Comment l'homme libre vient-il en aide à l'ignorant ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar Vanleers » 13 nov. 2013, 12:10

A aldum

Vous avez écrit :

« Ce n'est pas en soi l'étude et le constat de différences physiques ou génétiques entre les « ethnies » qui fait problème, la méthode de la science consistant bien à observer et à classifier, mais sa juxtaposition automatique d'une grille de correspondance en terme de « valeur », méthode également partagée par les « racistes » et les « antiracistes » »

Je pense que nous devrions réfléchir à cette notion de « valeur », qui ne concerne pas seulement les racistes et antiracistes mais également l’homme libre et l’ignorant.

Qu’en est-il de cette notion dans l’Ethique ?

Spinoza dit-il quelque part que l’homme libre vaut plus que l’ignorant ?

Pour le moment, je constate simplement que, dans E V 42 sc., il écrit que « le sage est puissant, et plus puissant que l’ignorant » mais pas que le sage vaut plus que l’ignorant.

Peut-on aller plus loin ?

Bien à vous

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Messagepar QueSaitOn » 13 nov. 2013, 14:07

hokousai a écrit : Ce sont les limites du commerce ( au sens de relation sociale ) qui limite la nature humaine.


Cela me parait fort peu spinoziste d'écrire que la nature humaine serait limité, du fait que la puissance (de la nature humaine ?) est en acte. A ce propos cela me rappelle singulièrement la fameuse thèse sur Feuerbach de K. Marx (qui du reste, a subi l'influence de Spinoza):

Marx a écrit : L'essence humaine, c'est l'ensemble des rapports sociaux


Concernant la logique classificatoire du raciste, oui c'est intéressant. Le raciste s'appuie sur ces schèmes mentaux classificatoires et hiérarchiques (construits à partir d'un universalisme tronqué et ethno-centré).

Je suis d'accord concernant le point de vue individualiste (au sens fort du terme, c'est à dire celle de l'utilité propre) de Spinoza. C'est cela d'ailleurs qui rend le spinozisme attractif.

@Vanleers,

Cette question de la valeur concernerait tout aussi bien le rapport d'un individu avec lui-même. Un tel "vaut"-il ce qu'il est, vaut-il aujourd'hui mieux qu'hier etc. ? Comment concilier aussi la puissance en acte avec l'égalité potentielle des valeurs ? La notion d'égalité nous indique bien en droit, que les humains sont d'égales valeurs.

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Messagepar cess » 13 nov. 2013, 14:57

Vanleers,

C'est noté pour le Cercle Rouge!

Comment l'homme libre peut-il venir en aide à l'ignorant ?

Cette question en amène d'autres: L'aider en quoi ? A être libre lui-même , en d'autres termes l'étayer dans l’apprentissage de sa maitrise des affects passifs c'est - à dire à éprouver la Béatitude?

En ce cas, est-ce en le pouvoir de l'homme libre (les moments où il est libre et heureux lui-même!) d'amener un autre que lui-même à l'Amour Intellectuel de Dieu ?
Je ne le crois pas. Cette affaire est tellement le chemin propre de chacun!
Mais résolument optimiste en essayant de conserver une approche spinoziste , j'aurai tendance à répondre qu'une aide de HL à Hi serait éventuellement contenue ou envisageable dans l' affection positive de la rencontre des deux protagonistes.

Cette hypothèse entend toutes les combinaisons possibles de rapports: des énergies qui se ressemblent et "se tirent mutuellement vers le haut" ou encore un état de demande peut-être de l'ignorant, demande infime ou ce-dernier vivant une situation limite (choc, remise en question suite à un évènement majeur) qui va initier un changement dans sa vie.
C'est à ce moment peut-être, si L'HL est à l'écoute et peut concevoir au bon moment que la Raison est une question de coeur et de sensibilité qu'il pourra aider l'ignorant à la demande de ce dernier uniquement.

Et puis une autre question, l'ignorant n'aide-t-il pas aussi parfois l'homme libre à rester libre en nourrissant les méditations de ce -dernier ?

Bien à vous.

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Messagepar QueSaitOn » 13 nov. 2013, 15:34

cess a écrit : Et puis une autre question, l'ignorant n'aide-t-il pas aussi parfois l'homme libre à rester libre en nourrissant les méditations de ce -dernier ?


Ceci me rappelle ce que disait Nietzsche (qui n'est franchement pas ma tasse de thé) dans "Le Gai Savoir" , affirmant que l'intérêt du "mal" (puisque pour Spinoza, le mal est lié à la connaissance inadéquate) était d'avoir fait réfléchir sur le "bien" (ou quelque chose comme cela, je n'ai pas le texte sous les yeux).

En fait, la question que vous posez est centrale: peut-on "libérer" quelqu'un contre son gré ? Mais pourquoi Spinoza aurait-il écrit l’Éthique sinon ?

Je crois que cette question de l'ignorance est lié à celle - plus profonde - de l'aliénation.

Y a t-il chez Spinoza quelque chose qui ressemble à ce que nous appelons "aliénation" ? Peut être la connaissance du premier genre ? Parler d'aliénation (qui est une question cruciale humaine à mon avis) c'est à dire d'être "étranger à soi-même", est ce spinoziste ?

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Messagepar cess » 13 nov. 2013, 15:48

Bonjour Que sait-on
(absolument rien !!j'en suis sûre aujourd'hui :D )

En fait, la question que vous posez est centrale: peut-on "libérer" quelqu'un contre son gré ? Mais pourquoi Spinoza aurait-il écrit l'Ethique sinon ?


Pour libérer celui qui veut bien la lire , cherche et est donc en demande lui-même!

Je comprends cette expression de Nadler lorsqu'il qualifie le spinozisme comme un égoisme pratique.

Bien à vous

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Messagepar QueSaitOn » 13 nov. 2013, 15:57

En principe l'homme "libre" (i.e sur une voie de libération) désire agir pour que ses semblables se libèrent.

Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d'autant plus de force qu'il aura une plus grande connaissance de Dieu. (prop. 37, E4)

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Messagepar cess » 13 nov. 2013, 16:27

parfois, je me demande si la seule force de ce qu'on a réfléchit, de ce qu'on est ou devient vertueux (en tant que vertueux est celui qui éprouve la Béatitude), de ce qu'on se voue comme bienveillance envers sois-même ne s'applique pas aux autres d'emblée par un jeu d'effet-miroir salutaire.
" Aimes ton prochain comme toi-même"


Vivre cet état-là, c'est comprendre automatiquement qu'on ne fera pas à un autre ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse. J'en suis toujours à observer des rapports de causes à effet, des phénomènes d'actions-réactions, ou peut-être s'agit-il des lois de la Nature , j'essaie de les comprendre.

Par exemple, nous a-t-on déjà forcé à tenir une situation à travers laquelle nous n'avons aucune forme d'epanouissement personnel ?Nous partons. Nous sentons que nous sommes libres quelque part , nous restons.
Il me semble naturel par la suite d'appliquer ces principes envers autrui..N'est ce pas?.

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Messagepar Vanleers » 13 nov. 2013, 16:32

A cess

J’essaierai de répondre à quelques questions du post que vous m’adressez, en commençant par la fin.

1) Il est clair qu’un ignorant peut venir en aide à un homme libre comme à un autre ignorant : il suffit pour cela qu’il pratique la justice et la charité.
Spinoza soutient que cette pratique sauve l’ignorant.
Ce point a été débattu sur d’autres fils, en particulier : « Y a-t-il un credo minimum spinoziste ? »

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-130 ... asc-0.html

2) Aider l’autre, c’est, me semble-t-il, l’aider à persévérer dans l’être, c’est-à-dire à accroître sa puissance et, en conséquence, à éprouver de la joie.
Je pense qu’en droit, c’est toujours possible, qu’il y ait ou non demande d’aide.

3) Je continue à m’interroger : l’aide que peut apporter un homme libre à un ignorant est-elle vraiment différente de l’aide que peut apporter un ignorant à un autre ignorant ?

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 13 nov. 2013, 19:36

à QueSaitOn

Cela me parait fort peu spinoziste d'écrire que la nature humaine serait limité, du fait que la puissance (de la nature humaine ?) est en acte.

Pourquoi fort peu spinoziste? Expliquez -moi ce que serait mieux la nature humaine pour Spinoza .( je suis tout ouïe ).

Effectivement la formulation de Marx me semble spinoziste . (merci de l'avoir citée )

Ce sont les limites du commerce ( au sens de relation sociale ) qui limite la nature humaine. Je veux dire que le cadre logique est celui de la relation sociale. Il ne s'agit pas de "limites" quantitatives mais qualitatives.

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Messagepar QueSaitOn » 14 nov. 2013, 21:53

Bonsoir,

En fait, ce qui m'échappe de manière générale avec l'Ethique c'est cette contradiction apparente entre l'identification de la perfection d'avec la réalité, et d'autre part, l'idée de l'ignorance.

@Hokousai,

Parler de "limites" à la "nature" humaine, ne revient-il pas à introduire de la négation (même si les choses ont des limites, la nature humaine peut-elle être considérée comme une "chose" spinoziste ?), ce que le spinozisme rejette, puisque tout y est en acte ?

Ne parle t-on pas de l'ignorant en visant "ce qui n'est pas", "ce qui doit être" (la libération) donc une négation de la négation, suprême sacrilège du spinozisme.

Y a t-il une définition de la "nature humaine" dans 'Ethique ?

@Vanleers,

Oui, en quoi le sage "vaut"-il plus que l'ignorant finalement ? Puisque tout est en acte, l'ignorance a t-elle vraiment un sens ?

Le mot "ignorance" est-il approprié, car par trop limité à l'intellect (à l'esprit), et ne révèle t-il pas l'aspect rationnaliste du spinozisme ?

Ne pourrait-on lui préférer l'aliénation ("ignorance" corporelle et intellectuelle), mais si telle était le cas, cela pourrait-il être compatible avec le spinozisme et comment définir cette noition du point de vue de Spinoza ?

@cess,

Problème complexe, que cette question "ne pas faire à un autre ce que l'on ne veut pas qu'on nous fasse". Est ce spinoziste comme maxime ? Mais l'ignorant au fond (que je suis aussi), désire t-il son "ingorance", et en cas, en effet, pourquoi lui "venir en aide" malgré lui ?

Je crois aussi qu'il faut partir de cas concrets, auquel cas, nous tournons en rond. Par exemple comment traiter de la question écologique sans forcer la main aux gens (et à nous mêmes), comment traiter la question du racisme sans forcer la main etc. La question du "bonheur malgré les gens" a été "résolu" tragiquement au 20ième siècle. Cela dit nous y sommes aussi puisque d'autres, des puissances extérieures sous d'autres formes, veulent notre "bonheur" à notre place, sous forme de "persévérance à être" d'un système global et auto-destructeur (pour l'humain).


Bien à vous,


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