Pour une éthique spinoziste de la discussion

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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NaOh
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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 03 juin 2015, 15:14

A Vanleers et aux autres,

J’aimerais revenir sur l’article de l’article de Guy Bouchard qui a été posté au début de ce fil de discussion et sur la notion d’ « auditoire universel » que ce dernier y examine.

J’ai été très intéressé par la notion de « pétition de principe potentielle » mise en contraste avec la notion de« pétition de principe effective », pour répondre à la question que pose l’article : « le recours à l’auditoire universel implique-t-il une pétition de principe ? ».

Pour ceux qui n’auraient pas lu l’article quelques précisions s’imposent : Guy Bouchard retient que pour Perelman (l’auteur dont la thèse est examinée) la pétition de principe n’est pas une faute de logique mais une faute proprement rhétorique. Elle consiste pour un orateur à présupposer que son auditoire admet une prémisse nécessaire à son argumentation, prémisse que l’auditoire n’admet en réalité pas du tout.

Cela étant posé on voit l’enjeu de la question de G.Bouchard : celle de savoir si le recours à l’auditoire universel implique oui ou non une pétition de principe au sens précédemment défini.

Car,

1) « L’auditoire universel » auquel l’orateur (le philosophe) prétend s’adresser est l’ensemble « des hommes raisonnables et compétents en la matière » ( comme l'a mentionné Vanleers)

2) L’auditoire universel ainsi défini est nécessairement un auditoire fictif une « construction mentale » de l’orateur et non un auditoire réel.

3) Donc le philosophe (l’orateur qui prétend s’adresser à l’auditoire universel) est toujours nécessairement en situation de commettre une pétition de principe. En effet, son auditoire étant fictif il ne peut pas savoir si les prémisses sur lesquelles reposent son argumentation sont effectivement acceptées ou non par l’auditoire en question.

Ce risque G.Bouchard le nomme « pétition de principe potentielle » et il argumente en faveur de l’idée que l’orateur doit s’essayer à « tester » sa propre adresse à l’auditoire universel, pour vérifier si oui ou non il passe de la pétition de principe potentielle ( inhérente à l’argumentation qui a pour destinataire l’auditoire universel) à la pétition de principe effective, moyennant quoi il doit revoir son argumentation.

Ce qui, dans cet article, est plus spécifiquement intéressant dans la perspective du sujet de ce fil, est une petite remarque incidente de Perelman citée dans l’article au sujet du statut du rationalisme classique qui s’appuie toujours plus ou moins sur la notion d’évidence rationnelle. C’est bien sûr le cas de Spinoza avec son affirmation que la vérité est « index sui », norme d’elle-même et du faux.

Mais cet appel à « l’évidence » ne coupe-t-il pas le philosophe (en l’occurrence classique) de tout moyen de « tester » son adresse à « l’auditoire universel » ? Ne risque-t-il pas éminemment la « pétition de principe effective » ?

Mon idée est que dans un forum consacré à la philosophie de Spinoza, nous nous constituons comme échantillon effectif de « l’auditoire universel », à même de vérifier si le philosophe qui nous concerne ici, commet ou ne commet pas cette « pétition de principe effective ».
Modifié en dernier par NaOh le 07 juin 2015, 11:42, modifié 1 fois.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 04 juin 2015, 11:31

A NaOh

Vous posez des questions auxquelles il est difficile de répondre.

1) L’auditoire d’un intervenant sur le forum est constitué des quelques autres intervenants qui ne répondront pas forcément à ce qu’on écrit et de tous les lecteurs qui ne se manifesteront jamais.
Dans ces conditions, comment vérifier réellement si l’on est passé de la pétition de principe potentielle à la pétition de principe effective, auquel cas, comme vous le rappelez, il faudrait revoir son argumentation ?
Que penser du principe que Spinoza énonce dans le TRE :

« Rester à la portée des gens ordinaires [Ad captum vulgi loqui], tant en parlant qu’en opérant tout ce qui ne crée pas d’empêchement à ce que nous atteignions notre but. Car le profit que nous pouvons tirer des gens ordinaires n’est pas mince, pourvu que nous acceptions de nous mettre à leur portée, autant que faire se peut ; ajoute que de cette manière, amies seront les oreilles qu’ils prêteront à l’écoute de la vérité. » (§ 17)

2) L’appel à l’« évidence » n’est pas sans problème et Popper a dénoncé les méfaits de la doctrine, selon lui erronée, du caractère manifeste de la vérité. Il écrit (Des sources de la connaissance et de l’ignorance – Rivages poche 1998) :

« J’appelle doctrine du caractère manifeste de la vérité, comme vous le savez déjà, cette conception optimiste qui veut que la vérité, dès lors qu’elle est dévoilée dans sa nudité, soit toujours reconnaissable comme telle. » (p. 34)

Il ajoute :

« Mais comment se peut-il que nous tombions dans l’erreur dès lors que la vérité est manifeste ? La raison est à chercher dans notre refus coupable de voir cette vérité, pourtant manifeste, ou dans les préjugés que l’éducation et la tradition ont gravés dans notre esprit, ou encore dans d’autres influences pernicieuses qui ont perverti la pureté et l’innocence originelles de notre esprit. L’ignorance peut être l’ouvrage de puissances qui conspirent à nous maintenir en cet état, à contaminer notre esprit en y faisant pénétrer la fausseté ainsi qu’à nous aveugler pour nous empêcher de voir la vérité manifeste. Ce sont par conséquent ces préjugés et ces puissances hostiles qui constituent les sources de l’ignorance. » (pp. 35-36)

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 04 juin 2015, 14:01

A Vanleers,

Il est vrai que je me suis un peu écarté du sujet (qui concerne une éventuelle éthique spinoziste de la discussion), pour évoquer l'attitude qu'il convient ou non d'observer envers la philosophie de Spinoza elle-même dans nos échanges. Vous vous posez des questions relatives à l'auditoire du forum ce qui est autrement compliqué...

Les extraits de Popper que vous produisez sont en effet assez évocateurs des topoï du grand rationalisme.

Enfin concernant le style je m'accorde en tout point avec ce que dit Spinoza dans le traité de la réforme de l'entendement. Je pense aussi avec Locke que la langue philosophique doit "quand elle se montre en public, avoir la complaisance de paraître ornée à la mode du pays" (ce qui inclut chez lui le vocabulaire des facultés, bien qu'il en rejette l'usage Scolastique-cela étant dit pour rappeler un petit débat que nous avons eu)

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 04 juin 2015, 15:38

A NaOh

Me considérant comme faisant partie de ces gens ordinaires auxquels Spinoza fait allusion dans le passage du TRE cité dans mon précédent post, je ne puis que constater qu’il a essayé de se mettre à ma portée.
Il a toujours cherché à être le plus clair et le plus simple possible, en particulier dans l’Ethique, où il use d’un mode d’exposition géométrique.
Je dirai donc qu’il a bien visé l’auditoire universel et qu’il n’a pas commis de « pétition de principe effective », au sens où vous l’entendez.
Quel dommage qu’il n’en soit pas de même pour tous les philosophes. Je pense en particulier à Deleuze, clair et intéressant à l’oral dans son cours sur Spinoza et aussi dans son petit « Spinoza : Philosophie pratique » mais si abscons (à mes yeux en tout cas) dans d’autres ouvrages que j’ai cherché, en vain, à comprendre.

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar aldo » 04 juin 2015, 18:49

Vanleers a écrit :Deleuze, clair et intéressant à l’oral dans son cours sur Spinoza et aussi dans son petit « Spinoza : Philosophie pratique » mais si abscons (à mes yeux en tout cas) dans d’autres ouvrages que j’ai cherché, en vain, à comprendre.

Deleuze veut sortir de la représentation, et aussi d'une certaine cuisine inter-conceptuelle qui s'y réfère. Il cherche donc à établir d'autres repères (qui correspondent si possible aux mouvements de la vie : tel territorialisation et déterritorialisation par exemple, qui illustrent ceci à merveille). C'est tout un langage qui est ainsi mis en place (peut-être encore plus que chez d'autres philosophes).
Un langage qui, pour ma part, m'est bien moins étranger que le spinozien que je lis ici. Moi j'essaie de le retranscrire en termes simples (enfin ce que j'en comprends), mais ici, il n'y a pas de dictionnaire Spinoza-français et c'est bien dommage...
Ceci dit, c'est souvent atrocement compliqué pour peu qu'on n'ait pas une familiarité, ou encore certaines affinités avec cette façon de voir les choses (et même quand, comme moi, on prétend l'avoir).
Et cette familiarité, on peut s'en faire une idée avec bien sûr l'abécédaire mais aussi le petit livre d'Entretiens avec Claire Parnet, qui aborde bon nombre de thèmes deleuzien avec beaucoup de simplicité, et qui est vivement à conseiller.

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 05 juin 2015, 17:49

Dans le cadre d’une réflexion sur l’« auditoire universel », interrogeons-nous sur les motivations et les attentes des utilisateurs d’un forum spinoziste.
Dans le prologue du TRE, Spinoza décrit la crise existentielle qu’il traversa et sa recherche d’un « bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine » (§ 1)
Dans ce prologue, Spinoza ne souligne que deux fois une expression : « je résolus enfin » (§ 2) et « pourvu que je pusse délibérer sérieusement » (§ 10)
On fera l’hypothèse qu’un certain nombre d’utilisateurs du forum se sont résolus, eux aussi, à se tourner vers la philosophie de Spinoza pour une vie plus heureuse et ont compris la nécessité de réfléchir sérieusement.
On peut parler de « conversion » et Lorenzo Vinciguerra, en introduisant le récit de Spinoza, écrit :

« Aussi se convertir revient-il d’abord à se départir des faux biens que nous poursuivons comme des vrais, tout en apprenant à connaître son véritable désir grâce aussi au mal qu’on se donne du fait d’un effort encore hésitant.
Une fois amorcée, la libération éthique progressera à mesure que l’objet qui réalise pleinement ce désir aura été mieux connu et davantage aimé. Aussi cette décision pour une nouvelle vie trouve-t-elle sa voie moins sous l’effet d’un renoncement, qui ne va jamais sans quelque regret, que par l’approfondissement et l’accroissement de la connaissance et l’amour pour l’objet qui fait vivre et alimente le désir lui-même. Le récit vérifie dans le concret d’un vécu la loi qui sera formulée plus tard dans l’Ethique, selon laquelle un affect ne peut être vaincu que par un autre affect plus puissant. » (op. cit. p. 36)

Il resterait à déterminer les principes éthiques en phase avec la démarche de ces utilisateurs du forum.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 05 juin 2015, 20:40

A Vanleers,

J'avoue avoir un intérêt de type "conceptuel" pour Spinoza.

Me demande-t-on de changer de vie?

Je le ferai certainement si j'y trouve un "intérêt conceptuel"

Bien à vous.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar Vanleers » 05 juin 2015, 22:01

A NaOh

J’ai réagi, sur un autre fil, à votre remarque sur l’« intérêt conceptuel ».
Vous posez la question :

« Me demande-t-on de changer de vie? »

Si vous changiez de vie, ce ne serait certainement pas à la suite d’une libre décision de votre part.
Dans le prologue du TRE, Spinoza écrit « Je résolus enfin de rechercher… » mais L. Vinciguerra commente :

« Pourtant, à aucun moment la conversion philosophique n’apparaîtra comme étant le fruit d’une décision libre de l’âme, d’un pari ou encore d’un saut auquel l’esprit serait tenu sans raison. Le récit de cette crise est tout à la fois celui du cheminement qu’elle engendre et du dénouement qu’elle prépare. » (op. cit. p. 35)

Bien à vous

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 07 juin 2015, 12:38

NaOh a écrit :Je le ferai certainement si j'y trouve un "intérêt conceptuel"
si je peux me permettre ... tu ne le sais pas à l'avance.
L. Vinciguerra est cité fort à propos.
Changer de vie d'abord et après estimer le pourquoi on a changé de vie ( si le pourquoi intéresse encore )
et pas l'inverse.
Disons qu'une argumentation conceptualisée pourrait éventuellement te faire changer de vision conceptuelle du monde ... mais pas de forme forme de vie.
Laquelle serait toujours la forme de vie on l'on croit qu'une argumentation conceptuelle peut nous faire changer de forme de vie.

amicalement (néanmoins)

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 07 juin 2015, 14:59

A Hokusai,

1) C'était un peu de la provocation.

2) Il y a une proposition de l'Ethique que je ne suis pas certain de vraiment comprendre à ce jour, mais qui m'intéresse au plus haut point. La voici: Nous ne tendons par la raison à rien autre chose qu'à comprendre, et l'âme, en tant qu'elle se sert de la raison, ne juge utile pour elle que ce qui la conduit à comprendre. ( IV 26) La connaissance n'est pas différente de la vertu, laquelle à son tour n'est pas différente de la joie. Voilà une série étonnante! La bible dit en sens contraire (Ecclésiaste) "qui accroit sa science accroit sa douleur"

Bien à vous.


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