Y a-t-il des modes finis chez Spinoza?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 27 oct. 2010, 14:56

PS: question à Hokousai, et tentative de résumer les messages dans ce fil.

Plus j'y pense, plus il me semble qu'au fond, vous et Miam/Henrique partez de positions opposées, mais devez quasiment arriver à la même conclusion: seule l'essence divine est éternelle.

Pour vous, les modes finis n'existent que dans le temps. Lorsque Spinoza dit que nous sentons que nous sommes éternels, vous effacez cet énoncé (et tous ceux qui y sont liés) du spinozisme, pour dire qu'aucun mode fini n'est éternel. Seule l'essence divine est éternelle.

Pour eux, l'essence des choses singulières ne peut pas être finie, mais doit être infinie. Or il n'y a qu'une seule essence infinie, c'est l'essence divine. Du coup, les modes finis perdent leur essence singulière, et ce qui n'a pas d'essence n'existe pas, donc il faudrait dire qu'en réalité, les modes finis n'existent pas. Dans ce cas, la seule essence éternelle est de nouveau l'essence divine.

Donc pour vous la seule véritable existence, c'est une existence dans le temps. Les modes finis existent, mais ils ne sont pas éternels.

Pour eux la seule véritable essence, c'est l'essence divine. Les modes finis n'ont pas d'essence propre, donc ils n'existent pas.

Comme j'ai essayé de le montrer, je pense qu'il faut rejetter les deux interprétations. Les modes finis existent à la fois dans le temps et en Dieu, et c'est parce qu'ils existent en Dieu qu'ils sont éternels, et qu'ils ont une essence singulière propre, et différente de l'essence divine.

Objection principale à votre interprétation:
Spinoza dit explicitement qu'il y a deux façons de concevoir l'existence, ou bien en tant que durée, ou bien en Dieu. Et c'est cette dernière façon de concevoir l'existence qu'il appelle concevoir les choses réellement, en tant que vraies.

Objection principale à celle de Miam et Henrique:
le "fini" est un relatif, donc ne porte pas sur l'essence d'une chose. On ne peut pas déduire de fait qu'une chose a une telle propriété "relative", que son essence a la propriété inverse (c'est-à-dire est infinie). Dire que je sais courir moins (ou plus) vite que mon voisin (= une comparaison, donc un relatif, c'est dire quelque chose de relatif de moi, qui ne porte pas sur mon essence considérée seule), ce n'est pas la même chose que de dire que je ne sais pas courir (négation du relatif). De même, dire qu'un mode est borné par un autre mode, donc fini, cela n'implique aucunement que l'essence de ce mode serait en fait infinie.

Pour Hokousai les modes finis existent mais ne sont pas éternels.

Pour Miam et Henrique, les modes finis n'existent pas, leur essence n'est rien d'autre que l'essence éternelle et divine elle-même.

Dernière objection à l'idée de Miam et Henrique: comment des choses qui expriment une essence éternelle et infinie pourraient-elles en même temps ne pas exister? Si les modes finis expriment une essence éternelle, comment pourraient-elles quand même ne pas exister à proprement parler ... ?

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Messagepar hokousai » 27 oct. 2010, 20:05

à Louisa
Or on sait que tout ce qui existe, suit nécessairement de l'essence divine (E1P16). L'essence divine est éternelle. Donc tout ce qui existe a une existence éternelle.

Spinoza dit "Tout ce qui est déterminé à exister et à opérer y est déterminé par Dieu .
Or ce qui est fini, et a une existence déterminée , n 'a pu être produit par la nature absolue d une attribut de Dieu: car tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu est infini et éternel "
( prop 28/1)
.............................................

il suffit de lire la proposition 8 de l'E2 pour se rendre compte du fait que le Dieu spinoziste n'a pas d'abord l'idée d'une chose, avant que son essence n'existe:

plus exactement avec la prop 6/2 corollaire .
............................................
"de même que les essences formelles des choses". C'est ce que vous semblez sauter.

Les essences formelles , c'est la chose réelle en acte , c'est les modes ou manières .
L'essence formelle c'est ce qui pose la chose ( sa cause ) ce qui sans la chose réelle ne peut non plus exister .( diffère de l 'être objectif autrement dit leur idée )
......................
bien à vous
hokousai

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Messagepar hokousai » 27 oct. 2010, 23:40

à Louisa
( vous pointez la cinquième partie )
Je vous ai dit qu'était éternel :Dieu ,ses attributs et les modes infinis y compris donc celui de la pensée ( l'intellect de Dieu /intellectus absolute infinitus )

Notre esprit en tant qu'il comprend est une manière de penser éternelle déterminée par une autre manière de penser éternelle en sorte qu 'elles constituent toutes ensemble l'intellect éternel et infini de Dieu .

il y a donc une part de l'esprit humain qui est éternelle .

Considéré sous une espèce d'éternité l'essence de l'esprit humain est l ''amour de l'esprit envers Dieu cet amour est une partie de l'amour infini dont Dieu s' aime lui même
( je ne fais que redire Spinoza )

Il s 'agit donc d 'une part de l'esprit humain . D'une part attribuable à qui agit c'est à dire a le pouvoir d'ordonner et enchainer les affections du corps dans un ordre pour l'intellect ,
toutes affections qui alors se rapportent à l'idée de Dieu
et affecte l' esprit humain d'un amour de Dieu .

(voila résumé le processus dans les mots de Spinoza ).
...........................................
conclusion si vous êtes sujet aux passions et ne comprenez pas aucune partie de votre esprit n 'est éternelle .

Il me semble aller de soi que la partie de l'esprit qui imagine n'est pas éternelle .
Ce qui limite un peu l' éternité que vous Louisa supposez universelle .

bien à vous
Hokousai

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Messagepar Miam » 31 oct. 2010, 23:51

Louisa a écrit :

"on ne peut pas nier que les modes sont finis (une dénomination extrinsèque est bel et bien une dénomination"

Mais ce n'est qu'une dénomination "extrinsèque". C'est dire que, contrairement à une dénomination intrinsèque, elle n'explique pas ce qu'elle dénomme. Vous savez fort bien que lorsque Spinoza parle de "dénomination extrinsèque", c'est pour la dévaluer et disqualifier le vocabulaire scolastique.
Il ne s'agit pas ici précisément de lire un texte avec des "dénominations extrinsèques", c'est à dire avec des associations de mots qui semblent incontestables juste parce qu'elles sont dans l' usage commun depuis longtemps. Sans quoi on confond les mots et les idées, comme l'écrit Spinoza. Il s'agit ici de lire un texte, c'est à dire de déterminer le sens des mots dans ce texte selon la position de leurs occurences et leurs fonctions logico-sémantiques. Ce qui s'appelle lire et ne nécessite aucun dictionnaire, fut-il le Lalande.

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Messagepar Miam » 01 nov. 2010, 01:44

Je vais toutefois tenter d'expliquer en quel sens un mode peut être dit fini.

Il n'y a absolument aucune sorte de "fini" qui s'oppose à l'infinité indivisible de la nature naturante.

Il n'en va pas tout à fait de même dans la nature naturée.
Un mode est dit infini - comme le sont l'idée de Dieu, le Mouvement et la Figure de tout l'univers - quand il est constitué d'une infinité de parties qui sont elles-mêmes des modes.

Un mode peut être dit "fini" par une dénomination extrinsèque lorsqu'il est constitué par un nombre déterminé de parties-modes, en ce compris le corps humain qui est constitué d'"un grand nombre de parties" mais non d'une infinité comme il est écrit dans les Lemmes de la partie deux.

Mais ce n'est qu'une dénomination extrinsèque. Si la sphère est constituée de deux parties que sont le demi cercle et la rotation autour de son axe (qui sont eux-mêmes deux rapports de mouvements OU corps OU modes), il n'en reste pas moins que ces deux parties constituantes appartiennent à son essence (contrairement à ce qui se passe dans la nature naturante). Si elles appartiennent à son essence, c'est qu'elles conditionnent l'apparition de la sphère dans l'existence selon un mode indéfini qu'est la durée. L'essence de la sphère est donc définie par la synthèse de ses parties, dont l'essence est elle-mêmes conditionnée par la synthèse d'autres parties, etc... à l'infini selon l'ordre causal inhérent à l'essence et à l'existence infinie de l'attribut étendue ET des modes infinis.

C'est pourquoi, bien que les parties constituant l'essence d'un mode "fini" soient en nombre fini (sans guillemets), la synthèse de ces parties suffit à "expliquer" (comme l'écrit Spinoza) toute la série infinie des causes transitives et donc toute l'essence infinie de l'attribut et des modes infinis. Sinon pourquoi serait-il nécessaire de connaître l'"essence formelle d'un attribut" pour atteindre à l'essence d'une chose "finie" comme l'énonce Spinoza dans "De la liberté humaine" ou cinquième partie de l'Ethique ?

Spinoza n'écrit jamais "mode fini" parce que ce serait là une dénomination extrinsèque fondée sur la seule observation qu'une (et une seule) essence infinie et éternelle - celle de Dieu - est exprimée et expliquée par la synthèse de parties en nombres finis. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas que nombre des parties constituantes soit fini ou infini qui importe ici - ce n'est pas que le nombre de mots que l'on utilise pour énoncer l'essence d'une chose soit fini ou infini qui importe ici - mais la façon dont ces parties sont synthétisées - qui relève de l'ordre de l'entendement infini - et l'évènement qu'est, par cette synthèse, l' apparition d'une chose dans l'existence infinie, quoique sous une forme "indéfinie" (c'est à dire sans fin déterminée). L'essence de la sphère, ce n'est pas la juxtaposition, ni même la composition d'un demi cercle et de n'importe quelle rotation, d'une essence finie et d'une autre essence finie, mais la rotation de ce demi-cercle autour de son axe : la synthèse de deux essences en une seule, et ceci à l'infini. Autrement dit ce qui explique réellement l'essence d'une chose finie et constitue de ce fait une dénomination intrinsèque et non plus extrinsèque, c'est la manière selon laquelle s'exprime et s'explique une seule essence et une seule existence infinie.


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