Conatus et réalisation de soi

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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marcello
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Conatus et réalisation de soi

Messagepar marcello » 17 févr. 2012, 10:53

Effort pour persévérer dans son être, le conatus se réduit-il à l'instinct de conservation biologique ou comprend-il (enveloppe-t-il) le besoin de s'accomplir ?

Est-ce que le conatus est aussi l'élan qui nous pousse à devenir ce que nous pensons et sentons que nous sommes ?

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Le conatus est puissance d'affirmation

Messagepar Lemarinel » 17 févr. 2012, 13:22

Daniel Pimbé, dans son petit livre Spinoza (Hatier), explique au sujet du conatus (Eth III,6) qu'"il ne faut pas identifier la persévérance dont parle Spinoza avec l'instinct de conservation qui n'en est que la forme la plus basse." (p.34) et qu'il faut bien plutôt en parler comme d'une puissance de réalisation au maximum de sa puissance. "Exister, pour une chose c'est réaliser ses propriétés, toutes ses propriétés." (p.33) Le conatus pour Spinoza n'est donc pas 'l'instinct de conservation' qui nous pousse à être au minimum de notre puissance, mais au contraire cette puissance d'affirmation qui nous pousse à exister au maximum de notre puissance. Pour parler plus simplement, le conatus ce n'est pas simplement trouver les forces pour survivre a minima, mais c'est cet effort pour vivre et nous accomplir pleinement (au maximum de notre puissance). Mais attention, il faut ajouter à cela, nous dit Daniel Pimbé, que ce n'est pas parce qu'une chose persévère qu'elle est, c'est parce qu'elle est qu'elle persévère dans son être. Dans les modes comme en Dieu, il n'y a place pour aucune négation; tout est affirmation et la seule négation pour les modes leur vient des autres modes qui eux-mêmes, en tant qu'ils persévèrent dans leur être, sont limités par d'autres modes... Pour bien comprendre le conatus spinoziste, il faut donc comprendre que toute nature est dotée de positivité et que le conatus est l'élan qui la pousse à exprimer et à développer cette positivité avec toute l'intensité et la puissance dont elle est capable.

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Messagepar Henrique » 20 févr. 2012, 02:22

Merci pour cette réponse claire, Lemarinel.

Sur cette page, les ouvrages accessibles gratuitement de Daniel Pimbé, sur Descartes, Spinoza et Nietzsche.

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Messagepar marcello » 20 févr. 2012, 08:51

Lemarinel écrit
Pour bien comprendre le conatus spinoziste, il faut donc comprendre que toute nature est dotée de positivité et que le conatus est l'élan qui la pousse à exprimer et à développer cette positivité avec toute l'intensité et la puissance dont elle est capable.

Cette positivité est-elle l'essence d'un individu ?
Peut-on dire que chaque personne possède une essence et que son existence lui permettra d'accomplir son essence (devenir ce qu'il est) ?
Est-il possible de prendre conscience (au moins de façon intuitive) de son essence et donc de ce que nous pouvons affirmer de la façon la plus juste ?
Notre essence s'inscrit dans l'essence de l'Etre (un autre mot pour Dieu ?) et donc lorsque nous pouvons affirmer notre essence, nous sommes et donc nous participons de la puissance de l'Etre (donc la Nature ou l'ensemble de ce qui est).
Il y a alors un état de résonance entre soi, l'ensemble de la nature et l'Etre.
Ca baigne ! :D

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Messagepar Lemarinel » 20 févr. 2012, 11:24

Marcello,

Vous dites des choses qui me semblent assez spinozistes. Vous demandez : le conatus est-il l'essence d'un individu ? Je réponds que pour Spinoza, "le désir est l'essence de l'homme" (Eth.III). Vous avez donc raison, car j'ai bien compris que vous preniez le terme d'individu en un sens commun d'individu humain, et non un sens rigoureusement spinoziste d'ensemble de modes. (Peu importe la terminologie, vous dites vrai et vous comprenez bien le conatus spinoziste). En ce qui concerne le conatus dont vous parlez et dont parle aussi Spinoza, c'est à peu près la même chose que le désir, donc pas de problème !
Ensuite, vous parlez d'individus qui participent ou s'efforcent de participer de l'essence même de Dieu. Cela est aussi spinoziste, je crois. Pour Spinoza, la puissance d'un homme est la puissance même de Dieu en tant qu'elle relève de sa nature particulière. Attention cependant de ne pas en conclure un peu vite que l'homme c'est Dieu. Les modes ne sont pas Dieu, mais il est vrai que Dieu étant à la fois cause de soi et cause des modes, c'est la puissance causale de Dieu qui s'exprime dans les modes.

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Messagepar marcello » 20 févr. 2012, 12:18

Lemarinel,
Le concept de Dieu ne convient pas très bien à mon athéisme, bien qu'il ne me gêne pas du tout sous la plume de Spinoza. Mais il entraîne plus de résistances que d'adhésion.
Par contre celui d'Etre me convient (ou peut-être un autre concept qui soit à la fois juste d'un point de vue spinoziste et "parlant" pour ceux qui ne se sentent pas d'affinité avec le divin ou Dieu).
Ce qui est le plus important pour moi est le rapport entre le désir et ce que nous voulons faire concrètement de notre vie.
C'est ce qui pousse les enfants et les adultes à choisir telle ou telle direction pour se réaliser.
Il me semble que ce qui importe le plus, c'est qu'une personne soit en résonance avec ce qu'elle sent qu'elle doit accomplir pour s'accomplir.
Si elle fait cela, elle sera aussi en résonance avec Dieu c'est-à-dire l'Etre de la Nature.
Mais l'important est : "Où me porte mon désir ?" et comment faire
correspondre ce que je sens/pense être mon désir et ce que je suis vraiment qui demande à se réaliser.
Ce n'est pas un langage spinoziste du 17e, pour sûr, mais est-ce un langage spinoziste du 21e ?
D'ailleurs, je me demande si Spinoza serait intéressé aujourd'hui par le langage qu'il employait au 17e siècle et qui rend son oeuvre si difficile pour les lecteurs non philosophes (au sens syndical) d'aujourd'hui. :D

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Messagepar Lemarinel » 21 févr. 2012, 10:30

A marcello

Vous avez absolument raison. Nous avons tous besoin de nous réaliser, de nous accomplir, comme on dit aujourd'hui, et ces mots du 21ème siècle, si spécifiques de l'éthique contemporaine de la réalisation de soi (cf. les travaux de l'américain Charles taylor) peuvent aussi convenir à l'idée spinoziste de désir (entendu comme conatus).
En revanche, je voudrais souligner ici, comme vous le sous-entendez d'ailleurs, que cette réalisation de soi n'est pas mécanique. Tous les hommes sont des conatus, mais tous n'ont pas la même puissance ou la même force pour accroitre leur puissance d'être et d'agir. Un même homme a d'ailleurs parfois, suivant les circonstances de la vie, plus ou moins de joie ou de tristesse (donc de puissance d'être et d'agir). Rien n'est donc jamais acquis, mais nous savons quelle est la voie : faire tout pour augmenter notre puissance, et s'abstenir de tout ce qui pourrait au contraire la diminuer.

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Messagepar marcello » 21 févr. 2012, 10:57

Lemarinel
. Rien n'est donc jamais acquis, mais nous savons quelle est la voie : faire tout pour augmenter notre puissance, et s'abstenir de tout ce qui pourrait au contraire la diminuer.

Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire ou en tout cas confirmer ce qu'il faut pour augmenter notre puissance ?
En ce qui me concerne, j'ai choisi d'aller vers ce qui correspondait à un sentiment (affect) d'enthousiasme qui est souvent provoqué par une intuition raisonnée de ce que je veux vraiment faire de ma vie, dans quelle direction je veux aller, quel pas je veux faire.
C'est vraiment du type connaissance du troisième genre. On dirait qu'il y a en nous une conscience et aussi un entendement qui savent quelle est la voie pour augmenter notre puissance si nous les écoutons et les interrogeons.
Et dans enthousiasme, bien entendu, il y a Dieu, c'est à dire l'Etre de la Nature (tout ce qui est et tout ce qui devient).
Désolé de ce mélange entre mon langage à moi et celui de Spinoza tel que je le comprends de façon vivante (pour moi ).
Comme ce forum s'appelle "Spinoza et nous", il y a forcément une adaptation : je m'adapte à Spinoza et lui, il s'adapte à moi.
S'il a envie, bien sûr :D

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Messagepar Henrique » 27 févr. 2012, 16:42

marcello a écrit :
Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire ou en tout cas confirmer ce qu'il faut pour augmenter notre puissance ?

La réponse de Spinoza est "vivre conformément à notre nature" = développer notre puissance = développer notre raison (comment savoir autrement distinguer correctement entre ce qui nous est utile, ce qui est conforme à notre nature, et ce qui est nuisible ?) = s'efforcer de s'accorder autant que possible avec les autres hommes, avec qui on pourra développer sa raison par l'échange ("il n'est rien de plus utile à l'homme que l'homme lui-même").
Voir à ce sujet E4P18S
Le principal obstacle pour augmenter ainsi notre puissance, ce sont les passions qui nous amènent à soumettre la raison à l'imagination, alors que ce doit être l'inverse (ce qui revient donc à donner une place à l'imagination dans la vie éthique) : voir E5P20S pour un résumé des remèdes contre les passions nuisibles.

En ce qui me concerne, j'ai choisi d'aller vers ce qui correspondait à un sentiment (affect) d'enthousiasme qui est souvent provoqué par une intuition raisonnée de ce que je veux vraiment faire de ma vie, dans quelle direction je veux aller, quel pas je veux faire.
C'est vraiment du type connaissance du troisième genre. On dirait qu'il y a en nous une conscience et aussi un entendement qui savent quelle est la voie pour augmenter notre puissance si nous les écoutons et les interrogeons.


Je pense qu'il y a de cela, car pour moi, ainsi que je l'ai un peu expliqué ailleurs, les trois genres de connaissances coexistent, on n'est pas obligé d'avoir étudié l'Ethique de Spinoza pendant des années pour connaître selon le troisième genre. Mais ordinairement les passions recouvrent ce genre de connaissance d'images qui en voilent la pleine conscience.

Et dans enthousiasme, bien entendu, il y a Dieu, c'est à dire l'Etre de la Nature (tout ce qui est et tout ce qui devient).
Désolé de ce mélange entre mon langage à moi et celui de Spinoza tel que je le comprends de façon vivante (pour moi ).


Au contraire, ce qui est intéressant dans une discussion sur un auteur comme Spinoza, ce n'est pas de se réciter mutuellement la lettre de la pensée de l'auteur, mais bien de l'interpréter pour lui donner un sens vivant.

Comme ce forum s'appelle "Spinoza et nous", il y a forcément une adaptation : je m'adapte à Spinoza et lui, il s'adapte à moi.

Très juste.

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Messagepar Lemarinel » 29 févr. 2012, 10:14

A Henrique,

Votre réponse à marcello sur la notion spinoziste de puissance est bonne et je la partage à une exception près: c'est lorsque par maladresse vous parlez de "s'efforcer de s'accorder avec les autres hommes" comme si Spinoza admettait la notion de volonté libre alors que pour lui comme vous savez, "la volonté et l'entendement sont une seule et même chose".
Spinoza dirait donc plutôt que nous ne nous efforçons pas à nous accorder les uns avec les autres, mais que nous sommes déterminés à nous efforcer ou à ne pas nous efforcer de nous accorder. Le déterminisme universel est une thèse difficile à tenir car quand on veut la développer il y a toujours un moment où on parle de la volonté comme de quelquechose de libre. Je suis d'accord avec vous pour être un spinoziste hétérodoxe plutôt qu'orthodoxe (cf le livre de maxime Rovere de 2010 sur spinoza et le magazine littéraire n°1 de 2010 coordonné par ses soins). Mais il faut quand même faire attention pour respecter la pensée de l'auteur, non certes au mot mais en esprit, afin de ne pas la déformer. Or la critique du libre arbitre est une grande thèse qui fait partie de l'armature de la philosophie de spinoza, et qui n'est pas une thèse accessoire ou secondaire. Enfin j'ai conscience que je vous titille un peu mais j'aime la précision et cela permet de communiquer et de penser.


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