La libération spinoziste

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Silvertongue
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La libération spinoziste

Messagepar Silvertongue » 08 juin 2005, 18:11

Puisque c'est mon premier message, je me permets de me présenter un peu : ayant fait (et faisant toujours d'ailleurs) des études de philosophie, j'ai découvert Spinoza, il y quelques années déjà, par son Ethique (seul ouvrage du philosophe dans lequel je me repére à peu près).

Bien que l'Ethique ait été durant plusieurs années un des livres que je prenais avec plaisir lorsque les circonstances menacaient de me vaincre totalement mon conatus, il y a une question cruciale à la compréhension de l'Ethique à laquelle je n'ai jamais trouvé de réponse à la fois valable, concrète et satisfaisante, malgré la lecture de quelques commentateurs : de la nécessité de la nature de Dieu suivent tous les effets concevables par un entendement infini. La nécesité ne se trouve donc pas seulement au niveau de la nature naturante mais bien aussi au niveau de la nature naturée. Du coup il semble que l'on doive admettre que tout dans la nature naturée est déterminé, et que, pour prendre un exemple canonique, il est nécessaire que demain une bataille navale ait lieu ou pas (même si du point de vue du mode fini qu'est l'homme, cette nécessité reste voilée et prend le nom de contingence). Bref, pour le dire très abruptement, la philosophie de Spinoza me semble être déterministe de part en part. Dans ce cadre quelle peut être la place de la libération à laquelle Spinoza nous engage. Je sais que Spinoza combat de façon assez indiscutable le stoïcisme, donc la liberté du sage ne saurait seulement consister en "changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde" (Descartes).

J'ai bien conscience que c'est tout le spinozisme qui est engagé dans cette question, mais j'aimerais vraiment avoir votre façon de comprendre ce problème.
Modifié en dernier par Silvertongue le 22 juin 2005, 22:08, modifié 1 fois.

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merkar
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Messagepar merkar » 08 juin 2005, 20:36

Bonjour,

Bien que votre question soit passionnante je ne me sens pas de tenter d'y répondre vraiment dans l'espace d'un forum, mais cela dit:
il me semble que la réponse est plutôt à chercher du côté de la libération qu'apporte la compréhension des choses. Le sage ne subit plus le monde, sa compréhension le libère du pâtir.
Spinoza exprime cela en quelque sorte dans une de ses lettres à Guillaume de Blyenbergh:

"Les méchants n'ignorent-ils pas l'amour qui naît de la connaissance de Dieu, et au moyen duquel, selon les forces de l'intelligence humaine, nous sommes, pourrait-on dire, les servants de Dieu? Bien plus du fait qu'ils ne connaissent pas Dieu, les méchants ne sont qu'un instrument dans la main de l'Ouvrier, ils ne le servent qu'à leur insu et ils se détruisent en le servant, alors que les justes le servent consciemment et réalisent, en le servant, une perfection plus grande" (lettre XIX)

Ainsi la connaissance du troisième genre est une libération des servitudes et un accroissement de liberté et de perfection par la connaissance de Dieu:

"Plus chaque chose a de perfection, plus elle agit, et moins elle est passive; inversement, plus elle agit, plus elle est parfaite" (Ethique, V, XL)

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hokousai
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Messagepar hokousai » 08 juin 2005, 23:31

à Silvertongue

La nécéssité n'implique pas la détermination .Ou bien dit autrement il y a une manière de penser la nécessité qui n’implique pas en elle l’idée de détermination .
La détermination est liée à la causalité , la nécessité pas obligatoirement .
Ce qui présuppose qu' une idée( en général ) n’est pas obligatoire ou plutôt qu’il n y a pas de détermination unique, univoque stricte d'une idée .
L’idée de matière ( par exemple ) n’est pas la même chez un aristotélicien et chez un Spinoziste, ni pour un kantien ou un Marxiste , encore différente de l’idée ordinaire de matière .
Le dictionnaire( philosophiques ou pas )sont des dogmatiques pragmatiquement utile .

Mais l’idée elle , l’idée philosophique naît vit ( et meurt ) de sa propre vie d' idée et ne suis pas rigoureusement les règles éthiques en vigueur ni mêmes les règles du langage, ni aucune a vraie dire .

Ainsi de l'idée de nécessité laquelle n’implique pas chez tout philosophe la détermination .Car si l’idée de nécessité est celle de Dieu ou des choses comprises sous une espèce d’éternité elle n'est pas déterminée .Elle est la seule de nos idée qui ne le soit pas .C’est une idée que l’éternité enveloppe .( ou bien dirait Spinoza qui enveloppe l’éternité )

Maintenant ,savoir chercher la différence entre les deux formulations .

hokousai

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Louisa
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Messagepar Louisa » 09 juin 2005, 02:59

Bienvenue Silvertongue,

pour pouvoir répondre à votre question, je crois qu'il faut bien avoir compris ce que c'est que l'essence et la connaissance du 3e genre chez Spinoza (puisque c'est par là que passe par excellence toute libération). Comme je ne suis pas du tout dans ce cas, je ne peux qu'indiquer où j'en suis actuellement.

Je dirais que chez Spinoza, en effet la liberté ne s'oppose pas à un déterminisme. J'ai l'impression que la mesure dans laquelle je pourrai être libre, ou devenir plus (ou moins) libre dans la durée de vie qui est la mienne, est, sub specie aeternitate, tout à fait déterminée. Il faut donc définir la liberté autrement qu'en l'opposant à une nécessité. La liberté se trouve au sein même de cette nécessité, dans le sens où à chaque fois que je n'agis déterminé que par la nécessité de mon essence seule, je suis, par définition (spinoziste), libre. Dès qu'il y a (également) une cause extérieure qui me détermine à cet acte, et que je n'agis plus seulement par la nécessité des lois de ma propre nature, je ne suis plus libre, mais 'contraint' (Spinoza écrit 'co-acta', je suis donc co-agi.)
La liberté serait donc une question d'agir seul', opposé à la contrainte où mon acte est causé par ma propre nature ENSEMBLE avec la nature d'un corps extérieur au mien.

D'ailleurs, à mon avis il n'est même pas nécessaire de se trouver au niveau de la connaissance du 3e genre pour agir librement. Il suffit d'avoir une idée adéquate. Donc même dans la connaissance du 2e genre on peut déjà être libre. Deleuze donne l'exemple d'apprendre à nager. Dans la connaissance du 1e genre, on subit la vague ('tantôt la vague me gifle, tantôt elle me porte'). Mais dès que mes rapports se composent avec ceux de la vague, je ne risque plus d'être supprimé dans mon existence, au contraire, je peux même traverser l'eau pour arriver pe à un bateau et être sauvé. La mer et mon corps forment un nouveau Individu. Individu dont j'ai une idée adéquate. Et je peux utiliser la rencontre entre moi et la vague pour augmenter ma puissance d'agir, et pour perséverer dans mon être. Là, je suis libre.

Donc: pour être libre, il ne faut donc pas forcément 'être' seul. Il suffit de 'causer' seul, d'être la seule cause. On peut bien agir ensemble avec un corps extérieur et être libre. Mais il faut que la cause de l'acte se situe dans ma propre nature. Autrement dit, il faut que j'ai une connaissance adéquate du rapport qui caractérise ce corps, quand j'agis ensemble avec lui, d'une telle manière qu'il ne m'affecte plus 'selon l'ordre commun de la nature', mais bien selon mon propre rapport à moi. Il faut que le corps extérieur ne me contraint pas, ne m'oblige pas à agir de telle ou telle manière (que la mer ne m'oblige pas de faire ceci ou cela), mais que je sais rencontrer ce corps quand et comme cela m'arrange, moi, c'est-à-dire, que je sais utiliser ce corps pour augmenter ma propre puissance d'agir.
Mais : tout cela n'empêche pas du tout que le fait de me noyer ou d'être sauvé soit nécessairement déterminé.

Donc: pour penser une liberté au sein d'un déterminisme moniste, il faut à mon avis nécessairement la penser autrement qu'en l'opposant au fait d'être déterminé. Il faut pe commencer par distinguer de différentes sortes de causes, celles qui causent nécessairement un acte 'libre' (où c'est moi-même qui a organisé la rencontre qui m'affecte et qui me fait éprouver de la Joie) et celles qui causent nécessairement un acte 'contraint' (où c'est la nature qui n'a rien à voir avec mon essence qui cause une rencontre fortuite, rencontre qui ne garantit en rien que cela va m'aider dans mon conatus à moi).

Mais il est sans doute possible de penser cette liberté spinoziste de manière beaucoup plus articulée que ce que je viens d'écrire ici. Car enfin, qu'est-ce que c'est que de ne pas être contraint à agir par un corps extérieur, mais seulement par sa propre nature? Cela reste pour moi assez obscure. Comme déjà dit, il faudrait mieux comprendre ce que c'est que cette notion de 'nature' ou essence (voir notamment d'autres endroits sur ce site).
Bonne nuit,
Louisa

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Silvertongue
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Messagepar Silvertongue » 10 juin 2005, 17:26

Je vous remercie de vos réponses.

Sans aucun doute, "Tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare".

azanco
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Messagepar azanco » 20 oct. 2005, 21:59

Bonjour je m'appelle azanco et je suis un nouvel inscrit. J'ai étudié l'Ethique de Spinoza et je suis là pour discuter de la grandeur de ce chef-d'oeuvre, mais aussi pour chercher à en tirer ave vous des applications pratiques. En fait comment réussir à appliquer l'enseignement de l'Ethique à nos problèmes personnels? Je suis actuellement sous l'emprise d'accès de colère qui reviennent périodiquement en m'aveuglant compètement et en jetant dans l'anxiété et la panique toute ma famille (je suis marié et père d'une enfant). J'avoue que j'ai essayé de nombreux remèdes mais tous ont échoué et je me suis souvenu de mes lectures de Spinoza et de ce qu'il affirme au sujet de la servitude de l'esprit humain dans la partie IV. Ce que je n'arrive pas à faire c'est d'appliquer certains de ses principes à ma vie. Probablement quelques-uns parmi vous ont eu le mEme souci. Pourquoi ne pas ouvrir un forum sur l'application pratique de Spinoza?

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Messagepar Pourquoipas » 21 oct. 2005, 10:49

,,,
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Messagepar azanco » 21 oct. 2005, 13:58

Merci à pourquoipas pour sa réponse et ses suggestions très utiles. Quelqu'un d'autre voudrait-il participer à ce débat? Non pas pour faire une séance collective de psychothérapie au sujet de nos souffrances personnelles, mais pour montrer comment le message de l'Ethique peut concrètementn ous aider à surmonter les difficultés de notre vie quotidienne. J'avoue que je ne peux plus vivre ainsi avec une colère et un ètat d'anxièté qui m'empeche de vivre une vie sereine, et je cherche une issue à tout cela.

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sescho
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Messagepar sescho » 21 oct. 2005, 19:28

Bonjour,

Pour moi, rien que la base première de l'Ethique est - et c'est heureux - d'un pouvoir curatif immense : tout est nécessaire, tout se fait suivant les lois éternelles de la Nature et donc le libre-arbitre n'existe pas.

Note : essayer de prendre conscience de l'origine de la colère, par exemple (souvent des peurs), peut quand-même être utile.

De vivre la pleine conscience de cette réalité et de ses implications - et non seulement en théorie : deuxième genre de connaissance très inférieur au troisième - suffit à mon sens à beaucoup.

Mais, de fait, c'est très très rare :

- Je confonds intention et intention libre : celui-ci (si tant est que je n'invente pas l'intention même) me veut du mal ; je considère qu'il en est coupable ; sous-entendu : il l'a fait dans son libre-arbitre, et donc dans son absolue responsabilité. Pour prendre un développement spinozien, il est donc en toute conséquence auto-déterminé et donc substantiel (à se demander ensuite pourquoi je lui reproche quelque chose, puisqu'il se justifie de lui-même, etc.)

- En même temps, inévitablement (car c'en est clairement le pendant) : je me prends pour auteur absolument libre de mes actes et de leur valeur qui fait ma valeur, ou du moins qui feraient la grande valeur que je m'accorde, si plein de pauvres types (effectivement souvent mal intentionnés) ne venaient me mettre des bâtons dans les roues. Je me vexe, je me fâche, je me venge, j'agresse, j'ironise,... C'est, cette fois, à se demander pourquoi je ne décrète pas dans mon absolue liberté que tout ce que je fais sans exception est le bien suprême... Comme cela ne marche pas, il faut que je me compare : je suis grand si je vois plus petit que moi ; au besoin, j'en viens à faire l'opposé de la saine maxime : on ne s'élève pas en abaissant les autres, etc.

Est-ce que j'en veux à cet arbre de me boucher le passage? Est-ce que je l'admire et le jalouse d'avoir réussi à être aussi beau ?

Mais l'erreur est auto-reproductive ; elle contient en elle les conditions de sa propre pérennisation : l'ego se rebiffe et refoule en catastrophe l'idée (faussement) suicidaire : comment ! Je ne serais qu'un robot, MOI ! Insupportable !

Pourtant si l'on y réfléchit : est-ce que pour autant je n'existe pas, est-ce que je n'aime pas, est-ce la Nature en moi ne me commande rien ? Ne m'offre rien ? Non : la tumeur s'évanouit mais le plaisir reste. Que demander de plus ?

Je suis une "bulle de Nature". En tant que tel je suis absolument justifié tel que je suis, quoi que ce soit ; ni plus ni moins qu'une merde posée sur un bord de poubelle ou que Jésus, Lao Tseu, Bouddha, Einstein ou Spinoza, et encore tous ces "cons" et autres "malfaisants" qui sont eux-aussi, comme moi, "de la terre dans les mains du potier". Juste une question à me poser un fois ceci acquis : que m'invite donc à faire, en moi-même, cette Nature - le vrai Dieu - qui est la référence absolue et incontestable, la substance de mon être ?

Amicalement

Serge
Modifié en dernier par sescho le 22 oct. 2005, 09:16, modifié 1 fois.
Connais-toi toi-même.

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Messagepar Louisa » 21 oct. 2005, 20:06

Bonjour Azanco,

la question que vous posez me semble une question 'spinoziste' par excellence:

Azanco a écrit :Quelqu'un d'autre voudrait-il participer à ce débat? Non pas pour faire une séance collective de psychothérapie au sujet de nos souffrances personnelles, mais pour montrer comment le message de l'Ethique peut concrètementn ous aider à surmonter les difficultés de notre vie quotidienne. J'avoue que je ne peux plus vivre ainsi avec une colère et un ètat d'anxièté qui m'empeche de vivre une vie sereine, et je cherche une issue à tout cela.


Il suffit de lire le scolie de l'E2P49 pour s'en rendre compte :

Il reste enfin à indiquer combien la connaissance de cette doctrine sert à l'usage de la vie: (...) III. Cette doctrine est utile à la vie sociale, en tant qu'elle enseigne à ne haïr personne, ne mésestimer personne, ne se moquer de personne, ne se fâcher contre personne, n'envier personne. En outre, en tant qu'elle enseigne à chacun à être content de ce qu'il a, et à venir en aide à son prochain, non pas par une pitié de femme, ni par partialité ou par superstition, mais sous la seule conduite de la raison, selon que le réclament le temps et la chose (...).

Le but de Spinoza est donc explicitement d'enseigner comment ne pas être asservi par la colère (contre soi-même ou contre un autre), ou par l'angoisse.

Pour comprendre cet 'enseignement', le plus indiqué me semble de partir des définitions de la peur et de la colère.

E3 DEF DES AFFECTS 36:
La Colère est le Désir qui nous incite, par Haine, à faire du mal à celui que nous haïssons.

IDEM 39:
La Peur est le Désir d'éviter par un moindre mal un mal plus grand, que nous craignons

Aussi bien 36 que 39 renvoient à l'E3P39:

Qui a quelqu'un en Haine s'efforcera de lui faire du mal, sauf s'il a peur qu'en naisse un plus grand mal pour lui; et, au contraire, qui aime quelqu'un, par la même loi s'efforcera de lui faire du bien.

DEMO: Avoir quelqu'un en haine, c'est imaginer quelqu'un comme cause de Tristesse, et par suite qui a quelqu'un en haine s'efforcera de l'éloigner ou de le détruire. Mais, s'il a peur par là de quelque chose de plus riste, autrement dit (c'est la même chose) d'un plus grand mal pour lui, et s'il croit pouvoir l'éviter en ne faisant pas à celui qu'il hait le mal qu'il méditait, il désirera s'abstenir de faire du mal; et ce d'un effort plus grand que celui de faire du mal qui le tenait, et donc il prévaudra, comme nous le voulions.

SCOLIE: Par bien j'entends ici tout genre de Joie, et de plus tout ce qui y contribue, et surtout ce qui donne satisfaction au regret, quel qu'il soit. Et par mal tout genre de Tristesse, et surtout ce qui déçoit le regret. Nous avons en effet montré plus haut que ce n'est pas parce que nous jugeons que quelque chose est un bien que nous le désirons, mais au contraire que c'est ce que nous désirons que nous nommons un bien; par conséquent nous appelons un mal ce pour quoi nous avons de l'aversion; et donc chacun selon son affect juge ou estime ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est meilleur, ce qui est pire, et enfin ce qui est le meilleur et ce qui est le pire. (...) Au reste, cet affect qui dispose l'homme de telle sorte qu'il ne veuille pas ce que'il veut, ou bien qu'il veuille ce qu'il ne veut pas, s'appelle la PEUR, qui partant n'est rien d'autre que la crainte, en tant qu'elle dispose l'homme à éviter un mal, qu'il juge devoir se produire, par un mal moindre (...).


Donc: colère et angoisse sont apparemment pour Spinoza tout à fait liées, créant des cercles infernals où l'une renforce l'autre et ainsi de suite. Ajoutons-y encore l'E3P40 corollaire II:

Si quelqu'un imagine que quelqu'un, qu'il n'a jusqu'ici poursuivi d'aucun affect, lui a fait du mal par Haine, aussitôt il s'efforcera de lui rendre se mal.

Donc dès qu'on éprouve de la colère, on risque fort d'éprouver également de la peur, vu qu'on voudra faire du mal à quelqu'un, mais qu'il faut tout le temps essayer de prévoir si de ce mal n'adviendra pas un mal encore plus grand pour soi-même. Par contre, si on arrive à combattre la colère, le taux d'angoisse devrait en principe déjà diminuer également. Concentrons-nous donc surtout sur la colère, et sur la façon de l'éliminer ou, mieux encore, l'éviter.

Pour pouvoir appliquer le 'remède' à une situation concrète, il serait sans doute intéressant si vous nous décririez l'un ou l'autre exemple 'type' d'une situation de colère. En attendant, je crains qu'on ne peut que rester assez/trop abstrait.

En général, ce qui me semble une façon assez spinoziste et très efficace de combattre la colère (au point où elle ne se produit même plus, au lieu de devoir se limiter à la supprimer dès qu'elle arrive), c'est de penser au fait que le bien et le mal ne sont jamais des caractéristiques intrinsèques des choses ou des personnes, mais des évaluations 'subjectives', c'est-à-dire liées à la personne qui 'juge' bonne ou mauvaisel telle ou telle chose/personne. En plus, ces évaluations se font toujours sur fond d'un effort essentiel de perséverer dans son être et d'augmenter sa puissance d'agir ou son bonheur.

Or souvent, quand on se fâche, j'ai l'impression que ces deux idées, que je viens de décrire, ont très peu de 'présence' dans l'Esprit et le Corps de celui qui se fâche. Il faudrait donc les rendre plus présentes, et cela en les appliquant activement à la situation concrète. Dans mon expérience personnelle, s'exercer à faire cela est vraiment très efficace, et augmente réellement la Joie, mais il est probable que vous donner un exemple qui concerne ma vie à moi ne sera pas très parlant pour vous. Ce serait plus intéressant si vous pouviez nous donner d'abord un exemple d'une situation de colère qui vient de votre expérience à vous, avant de pouvoir montrer l'éventuelle 'efficacité' ou utilité de la doctrine spinoziste.
Bien à vous,
Louisa


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