avoir des idées claires et distinctes d'une passion

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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avoir des idées claires et distinctes d'une passion

Messagepar azanco » 16 mai 2013, 10:46

Je voudrais poser une question. Comment avoir des idées claires et distinctes de nos passions, concrètement? Ex. je déteste une personne; comment avoir une idée claire et distincte de cet affect-passion? Merci.

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sescho
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Messagepar sescho » 17 mai 2013, 11:34

Nous pouvons déjà reproduire une nouvelle fois les conseils que dispense Spinoza, sur la base de E5P20S, qui dans sa deuxième partie conclut toute la séquence E5P1-20 :

Spinoza a écrit :… Et par là j’ai embrassé tous les remèdes aux affects, autrement dit, tout ce que l’Esprit, considéré en lui-même, peut contre les affects ; d’où il appert que la puissance de l’Esprit sur les affects consiste :

(I) dans la connaissance même des affects (voir le Scol. Prop. 4 de cette p.) ;

[E5P4S : Puisqu’il n’y a rien d’où ne suive quelque effet (par la Prop. 36 p. 1), et que, tout ce qui suit d’une idée qui est en nous adéquate, nous le comprenons clairement et distinctement (par la Prop. 40 p. 2) ; de là suit que chacun a le pouvoir de se comprendre clairement et distinctement, ainsi que ses affects, sinon absolument, du moins en partie, et de faire par conséquent qu’il en pâtisse moins. Telle est donc la chose à quoi il faut avant tout s’appliquer, à connaître clairement et distinctement, autant que faire se peut, chacun de nos affects, afin qu’ainsi l’Esprit se trouve déterminé par l’affect à penser à ce qu’il perçoit clairement et distinctement, et en quoi il trouve pleine satisfaction ; et, par suite, que l’affect lui-même se trouve séparé de la pensée de la cause extérieure, et joint à des pensées vraies ; par où il se fera que, non seulement l’Amour, la Haine, etc., seront détruits (par la Prop. 2 de cette p.), mais qu’également les appétits ou Désirs qui naissent habituellement d’un tel affect ne pourront être excessifs (par la Prop. 61 p. 4).

… tous les appétits ou Désirs ne sont des passions qu’en tant qu’ils naissent d’idées inadéquates ; et ces mêmes Désirs viennent s’adjoindre à la vertu quand ce sont des idées adéquates qui les excitent ou les engendrent. Car tous les Désirs qui nous déterminent à faire quelque chose peuvent naître aussi bien d’idées adéquates que d’idées inadéquates (voir la Prop. 59 p. 4). Et (pour en revenir là d’où je me suis éloigné) on ne peut inventer en pensée de meilleur remède aux affects qui dépende de notre pouvoir, que celui qui consiste dans leur vraie connaissance, puisqu’il n’y a pas d’autre puissance de l’Esprit que celle de penser et de former des idées adéquates, comme nous l’avons montré plus haut (par la Prop. 3 p. 3).]

(II) en ce qu’il sépare les affects d’avec la pensée d’une cause extérieure, que nous imaginons confusément (voir la Prop. 2 avec le même Scol. Prop. 4 de cette p.) ;

[E2P5 : Si nous éloignons une émotion de l’âme, autrement dit un affect, de la pensée d’une cause extérieure, et la joignons à d’autres pensées, alors l’Amour ou la Haine à l’égard de la cause extérieure, ainsi que les flottements de l’âme qui naissent de ces affects, seront détruits.]

(III) dans le temps, grâce auquel les affections qui se rapportent à des choses que nous comprenons l’emportent sur celles qui se rapportent à des choses que nous concevons de manière confuse ou mutilée (voir la Prop. 7 de cette p.) ;

[E5P7 : Les affects qui naissent de la raison, ou sont excités par elle, sont, si l’on tient compte du temps, plus puissants que ceux qui se rapportent aux choses singulières que nous contemplons comme absentes.]

(IV) dans le très grand nombre des causes qui alimentent les affections se rapportant aux propriétés communes des choses ou à Dieu (voir les Prop. 9 et 11 de cette p.) ;

[E5P9 : Un affect qui se rapporte à plusieurs causes, et différentes, que l’Esprit contemple en même temps que l’affect lui-même, est moins nuisible, et nous en pâtissons moins, et nous sommes à l’égard de chaque cause moins affectés, qu’un autre affect également grand se rapportant à une seule cause, ou à un moins grand nombre de causes.

E5P11 : Plus il y a de choses auxquelles se rapporte une image, plus elle est fréquente, autrement dit plus souvent elle est vive, et plus elle occupe l’Esprit.]

(V) enfin, dans l’ordre dans lequel l’Esprit peut ordonner et enchaîner entre eux ses affects (voir le Scol. Prop. 10 ainsi que les Prop. 12, 13 et 14 de cette p.).

[E5P10S : Par ce pouvoir d’ordonner et d’enchaîner correctement les affections du Corps nous pouvons faire de n’être pas aisément affectés par des affects mauvais. Car (par la Prop. 7 de cette p.) il est requis plus de force pour contrarier les affects ordonnés et enchaînés suivant un ordre pour l’intellect, que pour en contrarier d’incertains et de vagues. Donc, le mieux que nous pouvons faire, aussi longtemps que nous n’avons pas la connaissance parfaite de nos affects, c’est de concevoir la règle de vie correcte, autrement dit des principes de vie précis, de les graver dans notre mémoire, et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent couramment dans la vie, afin qu’ainsi notre imagination s’en trouve largement affectée, et que nous les ayons toujours sous la main. Par ex., nous avons posé parmi les principes de vie (voir la Prop. 46 p. 4 avec son Scolie) qu’il faut vaincre la Haine par l’Amour ou Générosité, et non la compenser par une Haine réciproque. Et, pour avoir toujours sous la main cette prescription de la raison quand on en aura besoin, il faut penser aux offenses que se font couramment les hommes, les méditer souvent, ainsi que la manière et le moyen de les repousser au mieux par la Générosité ; car ainsi nous joindrons l’image de l’offense à l’imagination de ce principe, et (par la Prop. 18 p. 2) nous l’aurons toujours sous la main quand on nous fera offense. Que si nous avons également sous la main la règle de notre véritable utilité, ainsi que du bien qui résulte de l’amitié mutuelle et de la société commune, et en outre le fait que c’est de la règle de vie correcte que naît la plus haute satisfaction de l’âme (par la Prop. 52 p. 4), et que les hommes, comme le reste, agissent par nécessité de nature : alors l’offense, autrement dit la Haine qui en naît habituellement, occupera une part minime de l’imagination, et sera facile à surmonter …

Qui donc s’emploie, et par seul amour de la Liberté, à maîtriser ses affects et ses appétits, s’efforcera, autant qu’il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s’emplir l’âme du contentement qui naît de leur vraie connaissance ; et de contempler le moins possible les vices des hommes, ainsi que de dénigrer les hommes et de tirer contentement d’une fausse espèce de liberté. Et qui observera diligemment cela (et en effet ce n’est pas difficile) et s’y exercera, oui, en très peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l’empire de la raison.

E5P12 : Les images des choses se joignent plus aisément aux images qui se rapportent aux choses que nous comprenons clairement et distinctement, qu’aux autres.

E5P13 : Plus il y a de choses auxquelles a été jointe une image, plus souvent elle est vive.

E5P14 : L’Esprit peut faire que toutes les affections du Corps, autrement dit les images des choses, se rapportent à l’idée de Dieu.]

… Ensuite, il faut remarquer que les chagrins de l’âme, et ses infortunes, tirent principalement leur origine de trop d’Amour pour une chose soumise à beaucoup de variations, et dont nous ne pouvons jamais être maîtres. Car ce n’est jamais que d’une chose qu’on aime qu’on s’inquiète ou s’angoisse, et offenses, soupçons, inimitiés, etc., ne naissent que de l’Amour pour des choses dont nul ne peut être véritablement maître. D’où nous concevons donc aisément ce que la connaissance claire et distincte, et principalement ce troisième genre de connaissance (voir à son sujet le Scol. Prop. 47 p. 2) dont le fondement est la connaissance même de Dieu, peut sur les affects, à savoir, que, en tant que ce sont des passions, s’il ne les supprime pas absolument (voir la Prop. 3 avec le Scol. Prop. 4 de cette p.), il fait du moins qu’ils constituent la moindre part de l’Esprit (voir la Prop. 14 de cette p.) …

Je pense que connaître une passion est d’abord (re)connaître un mécanisme interne, en excluant autant que possible tout jugement de valeur à son endroit (et donc de se focaliser d’emblée sur le côté passionnel de la chose.) Comme l’indique Spinoza, alors l’affect perd naturellement de sa puissance émotionnelle, étant associé à de la connaissance, neutre de ce point de vue. J’ajouterais que ceci implique de dissocier, et donc de « décoller » et révéler concrètement la fonction qui « voit », et qui est notre seule véritable nature, du mécanisme imaginatif émotionnellement chargé, qui n’est qu’un simple phénomène passager. Il s’agit donc bien du (I) ci-dessus.

Un autre effet est, dans le même mouvement, d’affaiblir l’idée d’une cause extérieure ((II) ci-dessus.) En effet, de voir un mécanisme, neutre en lui-même d’un point de vue émotionnel, éloigne la fusion avec la cause extérieure imaginaire, qui n’entre pas dans le mécanisme même, mais seulement dans les « conditions aux limites extérieures. » Et si elles sont extérieures, elles sont extérieures, et ne nous concernent donc pas intérieurement…

Finalement, qu’on ait bien tranché (c’est très rare de fait) sur la question (imaginaire comme l’a souligné Vanleers) du libre-arbitre, ou non, qu’il s’agisse de quelque chose d’extérieur suffit. Le côté passionnel (c’est à dire passif, subi) tend aussi à se révéler puis disparaître, voyant combien il est nuisible pour soi et ridicule tout en même temps d’être asservi à un comportement extérieur, qui ne nous concerne donc au plus qu’à la marge ; ceci dans un contexte global changeant où il est inévitable d’avoir à endurer des conditions adverses autant que des conditions favorables, et où quoiqu’il en soit ce qui est EST. A noter que ceci n’empêche en rien de prendre les dispositions qui s’imposent, y compris très fermes, autant que nécessaire, pour contrer les agressions extérieures, personnelles ou collectives.

Dans l’exemple où je hais quelqu’un, la première étape serait donc de bien voir le mécanisme psychique qui cause cette haine (on peut alors se reporter à E3 et E4 pour être guidé en cela.)

En premier niveau de détail, je vois deux cas de figures extrêmes. Une première possibilité est que la base même de ce mécanisme est moralement erronée ; par exemple, je hais tel individu parce qu’il met au jour (éventuellement sans du tout le faire à dessein, même), au pilori, ma vanité de supériorité. Là le travail devra décomposer cette base même.

L’autre possibilité extrême est que la base est moralement juste, mais que les conséquences tirées sont erronées ; par exemple, je hais tel individu parce que c’est un escroc structurel, prétentieux, menteur, diffamant, sournois, de mauvaise foi, faux-cul, incompétent, parasitaire, prédateur, agressif, blessant, dangereux, etc. (ce qui se trouve peu ou prou dans la réalité ; à noter que voir les choses telles qu’elles sont est contraire à ces perversions de l’esprit que sont le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », le politiquement correct, etc. - avec très généralement de la haine se tenant perceptiblement derrière, d’ailleurs… Et Spinoza lui-même utilise bien régulièrement des mots fleuris tels que ceux ci-dessus.)

Ce n’est pas là le diagnostic qui, par hypothèse (car il faut savoir aussi reconsidérer les faits et interprétations, éventuellement faire des tests ; voir aussi ce qui est bon, etc.), est erroné. L’erreur consiste là (outre à poser le libre-arbitre) en premier lieu à faire passer le fait après l’idéal, alors qu’il vient toujours et très directement avant, et effectivement déjà à confondre l’intérieur et l’extérieur.

En voyant au-delà, cela n’est qu’une première étape (individuation, sortie de la fusion avec l’environnement.) Seule la vision pleine, entière, vécue de fait en permanence, de Dieu-Nature en quoi tout est et qui est parfait, est la réalisation pure de notre essence foncière.

Ceci n’étant qu’une analyse partielle et rapide de la chose, peu discutée jusqu’à présent sur le site au contraire de l’ontologie et des premières parties de l’Ethique, ce qui est une carence qu’il était hautement sain de commencer de combler, effectivement. :)
Connais-toi toi-même.

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Messagepar moukared » 10 juin 2013, 23:14

Bonsoir tout le monde.

cette question est la base du travail pour reformer l'entendement, et se préparer au début de la perception des essences des choses je pense.
elle est bien résumé par Spinoza dans le scolie de la p4 étique 5. ceci est le secret numéro 1.

l'étape suivante ou bien le secret numéro 2 se trouve dans le scolie du prop. 20 étique 5, lisez le autant que possible en se retournant vers les références cités par Spinoza dans tous l'étique. il ne faut pas se fatiguer. au travail les amis. (travail très ardu comme décrit par Spinoza)

ici il y'a beaucoup de travail surtout quand on sait que pendant la journée on doit avoir plus de 60.000 idée qui nous passent par la tété (estimation scientifique), ce qui veux dire il faut repensé tous ces idées et en constituer des idées adéquates, pour passer de la passion vers l'action et........Bla Bla Bla (appliquer la méthode cité dans la réponse plus haut)

je pense ceci est la base de la méthode spinosiste pour prendre le chemin vers liberté, et avancer vers l'avant, et pas autrement. (pour ceux qui disent que Spinoza n'a pas exposé la méthode pour atteindre la béatitude, doivent relire tous cela à l'infini.)
bonne soirée mes amis et surtout au travail. :)


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