Pour une éthique spinoziste de la discussion

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Krishnamurti » 29 mai 2015, 23:28

Beau texte de Lorenzo Vinciguerra qui donne quelques explications sur ce que peut être "faire l’expérience mystique de la Raison".

"Comprendre en raison" : Lorsque Spinoza ou Krishnamurti savent qu'ils on raison. Lorsque nous savons qu'ils ont raison. Il y a là une expérience qui dépasse la raison...

Without reason - at least what I mean by reason - we cannot live. Reason is balance, integration. Reason must understand reason to find reality. But reason as we know it now, is intellection and it can never yield anything but disruption, as is being seen all over the world just because the world worships intellect. Intellect is producing such havoc, degradation and misery, but that is not reason, it is merely intellectuality concerned only with the superficial, responding to the immediate challenge. But there is a reason which is integration, maturity, which is completeness. Reason must go beyond itself to find reality. To put it differently, as long as there is thinking there cannot be the real, because thinking is the product of the past, thinking is of time, the response to time, therefore thinking can never be the timeless. Thinking must come to an end. Then only can the timeless be. But the thinking process cannot be violated, suppressed, disciplined; the mind must understand itself as being the result of emotions, of memory, of the past. The mind must be aware of itself and its activities. When the mind is aware of its being, you will find that there comes an extraordinary silence, a stillness, when that which is the result of the past no longer functions, in conjunction with the present. Then there is only silence, not a hypnotic silence, but the silence which is stillness. It is in this state that creativeness can take place, and it is the real. To find this stillness, reason must transcend itself. Mere intellectuality which has no significance, has nothing to do with reality and a man who is merely logical, reasonable, who uses intellect very carefully, can never find that which is. A man who is integrated has a different kind of reasoning process, which is intelligence yet even his intelligence, his reasoning must transcend itself. Then there is stillness which is happiness, which is ecstasy - K Public Talk 30th November, 1947 | Madras, India


Vanleers, je comprends que le mot mystique te pose problème. Je l'utilise pour bousculer les idées mais je n'y tiens pas. Et pourtant... et si la Raison était la seule religion possible ? Avec quoi d'autres pouvons affronter les enjeux de ce monde qui semble assez mal en point.

Bien que manquant de disponibilité je trouve beaucoup d'intérêt à toutes les interventions de ce fil de discussion. Que cela soit dit.

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Henrique
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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Henrique » 30 mai 2015, 10:33

Le mysticisme peut être contraire à la discussion qui est échange de différences cherchant de points communs, si on entend par là une plongée dans le "mystère" divin, nécessairement sans commune mesure avec tout ce qui est déjà connu et qui à ce titre ne peut être rationnel. Il y a certes certains illuminés qui ne savent parler qu'avec leur imagination du divin.

Mais en son premier, le mot mystique désigne une connaissance directe du divin, intuitive, ce qui n'est pas discursif mais pas pour autant contraire à la raison. En ce sens, il est clair que la connaissance du troisième genre est mystique, tout en étant parfaitement claire et distincte : tout le monde peut savoir immédiatement, sans la médiation du raisonnement, qu'il est étendu et pensant, c'est-à-dire qu'il est divin, expression immédiate de sa puissance d'exister. Mais la médiation du raisonnement permet d'augmenter le désir de connaître les êtres de cette façon (E5P28: c'est bien le désir du CN3 qui peut naître du CN2 et non comme le dit Deleuze le CN3 qui doit passer par le CN2 pour apparaître). Ainsi, comme l'a rappelé Naoh, tous les hommes connaissent Dieu intuitivement et adéquatement et ont donc ce point commun ; ce sont seulement les mots, auxquels par leur imagination et leurs passions ils donnent des sens différents, qui les séparent.

Mais puisqu'il n'y a que les mots qui les séparent, il n'est pas vain de chercher des vérités communes, en travaillant sur les mots. William James disait de façon très spinoziste et en même temps éternelle au sens de Vinciguerra, en 1909 dans Confidences of a 'psychical researcher' : "nous sommes comme des îles dans la mer, dissociées à la surface, mais reliées par le fond". Le fond est évidemment la substance qui nous unit et dont nous ne sommes que des affections. Les flots qui semblent nous séparer, sont les connaissances mutilées de l'imagination et les passions qui en découlent. Sur un forum Internet, il semble qu'on soit davantage dissociés à la surface encore que dans la vie, mais n'oublions pas que la notion même d'éthique de la discussion a été élaborée par Habermas et Appel à l'occasion d'un échange houleux écrit bien avant Internet. Et le plus souvent, les intellectuels qui s'écrivent n'ont pas à se croiser corporellement tous les matins pendant 20 ans. La seule vraie différence qu'apporte Internet, que Phiphilo avait mise en évidence, c'est qu'on ne connaît pas le nom des personnes, mais connaître le nom des personnes n'est en rien avoir une connaissance adéquate de ces personnes. Ce qu'Internet rend possible, c'est comme l'a suggéré Aldo la recherche et la construction collective de la vérité, au delà justement des places et des rôles que chacun peut estimer avoir à faire valoir dans la société, et c'est ainsi parce qu'on ne sait pas assez faire abstraction de nos habitudes affectives tirées de la vie tangible que nos discussions tournent si souvent mal.

Bien sûr, il ne faut pas oublier que nous restons pris dans des passions car l'éventuelle connaissance intuitive de notre participation à la perfection de la nature ne nous conduit pas, et c'est heureux, à l'ablation de notre imagination et aux passions qui en découlent nécessairement. C'est pour cela que fondamentalement, nous restons les mêmes dans la vie numérique et dans la vie tangible, les moyens de se faire passer pour un autre y sont décuplés mais chacun reste toujours aussi démuni face au mécontentement de soi que l'on éprouve en se voyant asservi à ses réactions passionnelles. Aussi, je ne pense pas avoir affaire aux semi-fantômes d'Hokousai sur Internet. Qu'est-ce qu'un fantôme ici ? Un être immatériel dans la matière, c'est-à-dire un être qui n'existe pas et qui n'a donc pas plus de vertus que de passions. On existe sur d'autres modes sur Internet ou dans une discussion directe mais on y existe toujours et complètement sous différentes formes. Ou fantôme signifie être de pure imagination. Un semi-fantôme serait un mélange d'imagination (connaissance du premier genre) et de réalité (connaissable intuitivement et/ou rationnellement). Mais alors nous sommes tous déjà des semi-fantômes ; la plupart plus fantômes d'hommes qu'hommes réels, quelques uns un peu plus réels que fantômes. Internet n'y change pas grand chose.

Mais je suis aussi assez circonspect à l'égard de la notion d'auditoire universel. Il faudrait pour cela qu'il y ait un orateur universel. Cela n'existe pas. L'univers, la nature ne parlent pas car on ne parle et même les animaux ne communiquent que pour combler la séparation apparente qui découle de l'incomplétude de nos connaissances. Dieu n'est pas séparé de lui-même. Plutôt que de tenter en vain de faire abstraction de ses passions, il me semble avisé d'avoir toujours un œil sur elles et de savoir en rire de bon cœur pour les maintenir à leur place.

---------

Afin d'arriver à une formalisation de règles claires, qui au delà de la charte actuelle (texte de nature juridique se concentrant sur les comportements et qui laisse de côté les affects qui les déterminent) pourrait en constituer la fondation, il faut en bonne méthode s'entendre sur ce que nous appelons éthique, spinoziste, discussion, forum puis sur le but que ces règles permettraient d'atteindre. Ensuite, certaines règles déjà directement puisées chez Spinoza ont pu être énoncées, il faudra finir par en faire la liste en voyant ce qu'il y a à ajouter.

Concernant le but de la discussion, je suis d'accord avec Vanleers : "aider les lecteurs et les intervenants à comprendre le chemin qui, selon Spinoza, les mènera à la béatitude." C'est en effet le but final que j'ai toujours conçu pour ce forum. Je dirai même, par la mise en place de notions communes, au moyen de la discussion, qu'il s'agit pour les lecteurs comme pour chaque intervenant de parcourir ici un peu de ce chemin, même s'il ne pourra l'accomplir que seul. Mais d'autre part, on peut fort bien venir ici pour discuter à propos du libre arbitre ou des rapports corps/esprit. La charte précise bien qu'il n'est pas requis d'adhérer à la philosophie de Spinoza pour participer ici, ce qui implique aussi le but qu'il assigne à la philosophie. Ainsi le but serait plutôt de permettre des échanges satisfaisants pour les différents intervenants, soit en matière de recherche d'information, soit de réflexion. D'un point de vue spinoziste, on pourra toujours se dire que tous les chemins mènent à la béatitude, puisque la puissance de penser et de s'étendre est partout, immédiatement. L'important est que partant des connaissances mutilées, on avance au lieu de tourner en rond, voire reculer, qu'on ne vienne pas ici pour en ressortir avec une connaissance encore plus mutilée de Dieu, de soi et des choses.

Sur les termes principaux, s'il ne s'agit pas dans ce sujet d'envisager un débat fondamental sur le sens de chacun d'entre eux (ce qui n'empêche pas d'en parler ailleurs), mais bien d'avoir des définitions opératoires.
a) éthique : ensemble de règles concernant le comportement humain dont l'application devrait garantir un effet indirect ou direct désirable par tout homme. L'effet est indirect pour les éthiques conséquentialistes (dites aussi de la responsabilité) : être vertueux pour obtenir le plus grand bonheur pour tous, le plus de plaisir et le moins de douleur possible. L'effet est direct pour les éthiques déontologistes (dites aussi de la conviction) : être vertueux parce que c'est bien de l'être, juste pour être vertueux.
b) éthique spinoziste : ces règles visent la béatitude mais la béatitude est dans la vertu même (E5P42), ce qui en fait un déontologisme. Ce qui permet la béatitude, c'est-à-dire de vivre et d'agir toujours content de soi, c'est la connaissance intuitive de soi et des choses dans leurs rapport aux attributs de la substance mais aussi la connaissance des affects qui déterminent notre façon de vivre et d'agir, pour éviter ceux qui conduisent au mécontentement de soi et favoriser ceux qui conduisent au contentement.
c) Une discussion est la mise en question de jugements quelconques, leur problématisation, c'est-à-dire le fait de chercher si on ne peut pas légitimement penser le contraire en vue d'arriver à s'entendre, au moins entre intervenants, sur ce qui ne peut être discuté, l’indubitable. Sans recherche claire de la vérité, la discussion vire au bavardage, au verbiage qui dérivent ensuite encore plus facilement à la médisance. En soi, la discussion implique une suspension du jugement qui peut être considérée comme un exercice spirituel préparant à la béatitude, qui est une conscience intuitive de l'être dans laquelle le sujet est immédiatement identique au prédicat. La discussion peut aussi être opposée à la propagande, qui n'accepte l'autre que comme auditeur passif, susceptible uniquement d'adhérer à la position défendue qui ne peut donc pas réellement être discutée. La véritable discussion implique un dialogue qui s'oppose aussi au monologue.
d) forum : lieu de discussion, soumis à certaines règles formelles, pour permettre à un maximum d'assistants de participer et s'efforcer non de maintenir la valeur éthique de leurs intentions (cela ne peut guère relever que d'eux-mêmes) mais le comportement minimal requis dans leurs interventions pour maintenir une vraie discussion. Que ce lieu soit physique ou comme on dit "virtuel", (je préfère opposer tangible et numérique) cela ne change pas grand chose à ce qui fait principalement obstacle à l'aboutissement de la discussion : les préjugés, le mimétisme affectif qui fait autant qu'on désire le désir de l'autre que l'on refuse en l'autre ce qu'on refuse en soi-même, les passions en général. L'anonymat permet certes plus facilement de laisser libre cours aux passions offensives, comme la colère ou la vengeance mais en même temps cela limite beaucoup les passions défensives, comme la peur ou l'espoir, qui dans la vie tangible conduit les gens à tellement se cacher aux autres qu'ils en viennent à ne plus savoir eux-mêmes où ils sont, de sorte que les discussions y sont souvent très superficielles (voir aussi sur facebook, ce que ça donne souvent entre gens qui se connaissent effectivement dans la vie tangible).

Concernant la liste de règles, je rappellerai seulement la première que se donne Spinoza dans le TRE : "Mettre ses paroles à la portée du vulgaire et consentir à faire avec lui tout ce qui n'est pas un obstacle à notre but. Car nous avons de grands avantages à retirer du commerce des hommes, si nous nous proportionnons à eux, autant qu'il est possible, et nous préparons ainsi à la vérité des oreilles bienveillantes." On voit au passage, comme c'était dit par Vinciguerra, que ce qui peut paraître daté chez Spinoza concerne ce qu'il a du dire pour s'adapter à l'auditoire de son époque et donc qu'il ne peut que difficilement être question de parler à un auditoire universel. L'auditoire varie en fonction des lieux où il se rencontre et des époques. Même s'il ne les a jamais rencontrés, comme Blyenbergh, Spinoza ne parle pas exactement de la même façon à ses interlocuteurs, selon le style de leurs questions et de leur argumentation.

Je terminerai par faire remarquer qu'on pourrait envisager ce que pourrait être une éthique spinoziste aussi en la comparant avec ce qui en est ressorti entre Habermas et Appel :
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiq ... discussion

On pourrait essayer de résumer cela :
Sachant qu'une discussion vise à établir des vérités c'est-à-dire des règles (des jugements valables en général)
1. Il ne faut pas discuter avec quelqu'un qui nie les principes de la logique (d'identité, de non-contradiction, de tiers exclu).
2. Seules peuvent prétendre à la validité les normes susceptibles de rencontrer l'adhésion de tous les intéressés en tant que participants d'une discussion pratique (= sortir du solipsisme transcendantal pour entrer dans l'intersubjectivité).
3. La recherche du bien humain implique qu'il faut prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée ;
4. Pour éviter le solipsisme (ou ce qu'on pourrait appeler la propagande qui ne discute pas mais assène) il faut tenir compte des jugements que lesdites personnes posent sur la norme (= discuter et ne pas monologuer).

Bien que cela soit surtout d'inspiration kantienne, cela ne me semble pas fondamentalement opposé à une approche spinoziste, et même, cela découlerait encore mieux de Spinoza que de Kant à mon avis.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 30 mai 2015, 15:38

A Henrique

1) L’utilisation du terme « mystique » à propos de Spinoza risque de brouiller les idées compte tenu de ses multiples acceptions dans diverses religions et spiritualités.
C’est surtout la célèbre phrase du scolie d’E V 23 qui a donné naissance à l’idée d’un Spinoza mystique : « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels ». Commentant cette phrase, Vinciguerra écrit :

« Le sentiment de notre éternité n’est pas présenté comme une expérience hyperbolique, extraordinaire, encore moins mystique ».

Cela fait partie du texte que je vous ai déjà envoyé en :

viewtopic.php?f=14&p=21592&sid=ae1f404e0e07f1b11edfdd7037a8076a#p21592

2) Vous écrivez :

« Ce sont seulement les mots, auxquels par leur imagination et leurs passions ils donnent des sens différents, qui les séparent »

Le scolie d’E II 47 qu’a rappelé NaOh va en sens inverse :

« Et de là (du mauvais usage des mots) viennent la plupart des controverses, je veux dire de ce que les hommes n'expliquent pas bien leur pensée et interprètent mal celle d'autrui au plus fort de leurs querelles ; ou bien ils ont les mêmes sentiments, ou, s'ils en ont de différents, les erreurs et les absurdités qu'ils s'imputent les uns aux autres n'existent pas. »

C’est le mauvais usage des mots qui engendre les passions par lesquelles les hommes sont contraires les uns aux autres (E IV 34), c’est-à-dire séparés les uns des autres.
Ceci est cohérent avec E III 3 (les passions dépendent des seules idées inadéquates), si l’on admet que le mauvais usage des mots rend nos idées nécessairement inadéquates.

3) Nous sommes pris dans des passions qui, comme rappelé ci-dessus, dépendent des seules idées inadéquates, c’est-à-dire de l’imagination, connaissance du premier genre (E II 41)
Mais il faut rappeler que Spinoza distingue deux sortes d’imagination, selon que « nous imaginons simplement » (simpliciter imaginamur) (E V 5 dém.) ou que « nous imaginons plus distinctement et avec davantage d’énergie » (distinctius et magis vivide imaginamur) (E V 6 sc.)
La question n’est donc pas celle de l’« ablation » de l’imagination mais de son perfectionnement.

4) Si l’auditoire universel, c’est « L’ensemble de ceux qui sont considérés comme des hommes raisonnables et compétents en la matière. », il est clair que l’orateur universel n’existe pas. Mais ce n’est pas une raison pour penser que la notion d’auditoire universel n’a pas d’intérêt. Avoir présent à l’esprit qu’en s’adressant sur un forum à tel interlocuteur particulier, on s’adresse également à tous les lecteurs potentiels ne peut qu’élever le débat et c’est, aussi, garder un œil sur ses passions.

Je lis la suite.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 30 mai 2015, 16:40

A Henrique

Je poursuis la lecture.
Quelques brèves remarques car je suis d’accord sur l’essentiel.

1) Dans votre définition du mot « éthique », j’entendrais plutôt « vertueux » au sens de Spinoza ou de Machiavel (virtù).

2) Votre définition de l’« éthique spinoziste » dans laquelle vous juxtaposez connaissance des affects, d’une part, et connaissance intuitive de soi et des autres, d’autre part, évoque le problème de l’articulation de ces deux connaissances. Spinoza traite de la première dans la première moitié de la partie V de l’Ethique et de la seconde dans la seconde moitié.
Ce problème mériterait d’être discuté sur un autre fil.

3) Vous écrivez que « la discussion implique une suspension du jugement » qui est un point que j’aimerais approfondir en lien avec l’épochè des Sceptiques grecs.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Henrique » 30 mai 2015, 21:16

A Vanleers,
1) Vinciguerra utilise le mot mystique dans la première acception que j'en avais donnée. En ce sens, rien de mystique chez Spinoza. Dans le deuxième sens, que Vinciguerra ignore manifestement, le 3ème genre est évidemment mystique. On retrouve là une difficulté évoquée dans le point suivant : si on ne tient pas compte des définitions qui sont proposées pour un terme et qu'on maintient celles qui nous conviennent, on ne peut se comprendre.
2) Entre ce que je dis "les mots... séparent" et ce que dit Spinoza "du mauvais usage des mots viennent les controverses", je vois éventuellement un peu plus de précision qu'il ne m'avait pas semblé utile de reprendre vu que cela venait d'être évoqué, mais certainement pas un sens inverse.
3) Bien sûr. La connaissance du troisième genre ne conduit pas à faire l'ablation de l'imagination. On peut s'efforcer de prendre le contrôle de l'imagination, en la soumettant aux règles de la raison et de l'intuition intellectuelle comme le montre effectivement E5 jusqu'à la prop. 10, mais cela n'élimine pas E4P4C.
4) Dans ce sens d'accord, comme acte de générosité consistant à prêter à ceux à qui l'on parle le pouvoir de raisonner et de comprendre ce qu'il en est des questions qu'aborde Spinoza, l'orateur universel serait celui qui s'efforce de faire passer sa raison avant ses passions. Cela n'empêche pas toutefois de prendre en compte, en sus de ces caractéristiques universelles les spécificités de l'intervenant auquel on s'adresse, puisque nous sommes dans un forum et non une revue.
5) J'entends par vertu cela aussi. Puissance de faire ce qui est bien, c'est-à-dire affirmation adéquate de l'effort de persévérer dans mon être. En fait, ce n'est pas forcément fondamentalement différent de ce que Kant appelle la bonne volonté à mon sens, mais c'est un autre débat.
6) Sur l'articulation des deux derniers genres de connaissance et ce qu'on pourrait appeler l'éthique externe de la raison et celle interne de l'intuition, il y aurait effectivement matière à un échange intéressant.
7) Le rapport entre épochè et discussion peut je pense être abordé ici, entre épochè et béatitude, ce serait aussi intéressant dans un autre sujet.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Krishnamurti » 30 mai 2015, 21:51

La raison c'est bien. Mais il faut surtout la perfectionner. C'est ce qui il y a de plus utile. :wink:
S'entendre sur des définitions c'est important, lire entre les lignes c'est mieux.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 31 mai 2015, 10:47

A Henrique

1) Il n’y a pas de problème si on est d’accord sur le sens des mots et c’est encore plus nécessaire pour un mot aussi redoutable que « mystique ».
Vous l’utilisez pour qualifier une expérience concrète, que je pense accessible à tous. C’est la chose qui est importante, plus que le mot.

2) Je continue à m’interroger sur votre point 2.
Spinoza démontre en E IV 34 que ce sont les passions qui rendent les hommes contraires les uns aux autres, donc qui les séparent.
Vous, vous dites qu’il n’y a que les mots qui les séparent.
Je ne vois pas comment articuler les deux thèses.

Je suis d’accord sur vos points suivants et ferai les remarques suivantes.

a) Dans l’adresse à l’auditoire universel, je verrais même plus qu’un sentiment de générosité et, l’infléchissant dans le sens de la définition qu’en donne Descartes, je parlerais de magnanimité.
« De la magnanimité dans les échanges sur un forum » : voilà un beau sujet !
Plus facile à énoncer qu’à mettre en application.

b) Comment s’articulent « l'éthique externe de la raison et celle interne de l'intuition », pour reprendre votre expression ?
Faut-il avoir déjà l’esprit suffisamment pacifié, grâce aux moyens mis en œuvre par la raison (propositions 1 à 20 de la partie V), pour que naisse le désir de poursuivre, par la connaissance du troisième genre (E V 28) ?
Ou n’y a-t-il pas au contraire une voie courte qui fait l’impasse sur la première phase et nous mène directement à la béatitude ?
J’ai pensé un temps que c’était possible mais je suis moins affirmatif aujourd’hui. Nous ne pouvons pas éviter de toujours reprendre le travail besogneux de modération des affects par la connaissance du deuxième genre, en particulier en mettant en œuvre l’« amoveo » d’E V 2 rappelé au début de ce fil.

c) Une façon d’aborder la question de la suspension du jugement dans la discussion pourrait être la suivante.
Ayant compris, grâce au corollaire d’E IV 4 (que vous signalez), que les hommes sont nécessairement toujours sujet aux passions, et ayant également compris, par E III 3, que qui dit passions dit idées inadéquates, nous prenons conscience que tout ce que nous écrivons et lisons est entaché d’inadéquation. Cela devrait relativiser les jugements que nous portons sur nous-même et sur les autres et même peut-être, les suspendre.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Krishnamurti » 31 mai 2015, 13:53

Si il y avait une autre voie, Spinoza ne dirait justement pas que le plus utile c'est de perfectionner la raison.

Ce qui est donc le plus utile, dans l'existence, est de perfectionner l'entendement, c'est-à-dire la Raison, autant qu'on le peut, et c'est en cela seul que consiste la plus haute félicité de l'homme, ou béatitude. Car la béatitude n'est rien d'autre que la satisfaction de soi elle-même, satisfaction qui naît de la connaissance intuitive de Dieu : or perfectionner l'entendement n'est également rien d'autre que comprendre Dieu


La Raison oui. Mais radicalement.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 31 mai 2015, 15:21

A Krishnamurti

Vous citez le début du chapitre 4 de l’Appendice de la partie IV de l’Ethique.
Dans la partie V, Spinoza va être beaucoup plus explicite mais ce qui est étonnant, c’est qu’il paraît y exposer deux voies successives que Henrique a désignées par « l'éthique externe de la raison et celle interne de l'intuition ».
Pierre Macherey parle de solution minimale et de solution maximale (Introduction… V p. 43).
Comment s’articulent concrètement, pour un individu donné, ces deux solutions : c’est la question que je pose.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Henrique » 31 mai 2015, 16:46

A Krishnamurti,
Lire entre les lignes, c'est souvent interpréter selon sa complexion plutôt que selon le contexte. De là les mauvaises intentions et les passions que nous prêtons souvent aux autres, non ? S'en ternir aux définitions admises ne permet-il pas d'éviter cela ?

A Vanleers,
1) La chose est plus importante que le mot, tout à fait. Mais les mots font partie aussi des choses qu'ils nous faut comprendre pour comprendre de quoi nous sommes faits. Ils ont leur importance. Historiquement, les mystères étaient les rites religieux réservés à certains initiés. Ces mystères étaient cachés aux non initiés mais pas aux initiés. On y révélait peut-être par exemple que les dieux n'étaient en fait que des symboles de réalités naturelles mais qu'il fallait présenter sous un autre jour à la population, qui n'en comprendrait pas la valeur. Quoiqu'il en soit, les mystes étaient réputés entrer en contact direct avec les dieux. Puis dans le christianisme médiéval (pas de mystères chez les apôtres), on s'est mis à parler de mystères à propos d'articles de foi qu'il fallait admettre sans, voire contre la raison même, par exemple le fait que le Père pouvait être la même personne que le Fils et que le St Esprit. Dès lors il y a deux sens à mysticisme : entrer en contact direct avec le divin ou bien admettre des idées contraires à la raison. Mais dans le premier sens, entrer en contact direct avec le divin est loin d'être nécessairement contraire à la raison. Seulement, par un amalgame historique d'idées, on aura vite fait d'imaginer que toute affirmation d'entrer en contact direct avec le divin est irrationnelle. On rejettera d'un bloc toute littérature ou enseignement "mystique" oriental ou occidental, avec la bonne conscience d'être un zélateur des Lumières contre l'obscurantisme. En fait de rationalisme, on aboutit alors surtout à beaucoup d'arrogance et d'ignorance.

2) Je comprends mal votre incompréhension. Nous parlions de discussions où règne la discorde. Dans ce cas, ce sont seulement les mots ou plus précisément leur mauvais usage qui comme le dit Spinoza conduisent aux controverses et aux querelles, seulement les mots et pas les idées qui ont toutes leur positivité à des degrés divers (E4P1). Les controverses ou les querelles sont des formes verbales des passions de colère et de désir de vengeance. Donc ce sont les mots dans leur usage imprudent qui donnent lieu à des idées inadéquates, c'est-à-dire incomplètes, qui engendrent les passions. Je ne vois pas où est notre désaccord.

3) Un principe important d'éthique spinoziste de la discussion serait en effet de s'abstenir le plus possible de juger ses interlocuteurs dans le cadre des débats qu'on peut avoir avec eux, en mal et même en bien, même s'il ne s'agit pas de tomber dans une froideur mécanique. S'en tenir le plus possible à l'échange sur les textes écrits tant qu'ils manifestent une certaine recherche de la vérité.

Comme vous avez lancé ce fil, ne pourriez vous pas, quand vous estimerez que le moment en sera venu, rassembler les principes d'une éthique spinoziste de la discussion qui ont semblé faire consensus en une seule liste qui certes pourrait encore être discutée mais qui marquerait la progression de notre réflexion ?


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