Y a-t-il des modes finis chez Spinoza?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 22 oct. 2010, 15:15

Whitehead se heurte aux mêmes difficultés .
On se dispute fort sur ce que Spinoza n' a pas dit en espérant qu'il ait pu le penser . Mais de cela on n'en est pas certain du tout . On ne prête qu'aux riches .

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Messagepar Miam » 22 oct. 2010, 18:42

A JLT.

Je dirais que cette abondance est le signe qu'il est difficile de lire Spinoza à partir de schèmes issus de la "Voie royale" de la pensée moderne incarnée par Descartes et Kant et selon laquelle les choses physiques perçues peuvent être assimilées à un fragment de matière ou d'étendue. Cela dépend sans doute moins de ces choses physiques elles-mêmes que de la méthode et du type d'énonciation dont on use pour les saisir. Si l'on appréhende la science galliléenne à travers Bruno plutôt que Descartes, le problème n'en est plus un. Il faut bien remarquer que des sciences contemporaines telles que la biologie ou la physique et même la géométrie semblent aujourdhui plus proche des hypothèses spinoziennes que cartésiennes ou kantiennes.
Reste que, à force de vouloir rester kantiens, beaucoup demeurent attachés à la géométrie de Descartes et à la physique de Newton.

S'il y a une difficulté importante chez Spinoza elle se trouve à mon sens moins entre le fini et l'infini qu'entre un infini indivisible (celui de l'attribut) et un infini divisible (celui du mode infini). Je dis que c'est une difficulté importante, mais non indépassable. Spinoza nous explique pourquoi il en est ainsi et c'est à nous de redécouvrir une voie encore inconnue vers la modernité.

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Messagepar JLT » 22 oct. 2010, 19:23

Bien d’accord avec vous hokousai pour prêter beaucoup, c’est-à-dire autant que notre intellect le permet, au « riche qu’était Spinoza.
Bien risquer de prêter aux « riches » de notre époque.
N’étant qu’un amateur sans formation véritable à la philosophie, vous m’accorderez à ce titre un droit à l’erreur. Je vais risquer, afin de me faire comprendre, l’analogie suivante : Whitehead est à Spinoza ce qu’Einstein est à Newton !
Whitehead et Einstein sont des successeurs (des héritiers ?) qui ne changent pas la « ligne directrice » mais qui intègrent les « savoirs » de leur époque afin de ne pas « limiter » le « champ d’applicabilité » de leurs systèmes respectifs. Ainsi, tout comme Spinoza et Newton en leur temps, sont-ils conduits à faire évoluer (à révolutionner même) les concepts majeurs de leurs « Domaines » :
Spinoza : substance unique, attributs, logique aristotélicienne, immanence.
Newton : espace à 3 dimensions déjà là, temps absolu, relativité galiléenne, géométrie euclidienne.
Whitehead : Processus, Flux, immanence conceptualisée (transformation d’une « Entité-sujet » en « Entité-objet »).
Einstein : Pas d’espace mais de la matière elle-même équivalente à de l’énergie, temps relatif dans un univers relativiste quadridimensionnel (géométrie Riemannienne). Ce que l’on résume en disant : « relativité générale ».
Mais il n’en reste pas moins que « l’origine » reste « l’énigme » à résoudre !
Depuis la lointaine antiquité, les humains ont buté, si je puis dire, sur « l’énigme de l’origine ». Spinoza en son temps et Whitehead et Einstein dans le leur ont « simplifié » la conceptualisation de ladite origine sans cependant en résoudre « l’énigme ». Spinoza, contre la pensée de son époque, a écrit et démontré que « l’origine » était dans la nature (nature-naturante) et qu’il y avait une nature-naturée. Whitehead et Einstein avec leurs concepts respectifs écrivent et démontrent la même chose.
Whitehead, pourtant avare dans ses références à ses prédécesseurs, s’est « positionné » par rapport à Spinoza (limites des concepts d’essence et d’attributs, insuffisance de la logique aristotélicienne, impasse du concept de mode fini). Quant à Einstein, il n’a jamais fait mystère, bien au contraire, de son admiration pour Spinoza (Cf. ses lettres et son poème).

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Messagepar Miam » 22 oct. 2010, 20:12

Reste à savoir si Spinoza pose cette question de l'origine. Comme chez lui la nature est auto-constitution, je ne suis pas sûr que cette question soit pertinente chez Spinoza comme elle l'est, par exemple, en phénoménologie.

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Messagepar hokousai » 22 oct. 2010, 23:07

S'il y a une difficulté importante chez Spinoza elle se trouve à mon sens moins entre le fini et l'infini qu'entre un infini indivisible (celui de l'attribut) et un infini divisible (celui du mode infini).


La difficulté importante elle est d' abord chez nous .
Comment une substance indivisible peut- elle produire l'idée de divisibilité ?

Dans l' étendue nous sommes en plein paradoxe . Aucunes frontières ( ou bornes ) assignables entre les corps et pourtant des corps .
Un individu composé c'est déjà un problème , difficulté supplémentaire avec une substance indivisible composée d'individus composés .

Si la substance est un simple principe d'actualisation (antérieure de nature à ses affections ) ça peut passer , mais quand elle commence d 'être affectée , infiniment étendue par exemple , commencent les difficultés . .

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Messagepar Louisa » 23 oct. 2010, 01:40

Bonjour à tous,
Bonjour Henrique,

avant de reprendre les derniers commentaires et objections de Miam, je m'attarderai d'abord un instant au dernier message d'Henrique.

Pour le dire en un mot, je pense que ce qui permet à Henrique de dire qu'il n'y a pas de modes finis et que l'essence du mode fini est infinie, c'est une confusion entre l'existence et essence d'une chose (ou si l'on veut, entre les deux types d'existence d'une chose).

Je reprends son message mot à mot, car cela me semble être le plus facile.

Henrique a écrit :Dans ce que je pense avoir compris, et je ne prendrai pas le temps de tout confronter aux textes, ce que nous pouvons appeler une chose finie est en fait un mode ou affection, ou manière d'être de la substance unique et infinie. Mais une fois cela bien compris, la réciproque n'est pas possible : un mode de la substance ne saurait être défini comme une chose finie. Cela reviendrait à en faire une chose pouvant réellement se concevoir par soi, une substance dans la substance.


Ce sur quoi nous sommes d'accord:

- une chose finie est un(e) mode/affection/manière d'être de la substance unique et infinie
- un mode ne saurait être défini comme une chose finie

Deux points sur lesquels nous ne sommes pas d'accord:

1. Nier l'infinitude n'est pas accorder l'infinitude.

Or pourquoi ne peut-on définir un mode par la propriété d'être fini?

Je dirais d'abord parce que les définitions sont des êtres de raison, ils ne désignent que des universaux, ils ne savent pas saisir une chose dans sa singularité ou essence. Or sachant que cela se discute, laissons cet argument de côté pour le moment.

Une raison plus évidente me semble être celle-ci: le fini n'est que négation partielle de l'infini. Une négation est une privation. Une privation ne saurait dire quelque chose de positif d'une chose.

Or - et c'est là l'erreur dans le raisonnement d'Henrique, je pense - dire que "x" désigne une "privation", puis attribuer x à une chose y, cela ne revient pas à dire que l'essence de y = non x. Cel signifie en revanche que x et/ou non x ne portent pas sur l'essence même de la chose.

L'élément clef ici est de bien comprendre que chez Spinoza, les propriétés désignées par des privations ne portent pas sur l'essence même de la chose. Elles portent sur ce qui pour ainsi dire se trouve "à coté". Elles disent ce que la chose n'a pas, comme propriétés, elle ne dit pas ce que la chose n'est pas.

Ainsi, dire d'une chose ou d'un mode qu'il est fini, c'est dire qu'il est borné par autre chose. Mais être borné par quelque chose ne dit rien de l'essence même d'une chose. Cela signifie qu'on ne peut pas déduire de la finitude d'un mode que son essence est infinie. On ne peut pas en déduire non plus que puisqu'être fini est une négation, en réalité rien n'est fini, même pas les modes.

Exemple:

"louisa ne sait pas courir un marathon".

Dire cela, c'est nier d'une chose y, louisa, la propriété x, "courir un marathon".

Nier cela de moi, c'est décrire mon impuissance à courir des marathons.

Mais cela ne signifie bien sûr pas, comme il faudrait le dire lorsqu'on applique le raisonnement d'Henrique, qu'en fait mon essence est telle que je ne sais que courir une distance infinie, que je ne sais pas m'arrêter à 40 km. Cela signifie que je sais bel et bien courir, seulement pas 40 km.

De même, dire d'une chose qu'elle est finie, qu'elle est "bornée" par une autre chose, c'est nier l'infinitude, or nier l'infinitude ce n'est pas dire que la chose dès lors est infinie ... !

Ce n'est pas non plus dire quelque chose de son essence, puisque les privations sont des "relatifs", au sens technique du terme. Que je sois finie, que je ne puisse pas courir des marathons, ne dit rien de mon essence affirmative à moi, en tant que tel, cela ne dit que ce que je ne peux pas. C'est pourquoi il est erroné d'essayer de déduire quelque chose qui porte sur une essence de ce qui n'est qu'une négation. Et on ne peut surtout pas déduire l'inverse de la négation (= déduire du fait que les choses particulières sont finies et qu'être fini est une négation qu'elles seraient en fait non pas finies mais infinies).

2. Etre fini et se concevoir par soi.

Se concevoir par soi équivaut chez Spinoza l'être en soi. Seule la substance est en soi et se conçoit par soi. Les modes sont en autre chose (la substance) et se conçoivent par cette autre chose.

Mais justement, lorsqu'on ne se conçoit que par autre chose, on a une essence qui n'enveloppe pas l'existence, et en cela une essence tout à fait différente d'une chose qui se conçoit par soi. C'est la définition même du mode qui fait qu'il ne peut pas avoir la même essence que l'essence infinie et éternelle divine.

Le fait d'être fini, c'est-à-dire d'être négation partielle de l'infini, n'y change rien: cette négation ne touche pas l'essence, donc ne la rend ni finie ni infinie. Ce qui fait que l'essence d'un mode ne peut aucunement être infinie (et donc celle de Dieu lui-même), c'est le fait qu'un mode est par définition en autre chose (la substance) et se conçoit par autre chose, contrairement à l'essence divine. Mais cela ne se déduit aucunement du fait même que tout mode est fini, tout comme la finitude, en tant que privation, ne devient fausse que parce qu'elle n'est qu'une privation, ou un "relatif", qui n'affirme rien de l'essence d'une chose. Rien, c'est vraiment rien: on ne peut rien déduire qui porte sur une essence lorsqu'on nie quelque chose d'une chose.

Or, si le mode ne sait se concevoir par soi, on peut néanmoins avoir une idée de tel ou tel mode seul, c'est-à-dire tel qu'il est en Dieu et sans le penser ensemble avec d'autres modes. C'est ce que montre amplement le corollaire de l'E2P11 (corollaire qui va mettre les "Lecteurs" dans l'embarras, comme le prévient déjà Spinoza ...). Ce n'est que lorsqu'on nie la finitude du mode, qu'il faut affirmer son infinitude, et que du coup il se conçoit par soi, alors que, justement, il est un mode, donc ne sait pas du tout se concevoir par soi.

Henrique a écrit :Ce qui fait d'abord que nous percevons du fini, c'est le premier genre de connaissance (mêlée à l'intellect qui conçoit immédiatement l'infini comme affirmation pure, ce qui donne un intellect non encore ''amendé") : cette table n'est pas le sol sur lequel elle s'appuie, elle est bornée par ce qui n'est pas elle, car pour notre imagination, une table et le sol, c'est deux choses essentiellement différentes. Ce que montre l'Ethique, c'est qu'en raisonnant par notions communes, la table comme corps ne saurait être en réalité qu'une modification déterminée de l'étendue. Cela signifie qu'elle n'a pas d'autosuffisance, contrairement à ce que notre imagination nous suggère. Une fois cela compris, la table nous apparaît non plus comme bornée, définie par ce qu'elle n'est pas, mais au contraire comme soutenue, par toutes les causes qui la font être, la conservent puis la détruisent, à commencer par l'étendue. La table est une continuation des causes, elle n'en est pas la négation proprement dite (pour en finir avec le contresens hégélien répété sans cesse à propos de "toute détermination est une négation", lire le Hegel ou Spinoza de Macherey).


c'est précisément Barbaras qui montre que nier l'infinitude d'une chose, c'est ne rien dire de son essence, alors que dire d'une chose qu'elle est un mode, c'est dire qu'elle agit et existe de façon déterminée, déterminée par autre chose, un autre mode.

Donc non, être déterminé n'est pas la même chose qu'être "terminé" ou "fini" (ce que Pourquoipas il y a quelques mois suggérait déjà, si je ne m'abuse?). Dire d'une chose qu'elle est déterminée, c'est rappeler sa définition en tant que mode (qu'elle est en et par autre chose). Donc parler de son essence. Dire d'une chose qu'elle est finie, c'est ne rien dire de son essence, ce n'est que la comparer à d'autres choses dans le même genre (le genre étant un attribut).

Autrement dit: ce n'est pas parce que le sol "termine" ou "borne" la table, et que "borner" n'est qu'une négation, que l'essence singulière de cette table est la même que l'essence singulière de ce sol. La preuve: les deux se conçoivent essentiellement par autre chose, ont été déterminées par autre chose, mais l'autre chose qui les a fait exister est dans les deux cas différente (la cause de l'essence et de l'existence de cette table n'est pas la même que la cause de l'essence et de l'existence de ce sol). Bref elles sont déterminées par autre chose, pas des modes différents.

Henrique a écrit :Prenons le segment d'une droite infinie. Nous supposons une droite traversée par deux autres droites, les deux intersections constituent les points de démarcation du segment de droite. Mais ces deux points qui délimitent notre segment ne sont pas dans sa nature, ils résultent de la rencontre de la droite A avec les droites B et C, de sorte que nous pouvons appeler notre segment de droite B'C'. Ici donc, la finitude ne saurait caractériser la nature intrinsèque de notre objet, ce qui constituerait son essence même. Ce qui constitue la nature du segment, c'est la droite A dont il est une façon d'être, c'est-à-dire un mode. Or la droite est infinie. Donc, ce qui constitue la nature de B'C' est infini.

Vous me dites maintenant "mais tout de même, ce segment n'est pas infini !" Bien sûr ! Il n'est pas infini, mais il n'est pas fini pour autant. Nous ne le percevons comme fini que parce que nous le considérons "en lui-même" et donc nécessairement abstraction faite de ce qui constitue réellement sa nature, précisément comme s'il pouvait être une substance. Si nous restons concentrés sur le fait qu'il est constitué intrinsèquement par la droite et seulement de façon extrinsèque par les deux autres droites opposées, alors B'C' se comprend essentiellement comme continuation de la droite A, en aucun cas comme sa négation véritable. Ce n'est donc que de façon mutilée et confuse que nous dirions qu'en tant que mode de A, il est fini. Mutilée parce que notre imagination, en nous rendant présent B'C', rend absente A. Confuse parce que cette même imagination nous fait confondre ce qui constitue intrinsèquement notre segment et ce qui le délimite extrinsèquement. Si nous usons maintenant de notre intellect pour considérer la chose, si nous partons de l'essence formelle de la droite A pour aller à l'essence de B'C', notre segment n'est plus qu'une façon particulière d'être de A parmi une infinité d'autres concevables de la même façon : "en lui-même", comme il ne peut plus ici être séparé de ce en quoi son essence est possible, il ne peut être caractérisé ni par la finitude ni bien sûr par l'infinité (je n'ai jamais dit cela). Ce que je dis, c'est qu'il n'y a finitude que du point de vue des rapports extrinsèques entre modes.


en effet, la finitude est une dénomination extrinsèque. Mais encore une fois, c'est parce qu'il s'agit d'une dénomination extrinsèque que:

1. on ne peut pas nier que les modes sont finis (une dénomination extrinsèque est bel et bien une dénomination)
2. on ne peut pas conclure que l'inverse serait vrai de son essence (que l'essence de ce qui est dit fini serait infinie, uniquement parce que la finitude est une dénomination extrinsèque).

Dans l'exemple que tu donnes, le segment est une "partie" de la ligne, et non pas une "expression" ou une "modification" de la ligne.

Et si tu veux que l'essence de la ligne infinie constitue l'essence même du segment, tu nies l'E2P10 et son scolie, tu fais comme si la ligne ne pourrait être sans ce segment, tu vois? Ceci me semble être un argument tout à fait crucial contre l'interprétation que tu proposes, donc j'espère que tu comprends ce que je veux dire ... ?

Autrement dit tu laisses tomber la définition proprement spinoziste de l'essence (seule Ockham l'a osé aussi, si je ne m'abuse), pour la remplacer par une définition aristotélicienne traditionnelle, celle à laquelle Spinoza s'oppose explicitement, notamment dans ce scolie de l'E2P10 (définition traditionnelle qui dit que l'essence d'une chose est ce sans quoi la chose ne peut être, alors que Spinoza y ajoute que ce qui constitue l'essence d'une chose c'est aussi ce qui sans la chose ne peut être; or il est absurde de dire que l'essence divine ne pourrait être sans moi, car je suis postérieure, en tant que mode, à l'essence divine, l'essence divine se conçoit par soi, c'est-à-dire sans moi, sans ses modes).

Henrique a écrit :Et si nous considérons maintenant P, le plan infini dont notre droite A n'est elle-même qu'un mode, nous pouvons comprendre qu'elle peut être niée par une infinité d'autres droites qui sont aussi les modes de P. A n'est infinie "qu'en son genre", elle n'est pas absolument infinie. Mais comme toutes ces droites ne sont que des modes de P, c'est-à-dire qu'elles sont toutes constituées essentiellement par P, ce n'est pas essentiellement qu'elles se nient mais seulement dans le cadre de leur existence considérée séparément de leur essence. Et notre segment B'C', n'est ainsi fini que par abstraction, autrement dit par la mutilation propre à l'imagination. Pour l'intellect, qui va de l'essence formelle de ce qui est infini à l'essence de cette chose que nous appelons B'C', il n'y a qu'affirmation : ce qui constitue extrinsèquement ce segment étant aussi affection du même plan, il n'y a finalement de négation que pour l'imagination.


Les attributs sont "infinis en leur genre" en effet. Mais où Spinoza dit-il qu'être infini en son genre, c'est une privation, une négation ... ?

Pour l'instant je pense qu'être infini dans son genre est une affirmation, mais une affirmation qui ne porte pas sur une essence, mais désigne la comparaison d'une essence à d'autre essences. Ce serait donc un "relatif aussi, tout comme le fini est un "relatif" ou un "comparatif", comme le dit Barbaras. Cela signifie-til que la distinction entre les attributs n'est pas réelle? Je ne pense pas, à mon sens elle est réelle. Sinon il pourrait y avoir une communication d'attribut à attribut, une relation causale. On sait que ce n'est pas le cas (E1 Axiome 2). Mais tout cela est à vérifier. Je ne pense pas que c'est essentiel pour le problème qui nous occupe.

Henrique a écrit :Il ne nous reste plus qu'à nous élever de P, qui n'a que deux dimensions à l'étendue, pour laquelle nous pouvons concevoir, non pas trois, ni quatre comme dans la théorie de la relativité, ni 6 comme dans la théorie des Cordes la plus simple mais une infinité, l'imagination étant alors totalement dépassée, et nous aurons la possibilité de comprendre tous les corps, dans leur essence et dans leur existence, comme affirmations d'une seule et même substance considérée ici sous l'attribut de l'étendue.

Il y a certes à partir de l'étendue un "mode infini immédiat", le mouvement et le repos des corps et un mode infini médiat, la figure totale de l'univers qui en découle (Lettre 64 à Schuller). Mais que ces modes puissent être caractérisés comme infinis en raison de leur rapport à la substance ne signifie pas que les corps qu'ils enveloppent soient finis en leur essence même. En tant qu'affections ou encore expressions déterminées (comme tout mode) de la substance, leur essence n'est pas quantifiable. Seule leur existence peut l'être, non en tant qu'elle découlerait de leur essence, mais en tant qu'elle est déterminée par l'existence d'une infinité d'autres modes.

C'est pourquoi Spinoza ne caractérise pas l'effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être comme fini, mais seulement comme indéfini au regard du temps et de l'espace. C'est pourquoi aussi l'infini reste au cœur de chaque mode singulier de la substance : en son essence, un mode reste l'expression déterminée de Dieu (E3P6, dem).

Ainsi, parler de "mode fini" est au moins dangereux pour la compréhension du système car cela tend à supposer que leur essence même contiendrait de la négation. Si par mode fini, on entend mode dont l'existence est limitée dans ce que nous appelons le temps et l'espace, qui sont rappelons le seulement des auxiliaires de notre imagination (Spinoza ne le dit pas pour l'espace, mais c'est du même ordre que pour le temps), soit, mais cela tend tout de même à nous éloigner de ce que Spinoza nous dit sur le troisième genre de connaissance et ainsi sur la liberté dont justement il nous parle.


tu dis des choses bien intéressantes et il y a beaucoup à dire là-dessus, mais je dois m'arrêter ici donc disons juste ceci.

Dès qu'on lit la définition du fini, première page de l'Ethique, on voit que le fini est un relatif, et donc ne dit rien de l'essence même de ce qui est dit être fini. C'est pourquoi à mon sens le danger dont tu parles n'existe pas.

Par mode on entend ce qui a une essence qui n'enveloppe pas par soi l'existence, ni l'existence dans le temps et l'espace, ni l'existence en Dieu. Toute essence singulière de tel ou tel mode n'enveloppe l'existence éternelle (= en Dieu) que parce que Dieu en est cause immanente, non en tant qu'il est infini, comme le montre notamment l'E2P10, mais en tant qu'il est fini, en tant qu'il est mode constituant cette essence-là.

Nier cela c'est nier la réalité de la singularité chez Spinoza, en vertu du fait que le temps n'est qu'imaginaire. Mais tout mode a une double existence (E5P29 scolie), comme le disait déjà Thomas d'Aquin: existence dans le temps, existence en Dieu, en tant qu'essence pure. Il me semble que paradoxalement, tu n'admets que l'existence dans le temps, c'est-à-dire l'existence imaginaire, pour évacuer toute existence actuelle en Dieu, existence réelle, et qui justement découle de la définition du mode en tant que mode, en tant que chose existant en autre chose.

Enfin, j'espère ne pas avoir déformée ton idée ou ta lecture de Spinoza en la reprenant ici. Si c'est le cas, n'hésite-pas à me le dire.

Cordialement.

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Messagepar Miam » 23 oct. 2010, 16:11

Salut Hokusai,

Vous écrivez : "Un individu composé c'est déjà un problème". Ce n'est un problème que si on définit l'individu selon son acception aristotélicienne, antique et étymologique d'indivisible. S'il s'agit de l'individu chez Spinoza, alors il faut prendre sa définition spinozienne.
Puis : "Aucunes frontières ( ou bornes ) assignables entre les corps et pourtant des corps ." Mais cela n'est plus un problème lorsqu'on sait qu'on saisit les corps par les affections et la projection - souvent imaginaire - de leur cause.
Je pense que la réponse au problème se trouve dans ce que Spinoza nomme "indivisible". Du reste dans l'Ethique, Spinoza n'écrit nulle part et explicitement que les modes infinis sont divisibles. Le mode infini peut être dit "divisible" au sens seulement ou le mode non infini peut être dit "fini". Dans l'Ethique, là ou Spinoza pose explicitement la divisibilité, c'est pour la nier. En revanche il allègue des "parties", mais en quel sens doit -on y voir les fragments d'un tout divisible ? C'est toute la question.

Enfin, à JLT, je ne pense pas que la "logique" de Spinoza puisse être qualifiée d'aristotélicienne.

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Messagepar hokousai » 23 oct. 2010, 19:58

à miam

Sur la logique aristotélicienne . Si on prend la question par rapport aux degrés de vérité ( avec visée de science chez Aristote ) le syllogisme ( à laquelle on réduit la logique d Aristote ) est l' apport d Aristote .
Mais paradoxalement Aristote utilise peu le syllogisme .

Si le syllogisme est décrié par Descartes ce ne sont pas ( bien évidemment) les principes premiers ( cf d'Aristote ) qui sont remis en question .
principe de non contradictionle
principe du tiers exclu

Je ne vois pas de différence formelle entre la manière de raisonner d'Aristote et celle de Spinoza si ce n'est un usage plus fréquent du raisonnement par l'absurde chez le second .
......................................................
S'il s'agit de l'individu chez Spinoza, alors il faut prendre sa définition spinozienne.

Rafraichissez ma mémoire .

De fil en aiguille on va d'individu à corps ,de corps à manière et de manière à affection (ce qui est en autre chose ).

Ce jeu de la patate chaude a quelque chose d' exaspérant .
ce jeu qui consiste à dissoudre l'individu dans des causes toutes aussi solubles (évidemment ).

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Messagepar Miam » 23 oct. 2010, 21:03

Hokusai,

Ou voyez-vous des syllogismes chez Spinoza ?
L'individu est défini par le concours des conatus et, dans les Lemmes, par le rapport de mouvement et de repos constituant son essence.
Vous lisez Spinoza avec des termes qui lui sont étrangers. La moindre des choses pour comprendre un auteur, c'est de le lire avec les définitions et acceptions qu'il propose pour les notions qu'il emploie.

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Messagepar hokousai » 24 oct. 2010, 00:40

à miam

Ou voyez-vous des syllogismes chez Spinoza ?

Vous dites que la logique de Spinoza n'est pas celle d'Aristote . Je vous dis qu'il ne suffit pas d' éviter les syllogismes pour ne pas être logique tel qu' Aristote l'est . Aristote ne fait que rarement des syllogismes .
Je ne ramène certainement pas l'un à l'autre mais ce n'est pas sur des questions de logique qu'ils diffèrent .
............................

Je lis Spinoza dans ses termes
De fil en aiguille on va d'individu à corps ,de corps à manière et de manière à affection (ce qui est en autre chose ).
Ce sont ses termes ( en traduction française )
.............................


Vous me parlez d 'un rapport de mouvement et de repos !!

certes , mais il s'agit de la distinction des corps . Un corps autrement dit un individu (lemme4)
individu renvoie à corps .
Corps renvoie à manière ( définition 1 patrie 2) et manière renvoie à affection d une substance .
affection renvoie à ce qui est en autre choses et se conçoit par une autre chose .

L'individu est donc renvoyé à ses causes lesquelles sont renvoyées à leurs propres causes .
Mais où est donc passé la chose s efforçant de persévérer dans son être ?
Il se peut que Spinoza ne voit pas le problème ( j 'en doute ).
Mais nous nous le voyons .

Dans la nature étendue la bordure des choses est insaisissable et pourtant ces chose existent . Le discours sur le conatus doit intégrer l'existence d 'individués distinguables et autrement que par l'extériorité .
S' ils sont distinguables il faut montrer les bornes de là où il y a distinction et non une infinité de causes .

Ou bien ces choses n'existent pas et tout le discours de Spinoza sur le conatus est vain .


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