Spinoza et la maitrise pratique des affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 27 déc. 2006, 01:56

Cher Hokusai,

Hokusai a écrit :Il me semble que l ‘absence de savoir de l ‘avenir n’a pas de rapport avec la liberté . Or vous développez là dessus .


Vous pouvez tout à fait définir la liberté d'une manière qui n'a rien à voir avec une prescience, mais en principe, si on parle de libre arbitre, c'est tout de même toujours l'argument principal que l'on donne, non? Je veux dire: on justifie souvent l'existence du libre arbitre en référant à une situation où l'on ne sait pas quoi faire, et où l'on doit tout de même décider, c'est-à-dire faire quelque chose.
Vous avez peut-être l'impression que l'histoire du chien n'a rien à voir avec cela, et en effet, vous n'avez pas parlé du libre arbitre (c'était fantasueno qui l'a mentionné), mais il me semble que vous proposez une signification de la liberté qui repose tout autant sur une ignorance, ne fût-ce qu'en l'occurrence une ignorance des causes passées. C'est pourquoi à mon sens ma réponse était valable pour les deux cas, celui de fantasueno (peur du chômage) et celui de votre chien. Mais je ne me suis peut-être pas expliqué très clairement.

Hokusai a écrit :La liberté a , au contraire , rapport à ce que je décide et qui détermine l’ avenir ( mon acte décidé sera accompli ), je connais donc l' avenir de mon acte je l’anticipe .
Je suis libre ( il faut se tenir à ce vocable ) si j’ ai un pouvoir contre les déterminations extérieures . Si l acte que je décide d’ accomplir est effectué alors je peux dire que j avais une puissance donc que je suis libre ( à tout le moins sur cet acte et non toujours / partout et en soi )


oui, vous pouvez bien sûr opter pour une telle définition de la liberté. Mais alors vous identifiez puissance et liberté, ce que ne fait pas Spinoza. Or Spinoza ne prétend pas du tout posséder la seule définition possible de la liberté. Seulement, si vous préférez pour l'instant expérimenter une autre définition, c'est très bien, mais on ne peut rien en conclure par rapport à la validité de celle de Spinoza. Pour pouvoir juger de celle-ci, il faut d'abord l'appliquer, et non pas la vôtre, si vous comprenez ce que je veux dire?

Hokusai a écrit :""""""""""cause adéquate celle dont l'effet peut se percevoir clairement et distinctement'. Il y ajoute quelque chose de crucial: le 'par elle'"""""""""
.
Je conçois clairement et distinctement que mon inattention est la cause de l effet (l’accident du chien ) . Proposez moi des causes plus claires et plus distinctes et qui expliquent « par elles » que j’ai lâché le chien toutes ces causes seront moins proches de l’acte du lâcher le chien que j ai fait .


Il me semble bien que la cause 'voiture qui heurte chien' est une cause beaucoup plus proche de l'accident que le fait que vous avez lâché le chien. La cause 'chien court vers la rue' également. Et ces causes-là, on peut les concevoir tout aussi clairement et distinctement que vous qui lâchez le chien, non?

Hokusai a écrit :Cet acte n’est d’ailleurs pas à mes yeux un acte libre , je n’ai rien décidé consciemment mais ce n’est pas mon voisin ou le temps qu’il faisait ou je ne sais quoi de mon environnement qui a lâché la laisse du chien .


Vous trouvez donc que cela a du sens de parler d'une 'faute' même s'il s'agit d'un acte où l'on n'était pas libre du tout?

Hokusai a écrit :""""""""""" Car qu'est-ce qui vous a causé de lâcher le chien à cet instant-là, et pas deux secondes plus tard?…………. """""""""

Donc vous de me poser toute une série de questions où justement bien je serais ignorant et dans l’incapacité totale de répondre, la belle affaire pour mes affects ....excusez moi .

J’ai une explication claire et distincte et vous m’en demandez d’obscures .On s’enfonce dans le maquis impénétrable de la multiplicité des causes et puis de fatigue on en conclut au fatum : « fiat voluntas tua « disent les religieux .


Si je vous posais toutes ces questions, c'était pour montrer qu'aussi longtemps que l'on ne peut pas y répondre, à mon sens on ne peut qu'en conclure que l'on n'est qu'une cause partielle. Vous le dites vous-même: dans cet événement précis, il y a un maquis impénétrable de causes. Comment arrivez-vous alors à vous imaginer être la seule cause de cet événement? Si vous savez apparemment déjà tout de même qu'il y a derrière une infinité de causes? Car encore une fois, il ne suffit pas d'ignorer les autres causes pour être cause adéquate, il faut que l'on ne soit pas une cause partielle. Comment ne pas concevoir votre acte de lâcher le chien comme une cause partielle, tout comme la présence de la voiture et la décision de votre chien de courir vers la rue sont des causes partielles?
D'autre part, vous semblez dire ici simultanément que vous ne trouvez pas que cet acte était libre, et que vous trouvez néanmoins que vous en étiez la cause adéquate. Cela veut-il dire que vous refusez la définition spinoziste de la liberté comme cause adéquate, que l'on peut être cause adéquate sans qu'il s'agisse d'un acte libre?

Hokusai a écrit :Ce qui m’ ennuie dans votre interprétation de Spinoza est que la joie ( absence de la tristesse si on veut )


oui, la joie est l'absence de tristesse, si on veut. Mais ce n'est pas ce que Spinoza veut. Chez lui, la Joie est non pas l'absence mais l'inverse de la Tristesse. Dans l'absence de Tristesse, la puissance qui définit mon essence reste égale. Dans un moment de Tristesse, elle diminue, dans un moment de Joie, elle augmente. C'est pourquoi il parle de trois affects primitifs et non pas deux.

Hokusai a écrit :Ce qui m’ ennuie dans votre interprétation de Spinoza est que la joie ( absence de la tristesse si on veut ) ressort d’un déni de la responsabilité propre. Finalement ce n’est jamais ma faute c’est la faute des circonstances . Moi je veux bien ne pas être triste mais pas au prix de faire retomber ailleurs la responsabilité de mes actes . Parce que voyez- vous , dans ce cas , je ne suis plus ni triste ni joyeux , je ne suis plus personne .


Pour autant que je sache, c'est effectivement ce que l'on n'a cessé de reprocher à Spinoza, et cela dès le début: sans pouvoir 'isoler' une seule cause et l'appeler 'faute', plus de responsabilité, donc plus de morale. Cela, a mon avis, Spinoza l'assume entièrement: pas de morale, seulement une éthique. Or ce qu'il prétend, c'est que laisser tomber la morale ne conduit pas du tout à l'absence de tristesse ou de joie, car le problème est l'inverse: comment moraliser et NE PAS pas créer de la Tristesse, c'est-à-dire des diminutions de puissance? Pour lui, cela est inconcevable. Ou en tout cas, il prétend avoir trouvé mieux, pour causer de la Joie, que la morale. Et sa solution ne demande pas du tout d'abolir toute notion de valeur, sinon ce ne serait pas une éthique. C'est juste une pensée qui valorise autre chose que la moralisation et la culpabilisation. Qui prétend que la désignation de quelqu'un comme étant en 'faute' n'abolit pas du tout la tristesse, mais au contraire, en produit massivement, rend donc la société malheureuse, et donc beaucoup plus violente qu'elle ne le pourrait l'être.
Appliqué au cas concret ici, l'accident de votre chien: si au lieu de seulement vous percevoir vous-même clairement et distinctement comme cause, vous aviez fait beaucoup d'efforts pour en concevoir un maximum d'autres causes partielles clairement et distinctement, vous pourriez peut-être vous être rendu compte que votre chien n'a pas appris le comportement adéquat, sur la route (qui serait de rester à côté de vous), ou peut-être que cette partie de la route n'est pas très bien éclairée, ou que les automobilistes y ont tendance de conduire si vite que quand un chien traverse la rue, ils ne peuvent plus freiner à temps, etc. Rien n'exclut, dans ce cas, que vous auriez trouvé l'une ou l'autre chose à améliorer, pour qu'il y ait moins de chances, dans l'avenir, que la même situation se reproduise, MÊME quand vous lâchez votre chien (entraîner votre chien à marcher sans laisse, exiger auprès de la commune d'installer de meilleures lumières à cet endroit, ou un panneau qui interdit une telle vitesse dans ce virage, etc).

Pour moi, ce n'est donc que cela l'objection de Spinoza contre la moralisation: cela empêche de mieux comprendre comment prévenir la même chose dans l'avenir. Et donc cela crée plus de Tristesse que si l'on avait utilisé la même énergie pour non pas éclairer tout le maquis des causes, mais au moins une partie un peu plus grande que celle qui correspond à soi-même.
Bonne nuit,
Louisa

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Messagepar hokousai » 27 déc. 2006, 12:11

chère Louisa

"""""""""""""""que vous proposez une signification de la liberté qui repose tout autant sur une ignorance, ne fût-ce qu'en l'occurrence une ignorance des causes passées.""""""""""""

Non pas vraiment : je pense la liberté sur une expérience de pouvoir agir selon une décision consciente .

L’expérience est la suivante ; je décide de tenir mon chien en laisse , j ‘exécute l’acte .Je décide de le lâcher la laisse je la lâche

Il y a une infinité de causes qui installent l ‘expérience mais in fine la cause la plus proche est dans ma décision consciente . Je ne décide certainement pas en méconnaissance de l’avenir, je prospecte , j’anticipe sur ce que ma décision va provoquer
Décider en méconnaissance cela s ‘appelle parier .

Je n’étend pas l’idée de liberté au delà .Ce peut être une illusion que d 'attribuer une cause efficiente à ma décision d’ agir mais ce peut être une illusion aussi que d’attribuer une efficience à n’importe quelles causes autres.
…………………….............................

je lis le scolie de la propo 2 ( des affects )
En effet il semble y avoir contestation de ce que je dis .

Sur une énigme (mainte fois reprise ) "ce que peux le corps personne jusqu à présent ( 17em siècle ) ne l’a déterminé .... .ils ne savent pas ce que peut le corps "
Et bien nous ne le savons pas plus aujourd ‘hui .
Quand je vous dis que chez moi l ‘homéopathie ça marche , je ne peux l’expliquer, je ne sais pas ni comment ni pourquoi ça marche .

La position de Spinoza est une position dubitative et non dogmatique , la mienne aussi .
……………………………………

En revanche Je ne suis pas d’accord avec Spinoza sur un point c’est quand il dit « je voudrais bien savoir s’il existe dans l’esprit deux genres de décrets les oniriques et les Libres ? »( à discuter éventuellement )

………………………………
Il me semble bien que la cause 'voiture qui heurte chien' est une cause beaucoup plus proche de l'accident

ça c’est intéressant
Ces cause autres seront moins proches….. de moi .
Voilà le problème .
Car il s’agit bien de moi et de ma tristesse et non de la tristesse du chauffeur de la voiture qui lui va attribuer comme cause proche son inattention ( ah se dit-il si j’avais conduit moins vite ou si j’étais parti de chez moi dix secondes plus tard ) et le chien s’il pouvait parler de se dire :ah si j’étais resté sur le trottoir .
Vous vous placez du point de vue de nulle part pour décrire l‘événement . Cela est –il possible ?

………………………………………………..

"""""""""""""" D'autre part, vous semblez dire ici simultanément que vous ne trouvez pas que cet acte était libre, et que vous trouvez néanmoins que vous en étiez la cause adéquate."""""""""""""""""


Bon on revient au point de départ .
J ' aurais du écrire dans mon message précédent :

SI cet acte n’est d’ailleurs pas à mes yeux un acte libre , SI je n’ai rien décidé consciemment alors ce n’est toujours pas mon voisin ou le temps qu’il faisait ou je ne sais quoi de mon environnement qui a lâché la laisse du chien .

En fait dans ce cas là précis j ‘avais décidé consciemment de lâcher le chien afin de le faire grimper dans ma voiture .

Mais je réponds de manière nette :oui je peux me percevoir cause adéquate- non libre de certains actes .Si je fais une faute d orthographe je suis la cause adéquate ( perçue après coup ) mais je n’étais pas libre de la faire ou de ne pas la faire .
Ce qui rejoint le passage que j’ai rectifié ( Si cet acte n’est d’ailleurs pas à mes yeux un acte libre , il n'empêche que moi /individu -corps -esprit- particulier , je suis cause adéquate )

Je conçois les actes libres comme circonscrits ( ou rares ) à un domaine précis. Je ne suis pas libre en général , pas en soi , pas absolument mais seulement quand je suis une certaine manière de cause de mes actes (en tout cas perçue comme telle ) .

Pour tout dire je suis libre quand je me pense libre .

hokousai

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 17:25

Cher Hokusai,

Hokusai a écrit :

Louisa a écrit:
"""""""""""""""que vous proposez une signification de la liberté qui repose tout autant sur une ignorance, ne fût-ce qu'en l'occurrence une ignorance des causes passées.""""""""""""

Non pas vraiment : je pense la liberté sur une expérience de pouvoir agir selon une décision consciente .

L’expérience est la suivante ; je décide de tenir mon chien en laisse , j ‘exécute l’acte .Je décide de le lâcher la laisse je la lâche

Il y a une infinité de causes qui installent l ‘expérience mais in fine la cause la plus proche est dans ma décision consciente . Je ne décide certainement pas en méconnaissance de l’avenir, je prospecte , j’anticipe sur ce que ma décision va provoquer
Décider en méconnaissance cela s ‘appelle parier .

Je n’étend pas l’idée de liberté au delà .Ce peut être une illusion que d 'attribuer une cause efficiente à ma décision d’ agir mais ce peut être une illusion aussi que d’attribuer une efficience à n’importe quelles causes autres.


ok, je crois avoir compris votre position. Vous préférez une définition de la liberté non pas basée sur la notion de l'éternité, comme Spinoza, mais en s'appuyant sur la notion de décision consciente. Cela me semble parfait. On peut très bien faire cela.

A mon avis Spinoza serait tout à fait d'accord avec l'idée d'attribuer une cause efficiente à la décision d'agir. Mais il ne serait pas d'accord avec deux autres choses que vous dites:

- chez Spinoza, on peut appeler la décision consciente une cause efficiente, mais non pas une cause ADEQUATE. Or c'est la cause adéquate qui définit la liberté. C'est pourquoi il ne peut pas prendre la décision consciente comme exemple d'un acte libre.

- plus que d'appeler votre définition 'illusoire', il me semble qu'il dirait qu'elle relève du premier genre de connaissance, c'est-à-dire de l'opinion commune. Pour moi, l'avantage de cette 'appellation', c'est qu'elle est non polémique. Je veux dire: appeler l'opinion une 'connaissance', c'est tout sauf la mépriser ou vouloir la combattre. C'est au contraire l'accepter comme étant déjà un savoir, donc quelque chose de précieux.
Pourtant, il y ajoute bel et bien un deuxième et un troisième genre de connaissance. Il y a donc tout de même mieux que cette opinion. Voici comment j'interprète cela pour l'instant.

L'opinion, c'est le savoir par ouï-dire. Dans ce cas-ci: cela fait des siècles qu'en Occident règne l'opinion qui identifie liberté et conscience d'une décision (et qui identifie libre arbitre et absence de prescience, mais vous semblez être moins enthousiaste pour cette opinion-là). Cela signifie concrètement que dès la petite enfance, quand on entend le mot 'liberté', on entend simultanément que l'on y associe le contenu 'conscience de la décision'. On a donc toute occasion d'EXPERIMENTER cette notion de la liberté, c'est-à-dire de bien s'imaginer ce qu'elle veut dire, et de l'appliquer dans sa propre vie. Après l'avoir appliquée pendant des années, et après avoir rencontré des milliers de situations où les autres font pareil, cette opinion acquiert le caractère d'évidence, c'est-à-dire devient une notion que l'on ressent comme épousant parfaitement nos expériences et sentiments quotidiens. On a donc l'impression que c'est 'vrai'.

Et Spinoza ne nie pas tout cela. Pour lui, d'un certain point de vue, tout cela est bel et bien vrai (du point de vue de Dieu).
Mais depuis que la philosophie est née, elle s'est distinguée de l'opinion. Et si on lit Platon, on voit déjà clairement comment: en montrant que cette opinion, ce savoir à partir d'un ouï-dire, est toujours un savoir dont on ne sait pas comment on l'a acquis, et souvent on part même de l'idée que l'on ne l'a pas acquis, vu qu'il est si évident. Il y a donc un impensé dans l'opinion, impensé qui selon les philosophes fait sa faiblesse, et définit notre non liberté (ici on peut même prendre le terme dans le sens courant de possibilité de décision consciente), c'est-à-dire définit le fait que pas mal de nos idées sont simplement le résultat de nos rencontres fortuites avec la nature. Sans le savoir, nous sommes donc asservis aux notions de l'opinion qui déterminent nos évidences. La philosophie a dès lors la tâche de rendre les contenus de nos opinions clairs et compréhensibles, d'une part. Mais d'autre part, elle a aussi comme tâche de proposer des notions dont on peut attendre plus de salut que de celles de l'opinion. C'est pourquoi Spinoza invente un concept de la liberté qui est tout sauf évident (la liberté via l'éternité), mais dont il croit qu'il nous sera beaucoup plus utile que les notions issues de l'opinion.

Or quel est le problème propre à un texte philosophique (à mes yeux, bien sûr, je ne prétends pas du tout dévoiler l'Essence de La philosophie)? C'est que ce n'est qu'un texte. C'est donc l'expérience de ce texte par le lecteur qui doit pouvoir compéter avec l'expérience de toute une vie. Je veux dire: le lecteur a eu des milliers d'occasions d'expérimenter la notion de liberté en tant que décision consciente. Cette notion est dès lors pour lui 'acquise' une fois pour toutes, et c'est pour ça qu'il s'agit d'un vrai savoir, une connaissance qui dans la pratique fonctionne. Si un texte veut donc s'imposer comme connaissance, il doit passer par le même chemin: expérimentation répétée. Mais pour cela, le texte dépend entièrement de la bonne volonté du lecteur. C'est lui qui devra construire une réelle compréhension de ces nouvelles notions, et qui devra construire quotidiennement un vécu sur base de ces notions amenées par l'un ou l'autre philosophe. Contrairement aux idées de l'opinions, ici il faut agir activement, il ne suffit pas d'intégrer ce que la répétition de certaines rencontres renforce spontanément. Il faut que le lecteur s'y met activement, cherche activement à comprendre, puis s'efforce à l'appliquer chaque jour.

Si alors le fait même que ces notions philosophiques sont différentes des notions évidentes que l'on a l'habitude d'utiliser, si ce fait même est pris comme 'argument' ou du moins 'raison' pour déjà rejeter la notion proposée par un philosophe, le texte a tout simplement montré son impuissance de se faire comprendre spontanément, et c'est tout. Rien ne s'est passé. On se base sur ses opinions, on les compare avec ce que semble dire un philosophe, on est joyeux quand on découvre des similitudes, on le rejette quand on découvre des différences. Bref, on 'mesure' la qualité de la pensée du philosophe à la ressemblance avec ce qui semble évident pour soi-même, c'est-à-dire avec ses propres opinions évidentes. Mais ce faisant, on n'a pas du tout commencé à expérimenter les notions proposées par le philosophe. Pourtant, il me semble que c'est la seule façon aussi bien de nuancer ses opinions en les complexifiant (en y ajoutant d'autres idées) que de faire quelque chose de philosophique et donc de proprement utile/pratique avec un texte philosophique.

Hokusai a écrit :Louisa a écrit:
****Il me semble bien que la cause 'voiture qui heurte chien' est une cause beaucoup plus proche de l'accident****

ça c’est intéressant
Ces cause autres seront moins proches….. de moi .
Voilà le problème .
Car il s’agit bien de moi et de ma tristesse et non de la tristesse du chauffeur de la voiture qui lui va attribuer comme cause proche son inattention ( ah se dit-il si j’avais conduit moins vite ou si j’étais parti de chez moi dix secondes plus tard ) et le chien s’il pouvait parler de se dire :ah si j’étais resté sur le trottoir .
Vous vous placez du point de vue de nulle part pour décrire l‘événement . Cela est –il possible ?


oui, bonne question en effet: quand Spinoza parle de 'peut se percevoir par elle', à qui appartient le point de vue de cette perception? En définissant la cause adéquate, au début du 3e livre, il ne le dit pas (mais ce n'est que votre question qui a tiré mon attention là-dessus). Apparemment, vous avez compris ce 'par elle' dans un sens assez différent que moi: vous le comprenez dans le sens de ce qui peut être perçu par la cause elle-même. Cela me semble assez improbable mais je ne sais pas si je vais arriver à m'expliquer clairement. Petite tentative.

Si vous considérez tout à partir de votre point de vue (celui du Hokusai ayant lâché le chien), il faut en effet concevoir votre Tristesse, l'effet de votre acte (c'est-à-dire l'effet dont vous êtes la cause efficiente: le chien qui est lâché), et l'événement qui plus tard s'en suit (l'accident de voiture de votre chien; donc tout ce qui se produit à partir d'autres causes efficientes) à partir de votre Esprit.

Or si c'était cela ce que Spinoza voulait dire, il faudrait avoir des pronoms personnels réflexifs dans la phrase, ce qu'en français on a effectivement: "J'appelle cause adéquate celle dont l'effet peut SE percevoir clairement et distinctement par elle." Dans ce cas, le 'par elle' ne fait que renforcer ce qui est déjà exprimé à l'aide du pronom réflexif, le 'se' du 'se percevoir'.

Ce qui est tout de même déjà un peu embêtant, c'est que dans ce cas, ce à quoi réfère ce 'se', même en français, c'est tout de même l'effet, et pas la cause. Car c'est l'effet qui peut se percevoir par la cause, grammaticalement parlant.

Mais si on suit votre interprétation (donc s'il faut lire la phrase comme 'se percevoir soi-même'), il faudrait avoir en latin un 'se percipere'. Ou si Spinoza voulait renforcer ce 'se': 'se percipere per se'.
Pourtant, il a écrit 'per eandem percipi'. Cet 'eandem' est féminin, donc ne peut pas référer à l'effet (effectus), qui est masculin. C'est donc déjà une première indication que ce qui suit le 'per' ne peut pas référer à l'effet mais réfère à la cause (tandis qu'en français, si on comprend le 'se' du 'se percevoir' comme réflexif, il faut qu'il réfère à l'effet et non pas à la cause).

Sinon le problème principal, c'est qu'il n'écrit pas 'se percipere', se percevoir, mais la forme passive du mot 'percevoir'. Pensez au célèbre 'esse est percipi': être, c'est être perçu. Vous allez me répondre: ah voilà, le passif du percevoir, en français, ce n'est pas 'se percevoir', mais 'être perçu'. Ou du moins, c'est ce que je pensais moi-même, jusqu'à ce que Bernard Pautrat m'a expliqué qu'il a traduit partout les passifs des verbes 'concevoir', 'percevoir' et 'comprendre' par 'se concevoir', 'se percevoir', 'se comprendre' etc. Si je l'ai bien compris, ce serait du français plus correcte (ce que peu de Francophones sauraient).

En tout cas, il est un fait que Spinoza écrit 'percipi per eandem', et non pas 'se percipere per se'. C'est pourquoi il ne peut pas s'agir du point de vue de la cause elle-même.

Cela signifie-t-il qu'il s'agit d'un point de vue 'de nulle part', comme vous le suggérez? Cela me semble être impossible, car le point de vue se caractérise toujours par le fait d'être localisé quelque part, par définition. Mais j'ai l'impression qu'il faut quasiment attendre le 5e livre pour savoir de quel point de vue il s'agit. Car là il le dit clairement: du point de vue de l'éternité. Le fameux sub specie aeternitatis. Il faut donc d'abord comprendre ce que Spinoza veut dire par là pour pouvoir comprendre réellement ce qu'il veut dire par cause adéquate, et partant par liberté.

C'est parce que vous ne parlez pas d'éternité que j'ai l'impression que vous n'avez pas encore saisi la notion proprement spinoziste de la liberté Je viens de me plonger là-dedans moi-même très récemment, donc je ne prétends pas du tout l'avoir déjà bien compris moi-même. Seulement, le 5e livre s'intitule 'De la liberté'. C'est pourquoi il me semble que l'on ne peut pas parler de la liberté spinoziste sans référence au troisième genre de connaissance et donc à l'éternité. C'est simplement parce que vous ne le faites pas (et que vous interprétez la notion de cause adéquate de façon ambiguë voire non correcte) que j'ai l'impression que pour l'instant, vous ne travaillez pas encore avec la notion proprement spinoziste de la liberté (mais à vous de me contre-dire si vous trouvez que je me trompe, bien sûr).

Et c'est pour cela qu'il me semble autant compréhensible que dommage que vous en restez à l'opinion commune (donc le 1e genre de connaissance) qui définit la liberté par la décision consciente. Comme déjà dit, c'est très bien, bien sûr. C'est même parfait, c'est une connaissance à part entière, donc bien utile dans la vie quotidienne. Seulement, Spinoza prétend qu'il y a mieux, beaucoup mieux même. Et pour savoir s'il a raison ou non, il me semble qu'il n'y ait qu'un seul moyen: d'abord comprendre la notion de liberté telle que LUI il la propose, puis l'appliquer pendant un certain temps dans sa propre vie pratique et quotidienne. Après, on peut dire si effectivement, on trouve que cela marche mieux que la notion de liberté propre au 1e genre de connaissance, ou non. C'est pourquoi je le trouverais dommage si déjà maintenant vous laissez tomber la notion proprement spinoziste de la liberté, et cela seulement sur base du fait qu'à première vue ce qu'il propose ne semble pas correspondre à notre propre 1e genre de connaissance ou opinion.
Si vous l'essayez concrètement (la compréhension/expérimentation de la notion spinoziste de liberté) et à la fin vous trouvez que la notion de liberté comme décision consciente est tout de même beaucoup plus utile que celle qui passe par l'éternité, alors vous aurez renforcé activement votre propre idée spontanée, qui deviendra par là plus réfléchie, plus solide, plus puissante. Vous aurez donc gagné quelque chose. Si par contre vous trouvez, à la fin, que cette notion de liberté par l'éternité est extrêmement utile, beaucoup plus que celle de la liberté comme décision consciente, vous serez également moins déterminé par votre 'environnement conceptuel naturel', vous aurez atteint par là également une idée plus puissante que celle que vous avez maintenant.
Bref, il me semble que l'on a rien à perdre à essayer de comprendre et donc d'appliquer les concepts proprement philosophiques, avant de les juger ... :) .
Cordialement,
Louisa

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 20:46

PS:

Hokusai a écrit :Mais je réponds de manière nette :oui je peux me percevoir cause adéquate- non libre de certains actes .Si je fais une faute d orthographe je suis la cause adéquate ( perçue après coup ) mais je n’étais pas libre de la faire ou de ne pas la faire .
Ce qui rejoint le passage que j’ai rectifié ( Si cet acte n’est d’ailleurs pas à mes yeux un acte libre , il n'empêche que moi /individu -corps -esprit- particulier , je suis cause adéquate )


donc:
- vous comprenez par les mots 'cause adéquate' quelque chose qui peut s'opposer à la liberté, tandis que Spinoza définit la même expression par la liberté (impossible d'être cause adéquate d'un effet et de produire cet effet de manière non libre, chez lui)
- vous redéfinissez la notion de cause adéquate comme étant une cause efficiente précise: celle dont on peut s'imaginer que l'effet en découle sans devoir s'imaginer d'autres causes efficientes concurrentes. Ou même plutôt: vous vous appelez cause adéquate quand vous êtes cause efficiente d'un effet qui ne se serait pas produit en votre absence ou sans que vous ayiez posé cet acte.

Pour moi, cela est une façon d'utiliser la notion de cause adéquate qui la retraduit entièrement dans la conception courante de la liberté. Quand vous êtes une des causes efficientes sans lesquelles un effet ne se serait pas produit et vous avez pris une décision consciente, vous appelez cet acte 'libre'. Quand vous êtes la cause efficiente tel que je viens de le dire mais sans décision consciente (faute d'orthographe), vous vous appelez également cause adéquate mais vous n'appelez pas l'acte 'libre'.

Cela revient donc à donner à la notion de cause adéquate un sens qui permet de maintenir l'opinion courante de la liberté (décision consciente), mais qui à mon sens n'a plus rien à voir avez celui de Spinoza.

Et le problème n'est pas seulement que vous ne respectez pas la définition de la cause adéquate en tant que telle (en refusant le lien cause adéquate - liberté), le problème est aussi que du coup, être libre pour vous implique pouvoir concevoir tout effet du point de vue de ses propres actes dans le monde. Or cela, selon Spinoza, c'est précisément ce que l'on fait le plus spontanément, parce qu'en effet, c'est ce qui, dans l'ordre du temps, nous vient d'abord à l'esprit, c'est donc ce qui est le plus facile, le plus 'évident' à percevoir.

Si en revanche il propose un concept de la liberté qui exige une perception non pas du point de vue de soi-même, mais du point de vue de l'éternité (hors temps donc), il faut effectuer le mouvement inverse: non pas recentrer tout en le liant à sa propre personne, mais lier tout à Dieu, c'est-à-dire à l'essence immuable de la Nature. Essence de Dieu qui est notamment nécessité.

Si donc vous faites une faute d'orthographe, et si effectivement on peut difficilement appeler cet acte un acte libre, ce n'est pas simplement parce qu'on n'a pas pris la décision consciemment. C'est parce qu'il est très difficile de concevoir l'acte, au moment où l'on le fait, comme étant nécessaire. Qu'est-ce qui a fait qu'il était nécessaire de commettre cette faute d'orthographe? On n'en sait rien. Par contre, si après coup on considère/regarde cette faute comme étant non pas l'effet de moi-même comme cause efficiente mais comme étant 'du Dieu', comme exprimant elle aussi une modification de Dieu, c'est là que l'on accède soi-même à la Liberté, liberté telle que Spinoza la définit (ou du moins telle que je l'ai pour l'instant comprise). Et c'est là que l'on peut traduire la liberté par Salut ou Béatitude.
Tandis que la liberté que vous concevez, celle de pouvoir prendre la décision de lâcher un chien, bon, difficile de dire que cela vous rend 'béate'. Cela vous rend plutôt triste. Vous pouvez bien sûr continuer à appeler cela la liberté, mais selon Spinoza, vous allez alors râter pas mal d'occasions de devenir plus puissant et plus joyeux, d'accéder au Salut ou à la Béatitude.

Bref, la liberté, chez Spinoza, ce n'est pas une affaire de pouvoir concevoir tel ou tel effet dans le monde comme étant 'du soi', comme exprimant soi-même en tant que personne (comme quelque chose qui sans sa propre existence et sans une décision de soi-même ne se serait pas produite; car c'est dans ce sens que l'accident du chien exprime votre personne à vous).
C'est le fait d'arriver à concevoir tel ou tel effet dans le monde comme étant 'du Dieu', comme exprimant Dieu. Ce qui est bien sûr beaucoup plus difficile. Mais néanmoins faisable, selon Spinoza ... .
Louisa

PPS: autrement dit, chez lui la liberté ne caractérise pas un acte, mais une manière de penser: celle de concevoir toute chose sub specie aeternitatis. On peut être tout aussi libre après avoir fait une faute d'orthographe qu'après avoir lâché un chien qui ensuite a couru vers une voiture. Tout dépend de comment vous concevez cet acte.
C'est d'ailleurs ce qui nous donne beaucoup plus d'occasions d'etre libres que quand vous devez en passer par la prise de décisions conscientes, ce qui, in fine, ne dépend pas du tout de vous (vous n'avez pas décidé de commettre la faute d'orthographe non consciemment, vous êtes bien obligé de limiter la liberté à ces moments où l'on ne sait pas immédiatement quoi faire mais où il faut un minimum de temps de réflexion pour soupeser deux alternatives, puis en réaliser une, moments dont on ne maîtrise pas du tout quand ils vont se produire).

Donc voici deux avantages déjà de la conception spinoziste de la liberté: il s'agit d'une liberté qui rend heureux, et en théorie (et avec beaucoup d'exercice) on peut la ressentir à n'importe quel moment.

Vous avez dit que l'avantage de votre conception de la liberté, ce serait de pouvoir moraliser, de pouvoir désigner des coupables. Mais quel est l'intérêt de désigner des coupables? Pourquoi ne pas se concentrer sur la question de comment prévenir un acte ou un effet que l'on n'approuve pas? Pourquoi surcharger cet effet ou acte d'une couche supplémentaire, celle de la culpabilisation? Que gagne-t-on, ce faisant, par rapport à l'idée de se concentrer sur la prévention (et donc sur l'ensemble des causes efficientes concourantes, au lieu de s'arrêter déjà au fait qu'une personne concrète y est quelque part aussi pour quelque chose, c'est-à-dire de s'arrêter déjà à une cause efficiente seule)?

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Messagepar hokousai » 28 déc. 2006, 22:31

chère Louisa

Je vais réexpliquer mon point de vue , montrer où je diverge de Spinoza et comment j accepte quand même ce qu'il dit .

""""""""""« vous comprenez par les mots 'cause adéquate' quelque chose qui peut s'opposer à la liberté »"""""""""""""""""""

Non pas, du tout , cause adéquate est indifférent à liberté . Je peux être cause adéquate comme non libre ou bien comme libre .
Spinoza laissant tomber par mégarde ses lunettes est la cause adéquate mais n’était pas libre il n’en a pas décidé .Il en est la cause adéquate sauf si ses lunettes sont mues d’un mouvement autonome et non un objet passif .

...................................................

""""""""""""""""" Vous redéfinissez la notion de cause adéquate comme étant une cause efficiente précise: celle dont on peut s'imaginer que l'effet en découle sans devoir s'imaginer d'autres causes efficientes concurrentes"""""""""""""
C’est ce que fait Spinoza , il sélectionne une cause évident et la plus évidente , il hiérachise les causes . Ni lui ni moi n excluons de considérer d’autres causes moins proches . Du moment qu’elles expliquent clairement .
..................................................

Vous (Louisa ) soutenez que Spinoza n ‘avait pas de science de ce que c’est qu’une décision consciente .

Def 2 (des affects )""""je dis que nous agissons etc …"""
."""de notre nature il suit """"
"""donc notre esprit en tant qu’il a des idées adéquates nécessairement agit en certaines choses """""" ( voir démonstration de la prop 1 des affects )

C’est pour moi la définition/ description d’une action consciente décidée.

..........................................................


Où je diffère de Spinoza ( ce n’est pas où vous le voyez ) c’est quand je dis que les causes partielles (dont on pâtit ) peuvent accéder à une clarté et distinction . Une cause partielle c’est à dire celle qui est de l’action de mon corps / esprit , automatique et inconsciente mais dont je vois cependant des effets apparaître après coup .
Car après coup j’ attribue ce dont j’ai pâti à mon corps et non à l’environnement ou à mon voisin ou à Dieu (sauf si je suis un sage spinoziste )

Mais je reconnais que ces causes partielles n’ont d’efficience que déduites et conjecturées ce qui est très différent de la cause consciente de mon acte quand je le décide .Et je veux bien admettre avec Spinoza que ce sont des causes ""partielles"" et que je pâtis.

A mon avis vous rabattez (et assimilez , sans distinguer ) cause adéquate sur causes partielles lesquelles ne sont adéquates qu"en Dieu"
Je distingue bien les cause partielles mais je leur confère un statut d'intelligibilité potentielle supérieur à celui que Spinoza leur confère theoriquement

Pourquoi fais- je ainsi ? Peut -être parce que la psychanalyse est passée par là et puis une connaisance des processus neurobilogiques aussi . Ainsi une science supérieure des causes partielles , supérieure à celle qu'en avait Spinoza me semble utile pour le traitement des passions .

Savoir si la conception de la liberté chez Spinoza n’est pas plus commune qu’ on le croit .


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Messagepar hokousai » 28 déc. 2006, 23:13

à louisa (suite )

Je maintiens que pour Spinoza ( comme pour tout le monde ) ; je décide en conscience , j’ agis- - je suis cause adéquate .
En première instance :je suis la cause la plus claire / la plus proche, moi esprit humain (le mien ) dont l’idée est celle du corps propre (le mien )

Je ne changerai pas d’idée facilement car c’est si évident pour Spinoza qu’il n’insiste pas sur le sujet qui décide , il parle de nous tous en général .


Réécrivez la définition 2 (des affects) à la première personne .

« Je dis que j agis quand il se fait en moi ou hors de moi quelque chose dont je suis la cause adéquate c’est à dire quand de ma nature il suit en moi ou hors de moi quelque chose qui peut se comprendre clairement et distinctement par elle seule «

Qu’est-ce qui peut sortir de ma nature et qui peut se comprendre par elle seule sinon l’action dont je ne pâtis pas mais c’est alors l’action que je décide ?

hokousai

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 23:29

Cher Hokusai,

je crains qu'effectivement, on ne se soit pas tout à fait compris.

Hokusai a écrit :Louisa a écrit:
""""""""""« vous comprenez par les mots 'cause adéquate' quelque chose qui peut s'opposer à la liberté »"""""""""""""""""""
-
- Non pas, du tout , cause adéquate est indifférent à liberté je peux être cause adéquate comme non libre ou bien comme libre .


c'est bien ce que je veux dire: pour vous, on PEUT être cause adéquate et néanmoins ne pas être libre. Donc un acte dont vous êtes la cause adéquate, peut tout de même être un acte non libre.
Je ne peux que vous répéter la 1e définition du 3e livre, où il dit prendre la décision de vouloir parler, dès qu'il utilise les mots 'cause adéquate', d'une cause dont l'effet peut se percevoir clairement et distinctement par elle. Ajoutons-y la façon dont il veut utiliser le mot 'libre', la 7e définition du De deo: "Est dite libre la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature, et se détermine par soi seule à agir". J'en conclus que chez Spinoza, la cause adéquate est tout sauf indifférente à la liberté. Le cas de figure que vous proposez est donc inconcevable dans un spinozisme: une cause adéquate qui ne serait pourtant pas libre.

Hokusai a écrit :- Spinoza laissant tomber par mégarde ses lunettes est la cause adéquate mais n’était pas libre il n’en a pas décidé .Il en est la cause adéquate sauf si ses lunettes sont mues d’un mouvement autonome et non un objets passif .


Mais ... comment liez-vous les notions de liberté et de cause adéquate chez Spinoza, d'une telle façon qu'un simple 'acte manqué' se range déjà dans ce qu'il définit comme étant la cause adéquate ... ???


Hokusai a écrit :Louisa écrit:
- """"""""""""""""" Vous redéfinissez la notion de cause adéquate comme étant une cause efficiente précise: celle dont on peut s'imaginer que l'effet en découle sans devoir s'imaginer d'autres causes efficientes concurrentes"""""""""""""
- C’est ce que fait Spinoza , il sélectionne une cause évident et la plus évidente , il hiérachise les causes . Ni lui ni moi n excluons de considérer d’autres causes moins proches . Du moment qu’elles expliquent clairement .


Pourriez-vous m'indiquer sur quels passages vous vous basez pour conclure à une notion de cause adéquate où cette cause ne serait tout de même pas une cause qui est 'seule' responsable de l'effet, mais simplement la cause la plus proche? Où est-ce que Spinoza ajoute cette précision à la définition de cause adéquate (définition dans laquelle il dit explicitement que si la cause n'est qu'une cause partielle, alors elle est cause INadéquate)?

Hokusai a écrit :-Vous soutenez que Spinoza n ‘avait pas de science de ce que c’est qu’une décision consciente .

-Definition 2 (des affects )""""je dis que nous agissons etc …"""
."""de notre nature il suit """"
-"""donc notre esprit en tant qu’il a des idées adéquates nécessairement agit en certaines choses """""" ( voir démonstration de la prop 1 des affects )

C’est pour moi la définition/ description d’une action consciente décidée.


ci-dessus vous ne me citez pas mais vous paraphrasez quelque chose que j'aurais écrit. Or je ne crois pas du tout que vous soutenez que Spinoza n'avait pas de science de ce que c'est qu'une décision consciente, donc il doit s'agir d'un malentendu.

Hokusai a écrit :- Où je diffère de Spinoza ( ce n’est pas où vous le voyez ) c’est quand je dis que les causes partielles (dont on pâtit ) peuvent accéder à une clarté et distinction.


je ne vois pas en quoi Spinoza excluerait cette possibilité. Voyez-vous un passage qui fait que l'on doit supposer que l'on ne peut, selon Spinoza, percevoir clairement et distinctement que ce qui est cause adéquate?
Si pe je suis pour l'instant en train de vous écrire, mes doigts tapent sur le clavier. Mon ordinateur est donc cause partielle du fait que vous pouvez me lire. Mais cela, rien ne m'empêche de le percevoir clairement et distinctement, non? Seulement, cela n'en fait pas encore du coup une cause adéquate ... . Vous confondriez 'percevoir clairement et distinctement' et 'décision consciente' ... ?

Hokusai a écrit :Une cause partielle c’est à dire celle qui est de l’action de mon corps / esprit , automatique et inconsciente mais dont je vois cependant les effets apparaître après coup .


Oui, comme toujours, on peut partir d'autres définitions que celles de Spinoza, et alors on arrivera à d'autres conclusions. Comme déjà dit, je n'ai rien contre. Mon problème ne concerne que l'interprétation de Spinoza.

Hokusai a écrit :- Mais je reconnais que ces causes partielles n’ont d’efficience que déduites et conjecturées ce qui est très différent de la cause consciente de mon acte quand je le décide .Et je veux bien admettre avec Spinoza que ce sont des causes ""partielles"" et que je pâtis.


Et en quoi cela vous semble-t-il intéressant de remplacer la cause adéquate spinoziste par une cause consciente?

Hokusai a écrit :A mon avis vous rabattez (et assimilez , sans distinguer ) cause adéquate sur causes partielles lesquelles sont adéquates "en Dieu"


pas que je sache, mais peut-être que quelque chose m'a échappée et que vous pourriez me l'expliquer? Car pour l'instant, je croyais avoir insisté sans cesse sur la distinction cause partielle - cause adéquate. Comme Spinoza ne veut pas identifier liberté et cause consciente, et comme il lie la liberté à la cause adéquate pour la refuser à la cause partielle, il me semble que tout oppose ces deux causes.

Hokusai a écrit :pour me faire un procès injuste . Un procès en moralisation sur une supposée conception commune de la liberté .


mon intention était tout sauf vous faire un procès !!!
Si donc c'est comme ça que vous l'avez ressenti (ou que tout autre lecteur de mon dernier message l'a ressenti), veuillez m'excuser, car ce n'était pas du tout ce que je voulais dire. Pour moi le seul problème était et est de savoir ce que dit réellement Spinoza. C'est LUI, à mon avis, qui appelle l'identification liberté - décision consciente une opinion, pe dans le passage suivant (E3.2 scolie):

"l'expérience elle-même montre, non moins clairement que la raison, que les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par quoi elles sont déterminées."

On peut bien sûr ne pas être d'accord avec lui, ou trouver que l'identification de la liberté à la décision consciente n'est pas du tout une opinion commune. Je ne vois pas en quoi il faudrait moraliser tout cela. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce que selon vous Spinoza propose. C'est dans ce sens que vos réponses m'intéressent beaucoup, car elles m'obligent à aller revoir dans le texte, à repenser certaines choses qui me semblaient être évidentes, elles permettent de faire de nouvelles découvertes, etc. Et si vous choisissez vous-même d'autres définitions que celles proposées par Spinoza, c'est bien sûr tout à fait votre droit.
Bref, je suis vraiment désolée si je me suis mal exprimée/expliquée et que donc vous avez mal pris mon dernier message.
Bonne soirée,
Louisa.

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 23:53

Hokusai a écrit :Je maintiens que pour Spinoza ( comme pour tout le monde ) ; je décide en conscience , j’ agis- - je suis cause adéquate .
En première instance :je suis la cause la plus claire / la plus proche, moi esprit humain (le mien ) dont l’idée est celle du corps propre (le mien )

Je ne changerai pas d’idée facilement car c’est si évident pour Spinoza qu’il n’insiste pas sur le sujet qui décide , il parle de nous tous en général .


je suis désolée mais pour moi il fait exactement l'inverse: il insiste constamment sur l'erreur d'identifier la liberté à ce qu'il appelle le simple 'Decret' de l'Esprit. Cette erreur consiste précisément à s'imaginer (1e genre de connaissance) être la seule cause pour la simple raison que de premier abord, on ne voit que soi-même et sa décision comme cause.
Or, il répond à cela notamment par la proposition 32 du De deo:

"LA VOLONTE NE PEUT ETRE APPELE CAUSE LIBRE, MAIS SEULEMENT NECESSAIRE.
Démo: (...) Donc, de quelque manière qu'on la conçoive, soit finie soit infinie, elle [la volonté] requiert une cause qui la détermine à exister et opérer, et par suite (par la Déf. 7) elle ne peut être dite cause libre, mais seulement nécessaire ou forcée."


D'autres idées, en revanche, ne sont PAS SEULEMENT nécessaires, mais également causes adéquates. C'est en cela que consiste notre Liberté, la Liberté humaine, mais, comme il le dit clairement en 5.36, ce genre d'idées exige d'en passer par l'idée qui caractérise l'affect "un Amour constant et éternel envers Dieu". Constater que c'est votre main qui lâche le chien et que vous êtes consciente de cette décision (c'est-à-dire de l'affirmation de cette idée dans votre Esprit), c'est effectivement vous concevoir comme cause la plus proche. Mais c'est donc VOUS imaginer comme seule cause. La Liberté spinoziste consiste en l'inverse: s'imaginer DIEU, donc l'essence de la Nature, comme cause extérieure de TOUTES mes idées, aussi celles dont je me suis consciente quand je prends une décision. Enfin, encore une fois, du moins n'est-ce comme cela que je le comprends moi-même pour l'instant. Mais tout argument montrant l'inverse m'intéresse.
Cordialement,
Louisa

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 00:01

Hokusai a écrit :Qu’est-ce qui peut sortir de ma nature et qui peut se comprendre par elle seule sinon l’action dont je ne pâtis pas mais c’est alors l’action que je décide ?


vous ne trouvez pas que la proposition 1.32 dit exactement l'inverse?

Ce qui peut sortir de ma nature et qui peut se comprendre par elle seule, ce n'est pas l'action que je décide, c'est toute idée qui prend activement en compte mon éternité à moi.

Pourquoi croyez-vous que Spinoza attend jusqu'à la deuxième partie du 5e livre pour nous expliquer en quoi consiste la Liberté Humaine, si elle ne reviendrait qu'à une action décidée consciente? Il parle de ce type d'action déjà à partir de la 3e partie (mais à chaque fois pour la dénoncer comme étant une erreur). Il ne définit la Liberté Humaine que dans le 5e livre, celui qui traite du troisième genre de connaissance. Comment alors proposer une définition de la Liberté Humaine qui n'en a aucunement besoin, et qui s'oppose à ce qu'il dit en 1.32, où pourtant il réfère déjà à la définition même de la liberté, avec laquelle ouvre l'Ethique? C'est ce que pour l'instant je ne comprends pas trop dans ce que vous écrivez.
A bientôt,
Louisa

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Messagepar hokousai » 29 déc. 2006, 01:23

chère Louisa

"""""""""""""""La Liberté spinoziste consiste en l'inverse: s'imaginer DIEU, donc l'essence de la Nature, comme cause extérieure de TOUTES mes idées, aussi celles dont je me suis consciente quand je prends une décision. """""""""""""""""""""""

Dans ce cas il n’y a plus à parler de causes adéquates .Il n’y en a qu’une, toujours la même , c’est la nécessité et toute activité est indifférenciée.
Je vous reproche de passer toujours immédiatement (sans médiation ) à l’impossible ,c’est à dire pardessus
1 les cause adéquates différenciées (en chaque actes particulier)
2 les causes partielles adéquates seulement en Dieu .

Votre manière de penser vos actes concrètement est impossible, elle n’est pas pragmatiquement possible .Vous ne pensez pas vos actes mais la nécessité en général ! C’est une idée adéquate si on veut ,c’est une idée tautologique , un cercle qui ne me rend ni plus ni moins joyeux .
Je ne traite pas avec cette idée de mes affects particuliers, ils n’y entrent pas dans leur spécificité .A quoi bon alors parler des différents affects ? Et pourtant Spinoza le fait .

Je ne peux pour agir sur mes affects qu’en me pensant comme sujet agissant dans des situation toujours particulières , la cause adéquate est toujours particulière ,ce sera telle et telle actions décidées (ou pas d' ailleurs )
Je dis cause adéquate de telle et telle action/effet . Ce n’est pas moi comme sujet permanent identique et au dessus de mes actes , ce n’est pas le sujet qui suis libre , c’est le contexte esprit/ corps (et esprit conscient ) qui est un contexte de liberté . (contexte d’ action/événement actif particulier )

Quand l’esprit/corps agit sans conscience (et c’est fréquent ) comment après coup ne pas lui attribuer d avoir été la cause des actions effectuées ,cause adéquates pour autant qu’on puisse supposer avoir agi ici ou là , et pourtant nous n’étions pas libre .

Comment ne pas penser adéquatement que celui qui pensait à autre chose mais qui a fait ce qu’il sait très bien faire sans y penser , comment estimer qu’il n' en est pas la cause ? Chacun estime qu’il est la cause de ce qu’il a fait sans y penser (automatiquement ) , c’est un savoir clair et distinct. Je dirais même plus c’est une certitude . Spinoza n’ aurai il pas eu cette certitude ?

hokousai


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