Réalité du troisième genre de connaissance ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 30 mars 2012, 11:45

hokousai a écrit :(...)

Soit on parle de mystique ou d'imagination
soit on ramène ça aux conduites spontannées automatiques
soit on évoque une sur-rationalité ( ?)
ou des pratiques un peu spécialisée de méditation ...que sais je ?...tout y passe d'extraordinaire .

mais ça na rien à voir .

Bonjour Hokousai,
Spinoza parle de "joie la plus vive" comme affect associé au 3e genre de connaissance (E5p27 dém.). C'est un "symptôme" du fait qu'on ne fait pas que se dire abstraitement "ah, oui, je conçois les choses comme êtres réels puisque je les rapporte à la nécessité".
Si ça passe par une "science intuitive", c'est qu'on n'y réfléchit plus, l'esprit n'est plus dans une posture analytique, n'en est plus à décortiquer les choses pour se les "démontrer".
Il ne s'agit pas de prendre un verre en se disant que "je" prend un verre, que "je" le sens, qu'il y a de la matière vitreuse, que quelqu'un l'a fabriqué etc. et puis ensuite rajouter "mais tout ça se rapporte à l'essence de Dieu", ça c'est du 2nd genre de connaissance. Il s'agit d'être, d'être... je ne sais pas comment le dire...
Le discursif est foncièrement du 2nd genre, on ne peut pas représenter le 3e genre en suite de mots, et je crois que Libr617 a sans doute raison de parler de la musique pour la "science intuitive". Si on se remémore une symphonie, si on se la joue dans sa tête, on ne se crée pas tous les sons mais pourtant on "entend" la musique.
Sauf que là, c'est tout ce qu'on a compris du monde qu'il faut entendre.

Enfin bon, je ne sais pas si les discours sont très utiles. Pour moi, l'important est de savoir si on a les "symptômes", joie la plus vive et "béatitude" associés à un entendement.

Avatar du membre
jackpack96
passe par là...
passe par là...
Messages : 4
Enregistré le : 10 sept. 2011, 00:00

Messagepar jackpack96 » 30 mars 2012, 11:54

Bonjour automate,

En effet, il faudrait mieux que vous dites ce que vous entendez par la réalité. Pour Spinoza, toute idée - même l'idée la plus confuse - enveloppe sa part de réalité, car "il n'y a rien de positif dans l'idée fausse par quoi on la nomme fausse (E233)," ce qui revient à dire que l'idée fausse, quoi qu'elle est fausse, ne s'éxplique pas uniquement en termes de son fausseté, sinon elle n'aurait aucune réalité. Sinon, le débat sur le rôle du mysticisme chez Spinoza est très ancien. Pour ma part, je suis plutôt de l'avis que le 3eme genre de connaisssance se comprend mieux si on s'efforce d'abord à comprendre sa définition et son rôle vis-à-vis l'ensemble des autres genres de connaissance. Le 3eme ne serait pas forcémment "au-delà de la rationalité" - comme sa définition dit très clairement (E240 sc.) il déduit de (càd raisonne à partir de) "l'essence formelle d'un attribut de Dieu..." - et néanmoins il complémente le 2eme dans le mesure où celui-ci ne cherche pas à connaître des choses singulières.

Avatar du membre
Libr617
a déjà pris quelques habitudes ici
a déjà pris quelques habitudes ici
Messages : 47
Enregistré le : 05 févr. 2012, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar Libr617 » 30 mars 2012, 13:05

A Hokousai,

Scolie 2 de la proposition I, 40. Je cite :

Soit, par exemple, les trois nombres [...] 1, 2, 3 : il n'y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d'une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu'une seule intuition nous a montré entre le premier et le second

Le propre du 3ème genre de connaissance est de faire l'économie de la raison et du discours.

En ce qui me concerne, l'expérience que je vous ai relatée, se passe de mots, de réflexion, de raisonnements...J'écoute un morceau, je pose les mains sur le clavier et cela se fait tout seul.

Ce faisant, je ressens comme une forme de dissolution de mon être : je suis alors la musique que je reproduis et l'instrument sur lequel je joue. Je ne saurais pas en dire beaucoup plus. Cela s'expérimente plus que cela ne s'explique (même si je suis sûr que, sur le plan cognitif, psychologique, les explications ne manquent pas ce qui, de mon point de vue, est une autre histoire).

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 mars 2012, 16:49

à Bardamu

L'attitude positive ( ou affirmation de la vie aurait dit Nietzsche ) peut devenir comme un habitus au sens grec , comme une condition active, proche de la vertu morale chez Aristote.
Elle peut sans doute être native ou de tempérament chez certains individus . Spinoza parle de devenir de plus en plus fort dans ce genre de connaissance.
Toute la question est de savoir ce dont il parle et on ne peut le savoir qu'en comprenant le texte.
Je/vous/nous pouvons certes vivre penser chacun de son côté ou ensemble en arriver aux mêmes conclusions que Spinoza mais pour le savoir , il faut bien vérifier quelque part


Spinoza pense que la démarche de la raison est indispensable .
Il fait donc dans la cinquième partie une déduction ( plutôt qu'une démonstration ).
Il ne dit pas je vous démontre que c'est vrai mais je vous montre d' où ça vient .
D' où vient que nous nous sentons éternel.

C'est parce que et quand l'esprit a une <b> puissance de concevoir</b> les choses sous une espèce d'éternité ( prop 29/5) Cette puissance n' appartient à l'esprit que tant qu'il conçoit l'essence de son corps sous une espèce d'éternité . ( l'objet de l'idée constituant l'esprit humain est le corps ).
L'explication est capitale car<b> si l'esprit n 'a pas l' idée qui exprime l'essence du corps </b>alors il n'a pas cette puissance de concevoir ( et pas de conn. du troisième genre !)

Cela dit ne pas avoir l'explication n'empêche pas .
Mais ne pas avoir l'idée qui exprime l'essence du corps humain empêche.
Parce que cette idée là est une idée qui est en Dieu .( prop 22/5)

d'où l'importance de la question de<b> l'essence</b> dans la compréhension de Spinoza
.................................................................

La déduction ou l' 'explication on ne l'a pas toujours à l'esprit .
L'apport de Spinoza réside non seulement dans la positivité absolue de sa philosophie mais aussi dans le déterminisme.
Pas dans le déterminisme de la causalité efficiente des causes singulières dans la durée . A ce niveau ( 5eme partie) les étants réels sont compris comme causés dans l'existence par Dieu, cause essendi .
Je pense que Spinoza ne pouvait récuser (jamais ) la présence (ou constance ) de cette idée de Dieu comme cause essendi .
Il ne le pouvait en raison de sa théorie de la perfections idées adéquates .
En effet une inconscience relative ou seulement une consciente de la chose MAIS sans l'idée de Dieu , il lui manque quelque chose.

Accompagné de l'idée de Dieu comme cause, ça n' a rien de très discursif
En revanche je pense qu'aux yeux de Spinoza c'est ce qui explique la très grande JOIE .

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 mars 2012, 16:59

cher Libr

Le propre du 3ème genre de connaissance est de faire l'économie de la raison et du discours.


Le propre de Spinoza dans la cinquième partie est de ne pas faire l'économie de la raison ( surtout pas ) ni du discours.
Alors j' en fais quoi moi de la cinquième partie? Est- ce que je la joue au piano ?
A moins que vous ne la compreniez intuitivement ce qui n'est pas l' exigence première de Spinoza lequel anticipant Boileau estimait que ce qui se comprend bien s'énonce clairement.

bien à vous
hokousai

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 30 mars 2012, 21:07

hokousai a écrit :(...)
Spinoza pense que la démarche de la raison est indispensable .
(...)

Mon cher Hokousai,
Libr617 parle d'une expérience de science intuitive par la musique et vous lui rétorquez "Si vous ne faites pas l' effort de lire et d' essayer de comprendre vous passez à coté" comme si il avait dit qu'il ne comprenait pas ce dont parle Spinoza.
Alors certes, la science intuitive "musicale" diffère par son contenu de la science intuitive des nécessités éternelles, mais enfin, c'est une illustration valable d'un véritable savoir sans réflexion qui donne déjà un aperçu de l'état mental auquel correspond le 3e genre de connaissance.

Quand Horowitz joue du Rachmaninov, on a un aperçu de ce qu'est la connaissance d'un maître, de ce que c'est que de vraiment comprendre son sujet et peut-être même de ce que peut être l'intensité d'une "béatitude", de ce que c'est que de comprendre l'existence des choses comme un esprit musicien comprend la musique.
Le parallèle pourrait peut-être même être prolongé :
- le corps intègre lui aussi l'aptitude musicale, il y a une modification du corps en relation à celle de l'esprit (cf E5p39), un mélange de sensibilité inné, d'apprentissage mécanique, d'éducation de la sensibilité etc. ;
- l'essence de la musique n'est pas la partition, elle est plus dans ce qu'exprime le musicien en un moment vécu où il joue, ce lieu de communion entre un compositeur, une oeuvre, un interprète, un auditoire. Nos ordinateurs peuvent déchiffrer une partition mais ils ne comprennent pas la musique, ils ne savent pas (pas encore...) sortir de la plate lecture séquentielle. On peut toujours expliquer l'oeuvre analytiquement, ce n'est pas encore la comprendre musicalement.

De même, on peut tout avoir compris de l'Ethique et ne savoir qu'en répéter platement la partition, ne pas savoir vraiment jouer sa musique.
Au demeurant, je suis d'avis qu'il y a là une forme de sensibilité "philosophique", et que pour certains, il vaut mieux "jouer" du Kant, du Descartes, du Platon, du "scientisme" ou autre, ce sont les "musiques" qu'ils comprennent le mieux, qui conviennent à leur nature. D'ailleurs, de mon côté, je sais que je ne comprends pas vraiment certaines oeuvres, philosophies, mentalités, que j'en reste à une compréhension éventuellement correcte du point de vue technique mais que je ne saurais y mettre l'"âme" qu'y mettent ceux qui sont vraiment dedans, que je ne saurais en tirer quelque chose d'intéressant comme ils peuvent parfois le faire.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 31 mars 2012, 01:39

à Bardamu


Je pense qu'il y a méprise cher Libr sur le sens de connaissance intuitive du troisième genre chez Spinoza et ne pas le dire serait mentir par omission .
……………………………………………
donc j 'insiste

dem de la prop 41/5<i>… Or, pour déterminer ce que la raison déclare utile à l'homme, nous n'avons point tenu compte de l'éternité de l'âme,<b> qui ne nous a été connue que dans cette cinquième partie</b>. Ainsi donc, puisque alors même que<b> nous ignorions que l'âme est éternelle</b>, nous considérions comme les premiers objets de la vie les vertus qui se rapportent à l'intrépidité et à la générosité de l'âme, il s'ensuit que <b>si nous l'ignorions encore en ce moment,</b> nous ne cesserions pas de maintenir les mêmes prescriptions de la raison.</i>

Il suit que Spinoza ne l'ignore plus . Donc qu'on ne peut faire l'impasse dessus cela quand on parle de troisième genre de connaissance chez Spinoza.

Ainsi Spinoza dit à plusieurs reprises dans la 5eme partie :<b> conscient de soi et de Dieu et des choses avec certaine nécessité éternelle</b>.
……………………….
il dit que "<i> de ce genre de connaissance nait une JOIE qu' accompagne l'idée de Dieu comme cause , c'est à dire un amour de Dieu ,non pas en tant que nous l'imaginons comme présent mais en tant que nous comprenons que Dieu est éternel</i>"(corollaire prop 32/5)

et j'insite sur la<b> présence</b> car ce n'est pas la présence qui est le fond de la question, c'est la <b>nécessité</b>. La présence est imagination. En fait le présent est secondaire dans l'affaire .
Ce n'est pas (de mon pt de vue) que le corps humain soit présent mais qu'il soit ( tout simplement ) quelque chose et que ce quelque chose a donc une essence. Il est quelque chose et non pas rien et non pas non plus tout . Et ce qu'est ce corps singulier il y a en a nécessairement une idée qui en exprime l'essence .De cette idée en Dieu suit toute la déduction qui explique pourquoi nous pouvons en raison nous sentir éternel.

Ce n'est pas la vraie raison d' ailleurs. La vraie raison est que l' Esprit a eu de toute éternité ces même perfections que Spinoza a feint qu'elles venaient de s'ajouter à lui .

Avatar du membre
Libr617
a déjà pris quelques habitudes ici
a déjà pris quelques habitudes ici
Messages : 47
Enregistré le : 05 févr. 2012, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar Libr617 » 01 avr. 2012, 00:02

A Hokousai,

Dans ce cas, mon petit talent relèverait du deuxième genre de connaissance qui, par définition, faisant appel à la raison discursive sans que j'en aie conscience...

C'est bien cela ?

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 01 avr. 2012, 01:07

cher Libr

Vous avez un talent, si j'ai bien compris, pouvoir jouer une mélodie éventuellement un arrangement, que vous venez d'entendre. C'est un talent .Certains ont un talent inhabituel et parfois très extraordinaire qu'ils ne s'expliquent pas. L' expression de ce talent peut certes provoquer une grande Joie.
J' ai simplement essayé de montrer par les textes que Spinoza pensait peut être à autre chose.

Le texte de Spinoza est assez difficile et a donné lieu à diverses interprétations.

Vous pouvez très bien ressentir quelque chose du domaine de la grâce ou de l'inspiration qui vous transporte dans l' ordre de la nécessité éternelle des choses accompagnée de l'idée de Dieu ( ou de la nature si vous voulez ). Et en cela vous auriez comme une espèce de connaissance du troisième genre. Mais c'est à vous d' apprécier l' événement.

Après tout c'est à chacun de vérifier l 'expérience que Spinoza essaie de transcrire . Je pense intimement que Spinoza avait une expérience et une expérience continue. Qu'il était comme on dit en Inde un éveillé , mais un éveillé dans son contexte et selon sa nature singulière

...et parfois effectivement, comme vous le disiez, on se sent éveillé.

Mais pas toujours ni pour tous dans les termes et les raisons évoquées par Spinoza bien qu'ils les ait dites universelles .

Bien à vous
hokousai.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 01 avr. 2012, 02:48

Libr617 a écrit :A Hokousai,

Dans ce cas, mon petit talent relèverait du deuxième genre de connaissance qui, par définition, faisant appel à la raison discursive sans que j'en aie conscience...

C'est bien cela ?

Ah, finalement, peut-être que Hokousai avait raison sur la confusion possible...
Ce genre de talent relève du premier genre de connaissance si ce n'est que l'aptitude à la répétition mécanique. Si il y a en plus une compréhension, si on comprend pourquoi c'est tel et tel accord qui donne tel et tel effet, comment il faut jouer pour "bien" jouer, on se rapproche d'une science intuitive. Et si ça concerne des nécessités d'existence, du pourquoi ce qu'il se passe ne peut être qu'ainsi, on se rapproche du 3e genre de connaissance.


Retourner vers « Spinozisme pratique »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 45 invités