Spinoza et la maitrise pratique des affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 29 déc. 2006, 01:33

Chère Louisa
""""""""""pour me faire un procès injuste . Un procès en moralisation sur une supposée conception commune de la liberté """"""""""""""""""".

attendez cinq minutes (parfois ) avant de me répondre que je me relise (une fois ) parce que ça je ne l’ai pas laissé dans le message .


bien à vous
hokousai

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 02:45

hokousai a écrit :
Louisa écrit:
"""""""""""""""La Liberté spinoziste consiste en l'inverse: s'imaginer DIEU, donc l'essence de la Nature, comme cause extérieure de TOUTES mes idées, aussi celles dont je me suis consciente quand je prends une décision. """""""""""""""""""""""

Dans ce cas il n’y a plus à parler de causes adéquates .Il n’y en a qu’une, toujours la même , c’est la nécessité et toute activité est indifférenciée.
Je vous reproche de passer toujours immédiatement (sans médiation ) à l’impossible ,c’est à dire pardessus
1 les cause adéquates différenciées (en chaque actes particulier)
2 les causes partielles adéquates seulement en Dieu .

Votre manière de penser vos actes concrètement est impossible, elle n’est pas pragmatiquement possible .Vous ne pensez pas vos actes mais la nécessité en général ! C’est une idée adéquate si on veut ,c’est une idée tautologique , un cercle qui ne me rend ni plus ni moins joyeux .
Je ne traite pas avec cette idée de mes affects particuliers, ils n’y entrent pas dans leur spécificité .A quoi bon alors parler des différents affects ? Et pourtant Spinoza le fait .


Je n'ai pas vraiment voulu expliquer quelle est MA manière de penser mes actes, j'ai uniquement voulu parler de ce qui est, à mes yeux, la manière dont SPINOZA propose de le faire.
A mon avis, si vous avez l'impression qu'il s'agit d'une façon immédiate de penser la nécessité, donc sans en passer par des causes particulières, c'est parce que pour l'instant, vous ne semblez concevoir la nécessité qu'en général. Or précisément, ce que Spinoza selon moi fait, c'est de proposer de s'exercer à associer l'idée de nécessité générale à des causes particulières. Sinon, il n'y a effectivement aucun résultat affectif possible. Lier l'idée de nécessité éternelle à des causes particulières, cela implique, comme j'ai essayé de le dire au début de cette discussion, que quand votre chien a un accident de voiture après que vous l'aviez lâché, de commencer à s'imaginer un maximum de causes partielles ayant co-produit cet événement. Ce n'est pas ce qu'on fait d'habitude, au moment même de l'événement et spontanément. Mais je ne vois pas en quoi cela ne serait pas possible. Au contraire, vous êtes déjà bien d'accord pour dire que sans voiture qui passait à ce moment précis, votre chien n'aurait pas du tout été blessé, etc. Donc vous êtes tout à fait capable de vous imaginer ces causes partielles particulières. Vous avez même dit croire en la nécessité universelle. Donc là aussi, pas de problème. Alors la seule chose que Spinoza y ajoute, c'est d'essayer de s'imaginer tout cela tout en s'imaginant l'idée de la nécessité éternelle, c'est-à-dire de combiner les deux, idées d'un maximum de causes partielles, et idée de nécessité en général. Cela, j'en conviens, c'est moins facile. Mais comme il le dit: avec un peu d'exercice, c'est très bien faisable. Et en tout cas, ce n'est qu'en faisant cela que l'effet affectif se fera sentir, pas en pensant uniquement à soi-même comme cause efficiente, ni en pensant seulement à Dieu ou à la nécessité de manière abstraite.

hokusai a écrit :Quand l’esprit/corps agit sans conscience (et c’est fréquent ) comment après coup ne pas lui attribuer d avoir été la cause des actions effectuées ,cause adéquates pour autant qu’on puisse supposer avoir agi ici ou là , et pourtant nous n’étions pas libre .


mais Spinoza ne nie nullement que nos mouvements du Corps ou de l'Esprit puissent être des causes d'événements hors de nous, avec ou sans conscience. Seulement, 'agir' chez lui n'a pas cette signification-là. Ce mot n'est plus utilisé dans son sens ordinaire, courant. Agir, chez lui, c'est devenu un concept. Cela veut dire qu'il invente lui-même un tout nouveau sens, qui n'a plus en rien en commun avec le sens ordinaire qu'une simple apparence et le mot.
Agir dans le sens spinoziste, c'est avoir une idée adéquate (en prenant le mot 'adéquation' également dans un sens très particulier et non courant). C'est être non pas cause partielle d'un événément (et s'il faut utiliser un marteau, pe, il y a déjà une deuxième cause qui concourt avec nous ...), mais la seule cause. Pas la cause prochaine, mais la SEULE cause. C'est pourquoi Dieu est la seule cause adéquate, chez Spinoza. C'est pourquoi il doit écrire la 5e partie de l'Ethique pour pouvoir expliquer en quoi consiste la Liberté Humaine, car sur base des trois premières parties, où il explique ce que c'est que la liberté (De Deo) et la cause adéquate (3e partie), on ne le sait pas encore.
Certes, en tant que nous avons des idées adéquates, nous agissons, et donc nous sommes causes adéquates, mais ... si vous regardez la démonstration de cette proposition (la E3.1), vous allez constater qu'il ne s'appuie que sur Dieu: "les idées qui dans l'Esprit de quelqu'un sont adéquates sont adéquates en Dieu, en tant qu'il constitue l'essence de cet Esprit". Et l'effet de cette idée en nous, c'est avant tout Dieu qui en est la cause adéquate. Mais c'est parce qu'il en est la cause adéquate "en tant qu'il est affecté d'une idée qui dans l'Esprit de quelqu'un est adéquate", que "ce même Esprit est la cause adéquate".

Hokusai a écrit :Comment ne pas penser adéquatement que celui qui pensait à autre chose mais qui a fait ce qu’il sait très bien faire sans y penser , comment estimer qu’il n' en est pas la cause ? Chacun estime qu’il est la cause de ce qu’il a fait sans y penser (automatiquement ) , c’est un savoir clair et distinct. Je dirais même plus c’est une certitude . Spinoza n’ aurai il pas eu cette certitude ?


Mais si, il l'a eu, et il en parle même explicitement. Encore une fois, il ne nie pas du tout que nous pouvons être la cause de quelque chose, et que nous pouvons avoir un savoir clair et distinct de ce fait (dans le sens ordinaire du clair et distinct). Mais ce n'est pas ce en quoi consiste pour lui la Liberté Humaine... . Pour être libre, il ne suffit pas d'être cause, car toute chose est déterminée à produire constamment des effets, selon sa propre puissance et essence. On est donc par définition, en tant que chose, cause. Mais si vous relisez la 1.32, ne trouvez-vous pas qu'il faut en conclure que pour Spinoza, cela ne sert à rien d'identifier la liberté au seul fait d'être conscient d'être la cause d'un effet ... ?
Bonne nuit une deuxième fois ... :)
Louisa.

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 04:06

PS:

hokusai a écrit :

Quand l’esprit/corps agit sans conscience (et c’est fréquent ) comment après coup ne pas lui attribuer d avoir été la cause des actions effectuées ,cause adéquates pour autant qu’on puisse supposer avoir agi ici ou là , et pourtant nous n’étions pas libre .


enfin un autre problème avec cette interprétation de Spinoza (si elle en est une, car je ne suis jamais tout à fait certaine quand vous voulez parler de Spinoza et quand vous voulez parler de vos propres définitions et conceptions), c'est que la démonstration de la proposition 3.1 dit explicitement dans quelles conditions précises nous sommes cause adéquate d'un effet: nous ne sommes cause adéquate que de ces effets qui suivent nécessairement d'une idée adéquate qui est en nous.

Si donc vous voulez être cause adéquate de l'accident de voiture de votre chien, dans un sens spinoziste, il faudrait que cet accident suive de manière nécessaire d'une idée adéquate en vous ... .

Or quelle pourrait avoir été cette idée adéquate de laquelle suit nécessairement l'effet 'chien heurté par voiture'... ?

Pas celle qui consiste à décider de lâcher le chien, en tout cas, car de celle-là, il n'en suit pas du tout NECESSAIREMENT que le chien, quelques secondes par après, est heurté par une voiture. Déjà vous avez dit ne l'avoir lâche qu'au moment où le but était qu'il monte dans la voiture. Dans beaucoup de circonstances, les chiens comprennent que cela est votre but, et donc montent dans la voiture au lieu d'aller se balader. Pourquoi le vôtre ne l'a-t-il pas fait? Et pourquoi au moment où il a décidé de ne pas le faire, une voiture est-elle passé, exactement à la hauteur où se trouvait votre chien? Vous n'allez tout de même pas prétendre que tout cela, la voiture qui passe à ce moment précis, le chien qui rebrousse chemin et qui au lieu de monter dans la voiture part pour la route, SUIT NECESSAIREMENT de VOTRE idée de lâcher le chien ... ?
C'est pourquoi, à mon sens, il est impossible de vous concevoir comme cause adéquate, dans un sens proprement spinoziste, de cet accident ... .
Bien cordialement,
Louisa

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 04:28

Enfin une dernière remarque par rapport à cette même démonstration de la 3.1: Spinoza y dit que nous sommes les causes adéquates uniquement de ces effets qui suivent nécessairement d'une idée adéquate en nous. Or, de quel type d'effets une idée peut-elle être la cause, chez Spinoza? D'un seul type d'effets: des effets qui sont eux-mêmes des idées. Car on sait qu'en vertu du parallélisme que l'Esprit ne peut rien causer dans le Corps et inversement. Toute idée est donc cause d'une autre idée, mais de rien d'autre.
De cela aussi, il me semble qu'on ne peut que conclure que l'accident réel de votre chien, qui est bien autre chose qu'une simple idée dans votre Esprit, ne peut être un effet que vous avez produit en tant que cause adéquate. On n'est cause adéquate que de certaines de nos idées, chez Spinoza, et c'est tout.
A moins que vous voyez une autre façon d'interpréter cette démonstration?
Louisa

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 05:11

Cher Hokusai,

voici tout de même encore une remarque par rapport à ce que vous venez d'écrire:

Hokusai a écrit :Louisa écrit:
"""""""""""""""La Liberté spinoziste consiste en l'inverse: s'imaginer DIEU, donc l'essence de la Nature, comme cause extérieure de TOUTES mes idées, aussi celles dont je me suis consciente quand je prends une décision. """""""""""""""""""""""

Dans ce cas il n’y a plus à parler de causes adéquates .Il n’y en a qu’une, toujours la même , c’est la nécessité et toute activité est indifférenciée.
Je vous reproche de passer toujours immédiatement (sans médiation ) à l’impossible ,c’est à dire pardessus
1 les cause adéquates différenciées (en chaque actes particulier)
2 les causes partielles adéquates seulement en Dieu .


En relisant la démonstration de 3.1, je tombais sur la référence au corollaire de la 2.11. Ce qu'il dit là me semble si clairement vous contre-dire, que je voulais tout de même encore le citer (pas pour VOUS contredire, mais pour essayer de trouver un accord sur ce que dit réellement Spinoza):

De là suit que l'Esprit humain est une partie de l'intellect infini de Dieu; et partant, quand nous disons que l'Esprit humain perçoit telle ou telle chose, nous ne disons rien d'autre sinon que Dieu, non en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il s'explique par la nature de l'Esprit humain, autrement dit en tant qu'il constitue l'essence de l'Esprit humain, a telle ou telle idée; et quand nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non seulement en tant qu'il constitue la nature de l'Esprit humain, mais en tant qu'il a en même temps que l'Esprit humain également l'idée d'une autre chose, alors nous disons que l'Esprit humain perçoit une chose en partie, autrement dit de manière inadéquate.

Il faut donc bel et bien que DIEU ait l'idée de l'accident de voiture de votre chien, et cela en tant qu'il constitue l'essence de VOTRE Esprit, pour que vous puissiez avoir une idée adéquate de cette accident. Si en revanche DIEU a l'idée de cet accident non seulement en tant qu'il constitue la nature de votre Esprit mais en tant qu'il a en même temps l'idée de l'Esprit de votre chien et l'idée de l'Esprit de l'automobiliste qui a heurté votre chien, alors votre Esprit perçoit l'accident seulement en partie, autrement dit de manière inadéquate. Et donc tout ce qui suit de la perception de cet accident, dans votre Esprit, vous ne pouvez pas en être la cause adéquate.
Or vous prétendez quelque chose d'encore beaucoup plus fort que cela. Vous prétendez être la cause non pas de ce qui suit de votre perception de l'accident, mais la cause adéquate de l'accident lui-même. Mais alors il faudrait qu'en Dieu, il y ait une idée en tant qu'il constitue l'essence de votre Esprit, et de laquelle suit nécessairement cet accident de voiture. Mais alors on revient au problème que j'ai déjà soulevé: comment concevoir dans votre Esprit une idée de laquelle cet accident suivrait NECESSAIREMENT?

En tout cas, Spinoza ajoute encore un scolie à ce corollaire, qui vaut peut-être la peine d'être mentionné:

SCOLIE
A partir d'ici je ne doute pas que les Lecteurs seront dans l'embarras, et que bien des choses leur viendront à l'esprit qui les arrêteront, et c'est pourquoi je leur demande d'avancer avec moi à pas lents, et de ne pas porter jugement avant d'avoir tout lu.


ici aussi, cela me semble être assez clair: comment bien comprendre ce que veut dire Spinoza par cette notion d'idée adéquate ou inadéquate? Et comment comprendre que tout cela a à voir avec Dieu, et non seulement avec moi en rapport avec moi-même, ou avec la nécessité en général?
Il répond littéralement à cette question: lisez d'abord TOUT, et cela très lentement (donc en intégrant toutes les définitions qu'il donne). Et tout, cela veut dire aussi: lisez d'abord la 5e partie, celle qui ne nous parle que de l'amour envers Dieu et de l'amour intellectuel de Dieu. Mais qui, simultanément, souligne combien tout ceci a à voir avec les remèdes pratiques à nos affects ... . C'est pourquoi à mon sens il est impossible de comprendre l'adéquation spinoziste ou l'aspect 'thérapeutique' du spinozisme sans passer par Dieu et par la 5e partie de l'Ethique.
Louisa

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Messagepar hokousai » 29 déc. 2006, 13:22

à Louisa


Pouvons-nous revenir à des considérations mesurées. Si cela n’est pas possible je ne continuerai pas .

Je vous dis que je suis libre de lâcher la laisse de mon chien si c’est moi qui décide ou non libre si on m’y oblige .
Dans « de la liberté humaine » il faut attendre la prop 36 (sur 39) pour voir apparaître le terme de liberté
« béatitude ou liberté à savoir un amour constant et éternel envers Dieu . »
On n’est plus du tout dans le même registre . Il faudrait distinguer les niveaux.

Or Vous me débobinez tout l’écheveau du spinozisme à chaque message .Vous passez sans médiation du particulier au général alors que le particulier n’est pas éclairci .C’est un déni majeur de notre situation d’esprit fini. affrontant des situations particulières déterminées .

……………………………………………..

"""""""""""""de commencer à s'imaginer un maximum de causes partielles ayant co-produit cet événement. Ce n'est pas ce qu'on fait d'habitude, au moment même de l'événement et spontanément."""""""""""""""""""""

Si ce n’est pas ce que nous faisons c’est qu’il y a une raison .Si je me perçois comme cause la plus importante de l’accident du chien c’est qu’il y a une raison .La raison est que c’est ce qui m’apparaît le plus clair et le plus distinct et comme la vérité est norme d’ elle même la vérité de la liberté est norme d’ elle même .
Je suis libre quand je me pense libre .

Je n’ai pas une volonté infinie mais je peux me trouver dans des situations de liberté finie la où la cause de mon acte m’apparaît clairement comme ce que j ai décidé de faire .

Moi comme esprit/corps je suis l’expression de deux attributs et je suis pris dans la nécessité certes , bien évidemment , mais les situations de liberté parmi tous les événements que je vivrai ont une coloration particulière .

Quand je reçois une tuile sur la tête je vois bien la cause adéquate du choc
Le choc est l’effet de la chute d’une tuile sur mon crâne Est-ce que cette idée n’est pas adéquate ?je ne suis pourtant pas dans une situation de liberté .
Mais est-ce que la description par des causes plus précises va atténuer ma douleur ?
…………………………………………………..


Que pensez -vous de ces deux propositions :
(on y parle des événements particuliers et de leur cause )

Il est donc clair que la cause première lointaine embrasse davantage et EST plus fortement cause de la chose que sa cause prochaine .
Pour cette raison l’opération de la cause lointaine s’ attache plus fortement à la chose que l’opération de la cause prochaine. Et il en est ainsi que parce que la chose ne subit d’ abord qu’une puissance éloignée (cause première ) ; ce n’est qu’ultérieurement quelle subit une puissance qui est subordonnée à la première .

……………………………………………………
je fais confiance à votre grande puissance de feu pour intégrer aussi cette dernière demande .


amicalement
Hokousai

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 17:08

Cher Hokusai,

je ne vois qu'une façon de raccourcir les messages, c'est de ne traiter que d'un aspect mentionné. Je prends celui sur lequel vous semblez revenir le plus souvent, celui de la liberté comme décision consciente, aussi parce qu'il a peut-être le plus trait au problème que soulevait ici fantasueno.

Hokusai a écrit :Louisa:
"""""""""""""de commencer à s'imaginer un maximum de causes partielles ayant co-produit cet événement. Ce n'est pas ce qu'on fait d'habitude, au moment même de l'événement et spontanément."""""""""""""""""""""

Si ce n’est pas ce que nous faisons c’est qu’il y a une raison .Si je me perçois comme cause la plus importante de l’accident du chien c’est qu’il y a une raison .La raison est que c’est ce qui m’apparaît le plus clair et le plus distinct et comme la vérité est norme d’ elle même la vérité de la liberté est norme d’ elle même.


Spinoza suggère une autre raison: prop 5.13:

Plus il y a de choses auxquelles a été jointe une image, plus souvent elle est vive.

A mon avis, il faut donc distinguer, chez Spinoza, l'idée claire et distincte comme idée vraie, de l'image vive.

Une première distinction est évidente: par définition, chez Spinoza une image, c'est une affection du Corps. Une idée se situe dans l'Esprit.

Deuxième distinction: Spinoza admet, avec vous, que l'idée d'une telle affection, ne contient pas d'erreur, si on la considère en soi. Elle n'est donc pas fausse, elle constitue même le premier genre de connaissance, c'est-à-dire une connaissance. Mais elle n'est pas vraie non plus, car aussi vive que puisse être l'image, jamais, chez Spinoza, l'idée d'une image est adéquate. Et sans adéquation, pas de vérité.

Si donc vous vous imaginez libre quand vous prenez une décision consciente, cela n'en fait pas encore une idée adéquate. Si vous l'appelez 'vrai', vous parlez d'un autre type de vérité que Spinoza.

En revanche, que vous vous imaginez libre en prenant une décision consciente s'explique chez Spinoza par la proposition ci-dessus: l'image, donc l'affection du Corps qui vous a, comme nous tous, le plus affecté quand vous entendez, en Occident, le mot 'liberté', c'est celle qui se laisse définir par la décision consciente. Il suffit donc de lire aujourd'hui le mot 'libre', ou d'y penser (comme vous le dites: 'je suis libre quand je me pense libre'), pour que cette image très vive soit activée en vous. N'empêche que pour Spinoza, cela reste une image, donc une idée inadéquate. Ressentir une image de manière vive n'est pas la même chose que d'avoir une idée claire et distincte, chez lui.
Vous pouvez bien sûr pratiquer un spinozisme 'mutilé', comme le disait Deleuze, et identifier tout de même idée d'une image vive et idée vraie. Mais si alors vous reprenez la proposition spinoziste 'la vérité est norme d'elle-même', cette proposition a changé de sens, elle n'a plus le sens spinoziste.
A mon avis, c'est parce que vous effectuez assez régulièrement de tels changements de sens que pour l'instant, vous n'avez pas encore pu mettre en pratique ce que propose réellement Spinoza. D'où votre sentiment actuel de ne pas ressentir l'effet promis par Spinoza sur l'atténuation de la douleur. Il faut d'abord pratiquer un spinozisme en respectant les distinctions spinozistes avant de pouvoir savoir ce que cela donne en pratique.

Sinon la question de la médiation et celle des causes prochaines et lointaines me semble bien intéressante. J'y reviens quand cela vous convient.
Bonne fin d'après-midi,
Louisa

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2006, 18:54

PS à Hokusai:

pour éviter tout malentendu, le but de mon message précédent n'était pas du tout 'morale'. Il ne s'agit pas du tout de voir dans quelle mesure ce que vous écrivez est du 'bon' ou du 'mauvais' spinoziste (et encore moins de voir dans quelle mesure vous seriez vous-même un bon ou mauvais spinoziste).
C'était juste une remarque méthodologique ou pragmatique, se basant sur un principe qui me semble tout aussi important en philosophie qu'en science: si on veut mesurer l'efficacité d'une procédure (scientifique ou philosophique), il faut d'abord la suivre pas à pas, et faire tout ce qu'elle prescrit de faire. Ce n'est qu'à la fin que l'on peut juger la procédure en tant que telle. SI on la suit exactement comme elle le demande, et si néanmoins le résultat diffère de ce qu'elle promet, alors on peut la rejeter comme étant peu efficace.
Or j'ai l'impression que votre méthode d'aborder la pensée spinoziste ne respecte pas ce principe. Elle change déjà plein de choses en cours de route. Du coup, vous n'appliquez pas la procédure telle que prescrite, vous faites une autre expérience, vous basant de temps en temps sur quelques étapes de la procédure, tout en remplaçant d'autres par celles que vous préférez. Qu'alors le résultat ne correspond pas à ce que prévoit la procédure me semble être évident et tout à fait prévisible. Ce serait l'inverse qui serait étonnant.
Vous avez bien sûr tout à fait le droit de faire tout ce que vous voulez (le texte de Spinoza n'est pas sacré; et en théorie rien n'empêche que la pensée que vous allez développer ne soit pas plus intéressante). Seulement, je ne vois pas comment dire que la philosophie de Spinoza ne permet pas d'être un remède efficace aux affects si d'abord vous n'appliquez pas la procédure correctement, c'est-à-dire en respectant toutes ses définitions, aussi celle de la liberté, de la vérité, etc.
C'est pourquoi mon problème avec ce que vous écrivez n'est pas du tout d'ordre morale, mais simplement d'ordre méthodologique.
Dans l'espoir que ceci rendra certaines choses plus claires,
bien à vous,
Louisa

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Messagepar hokousai » 30 déc. 2006, 01:47

chère Louisa

Je cite Spinoza

"""""""Par idée adéquate j’entend une idée qui en tant qu’on la considère en soi sans rapport à l’objet a toutes les proprietés ou dénominations intrinsèques de l’idée vraie .""""""def4/2

L’idée vraie : ""connaître une chose de manière parfaite autrement dit excellente .""scolie prop 43/2
..........................................................

je dis que « je suis cause des actes que je décide » a toutes les proprietés ou dénominations intrinsèques de l’idée vraie . Il n’y a rien de doute qui se glisse entre moi décidant de fermer la main et l’acte qui va suivre si je décide .

Spinoza dit :
"""" je dis que j 'a accorde que la volonté s étend plus loin que l’intellect si par intellect on entend seulement les idées claires et distinctes ; mais je nie que la volonté s étende plus loin que les perceptions autrement dit que la faculté de concevoir """" «scolie prop 49/2 )
Ce qui ne contredit pas ce que je dis .

Moi décidant de fermer la main et l’acte qui va suivre si je décide .
. En quoi est-ce une image ? C’est une expérience existentielle laquelle est nommé usuellement « exercice de ma liberté d’agir » .

Ce n'est pas liberté au sens de béatitude , c'est liberté au sens usuel .Et comment ne plus parler usuellement . Il faudrait aussi penser à faire sortir Spinoza du caisson à oxygène ...de temps en temps .
……………………………………………….

J’ admire votre fidéisme (il y a toujours quelques chose d impressionnant dans le fidéisme et Pascal en impose , je dirai hélas !)
En science comme en philosophie , comme sur la route il faut être prudent .
Vous me proposez cette remarque d’un philosophe que je ne connais pas ( Deleuze ) que donc par prudence je ne saurai interpréter comme une vacherie encore que je ne sois pas loin de le penser . Je connais bien des spinozismes amplifiants- intrépides et qui gagneraient à mutiler , dans la douleur certes, mais pour la plus grande joie des lecteurs .


Mais ce n'est pas à vous que je pense, votre enthousiasme excuse tout .

Hokousai

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Messagepar fantasueno » 30 déc. 2006, 11:26

A Henrique, Louisa et Hokusai :

Puisque je suis à l'origine de ce forum, permettez-moi de re-situer le débat dans son optique pratique de la maîtrise des affects, de faire une synthèse des 5 pages d'échanges précédentes et surtout de vous poser qq questions :

1/ Enseignements que je tire des messages de Louisa :
- "La plupart des erreurs consistent seulement en ceci que nous n'appliquons pas correctement les noms aux choses."
- « Essayer de ne pas commencer à désespérer dans des situations désespérantes, voilà ce qui est déjà une façon d'affirmer sa puissance d'agir même si ces situations l'ont affecté de manière négative, c'est-à-dire l'ont baissée […] Dans ce sens, comprendre quelque chose d'une Tristesse peut bien permettre d'acquérir une plus grande conscience de son essence ou de son désir. Seulement, le fait même d'en avoir une plus grande conscience signifie, par définition, que le désir s'agrandit. »
- « Pourtant, pour Spinoza, c'est en ce moment précis qu'il faudrait non seulement avoir le reflexe de se rappeler la règle, mais immédiatement, avant même que les passions peuvent se déchaîner dans tous les sens, l'appliquer. Cela n'est pas possible sans exercice préalable. Cet exercice consiste à penser beaucoup à cette idée de la nécessité universelle, en dehors de toute situation choquante. Car plus qu'on a pris l'habitude d'y penser, plus il y a une chance qu'au moment où l'on en a le plus besoin, elle va être présente dans notre Esprit. Du coup, la Tristesse sera moins importante dès le début, c'est-à-dire ce même accident fera moins baisser notre puissance d'agir. Et la rétablir telle qu'elle était avant se fera aussi plus vite, vu que l'on a immédiatement appliqué le remède (on cherche immédiatement d'autres causes que soi-même). »

QUESTION A LOUISA :Nous sommes tous d’accord que devant un examen rationnel, le libre arbitre perd tout son poids face à la nécessité universel.
En revanche, le lien entre la liberté et la cause adéquate n’est pas facilement concevable, à moins de passer par la médiation de la « puissance d’agir ».
La liberté, pour un être quel qu’il soit, n’est ce pas finalement le fait d’actualiser pleinement la puissance qui définit sa nature ?

3/ Enseignements que je tire des messages de Hokusai :
- Spinoza hiérarchise les cause comme tout un chacun et je dirais que la totalité des causes c’est la cause la plus indéterminée donc la plus lointaine ainsi celle qui ne vient à l’esprit que , sinon tardivement , du moins pas immédiatement ..
Que je sois la cause que mon chien est lâché dans la rue c’est celle très claire et distinct qui me vient immédiatement à l’esprit , les autres causes sont moins claires et moins distinctes…
- Il est donc clair que la cause première lointaine embrasse davantage et EST plus fortement cause de la chose que sa cause prochaine .
Pour cette raison l’opération de la cause lointaine s’attache plus fortement à la chose que l’opération de la cause prochaine. Et il en est ainsi que parce que la chose ne subit d’ abord qu’une puissance éloignée (cause première) ; ce n’est qu’ultérieurement quelle subit une puissance qui est subordonnée à la première.

QUESTION A HOKUSAI :
Tu as mis le doigt sur un point essentiel de cette philosophie (la causalité) que j'avoue ne pas comprendre non plus. Comment alors pratiquer une chose incompréhensible ?
De quel type de cause parle Spinoza ? Efficiente, première, prochaine ? Il me semble que la causalité chez Spinoza est non-transitive et surtout simultanée. Comme sa « puissance d’agir », qui n’est pas la puissance virtuelle d’une statuette définie par Aristote ; mais plutôt la puissance dynamique et spontanée d’un être vivant. Du coup, le libre arbitre et la responsabilité prennent un autre sens que le sens « vulgaire et populaire » - comme disent les philosophes avec la modestie qui les caractérise.
Quelle est pour toi la définition de la "responsabilité" ? Pour moi cela recouvre la vie pratique, par exemple l’acte de jugement d’un juge pour déterminer la responsabilité d’un criminel lors d’un procès. D'ailleurs, as-tu remarqué que tout le travail d’un bon avocat pour diluer la responsabilité de son client est justement d’étayer un maximum de causes, mais surtout de remonter à la cause première lointaine (comme par exemple mon client a commis ce viol parce que lui-même a été violé dans sa petite enfance etc.) ?

4/ Enseignements que je tire des messages de Henrique :
- L'intérêt de l'Ethique n'est pas de nous faire découvrir des vérités inédites en matière de conduite de la vie mais de nous donner les moyens d'en comprendre clairement la nécessité et ainsi les moyens de les appliquer correctement.
- « La responsabilité n'empêche pas la nécessité et inversement. »
- « en elle-même, la douleur n'est pas bonne mais pour combattre les excès de titillation ou la dépression qui consiste à ne plus désirer désirer parce qu'on se croit déjà mort, elle est utile comme instrument de prise de conscience que nous sommes vivants. »
- « je peux au lieu de m'affliger savourer cette douleur comme "preuve" que je suis vivant. C'est alors un moyen de prendre conscience que je ne suis pas fondamentalement cette douleur, ni le corps et l'esprit qui en sont affectés, que je ne m'y réduis pas. Ayant conscience de souffrir et libéré de l'imagination morbide qui se représente ce corps comme substance contradictoirement destructible et refuse la douleur comme "injuste et évitable", je peux m'ouvrir à la conscience que je ne suis plus seulement la pensée de cette douleur, mais la pensée de cette pensée, qui demeure illimitée, inaltérable, éternelle, pensée par laquelle ce mental est vivant et sujet à souffrir. De même, je suis aussi l'étendue illimitée, la force par laquelle ce corps peut être affecté d'un grand nombre de façons. »

QUESTIONS A HENRIQUE :
Si je suis une pensée ou une étendue illimitée, quelle est alors la notion d’individu chez Spinoza ? Est ce mon corps (ou mon âme), où bien l’ensemble des corps (ou des idées) qui sont en relation avec moi ? Autrement dit, puisque la substance est indivisible, comment expliquer la notion d’individu ? Je reviens donc à mon ignorance et à mon incompréhension de la définition d’un être humain comme mode fini : Est ce que nous sommes issus d’un mode infini médiat, c'est-à-dire l’univers, ou bien du mode infini immédiat qu’est le mouvement/repos ?
Comment moi en tant que mode fini, puis-je ME déborder pour devenir un individu de plus en plus vaste, voire illimité, alors que ma puissance d’agir est forcément limitée (mode fini) ?

Merci à vous et bonnes fêtes de fin d'année
Amitiés


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