Spinoza et la trivialité de la vie

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 26 févr. 2006, 17:56

Henrique a écrit :(...) La béatitude est un orgasme non spasmodique, donc illimité,

Spinoza, philosophie interdite au moins de 18 ans :mrgreen:

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hokousai
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Messagepar hokousai » 26 févr. 2006, 18:20

La béatitude est un orgasme non spasmodique, donc illimité


oui c'est ce qu'on dit

mais comme de cet état on n'en reviendrait pas (illimité)
donc qu'on en est pas revenu au cas où on y serait parvenu
difficile d'en parler .

hokousai :?:

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Henrique
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Messagepar Henrique » 26 févr. 2006, 19:13

On n'en revient pas parce qu'on n'y va pas, on y est déjà, il suffit d'en prendre conscience. Bien sûr le fait de parler d'orgasme comme Prajnapad (de mémoire : "le sage vit dans un orgasme permanent") peut prêter à des confusions. Le fait de préciser "non spasmodique" permet d'éviter la principale. Du coup, celui qui ne voit pas de quoi il est question et qui se limite à cette expression n'est guère avancé car il ne voit rien dans ce qu'il croit connaître de son expérience qui s'en rapproche. Mais justement l'expression était accompagnée d'un contexte, d'autres comparaisons qui tendent à l'idée d'un relâchement complet de toutes les tensions physiques ou mentales/affectives, qui de loin en loin peuvent donner une notion plus adéquate de ce qui est effectivement vécu par chacun sans l'avoir toujours assez clairement isolé.

Bon à part ça, faites quand même pas trop de tantrisme non plus avec votre corps ! :twisted:

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Messagepar Pourquoipas » 26 févr. 2006, 19:53

Bonjour Henrique et tous,

Henrique a écrit :(...)
Qu'est-ce donc au final qu'un spinoziste ? C'est d'abord celui qui désire vivre intensément et sans illusion : intensément parce que sans illusion, sans avoir besoin d'arrière mondes pour justifier l'être là ; sans illusion parce qu'intensément, la vertu de véracité s'appuyant sur le plaisir qui s'y trouve. C'est ensuite celui qui sait se satisfaire de ce désir, qui vit dans ce désir même et non dans un résultat qui le dissoudrait la condition même de sa satisfaction.


Je me permets quand même de me (et de vous) (re)demander si des gens comme Gilles de Rais, Francis Haulmes et autres serial killers ne répondent justement pas à tous ces critères... Et n'est-ce pas là la question fondamentale que quelqu'un comme le marquis de Sade poserait à Spinoza (ainsi que, d'une autre façon, Guillaume de Blyenbergh - Voir la très brutale lettre 23) ?

D'autre part – et ce n'est pas sans rapport avec ce que je viens de dire –, ne faudrait-il pas faire beaucoup plus attention qu'on ne le fait à la proposition V 41 (c'est-à-dire l'avant-dernière de l'Ethique) : « Même si nous ne savions pas que notre âme est éternelle, nous considérerions cependant comme le principal la piété, la religion et, de façon absolue, tout ce que nous avons montré se rapporter à l'animositas [courage, force, "désir de s'efforcer de conserver son être sous la seule conduite de la raison" - voir III 59 S -, etc.] et à la générosité dans la Quatrième Partie. » En effet, celui que j'appellerais volontiers le « héros spinoziste », qui meurt parce qu'il lui est impossible de ne pas être de bonne foi (IV 72, Dm et S) — et qui est le même que celui qui fuit le danger non par lâcheté mais pour fuir toute cause de mal (tristesse, haine, discorde, etc.) - voir IV 69, Dm, C et S —, il me paraît difficile de dire qu'une très grande partie de son âme n'est pas éternelle, même s'il l'ignore...

Au fond, est-il si important de savoir qu'une part de notre âme est éternelle ?

Portez-vous bien

JF

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Messagepar C162 » 26 févr. 2006, 22:50

..
Modifié en dernier par C162 le 26 août 2010, 12:58, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2006, 23:13

à henrique

Je pense que bardamu et moi même avions bien compris ,ce n’était qu’une petite pointe d' ironie sur votre formulation .
Encore que sur la béatitude il soit pour le moins assez difficile de se prononcer,.sans doute pour la raison suivante et que vous m’ énonceriez ainsi
« c'est quand on ne se prononce plus qu'on y est »..
oui peut- être ..

Le bouddhisme prétend que le travail de l’intellect ne suffit pas,mais après tout d'une certaine manière Spinoza le dit aussi .
Mais le zen par exemple est plus précis , il prétend que le travail de l’intellect est un empêchement , à tous le moins le travail conduit dans de certaines directions et à vrai dire c’est la métaphysique qu’il vise et non la science expérimentale . Le zen s’ attacherait donc à un travail empirique de l’intellect , travail sur le savoir des affects , mais d’une certaine manière Spinoza aussi .

Et si de nature (de naissance ) nous étions plus ou moins doué pour la béatitude ? Et pour certains pas doué du tout ?
VIvre dans la béatitude !!! Savez -vous que certains estiment cela ne plus vivre .

hokousai

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2006, 23:24

à C162
interpellé moi aussi par la phrase de pourquoi pas .

Je pense que la conscience de l’ éternité d'une partie de notre âme advient de surcroît .
C'est un peu comme la vertu chez Spinoza elle n'est pas source de béatitude mais l'effet de la béatitude (ou la béatitude même !!)

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Messagepar Pourquoipas » 27 févr. 2006, 07:31

Bonjour fraternel et matinal à C162, Hokousai et tous,

C162 a écrit :
ni moi ni Néron a écrit :Au fond, est-il si important de savoir qu'une part de notre âme est éternelle ?


Très original - un peu trop selon moi. Peux-tu préciser?

C162


Jack l'Eventreur a écrit :


Je ne faisais que proposer une interprétation très plausible de la V 41, que je citais juste avant (n'oublie pas le terme prima, l'« essentiel », le « principal », de cette proposition). Il faudra un jour que je vous raconte la mort d'un ami camionneur qui, sans jamais avoir même entendu parler de Spinoza, s'est montré bien plus spinoziste que moult « spinozologues ».

D'autre part, je rappelle (parce que, même si vous le savez, c'est « toujours profitable ») les définitions de la religion et de la piété (en IV 37 S 1) : « En outre, tout ce que nous désirons et faisons, dont nous sommes cause en tant que nous avons idée de Dieu, autrement dit que nous connaissons Dieu [note de JF : voir aussi la II 47], je le rapporte à la religion. Et le désir de bien faire, qui est produit en nous quand nous vivons sous la conduite de la raison, je l'appelle piété. »

C'était aussi à propos de la fameuse phrase d'Alquié (que vous devez connaître) se demandant, si j'ai bonne mémoire, si « un spinozisme accessible à l'homme est possible ». Parce que, aussi, chercher à savoir si notre âme (ou une grande partie) est éternelle, c'est prendre le risque de savoir qu'en fait une très très petite partie d'icelle l'est. Mais pourquoi pas ?

De toute façon, si un jour je parvenais à me rapprocher quelque peu de l'homme libre de la fin de Ethique IV, cela me suffirait largement. Et je suis certain qu'il s'agirait là de béatitude. Mais sans doute, faudra-t-il créer un sujet sur ce terme, pour voir exactement sa signification chez Spinoza (et ce n'est pas une mince affaire...). De toute façon, il me semble clair que le passage de Ethique IV à Ethique V n'est pas un passage temporel.

Paix à toi et à vous tous (et à moi-même tant qu'à faire).

JF
Dieu modifié en quelques milliers de SS a massacré Dieu modifié en quelques millions de Juifs et autres à l'aide de Dieu modifié notamment en Zyklon B, en Dieu modifié en baraquements d'extermination.

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Messagepar riseohms » 27 févr. 2006, 11:49

Pourquoipas a écrit :
Henrique a écrit :(...)
Qu'est-ce donc au final qu'un spinoziste ? C'est d'abord celui qui désire vivre intensément et sans illusion :.


Je me permets quand même de me (et de vous) (re)demander si des gens comme Gilles de Rais, Francis Haulmes et autres serial killers ne répondent justement pas à tous ces critères..

Au fond, est-il si important de savoir qu'une part de notre âme est éternelle ?

JF


bonjour à tous

C’est vrai que la notion de " vivre intensément "" peut prêter à confusion.
Pour beaucoup de gens, çà veut dire vivre à 100 à l'heure, sortir des sentiers battus et de la banalité quotidienne; c'est confondre intensité avec excitation et je pense que c'est bien ce que recherchent les serial killers, ils obéissent à une pulsion, à une passion
Pour un spinoziste, vivre intensément, ce n'est pas « vivre plus » mais simplement trouver une jouissance dans le simple fait de vivre ce que l’on vit déjà.
et je partage tout ce qu'à écrit Henrique
Le spinoziste ne cherche pas à échapper à la banalité quotidienne mais y trouve une plénitude d'être qui rend extraordinaire cette banalité.
Et donc dans la queue à la poste, le spinoziste se sent d’abord vivant et ressent tout ce qui l’entoure comme exprimant aussi cette vie.. en langage spinoziste il met en rapport tous les modes qu’il perçoit avec leur attribut correspondant qui exprime la substance et donc la vie
( à rapprocher de la phrase citée par Fabrice:" Chez Spinoza il faut réconcilier l'intensité avec l'étendue" )

D’où un sentiment d’unité avec son monde environnement et ce sentiment est béatitude

La béatitude c’est la vertu même :
Etant identifié à la vie, il se sent intimement proche de tous les êtres qu’il croise
Faire du mal aux autres serait comme se faire du mal à lui-même, c’est impossible pour lui.
Le spinoziste intègre naturellement toutes les valeurs de la morale chrétienne ou autres :
« Aime ton prochain comme toi-même »
« Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse »
Au fond l’éthique est bien une morale mais immanente
Ce n'est pas la vertu qui mène à la connaissance de dieu mais cette connaissance qui mène à la vertu.

Et dans cette queue à la poste, n’étant pas inhibé par un sentiment de séparation et la peur qui l’accompagne, il est ouvert et peut être communicatif, rencontrer des regards, échanger des sourires et agir si la situation s ‘y prête.
Avoir cette ouverture et donc se sentir vivant n’est pas différent du savoir de notre éternité
Mais ce savoir est intuitif et c'est aussi un sentir
Cette béatitude nous est déjà donnée puisqu’elle est la vie même et que nous sommes toujours vivants.

. C’est en ce sens que Spinoza pouvait dire : tout le monde connaît Dieu
Et en même temps des idées inadéquates sur Dieu viennent obscurcir cette connaissance naturelle, elles sont comme des nuages qui viennent cacher le soleil et c’est l’usage de la raison qui pourra les dissiper et nous permettre de jouir du trésor qui nous accompagne toujours.
C-ad de vivre vraiment au lieu de survivre
et survivre n'est autre que juger la vie, la référer à des transcendances
et donc limiter et diviser la vie, notre vie et par voie de conséquence celles des autres aussi .

Amitiés
Joel

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Messagepar FabriceZ » 02 mars 2006, 03:51

A Henrique :

Merci beaucoup pour ta réponse que je partage entièrement. Il y a juste un terme sur lequel je m'interroge encore, celui de "conscience pure d'exister" dans la citation suivante :

Ainsi, plutôt que de penser à ceci ou cela, le spinoziste accompli qui fait la queue à la poste pense d'abord la pensée, c'est-à-dire est installé dans la conscience pure d'exister et de la jouissance qui l'accompagne : il jouit du simple fait d'être là ou de se penser là (ce qui revient au même), avec le carrelage, les murs jaunes, les gens nécessairement si loins, si proches : il ne perd pas son temps puisque celui-ci ne passe pas et que chaque moment de son existence peut être vécu comme s'il pouvait être à nouveau vécu éternellement.


Est-ce que par "conscience pure d'exister" tu veux dire aussi "désir de persévérer dans l'être"? Il me semble que le sujet spinoziste est "installé" dans une conscience pure mais aussi dans un désir singulier.

Dans la description de ton expérience à la poste je ne trouve pas l'essence de ta propre singularité. Si nous faisons tous les deux la même expérience nous perdons tous les deux notre individualité propre.

Prenons l'exemple très connu de Spinoza a qui l'on propose de devenir professeur de philosophie et qui, après hésitations, refuse. Il refuse, non pas uniquement parce qu'on lui demande de ne pas troubler l'ordre établi, mais aussi et surtout afin de se concentrer entièremnent à l'écriture philosophique.

Spinoza doit faire un choix : (1) Enseigner la philosophie, ou (2) S'investir entièrement dans la réflexion et l'écriture.
Dans les deux cas il aurait pu trouver son salut "installé dans la conscience pure d'exister". Mais il a choisi le deuxième choix afin d'affirmer davantage l'intensité de son désir singulier, et l'Histoire lui a donné raison car il a pu finir L'Ethique et actualiser son essence.

Lorsque Spinoza dit que la sagesse est conscience "de soi-même de Dieu et des choses" je pense qu'il fait référence à un salut qui soit à la fois universel et singulier. C'est-à-dire, être installé dans la conscience pure d'exister mais aussi dans l'affirmation de sa propre singularité.

Et tout cela se joue dans les petites choses de la vie : faire la queue, ne pas la faire, éviter ceci, affirmer cela, ...petit calcul du désir.

Fabrice
bene agere et lætari (EIV73 scholium)


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