Comment l'homme libre vient-il en aide à l'ignorant ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Vanleers
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Messagepar Vanleers » 20 nov. 2013, 11:05

A QueSaitOn

Nous aurons peut-être l’occasion de discuter de l’ouvrage de Julien Busse.
Il écrit, notamment :
« Comme si, conscient que de l’essence au modèle, il n’y a qu’un pas, il [Spinoza] avait voulu éviter les effets normatifs que contient déjà virtuellement toute définition d’une essence, effets qui sont des facteurs asservissants plutôt que libérateurs, et à ce titre, contraires au projet explicite de l’Ethique. » (p. 77)

Un mot, à propos du projet libérateur de l’Ethique.

L’homme libre s’est libéré de lui-même au sens qu’il a rejeté l’idée qu’il serait un être de nature substantielle doté d’un libre arbitre.
Il se vit comme un être de nature modale, un mode de la Substance, une partie de la Nature, une expression particulière de Dieu.
Il n’est plus en proie aux imaginations égotiques qui naissent lorsque l’individu se prend pour un être substantiel.

Je n’ai pas compris ce que vous écrivez :

« Par contre, définir une essence de l'humain ne revient pas forcément à définir une morale du devoir. Tout dépend … de cette définition, si elle est "en acte" il n'y a pas de risque d'impératifs catégoriques. »

Bien à vous

A Hokousai

Je réfléchis à votre post mais ne concerne-t-il pas un autre fil ?

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Messagepar hokousai » 20 nov. 2013, 14:25

à Vanleers

Je réfléchis à votre post mais ne concerne-t-il pas un autre fil ?
Mais pas du tout .
Je suis en présence d'un "ignorant' , au sens où il est hermétique à Spinoza ( je m'en suis entretenu avec lui sous divers aspects). Mais j' ai aussi affaire avec un spinoziste scientiste, cas de figure ambigu et encore plus difficile à traiter.

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Messagepar QueSaitOn » 20 nov. 2013, 15:22

Bonjour,

Face à une ingorance de ce type qui est très répandue, car il s'agit du scientisme, ne faut il pas prendre des exemples concrets et montrer en quoi une approche scientifiquer seule ne permet pas de résoudre telle ou telle question ?

Prenons les OGM par exemple, la science seule ne donne aucune réponse à la question de leur dangerosité (le cas échéant) potentielle. Bien sur, une personne pourrait arguer que l'approche scientifique indépendante serait à même se se corriger elle-même.

C'est oublier que la remise en cause des cultures OGM s'est fondée d'abord sur une vision de l'éthique (au sens large) et de l'écologie, donc certainement pas une approche purement scientifique au sens du réductionnisme.

Il en est de même de l'écologie: ce n'est pas la science qui a fait progresser la conscience, ni la science écologique, mais une éthique de vie et un sentiment de responsabilité, fut-ils intuitifs au départ.

Par delà ces questionnements, se pose la définition des essences: seule la philosophie peut envelopper des définitions d'essence des choses dans leur acceptation la plus large, c'est à dire dans leur mise en rapport avec ce qui les détermine intérieurement et extérieurement, c'est à dire la définition d'une chose en tant que rapport et dont la dialogique de Edgar Morin est une belle illustration.

La science seule est incapable de poser de telles prémisses. Le problème général de la science, c'est le réductionnisme: prétendant évacuer la question de l'essence en tant que mise en rapport des choses avec leur environnement, elle retombe en réalité dans l'ancienne définition métaphysique de l'essence identifiée à la chose prise à part.

L'essence de la philosophie évacuée et rejetée, elle revient en force par la fenêtre (par ex. les notions de "nature humaine" en filigranne dans les études sur les gènes etc., c'est aussi pour cela que j'insistais sur une définition acceptable, ouverte en acte, de l'humain dans la lignée de la VIième thèse sur Feuerbach de Marx précisément pour éviter ce piège).

Du reste, je ne suis pas sur non plus que le spinozisme ne soit pas non plus contaminé par cette notion d'essence restrictive (voir la manière dont Spinoza définit l'essence, elle semble liée à la chose "en interne", comme l'indique P. Macherey dans son commentaire de Ethique II).

Bien à vous

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Messagepar Vanleers » 20 nov. 2013, 15:45

A Hokousai

Votre débat avec X me paraît poser, avant tout, la question de la pertinence du spinozisme par rapport à l’approche scientifique.

Je reprends deux mots de sa citation.

1) Philosophie

A mon avis, Spinoza n’est pas un philosophe mais un physicien ou alors un philosophe à ranger avec les philosophes présocratiques ou, encore, avec Lucrèce : ceux qui ont étudié la nature (Phusis). On a d’ailleurs comparé l’Ethique au De Rerum Natura.
Ce n’est pas un métaphysicien et on a noté qu’à part une allusion aux métaphysiciens dans l’Appendice de la partie I, la métaphysique n’est citée qu’une seule fois dans l’Ethique pour y être critiquée (en E II 48 sc. « [… des étants Métaphysiques, autrement dit des universaux […] »)

2) Concept

Le mot entre dans la définition de l’idée (E II déf. 3) et, dans l’explication qui suit, Spinoza écrit que « concept semble exprimer une action de l’esprit »
Le mot « semble » est introduit pour signifier l’activité propre à l’idée qui lui est communiquée par la Pensée par la médiation de l’esprit qui, nous l’apprendrons plus tard, est, lui-même, une idée.

Je vous signale aussi que les questions dont vous débattez sont abordées par Chantal Jaquet dans un article intitulé « Les trois erreurs de Bacon selon Spinoza » (Les expressions de la puissance d’agir chez Spinoza – Publications de la Sorbonne 2005)

Le chemin de la science, pour reprendre l’expression de votre contradicteur, associe l’empirisme (Bacon, …) et le rationalisme (Descartes, …)

Chantal Jaquet explique que, pour Spinoza :
« A l’instar de Descartes, la plus grave erreur de Bacon consiste à s’égarer loin de de la connaissance de la cause première et de l’origine de toutes choses. »

Elle écrit que, selon Spinoza :
« L’entendement ne déforme pas les choses ; il exprime dans la pensée ce qui s’exprime d’une autre manière dans l’étendue. Contrairement à l’entendement baconien qui est par nature faillible, et donc incertain, l’entendement spinoziste est par nature infaillible et certain. C’est même là sa première propriété d’après le § 108 du TRE :
« Il enveloppe la certitude, c’est-à-dire qu’il sait que les choses sont formellement comme elles sont contenues en lui objectivement. »
Il est donc clair que ses idées correspondent à la réalité » (p. 191)

Voilà qui pourrait vous aider à réduire a quia votre interlocuteur et, mieux encore, l’amener à résipiscence.

Bien à vous

PS Je découvre à l’instant le post de QueSaitOn

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Messagepar hokousai » 20 nov. 2013, 16:02

à QueSaitOn

intéressant!

mais

Prenons les OGM par exemple, la science seule ne donne aucune réponse à la question de leur dangerosité (le cas échéant) potentielle.
En fait si c'est la science qui peut nous informer de la "dangerosité" ... sauf qu'elle ne dit rien sur ce que nous apprécions par dangerosité.
Il n'y a rien d 'objectif qui se manifeste comme estampillé "danger" .
L'idée de dangerosité pour nous et pas en soi ce qui ne signifie rien pour les OGM, cette valeur est un donné qui se forme ailleurs que dans l'observation empirique.
Pourquoi valorisons -nous les conditions de notre survie ?

Le scientisme et pour être moins virulent disons "la science", répond actuellement par le darwinisme .
ah bon ! Ça c'est un problème lourd.

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Messagepar hokousai » 20 nov. 2013, 16:08

à Vanleers

« Il enveloppe la certitude, c’est-à-dire qu’il sait que les choses sont formellement comme elles sont contenues en lui objectivement. »


X( mon interlocuteur ) va me répondre que la connaissance scientifique est évolutive . Qu' elle n'a rien de véritablement certain au sens de définitif . Et que c'est même là sa valeur . (vous qui citez Popper le comprendriez très bien ). à suivre ...plus dans le détail...là je suis pris ailleurs. Pardonnez-moi

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Messagepar Vanleers » 20 nov. 2013, 16:41

A Hokousai

Nous ne devons pas oublier que Spinoza ne cherche pas à faire œuvre de science et que son ouvrage principal est une éthique.

Quel est l’intérêt d’un débat entre Spinoza et les sciences ?

Je vous ai déjà envoyé quelques réflexions à ce sujet et je me permets de vous les adresser à nouveau.

Spinoza insère entre E II 13 et E II 14 ce qu’on appelle sa « Petite physique » et je ferai deux remarques.

a) Tout d’abord, cette physique a une base empirique.
Il est clair qu’elle n’est pas déduite de ce qui précède (partie I et partie II jusqu’à la proposition 13) mais se fonde sur des postulats empiriques.
Spinoza le confirme en E II 17 sc. :

« […] tout ce que j’ai assumé en fait de postulats ne contient pour ainsi dire rien qui ne soit établi par l’expérience, de laquelle nous n’avons plus le droit de douter dès lors que nous avons montré que le Corps humain existe ainsi que nous le sentons (voir le Coroll. après la Prop. 13 de cette p.) »

b) Ensuite, nous constatons que cette physique des corps est très simple et on pourrait même dire rudimentaire.
Et pourtant elle suffit à Spinoza pour poursuivre et construire une éthique puissante qui culmine, à la partie V, dans l’amor intellectualis Dei.

Examinons maintenant ce que pourrait être une confrontation de l’Ethique avec les sciences et je ferai, ici aussi, deux remarques.

a) La « Petite physique » ayant une base empirique, ne pourrait-elle pas être réfutée par les sciences ?
A mon point de vue, cette physique est tellement simple qu’une réfutation, sauf peut-être sur des points sans importance, n’est pas envisageable.

b) A l’inverse, est-ce que les sciences ne pourraient pas apporter un perfectionnement à cette physique qui « améliorerait » l’Ethique ?
A mon avis, il n’en est rien. Avec sa « Petite physique » toute simple, Spinoza développe l’Ethique jusqu’à l’amor intellectualis Dei et on ne voit pas ce qu’il pourrait y avoir de mieux.

En résumé, les sciences ne sauraient rien retrancher ni ajouter à l’Ethique.

Bien à vous

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Messagepar Enegoid » 22 nov. 2013, 21:01

Après la bataille…

« Comment l’homme libre vient-il en aide à l’ignorant ? »

Tout d’abord, j’aurais préféré une autre formulation, du genre :
« Comment pouvons-nous nous aider les uns les autres ? » ou « comment puis-je m’aider moi-même à vaincre mon ignorance ? »

Cette remarque préliminaire est liée au constat qu’il n’existe pas d’homme libre en soi, ni d’ignorant en soi, ce qui a bien été remarqué. Telle que, la question me donne l’impression du spinoziste détenteur de vérité qui s’apprête à réformer le monde, avec un mot « aide » un peu hypocrite : car en fait il s’agit d’un combat (stratégie, tactique.), contre l’orgueil, le racisme, le scientisme, etc. ainsi que les thèmes abordés l’ont indiqué.

ll y a des gens qui essaient de suivre la voie proposée par Spinoza, et d’autres qui ne connaissent pas Spinoza, les plus nombreux (sans parler de ceux qui connaissent Spinoza mais ne sont pas convaincus). Parmi ceux qui ne connaissent pas Spinoza, beaucoup (à mon avis) suivent, sans le savoir, la voie de Spinoza (raison, notions communes, recherche du bien propre, etc.)

Venant après d’autres fils consacrés aux « articles de foi » du spinozisme, il me semble que la question implicite revient en fait à se demander « comment le spinoziste peut-il corriger l’erreur dans le monde » ou plutôt « comment le spinoziste peut-il lutter contre les imbéciles » ? Ma réponse est : il ne peut pas, ou plus exactement, ce n’est pas son problème principal. Son problème principal c’est la béatitude et la recherche des relations de renforcement mutuel avec ceux qui sont engagés dans la même recherche (d’où l’utilité de ce présent forum. Merci Enrique).

Je ne suis pas un ennemi de Spinoza : la lecture de ses œuvres m’a trop apporté pour que je puisse l’être. Mais j’ai une interrogation: qui dit que les hommes font majoritairement le choix de vie de poursuivre la gloire, la richesse et les plaisirs par ignorance de leur vrai bien ?
Les raisons données par Spinoza au début du TRE ( §3 appuhn) pour entrer dans sa voie sont : il y a des risques et des dangers à les poursuivre. Qui dit qu’il n’existe pas des hommes pour lesquels l’affrontement des risques constitue l’essence de leur nature, en toute « connaissance » ?
Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs...

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Messagepar Vanleers » 22 nov. 2013, 22:10

A Enegoid

Je me contenterai, pour le moment, d’une seule remarque qui viendra à l’appui de l’emploi du mot « aide » dans la question posée sur ce fil (mot qu’utilise Spinoza dans la définition de la générosité, comme je l’ai rappelé plusieurs fois).

Vous utilisez les expressions ou mots suivants :
- combat (contre l’orgueil, le racisme, le scientisme…)
- corriger l’erreur
- lutter contre les imbéciles

Or, s’il y a bien une thèse constante chez Spinoza, c’est : « Ne luttons pas contre les tristesses mais affirmons la joie »

Le spinoziste ne combat rien, ne corrige rien, ne lutte contre rien.

Son éthique est une éthique affirmative de la vie et non d’éradication de ce qui veut mourir.

C’est pour cela que la générosité, selon Spinoza, vient positivement en aide à autrui et n’est pas une négation de la négation.

Bien à vous

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Messagepar Enegoid » 23 nov. 2013, 10:51

J'ai simplement donné mon impression sur la tonalité des échanges. Si je me suis trompé, tant mieux.

D'accord avec vous sur la positivité spinozienne, tout en gardant à l'esprit que nous ne sommes jamais entièrement libres ni complètement ignorants :

"...cette partie de nous qui se définit par la connaissance claire, c'est-à-dire la partie la meilleure de nous..."
E4 chap32

ce qui permets de ne pas nous prendre naïvement pour :

"...le sage qui l'emporte en pouvoir sur l'ignorant conduit par le seul appétit sensuel..."
(fin de l'éthique)

(Je ne dis pas que celà vous concerne ! J'exprime ma position)

Bien à vous
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