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Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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bruitson
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Messagepar bruitson » 07 août 2006, 22:43

bonjour
votre site est exactement ce que je voulais rencontrer depuis bien longtemps, merci d'exister
il se fait que je suis nouvelle sur ce forum et je ne sais pas très bien comment faire part d'une préoccupation
je vous ai découvert par hasard et depuis je lis presque tout ce que je trouve de vos discussions
je lis également les cours de deleuze sur son site web et chaque fois j'aimerais pouvoir expliquer ce que je comprends à mon enfant qui va avoir 11ans
ma question est
y a t il déjà quelqu'un qui s'est posé le problème d'expliquer spinoza à un enfant pré ado?

ensuite il y a quelqu'un (je n'ai pas noté le nom à l'époque où je l'ai lu, désolée) qui a dit qu'il "pratiquait" spinoza depuis 1 ans et qu'il lui avait fallu ce temps là pour enfin y arriver
peut-il en dire plus sur sa "pratique"comme par exemple, est-ce par une série de questions( et lesquelles,) concernant certaines de ses réactions? ou je ne sais quoi..j'espère ne pas vous déranger par trop de pragmatique mais c'est mon chemin de compréhension des textes

bruitson

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Henrique
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Messagepar Henrique » 15 août 2006, 03:01

Bonjour Bruitson,
Pour faire part de vos préoccupations, vous êtes invitée à parler ici librement, sans avoir à vous demander si vous allez être "acceptée" parce que vous seriez ou non assez spinoziste, philosophe, rationaliste ou que sais-je.

Personnellement, je ne me suis pas vraiment demandé comment expliquer Spinoza à un pré-ado, j'ai plutôt fait en sorte d'être "spinoziste", c'est-à-dire entier, simple et gai avec ceux que j'ai cotoyé dans la limite de mes capacités affectives. Mais comme il s'agissait d'enfants d'amis ou de neveux et nièces que je voyais une ou deux fois par an, ce n'était pas la même question que celle qui doit se poser à vous. Avec ma fille de deux ans et demi qui est très douée pour le langage mais qui a naturellement souvent du mal à comprendre la nécessité de différer la satisfaction de ses désirs, je lui dis bien des fois des choses comme "la patience est la mère de toutes les vertus" mais c'est pour sourire surtout avec sa mère. Pour l'instant, nous en restons à Ethique IV,7 qui veut qu'une passion ne peut être empêchée ou détruite que par une passion contraire et plus forte. Aussi pour discipliner ses impatiences, nous recourons à des histoires et des personnages qui font un peu peur, qu'elle adore et qui ont la vertu de calmer ses nerfs - cela dit les besoins et les moyens diffèrent sans doute d'un enfant à l'autre, le tout est de ne pas manquer d'imagination.

Mais pour répondre par avance à mes amis favorables à une éducation fondée essentiellement sur la positivité pure (qui voudraient, dans un certain esprit post-soixante huitard, ne rien imposer, ne rien forcer, ne rien contraindre chez l'enfant), je dirai que comme l'explique bien E4P7, face à l'espoir impérieux mais pourtant impossible d'obtenir tel jouet aperçu dans le magazin, chercher à opposer le raisonnement est bien évidemment pure gnognotte mais encore chercher à opposer d'autres promesses du type "tu en auras un mieux à Noël" ou encore "si tu es sage, tu auras un bonbon à la maison" n'auront guère plus d'incidence que souffler dans une chaussette. D'ailleurs, l'enfant connaît très vite le principe bardamien selon lequel "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" et ces nouvelles promesses ne font qu'enfoncer dans l'épuisante multiplication indéfinie des désirs. Rien de tel donc qu'un habile rappel de l'histoire de ce qui était arrivé à telle petite fille qui n'écoutait pas ses parents, pour passer ensuite à des choses plus positives, une fois oublié le jouet problématique.

Mais pour un enfant de 12 ans, pourquoi lui expliquer Spinoza ? Parce qu'il a manifesté une curiosité ? Parce qu'on juge que cela lui apporterait une ouverture intellectuelle intéressante ?

Dans le premier cas, je dirais "pourquoi ne pas essayer ?". Mais alors, comme les contes sont toujours meilleures pour les enfants quand les parents les racontent plutôt qu'ils ne les lisent, je dirais que le mieux serait que l'adulte parle à l'enfant de ce qui l'a le plus marqué et donc aussi de ce qu'il pense avoir le mieux compris chez cet auteur. Je crois que comme pour certains épisodes des contes, dont on fait l'économie selon l'âge de l'enfant, on se rend intuitivement compte assez vite de ce que le jeune pourra entendre. Ce sera sans doute mieux que de lui proposer la lecture de résumés même très vulgarisés.

Si l'enfant pré-ado se pose des questions du genre "à quoi ça sert de vivre si on doit mourir à la fin ?", on pourra se contenter de réponses spinozistes relativement simples comme "pourquoi veux-tu que la vie soit sans fin pour mériter d'être vécue ? Est-ce qu'une bonne glace a besoin d'être sans fin pour pouvoir être appréciée ?". On pourra aussi aller plus loin avec une réflexion sur le besoin illusoire de trouver une finalité à l'existence de toutes choses en allant piocher dans l'appendice de la première partie de l'Ethique. Mais l'important je pense est de n'approfondir qu'à mesure que l'enfant en manifeste le besoin. Si la première réponse le satisfait et tant que cela dure, inutile je pense d'aller beaucoup plus loin. Il ne faut surtout pas étouffer sa curiosité à cet âge avec trop d'informations à intégrer.

Si maintenant on veut l'ouvrir à un mode de penser affirmatif, peut-être pour éviter que l'affirmation de la négation propre à l'adolescence ne fasse trop de dégâts, je crois qu'un livre comme Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier peut être une bonne chose à lui glisser entre les mains, surtout si on en parle avec lui après l'avoir lu aussi soi-même. Mais comme je l'ai déjà dit, je ne parle pas ici en homme d'expérience. Donc si quelqu'un en a à cet égard, qu'il n'hésite pas à nous instruire.

En ce qui concerne Tournier, je finirai par cette citation d'une interview dans le magazine Lire de juillet-août 2006 où il explique comment il compose ses romans et contes :
Pierrot ou les secrets de la nuit illustre l'Ethique de Spinoza: l'opposition entre la substance et l'accident. Ce sont deux notions très difficiles à comprendre. Je les ai donc illustrées en jetant dessus mon manteau d'images: le conte. Pierrot le boulanger représente la substance: il est habillé tout de blanc, travaille avec acharnement. Mais c'est fade, la substance. Arlequin, au costume multicolore, représente l'accident: il est vêtu de toutes les couleurs, fait irruption dans la vie de Pierrot et de Colombine qui se laissera séduire par ses couleurs et ses beaux discours et quittera Pierrot pour se lancer sur les routes en compagnie de son Arlequin. L'accident est séduisant mais n'est ni solide ni constant. De quel côté se trouve la véritable fidélité? Du côté de la substance (Pierrot) ou de l'accident (Arlequin)? L'opposition entre la substance et l'accident renvoie à l'opposition entre l'eau ou le lait (qui sont fades et sont du côté de la substance) et les alcools (qui sont pleins de goût mais du côté de l'accident - dans tous les sens du terme!). Mais on trouve tout cela dans l'Ethique, sans doute l'un des plus grands livres jamais écrits: Spinoza démontre que Dieu, étant un être parfait, ne connaît ni l'amour, ni la haine, ni la pitié. C'est un des traités de philosophie les plus brillants.

Tournier semble avoir des souvenirs un peu lointains de Spinoza (confusion entre le terme scolastique d'accident et celui de mode) mais comme il rapporte quelque chose qu'il a concrètement compris avec son entendement, cela ne peut pas ne pas avoir d'intérêt d'un point de vue spinoziste, d'autant plus que "rien de ce qu'une idée fausse contient de positif n'est détruit par la présence du vrai, en tant que vrai" (E4P1).

Quant à ce que disait l'intervenant sur sa pratique de Spinoza, il faudrait retrouver son message, cela doit être faisable avec le moteur de recherche du forum. Ce n'est pas ce message des fois ? Ou alors il ne faut pas hésiter à dire directement et plus en détail ce que vous aimeriez lire et entendre concernant une pratique de Spinoza :-)

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Messagepar bruitson » 15 août 2006, 10:21

merci Henrique pour votre réponse qui me lance sur des pistes de documentation (le Tournier par ex)
il est vrai que mes questions sont une sorte de préparation à l'adolescence qui a l'art de cultiver le désaccord .
comment répondre à des questions existentielles posées par un jeune qui n'a pas les outils intellectuels pour y répondre
pour l'instant je m'exerce sur moi-même avec cette clé de compréhension : à savoir la grande découverte de Spinoza des deux modes de sentir de la vie : la Joie ou/et laTristesse, qui signifie (c'est comme cela que je le sent) augmentation ou diminution de la puissance d'agir que l'on possède en soi
est-ce que ce que je vis, j'en ressents de la diminution ou de l' augmentation?
c'est bon pour moi, mais un gosse ne comprend rien à cela
et pourtant, l'ennnui par ex qui n'est pas que négatif est toujours ressenti sur le moment comme quelque chose d'extrêment diminuant

parce que fondamentalement, il est vrai que le communisme càd la société idéale , ne peut exister que dans une république de sages (cf chez Macherey je crois) et la sagesse, j'en reste persuadée, cela s'apprend, ce n'est pas 'inné"dans le sens que ça sort tout seul, mais c'est en soi,
et je distingue bien la sagesse imposée par une méthode coué d'une sagesse révélée de soi, et c'est cela l'éducation, révéler la couche de raison qui va s'ajouter à la couche des passions
malheureusement, excusez-moi mais je ne puis continuer cette intervention pendant quelques jours
merci en tout cas pour toutes les contributions qu'il m'est donné à lire et dont j'apprécie le haut niveau de réflexion ainsi que sa clarté de présentation
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Messagepar Henrique » 16 août 2006, 14:12

bruitson a écrit :il est vrai que mes questions sont une sorte de préparation à l'adolescence qui a l'art de cultiver le désaccord.


C'est l'âge où se décide l'accès ou non à une mentalité philosophique, le désir de sagesse ou bien l'acceptation résignée de la banalité de l'existence d'un côté ou encore l'invention d'une pseudo-réalité sublime d'un autre côté. Mais il ne suffit pas non plus de faire de bonnes rencontres à ce moment, il faut en avoir fait depuis longtemps. Il n'est donc jamais trop tôt pour amener un jeune à pouvoir ensuite choisir en connaissance de cause.

comment répondre à des questions existentielles posées par un jeune qui n'a pas les outils intellectuels pour y répondre ?


Si quelqu'un a les outils intellectuels pour poser une question, il a ceux qui lui permettent de comprendre la réponse correspondant au niveau de réflexion que cette question enveloppe. On ne va pas expliquer Newton en détail à un petit de neuf ans qui demande "pourquoi la lune ne tombe-t-elle pas sur la terre ?", mais on pourra déjà lui dire qu'en fait elle tombe bien sur la terre du fait que tout corps est attiré par un autre plus massif mais qu'en même temps elle est repoussée à cause de la rapidité avec laquelle elle tourne autour de la terre, un peu comme quand on prend un virage très vite et qu'on est déporté. Ce type de réponse est incomplet mais il a l'avantage de permettre de commencer à éviter les réponses anthropomorphiques ou magiques du type "parce que la lune a des ailes invisibles...". Aussi je pense qu'on doit pouvoir répondre partiellement mais rationnellement à des questions d'enfants, fussent-elles existentielles, pour accompagner l'éclosion de la rationalité en lui, sachant d'ailleurs que des réponses qui s'imposeraient comme totalement achevées, ne laissant jouer aucun rôle à l'intellect de l'enfant, signifieraient la mort de la raison pour lui. Quelles sont ces questions, si ce n'est pas indiscret ?


pour l'instant je m'exerce sur moi-même avec cette clé de compréhension : à savoir la grande découverte de Spinoza des deux modes de sentir de la vie : la Joie ou/et laTristesse, qui signifie (c'est comme cela que je le sent) augmentation ou diminution de la puissance d'agir que l'on possède en soi
est-ce que ce que je vis, j'en ressents de la diminution ou de l' augmentation?


C'est une approche intéressante en effet, cela conduit à être attentif au vécu plutôt que de se laisser aller aux rêveries mentales ordinaires et observant ces sensations d'augmentation ou de diminution à ne plus y adhérer comme la mouche sur la glu, et ainsi à devenir plus apte à raisonner et à intuitionner.

c'est bon pour moi, mais un gosse ne comprend rien à cela
et pourtant, l'ennnui par ex qui n'est pas que négatif est toujours ressenti sur le moment comme quelque chose d'extrêment diminuant

Il serait sans doute hors de propos de lui parler d'augmentation ou de diminution de la puissance d'exister. Mais on peut assez facilement l'amener à se faire de la joie ou de la tristesse une notion assez générale : qu'est-ce que tu ressens quand tu es joyeux ? Ses réponses du type "j'ai envie de faire plein de choses" pourront être alors reformulée de façon accessible : "en fait, être joyeux, c'est toujours se sentir un peu plus fort qu'avant" ce qui revient à peu près au même que de parler d'augmentation de la puissance d'exister et d'agir, de même pour la tristesse.

A partir de là, on peut l'inviter à réfléchir sur ce qui le rend joyeux ou triste : dans quelle mesure cela dépend de lui ou de quelque chose ou quelqu'un d'autre ? Dans l'ennui par exemple, il ressentira une forme de tristesse parce d'un côté il voudrait faire quelque chose (ce n'est pas du sommeil) mais qu'il ne sait pas quoi, tout ce qui se présente n'étant pas attirant. Mais étant donnée une situation concrète où il avait éprouvé de l'ennui, par exemple dans une salle d'attente chez le médecin, d'où avait bien pu venir cette sorte de dépression du désir (on pourra parler pour lui d'envie d'avoir envie de faire quelque chose sans savoir quoi) ? Du fait qu'aucune activité possible n'était réellement intéressante ou bien du fait qu'il a négligé certaines activités possibles comme discuter avec sa mère, essayer de se souvenir en détail de ce qu'il a fait la veille, imaginer comment il pourra appliquer des techniques de balle au pied quand il jouera demain avec ses camarades etc. (activités qui certes dépendent moins des conditions extérieures que pouvoir faire du vélo ou jouer au ballon mais qui l'amènent à devenir plus libre, le plus beau des jouets, et dont on ne manque jamais, étant son propre mental).


parce que fondamentalement, il est vrai que le communisme càd la société idéale , ne peut exister que dans une république de sages (cf chez Macherey je crois)

C'est je pense Matheron qui emploie cette expression à propos je crois d'E4P71 ou E5P36 mais si une société uniquement faite d'êtres raisonnables et sages est une utopie, on peut cependant faire en sorte que les lois qui la gouvernent soient raisonnables et sages.



et la sagesse, j'en reste persuadée, cela s'apprend, ce n'est pas 'inné"dans le sens que ça sort tout seul, mais c'est en soi,
et je distingue bien la sagesse imposée par une méthode coué d'une sagesse révélée de soi, et c'est cela l'éducation, révéler la couche de raison qui va s'ajouter à la couche des passions


Oui mais comme je le suggérais, je pense qu'il faut un certain nombre de bonnes rencontres pour qu'un enfant devienne suffisamment rationnel pour que les passions ne le dominent pas par la suite, l'éducation des parents ne peut donner que de bons outils pour faire son chemin, elle ne peut faire le chemin à la place de l'enfant, ni la forêt dans laquelle il aura à faire ce chemin.

malheureusement, excusez-moi mais je ne puis continuer cette intervention pendant quelques jours
merci en tout cas pour toutes les contributions qu'il m'est donné à lire et dont j'apprécie le haut niveau de réflexion ainsi que sa clarté de présentation


J'ai pensé aussi à un autre grand livre spinoziste que Spinoza avait d'ailleurs lu de son vivant : Don Quichotte de la Manche de Cervantès. Ce livre est une découverte enchantée des capacités de l'esprit humain à se fourvoyer lui-même : au lieu de chercher à provoquer notre admiration pour des miracles et autres histoires surnaturelles, il nous montre ce qu'il y a d'admirable dans les capacités bien naturelles de l'esprit humain à s'inventer des histoires surnaturelles et extraordinaires. C'est le premier roman moderne, l'humour (et pas seulement l'ironie) en étant le ressort principal, et je ne connais guère de meilleure illustration de la plupart des affects passifs, mais aussi actifs par moments, dont Spinoza parlera ensuite.

Le style en est peut-être difficile d'accès pour un jeune d'aujourd'hui, c'est pas du Harry Potter, mais cela vaut la peine d'essayer, sinon il doit bien exister des versions résumées "en français courant" qui seront déjà un bon début.


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