Pour une éthique spinoziste de la discussion

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Vanleers
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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 07 juin 2015, 15:52

A NaOh

Je reviens à la question que vous posiez plus haut :

« Me demande-t-on de changer de vie? »

Essayant de raccrocher cette question au sujet de ce fil, je dirais que certains utilisateurs du forum y viennent peut-être dans l’espoir d’y apprendre une méthode, d’y trouver un chemin pour changer de vie ou, du moins, pour l’infléchir de façon à être plus heureux.
Sur le marché du bonheur, particulièrement achalandé aujourd’hui, nombreux sont les marchands (coaches, religieux, spirituels, psy,… ) qui proposent des voies promettant le bonheur.
Or, mais il s’agit de bien le comprendre, Spinoza n’indique aucun chemin car tout est déjà joué.
Ce n’est pas le « C’est cuit ! » de Lacan se prononçant à la fin d’une présentation de malade car, si tout est joué, rien n’est écrit. On retrouve ici l’idée que le déterminisme selon Spinoza n’est pas un fatalisme.
Le changement de vie dont vous parlez n’est autre que ce que vous êtes déjà, c’est-à-dire de toute éternité, comme le dit très bien Victor Delbos (Le spinozisme – Vrin 2005) :

« En tout cas il [Spinoza] maintient que l’apparent progrès des âmes vers la béatitude n’a point dans l’effort même dont il semble résulter sa cause véritable, car cet effort ne fait qu’exprimer dans la durée ce que nous sommes de toute éternité en Dieu et par Dieu. » (p. 168)

Il poursuit :

« Il y a là une sorte d’équivalent rationnel de la doctrine de la Grâce en ce qu’elle peut avoir de plus opposé à l’efficacité et même à la possibilité d’initiatives individuelles dans la vie présente (cf. TTP chap. 12). Pourtant la vie présente, avec ses épreuves et ses oppositions plus ou moins surmontées, n’ajoute-t-elle rien au décret qui fixe notre destinée ? Question que sans doute Spinoza eût tenue pour vaine. » (p. 169)

Delbos explique pourquoi, notamment parce que :

« […] les existences dans la durée […] sont des conséquences que développe l’ordre des essences par la toute-puissance de l’Être infini : elles sont réelles à ce titre, mais sans pouvoir accroître d’elles-mêmes la réalité qui leur échoit. […] De la vie présente il doit donc demeurer dans les âmes raisonnables la conscience de la nécessité universelle qui donne lieu à la détermination des êtres finis les uns par les autres, et cette conscience de la nécessité universelle se lie à l’intuition qu’elles ont de leurs essences éternelles. » (ibid.)

En conclusion :

« […] en réalité, c’est toujours la connaissance de notre union rationnelle avec Dieu qui est le seul instrument efficace de notre salut, non la prétention de notre vouloir à dépasser ce que nous sommes en s’appuyant sur des modalités passagères de la vie présente.
Nous n’agissons donc que selon ce que nous sommes éternellement ; c’est-à-dire que notre prédestination, si l’on peut employer le mot, est entière. » (pp. 169-170)

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 07 juin 2015, 16:30

A Vanleers,

1) Je suis frappé que Spinoza soit si "populaire" qu'un forum "grand public" comme l'est celui-ci, lui soit consacré. C'est une chose qui ne laisse pas de m'étonner. On ne trouve pas, et je pense qu'on ne trouvera pas, de "Leibniz et nous", "Malebranche et nous" etc. Comment expliquer cela? La quête du mieux vivre est perpétuelle et universelle mais qu'est ce qui "marche" avec Spinoza? Pourquoi lui spécialement?

2) Je suis pour le moins réticent face à l'affirmation de Delbos concernant la « prédestination ». J'ai tendance à penser que si Spinoza propose un modèle de l'homme libre, comme il le fait dans la préface au livre IV de l'Ethique, c'est qu'il trouve qu'il y a un sens à affirmer que nous pouvons progresser vers ce modèle. Une doctrine de la prédestination ne me semble pas compatible avec cet objectif. Nous avons toujours, je pense, un désaccord au sujet de ce qu'il faut entendre par « liberté » chez Spinoza, laquelle est selon moi, le fait d'être de moins en moins déterminé à agir par les causes extérieures, alors que vous soutenez avec Sévérac, une position certes plus complexe, mais qui ne m'en paraît pas moins fausse pour autant.

3) Il faut que je relise le fil « déterminisme sans fatalisme » car je ne sais plus très bien ce que vous y avez soutenu.

Bien à vous.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 07 juin 2015, 17:52

A NaOh

Le mot « prédestination » fait peur. Il évoque les querelles sur la grâce et la liberté entre jansénistes et jésuites au XVII° siècle et la bulle Unigenitus.
Vous dites que Spinoza parle d’un modèle (exemplar) dans la Préface de la partie IV de L’Ethique. C’est vrai et cela sert à définir ce qu’on appellera un homme plus ou moins parfait. Comme il l’avait indiqué au début de la Préface, on ne peut, en effet, parler de perfection ou d’imperfection que si l’on se donne un modèle.
Mais Spinoza nous dit-il qu’il est souhaitable de nous rapprocher du modèle ? Ce serait cruel puisque cela ne dépend pas d’une libre décision, mais il ne le dit pas.
Je réfléchis à E IV 26.

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Henrique » 07 juin 2015, 18:55

A Naoh,
Votre première remarque ferait un bon sujet de discussion dans un nouveau fil.
Je pense qu'il en est de même pour la prédestination.

Vanleers,
Pour finir de raccrocher ce développement au sujet, il faut je pense rappeler le tout début du TRE aussi :
ci je veux seulement dire en peu de mots ce que j'entends par le vrai bien, et quel est le souverain bien. (...) ce qui serait le souverain bien, ce serait d'entrer en possession, avec d'autres êtres, s'il était possible, de cette nature supérieure. Or, quelle est cette nature? nous montrerons, quand il en sera temps, que ce qui la constitue, c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout entière.
Voilà donc la fin à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humaine supérieure, et faire tous mes efforts pour que beaucoup d'autres l'acquièrent avec moi ; en d'autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d'autres s'élèvent aux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs désirs soient en accord avec les miens ; pour cela, il suffit de deux choses, d'abord de comprendre la nature universelle autant qu'il est nécessaire pour acquérir cette nature humaine supérieure ; ensuite d'établir une société telle que le plus grand nombre puisse parvenir facilement et sûrement à ce degré de perfection.


On est encore loin de cette société, le TP et même l'Ethique paraîtront plus pessimistes, mais le but d'un spinoziste, puisqu'on parle de son éthique de la discussion, ce sera certainement de permettre à un maximum de ses semblables de connaître l'union de son âme avec la nature tout entière, non parce que le maître l'a dit mais parce que, sachant que c'est avec les hommes qu'il a le plus de notions communes, l'homme libre veut pour les autres hommes le bien véritable qu'il veut pour lui-même.

Il faudra certes pour notre spinoziste veiller à ce que son désir du bien d'autrui émane de sa raison et non de sa seule affectivité :
Spinoza, dans Ethique IV, prop. 37, scol. a écrit :Celui qui fait effort, uniquement par affectivité, pour que les autres aiment ce qu'il aime et pour qu'ils vivent à son gré, celui-là, n'agissant de la sorte que sous l'empire d'une aveugle impulsion, devient odieux à tout le monde, surtout à ceux qui ont d'autres goûts que les siens et s'efforcent en conséquence à leur tour de les faire partager aux autres. De plus, comme le bien suprême que l'affectivité fait désirer aux hommes est souvent de nature à ne pouvoir être possédé que par un seul, il en résulte que les amants ne sont pas toujours d'accord avec eux-mêmes, et, tout en prenant plaisir à célébrer les louanges de l'objet aimé craignent de persuader ceux qui les écoutent. Au contraire, ceux qui s'efforcent de conduire les autres par la raison n'agissent point avec impétuosité, mais avec humanité et douceur, et ceux-là sont toujours d'accord avec eux-mêmes.


Ainsi, il ne demandera certes pas à qui que ce soit de changer de vie. En fait, il ne s'agit que de l'améliorer. Passer d'une idée confuse de notre éternité et de notre béatitude à une idée plus claire et distincte, voilà en dernière analyse ce que l’Éthique propose à mon sens. Je pense qu'on peut présenter l’Éthique comme une sorte de carte du tendre pour atteindre, non pas l'union avec la nature mais la connaissance à la fois adéquate et intuitive de cette union. A titre personnel, il ne suffit pas de connaître la carte, il faut prendre la route pour parvenir réellement au but. Mais déjà cela indique que s'il est utile de s'entendre sur une bonne compréhension de la carte, il est assez vain de passer son temps à commenter la carte sans faire la moindre démarche pour expérimenter le cheminement qu'elle propose pour atteindre cette connaissance, en partant d'une meilleure connaissance de la Nature, de l'homme, de son corps et de son esprit, de ses affects, de ses faiblesses et de ses forces.

Image
La carte du tendre
Ensuite, s'il y a lieu d'inciter nos semblables à la béatitude pour un spinoziste, il n'y a pas à le leur demander mais plutôt à leur en donner l'envie par ce que l'on dit au moyen de la raison de la vie humaine. Et il ne s'agit encore pas non plus de sermonner les gens sur les avantages de la béatitude par rapport aux viles passions tristes, d'abord parce que les passions sont des faits de la nature et non des vices qu'il faudrait mépriser, ensuite parce que culpabiliser pour inciter au bien est contreproductif. Ethique IV, prop. 63 :
Les hommes superstitieux qui aiment mieux tonner contre les vices qu'enseigner les vertus, et qui, s'efforçant de conduire les hommes non par la raison, mais par la peur, les portent a éviter le mal plutôt qu'à aimer le bien, n'aboutissent à rien autre chose qu'à rendre les autres aussi misérables qu'eux-mêmes ; et c'est pourquoi il n'est point surprenant qu'ils se rendent presque toujours odieux et insupportables aux hommes.


N'oubliant jamais que la connaissance du mal est une connaissance inadéquate (E4P64), le spinoziste s'efforcera autant qu'il est en lui de chercher à convaincre, c'est-à-dire à vaincre les âmes en usant de générosité : "Ce n'est point toutefois la force des armes qui dompte les cœurs, c'est l'amour et la générosité" (Ethique IV, Appendice ch. 11).

Sur l'éthique de la discussion, il faut citer intégralement E4P46 pour préciser le point précédent :
Celui qui vit sous la conduite de la raison s'efforce, autant qu'il est en lui, d'opposer l'amour, c'est-à-dire la générosité à la haine, la colère, le mépris, etc., qu'on a pour lui.

Démonstration : Tous les affects qui proviennent de la haine sont mauvais (par le corollaire 1 de la précédente proposition), et conséquemment, celui qui règle sa vie suivant la raison s'efforce, autant que possible, d'écarter de soi les affects de haine (par la proposition 19, partie 4), et de les écarter de l'âme d'autrui (par la proposition 37, partie 4). Or, la haine s'augmente par une haine réciproque, et au contraire, elle peut être étouffée par l'amour (par la proposition 43, partie 3), de telle sorte que la haine se change en amour (par la proposition 44, partie 3). Ainsi donc, celui qui vit selon la raison s'efforce d'opposer l'amour, c'est-à-dire la générosité à la haine, etc. (voyez la définition de cet affect au scolie de la proposition 59, partie 3). C.Q.F.D.

Scolie
Celui qui veut venger ses injures en rendant haine pour haine ne peut manquer d'être malheureux. Celui au contraire qui s'efforce de combattre la haine par l'amour trouve dans ce combat la joie et la sécurité. Il résiste avec une égale facilité à un seul homme et à plusieurs, et a moins besoin que personne du secours de la fortune. Ceux qu'il parvient à vaincre, il les laisse joyeux, avec une augmentation de force au lieu d'un affaiblissement : toutes choses qui résultent si clairement des seules définitions de l'amour et de l'entendement, qu'il est inutile d'en donner une démonstration spéciale.


Il ne s'agit pas de tomber dans le love-bombing qu'on pratique dans les sectes et autres clubs pour gens qui ont de l'argent à perdre. Faire des compliments demande souvent une certaine intimité, cela convient assez peu à un forum, lieu d'échange public par écrit et souvent anonyme. Mais cela n'empêche pas de s'attacher à voir les bons côtés des personnes avec qui on discute, à commencer par leur appartenance à l'humanité, c'est-à-dire quelque chose de toujours plus fondamental pour chacun de nous que toutes nos petites différences : avoir en commun le désir d'être content de soi, de ne pas trouver sa vie vaine et sans intérêt, ou pire moins intéressante que celle d'autrui, de vivre libre et heureux. Même si on pense faire preuve d'originalité ou de plus d'intelligence sur certains moyens, c'est déjà beaucoup de points communs. En se mettant dans ce genre d'état d'esprit, on sera toujours mieux à même de discuter avec les autres. Ensuite, la générosité, c'est chercher à être utile aux autres, ce qui suppose s'intéresser à ce qu'on peut leur apporter et donc s'intéresser à eux, avec leurs qualités et leurs limites, ce qui conduira à éviter une certaine prodigalité en bienveillance superficielle à l'égard d'autrui.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 07 juin 2015, 20:37

A Henrique

Ce que vous écrivez est vrai mais, comment dire, cela m’a paru bien prêchi-prêcha et à côté du sujet que nous étions en train de discuter, NaOh et moi.
Car nous parlions de l’impossibilité de toute libre décision, qu’il s’agisse de celui qui écrit sur un forum ou de celui qui le lit. J’ai relevé dans votre post les expressions suivantes :

« le but d'un spinoziste
l'homme libre veut pour les autres hommes
Il faudra certes pour notre spinoziste veiller
Ainsi, il ne demandera certes pas à qui que ce soit de changer de vie. En fait, il ne s'agit que de l'améliorer.
s'il y a lieu d'inciter nos semblables à la béatitude
le spinoziste s'efforcera autant qu'il est en lui »

Vous employez un vocabulaire volontariste qui pourrait laisser penser que le spinoziste veut, décide librement de tout cela.
« Internet, pays de mission » ! Les spinozistes auraient pour mission de diffuser la bonne parole d’un Maître, d’exhorter leurs contemporains à améliorer leur vie.
Une telle « évangélisation » est-elle concevable lorsqu’on nie le libre arbitre ?

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Krishnamurti » 07 juin 2015, 22:16

L'effort est partout dans l'Ethique

PROPOSITION 7, Ethique III
L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence actuelle de cette chose.

PROPOSITION25, Ethique V
Le suprême effort de l'Esprit et sa vertu suprême sont de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance.

PROPOSITION28, Ethique V
L'Effort, c'est-à-dire le Désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance,ne peut pas naître du premier mais seulement du second genre de connaissance.


Est-ce qu'il faut une volonté pour mettre en oeuvre un Effort ?

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 08 juin 2015, 01:08

à Vanleers

Vanleers a écrit :Vous employez un vocabulaire volontariste qui pourrait laisser penser que le spinoziste veut, décide librement de tout cela.


Le sort du sartrien n'est- il pas plus enviable qui lui décide librement de tout cela.
J'ironise, certes ... mais comment dire ?

krishnamurti a écrit :Est-ce qu'il faut une volonté pour mettre en oeuvre un Effort ?
(remarque judicieuse)

Vous Vanleers refusez le libre arbitre à Sartre et à vous même et à tous les hommes ...admettons!
Vous n'en niez pas l'idée ( présente chez certains hommes) mais la réalité "objective" ... admettons la thèse.

Dans ce cas Henrique n' a pas besoin de recourir à la décision d' un libre arbitrage hypothétique, pour évangéliser.
Cela suit de sa nature ou de LA Nature.
Henrique est porté par elle, c'est Dieu qui évangélise. :)

Vous qui êtes dans l’impossibilité de toute libre décision n'aurez aucune difficulté à me répondre ou bien à ne pas me répondre.
( j'ironise ... mais à peine )

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Henrique » 08 juin 2015, 07:23

Vanleers a écrit :Ce que vous écrivez est vrai mais, comment dire, cela m’a paru bien prêchi-prêcha et à côté du sujet que nous étions en train de discuter, NaOh et moi.
Car nous parlions de l’impossibilité de toute libre décision, qu’il s’agisse de celui qui écrit sur un forum ou de celui qui le lit.

Prêchi-prêcha : voilà encore un terme plus chargé affectivement que conceptuellement.
Vous parliez de libre décision et de prédestination et moi, je vous ai rappelé au sujet que vous avez vous-même initié en proposant ensuite de le restreindre à la discussion sur ce forum.
Il ne suffit pas alors de parler de la motivation supposée des visiteurs de ce forum, mais de revenir aux règles que se serait donnée Spinoza d'après ce qu'on connaît de sa philosophie, ainsi que ceux qui adhèrent à cette philosophie. Ensuite, on peut critiquer ces règles, ça fait partie de la discussion philosophique, encore faut-il les avoir clairement identifié. D'où aussi la proposition de faire le point, même si d'autres points pourront être trouvés ensuite, pour faire un bilan de ce qu'on a trouvé et éviter les digressions.


J’ai relevé dans votre post les expressions suivantes :
« le but d'un spinoziste
l'homme libre veut pour les autres hommes
Il faudra certes pour notre spinoziste veiller
Ainsi, il ne demandera certes pas à qui que ce soit de changer de vie. En fait, il ne s'agit que de l'améliorer.
s'il y a lieu d'inciter nos semblables à la béatitude
le spinoziste s'efforcera autant qu'il est en lui »
Vous employez un vocabulaire volontariste qui pourrait laisser penser que le spinoziste veut, décide librement de tout cela.


Votre étonnement m'étonne.
Vous savez bien qu'il y a un volonté chez Spinoza et donc des buts et qu'il y a par ailleurs une liberté pour celui qui veut en vertu de la raison. De là à affirmer que le spinoziste ou qui que ce soit veut librement, relisez bien ce qui précède, à aucun moment cette interprétation de mes propos n'est autorisée par ce que vous avez cité. Je décris en reprenant Spinoza de près ce que veut, de façon justement nécessaire, un homme que la raison conduit. Aucun prêche là dedans, juste de la logique. Ou alors ce serait prêcher que de dire qu'un footballeur court après un ballon pour marquer des buts, qu'il veut en toute nécessité que ses coéquipiers le fassent aussi etc.

« Internet, pays de mission » ! Les spinozistes auraient pour mission de diffuser la bonne parole d’un Maître, d’exhorter leurs contemporains à améliorer leur vie.
Une telle « évangélisation » est-elle concevable lorsqu’on nie le libre arbitre ?


Non ce n'est pas concevable, et pour cause, il n'y a à ce sujet d'évangélisation ou de mission qu'à l'intérieur de ce qu'il y a entre vos yeux et vos oreilles.
Un évangile est une bonne nouvelle et se situe donc dans le champs historique : ex. Dieu a accepté de donner son fils pour remettre nos péchés. L'Ethique se place sur le plan de la logique. Ensuite une mission est une tâche confiée à une personne en vue d'un but. Or le spinoziste, peut-être aurais-je du préciser que j'entends par là celui qui a compris la philosophie de Spinoza et qui y adhère, ne cherchera à partager la connaissance qui permet l'union avec la nature avec le plus grand nombre que parce qu'il en ressent la nécessité intérieure du fait de la connaissance qu'il a de sa commune nature avec les autres hommes, par intérêt bien compris finalement, et non parce qu'une mission lui aurait été confiée, par un "maître" ou un dieu en vue d'une quelconque récompense.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 08 juin 2015, 11:27

Bonjour à tous

Je réponds aux trois derniers posts.

1) Souvent, on ne traduit pas conatus car le traduire par effort pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un effort au sens courant.
Il s’agit d’un effort qui se produit … sans effort, en tout cas sans un effort qui aurait pour cause une volonté. Il est de la nature du conatus de s’efforcer. Je cite à nouveau Sévérac :

« Vis, conatus, cupiditas : force, effort, désir. Ces trois concepts renvoient à la même réalité, celle d’une puissance de vie qui fait « tout son possible » (sans reste) pour conserver son être. La force (vis) est cette puissance en tant qu’elle est comprise à partir de la puissance éternelle de Dieu. L’effort (conatus) est cette puissance en tant qu’elle est considérée comme impliquée dans une existence en commerce avec d’autres existences. Le désir (cupiditas) est encore cette même puissance, en tant qu’elle est déterminée, par une quelconque affection, à faire quelque chose de particulier. »

2) Pour produire sa propre philosophie, Robert Misrahi a tenté l’hybridation de la carpe sartrienne et du lapin spinoziste. Il en est très content.
Le spinoziste intégral ne se donne pas cette facilité mais doit résoudre un problème apparemment redoutable que Pierre Macherey énonce comme suit :

« Sous une forme très simplifiée, le problème éthique peut donc être posé de la façon suivante : comment devenir libre, alors que tout paraît devoir s’y opposer, et que l’idée même du devenir est un produit, non de la raison, mais de l’imagination, qui, à la fois, espère et craint le changement dans un monde tellement massifié par la soumission à des lois, à ses propres lois, que par définition rien n’y bouge ? »

La solution est simplissime et Macherey la donne immédiatement :

« La réponse que propose Spinoza à cette question est on ne peut plus paradoxale, et étonnante de la part d’un penseur de l’époque classique, ce qui justifie qu’il ait été par la suite considéré comme un moderne, très en avance sur son temps : elle consiste à dire que, devenir libres, sans aucun doute nous le pouvons, tout simplement parce que nous le sommes déjà de toute éternité, hors de toute considération temporelle, sans toutefois nous en rendre compte, sinon sous la forme confuse d’une aspiration inassouvie, donc sans parvenir à tirer toutes les conséquences de cette situation effective, que cette incapacité à en percevoir les tenants et les aboutissants due à l’ignorance convertit en son contraire, c’est-à-dire en cause de servitude. »

En mêlant Sartre à Spinoza, Misrahi rate ce qui fait la profonde originalité de Spinoza et son extraordinaire solution au problème de la liberté.
J’écrivais récemment sur ce fil qu’au lecteur qui demande une méthode pour être plus heureux, on répondra qu’ici, il n’y a pas de chemin car tout est déjà joué. Tout est joué, mais en sa faveur, et maintenant qu’il le sait, il n’y a rien de plus à lui dire, enfin, plus rien d’essentiel.

3) J’ai écrit, Henrique, que ce que vous aviez dit était vrai mais je l’ai lu comme un sermon, une prédication, un discours moralisateur et édifiant.

Il était inutile de me rappeler au sujet car j’étais en plein dedans : que dire d’une éthique spinoziste de la discussion si l’on a conscience que les interlocuteurs n’ont aucun libre arbitre, ce que j’avais commencé à aborder avec NaOh en employant les concepts de libre décision et de prédestination.

Vous-même savez très bien qu’il n’y a pas de volonté, au sens d’une faculté, dans la philosophie de Spinoza : il n’y a que des volitions (E II 49)
La volonté, c’est le conatus, quand on le rapporte à l’esprit seul (E III 9 sc.) et j’ai déjà écrit que le conatus n’était pas un effort volontaire au sens courant.

Je serais assez d’accord avec votre dernier paragraphe mais j’ajouterais, et c’est le paradoxe que j’ai essayé de faire voir, que s’il n’y a pas « évangélisation », l’éthique de Spinoza est néanmoins porteuse d’une bonne nouvelle (euaggélion).

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 08 juin 2015, 12:43

Le fait est qu'il y a bien une volonté.
Le spinoziste comme le sartrien ou le chrétien veulent exprimer quelque chose ( un logos ).
Quel que soit l' homme qui parle, il exprime une volonté, et bien sûr même s'il ne se réfère à aucun magister.

Quel que soit le statut ontologique de la volonté, le spinoziste et le sartrien sont objectivement dans la même situation.

Mais subjectivement il ne le sont pas .(disons pour faire vite que si l'un ne croit pas au libre arbitre, l'autre y croit)

En quoi est- ce que la situation subjective différencie un spinoziste d'un sartrien ou d'un chrétien?
En quoi la compréhension de ce fichu non- problème du libre arbitre va- t-elle pouvoir avoir une influence sur les modalités d'un dialogue?

Je dois avouer que je ne vois pas en quoi la solution (ou pas) de cette question du libre arbitre peut avoir d'incidences sur l' éthique de la discussion.
Modifié en dernier par hokousai le 08 juin 2015, 18:16, modifié 1 fois.


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