Comment l'homme libre vient-il en aide à l'ignorant ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Vanleers
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Messagepar Vanleers » 02 déc. 2013, 16:11

Réfléchissons encore à la relation entre deux individus que nous continuerons à appeler l’homme libre et l’ignorant pour être clair dans l’énonciation.

Il peut sembler paradoxal que, dans le cadre d’une telle relation, Spinoza nous demande encore, en suivant E V 2, d’« éloigner » (amoveo : éloigner, détourner, écarter – ce que Misrahi et Guérinot rendent par séparer) une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure et de joindre cette émotion à d’autres pensées.
Il en résultera, ajoute-t-il, que :
« […] l’Amour ou la Haine à l’égard de la cause extérieure, ainsi que les flottements d’âme qui naissent de ces affects, seront détruits. »

Qu’il éprouve spontanément un affect d’amour ou de haine pour l’ignorant, apparemment en réaction à ce que ce dernier lui dit, l’homme libre doit se dire que, non, ce n’est pas l’ignorant qui est la cause de cet affect.

Curieuse relation dans laquelle l’ignorant est nié en tant que cause de l’affect que l’homme libre éprouve en le rencontrant.

Cette situation évoque la situation analytique dans laquelle l’analysant liquide son transfert sur l’analyste en « barrant » ce dernier. L’analyste existe encore pour l’analysant mais en tant que « barré », « rayé », comme on dit rayé de la carte.

C’est ce qu’explique François Roustang en écrivant :

« Liquider le transfert, c’est ne plus croire dans le savoir ou le pouvoir d’un autre existant, c’est ne plus croire opérant ce pouvoir et ce savoir, pour être renvoyé à sa propre opération, c’est faire tomber le sachant en pur supposé, ou encore c’est faire passer sa croyance d’un autre existant à un autre rayé, comme on dit rayé de la carte, pour que s’engendre de ce vide la nécessité de penser. L’invention devient une nécessité vitale lorsque s’effondrent toutes les formes de la confiance. » (Un destin si funeste p. 104 – Minuit 1976)

Cet extrait est une remarquable illustration d’E V 2.

Mais il s’applique également à la situation du spinoziste vis-à-vis de Spinoza.
Le spinoziste n’a-t-il pas, lui aussi, à faire tomber Spinoza de sachant en pur supposé savoir afin de prendre le risque de penser par lui-même ?

Ce n’est pas si simple parce que, écrit ensuite Roustang :

C’est dire que la liquidation du transfert n’est jamais acquise, que l’on ne peut pas s’y installer, parce que, si l’on veut survivre, il faut bien se remettre à croire et à s’illusionner et à méconnaître, à dé-barrer l’Autre pour qu’il se remette à exister. »

A suivre ?

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Messagepar Vanleers » 11 déc. 2013, 11:31

Nous écrivions (page 10 de ce fil) que les rencontres entre deux êtres humains pouvaient être de trois types selon qu’elles relevaient de la servitude, de la fortitude ou de la béatitude.

Essayons de préciser ce qu’est une rencontre du troisième type.

Le scolie d’E V 29 énonce :

« Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières selon que nous les concevons soit en tant qu’elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, soit en tant qu’elles sont contenues en Dieu et suivent de la nécessité de la nature divine. »

Nous rencontrons l’autre, dans une rencontre du troisième type, lorsque nous changeons notre regard et que nous le considérons ainsi que nous-même en tant que contenus en Dieu et suivant de la nécessité de la nature divine.

Le scolie d’E V 29 se réfère au scolie d’E II 45 dans lequel Spinoza précise, qu’ici, il entend par existence, non pas la durée mais « l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu »

Dans son commentaire d’E V 29 et après avoir noté la référence à E II 45 sc., Macherey écrit (Introduction… V… p. 145) :

« Nous nous élevons alors jusqu’au point où nous concevons, nous comprenons que les choses singulières n’existent pas seulement en relation avec nous, mais existent en Dieu, en donnant au terme exister son sens le plus fort. »

Cette élévation, ce changement de point de vue, est la condition d’une rencontre du troisième type, marquée par la béatitude.

Il importe de ne pas perdre cela de vue.

« N’oublie pas de tout voir en Dieu car tout est en Dieu, et tu seras dans la joie »

Cette maxime résume l’éthique que Spinoza élabore dans l’Ethique.


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