel dans sa psychologie de la motivation).
Pour ce qui est du niveau de la multitude, je cherche à comprendre ; d’où pour moi l’utilité du séminaire de Bernard Pautrat sur le TP mais aussi des approches du type de celle de Frédéric Lordon.
Remarque : je n’ai pas encore lu Matheron. Peut-être le lirai-je ? Mais pas avant la fin du séminaire de Bernard Pautrat.
Bien cordialement.

JLT


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