Connaissance des Affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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steph38
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Connaissance des Affects

Messagepar steph38 » 08 mai 2007, 09:00

Bonjour à tous,

Dans l'Ethique, V,20 Scolie, Spinoza nous indique comment l'Esprit en arrive à maîtriser les affects : « La connaissance même des affects ».

Partons de la définition des Affects (affections du Corps par lesquelles sa puissance d'agir est accrue ou réduit...).

Là je sollicite votre aide afin de résoudre une contradiction que j'ai rencontrée (je sens que c'est un déficit de compréhension de ma part!).

D'une part, dans III,27 à 29, on relève que « L'idée d'une affection du Corps humain n'enveloppe pas la connaissance adéquate du Corps lui-même; (...) L'idée de l'idée d'une quelconque affection du Corps humain n'enveloppe pas la connaissance adéquate de l'Esprit humain »

D'autre part, dans V,4 : « il n'y a pas d'affection du Corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct », puis dans le corollaire, « il n'y a pas d'affect dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct ».

1/ Quel est donc le cheminement qui permet de passer de l'un à l'autre ?

2/ Comment parvenir à la connaissance des affects ? Est-ce par une technique similaire au boudhisme (eg Theravada, qui permet l'Insight, en entretenant une vigilance de tous les instants)? Est-ce plutôt en « imaginant » l'affect et en faisant intellectuellement une recherche de causes pour démonter le mécanisme du désir et ramener le Désir vers la Raison ?

Comme piste : Robert Misrahi, dans ses notes (édition de l'Eclat) dit que « c'est l'entière intelligibilité des affections du Corps qui rend possible une connaissance adéquate des affects. Cette intelligilité n'est pas donnée dans la conscience immédiate (II,28), mais peut s'aquérir par la connaissance. »


Merci

Stéphane.[quote][/quote]

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Messagepar Faun » 09 mai 2007, 10:08

Question difficile. Mais le fait que l'esprit n'ait pas une connaissance adéquate de lui même ni de son corps n'empèche nullement que les idées de ses affections, c'est à dire ses affects, soient claires et adéquates. En réalité on ne passe pas de l'un à l'autre, c'est en même temps que le corps est imaginé confusément et que les affects sont conçus adéquatements. Pour ce qui est de la démarche, j'ignore ce que pensent les bouddhistes, mais dans l'Ethique le seul moyen de connaître une chose adéquatement, c'est de contempler plusieurs idées à la fois, non sous l'effet d'une cause extérieure, mais par la seule force de notre intelligence, et de les ordonner entre elles. Dans la cinquième partie de l'Ethique, Spinoza affirme que "les yeux de l'Esprit, ce sont les démonstrations elles-mêmes."

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Messagepar steph38 » 09 mai 2007, 22:36

Merci Faun.
La liberation dans la pratique la plus épurée du bouddhisme consiste à vivre dans une attention vigilante et constante chaque moment de son expérience en tant qu'être humain. L'Insight consiste à voir les choses telles quelles sont [transitoires (anicca), dépourvues de soi propre, d'âme immortelle (anatta), et sujètes à la souffrance (dukkha) ], et à se libérer des états de haine, envie, etc... et d'un état global d'auto-illusion et d'attachement aux choses conditionnées.

C'est une pratique de tous les instants. On peut voir un très net parallèle avec le but proposé par Spinoza, vers les affects actifs, vers la libération par rapport à des objets de désir imaginaires, vers l'amitié universelle sous la conduite de la Raison. Les modalités pour y parvenir, toutefois, semblent plus directes et plus simples par la methode bouddhiste d'observation attentive de tous les phénomènes se présentant à nous.

Dans les deux systèmes l'acuité / l'adéquation se précise de la même manière progressivement avec la pratique. Mais le problème reste de passer d'une conscience d'idées confuses à des idées claires, bref, de quitter l'état de servitude.

Je comprends, Faun, par ton explication, que le fait d'être conscient de nos affects ne nous fournit jamais une idée adéquate **immédiate**. La connaissance (j'entends à partir du deuxième genre) serait donc obtenue par reflexion, interaction/cascades de multiples interrogations, recoupements, synthèses, analyse de causes, et mises en relations des « consciences inadéquates » ... Elle est donc forcément différée et nécessiterait une habilité (préalable?) de reflexion philosophique personnelle. Effort, travail, tiens tiens.... le prix de l'accroissement maximum de sa puissance d'agir: travailler plus pour gagner vraiment plus !!!

« Comment serait-il possible, en effet, si le salut était tout proche et qu'on pût le trouver sans grand travail, qu'il fût négligé par presque tous? » EV,42 Scolie.

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Messagepar Faun » 10 mai 2007, 18:51

Il y a une image que l'on attribue au bouddhisme, et qui s'applique assez bien à ce dont vous parlez : à cause de la limitation de notre puissance de comprendre, nous ne connaissons que quelques idées adéquates, comme des fleurs de lotus flottants sur un océan de boue, qui est constitué de toutes les idées inadéquates.

Cependant cette image n'est juste que du point de vue des individus singuliers et limités, car du point de vue de la nature entière, il en va tout autrement.

Mais je ne vous suis pas quand vous dites que Spinoza est proche du bouddhisme. Il n'y a rien de plus absurde que de dire que tout est transitoire, impermanent, vide d'essence, et que tout est souffrance en ce monde. C'est la pire des propagandes, un culte de la Mort, à l'opposé de la pensée de Spinoza. Je dirais même que tout peut être cause de Joie pour le philosophe, et tout ce qui est possède une essence singulière qui affirme avec une force propre l'existence de la chose, et que cette force, étant une partie de la puissance de Dieu, est éternelle. Bref c'est juste le contraire du bouddhisme.

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Messagepar steph38 » 10 mai 2007, 23:15

Attention toutefois à ne pas se fixer sur une représentation du bouddhisme pessimiste, anti-vie, et style je-suis-le-lotus-détaché-de-tout ! Revenons aux racines du boudhisme et souvenons nous de l'image du radeau qu'on emprunte pour traverser la rivière, et qui ne nous est utile qu'à cette fin. Cela doit être le cas pour toute religion ou philosphie vers la libération.

Le canon de l'abhidhamma mentionne deux vérités : une conventionnelle, et la vérité ultime : « bien que les réalités ultimes existent comme les essences concrètes des choses, elles sont si subtiles et profondes qu'une personne ordinaire qui manque d'entrainement ne peut pas les percevoir. Elle ne peut pas voir ces réalités car son esprit est obscurci par des concepts, qui modèlent la réalité en apparences conventionnellement définies. Seulement par une attention sage et approfondie aux choses peut on voir au dela des concepts et prendre les réalités ultimes comme un objet de connaissance. »

Je ne suis pas boudhiste et tente seulement de trouver des convergences où il me semble y en avoir, pour me conforter dans un chemin pratique : dans l'« école de pensée » boudhique, tout individu est composé de 5 types de réalités ultimes ou aggrégats (matière, sensations, perception, formations mentales, et conscience), et en outre absolument tout phénomène à toute échelle progresse d'une naissance, croissance, maturité et déclin vers la mort. C'est par exemple le fait que nos cellules se régénèrent tellement rapidement que votre corps n'est plus le même que celui qui évoluait hier (çà c'est un fait scientifique avéré). Donc aucun culte de la mort, c'est la reconnaissance même des choses telles qu'elles sont. C'est même cette conscience que tout est transitoire qui libère et nous délivre de notre attitude morne et triste qui consiste à éviter constamment la mort, qui nous contraint à rester attaché à notre petite personne ou à nos maigres possessions. On peut par exemple imaginer l'énergie, l'oubli de soi et la générosité qu'on déploierait à l'idée qu'il ne nous reste plus qu'un jour à vivre !

Je tends donc à maintenir une similitude (vérité conventionnelle, et ultime...vs connaissances des trois genres; nibbhana...vs expérience de Dieu dans l'Ethique V; facteurs mentaux illimités(compassion+joie) ... vs conatus et Joie, les deux écoles réfutent le libre arbitre, ou un dieu personnel, etc)

Ce que vous percevez comme « limitation de la puissance d'agir » sont en fait des abstinences (mensonge, diffamation, bavadages néfastes, meutre, vol, mauvaises conduites sexuelles, commerce de poisons, armes, etc...). Quelles vertueuses abstinences tout de même !

Le levier vers la libération consiste justement à décupler sa puissance d'agir par l'attention de chaque instant au sein de notre société, et ce facteur de vigilance (sati en pali) éradique les facteurs mentaux négatifs par le simple fait de les « voir en face » : envie, haine, avarice, inquiétude, torpeur, doute, etc... Cette attention vigilante permet aussi l'apparition et cultive le maintient de la vigilance, tranquilité d'esprit, compassion, générosité, énergie, amour, joie bienveillante.
Cela correspond bien à la vertu spinoziste, non ?

Et c'est pour cela que tout simplement j'avais le sentiment que la méthode de base du boudhisme (maitrise des facteurs mentaux par l'attention vigilante de tous les phénomènes se présentant à nous), est plus accessible, plus simple que cette proposée par Spinoza (puissance de l'Esprit sur les affects), et me demandait si les deux écoles ne présentaient pas la même chose avec un vocabulaire différent (je provoque un peu ...).

Bien amicalement,

Stéphane

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Messagepar Faun » 13 mai 2007, 10:44

steph38 a écrit :Je ne suis pas boudhiste et tente seulement de trouver des convergences où il me semble y en avoir, pour me conforter dans un chemin pratique : dans l'« école de pensée » boudhique, tout individu est composé de 5 types de réalités ultimes ou aggrégats (matière, sensations, perception, formations mentales, et conscience), et en outre absolument tout phénomène à toute échelle progresse d'une naissance, croissance, maturité et déclin vers la mort. C'est par exemple le fait que nos cellules se régénèrent tellement rapidement que votre corps n'est plus le même que celui qui évoluait hier (çà c'est un fait scientifique avéré). Donc aucun culte de la mort, c'est la reconnaissance même des choses telles qu'elles sont.


Et bien c'est l'opposé de la pensée de Spinoza, car pour lui toute chose tend non pas à naître et à mourir, mais au contraire tend à persévérer indéfiniment, éternellement, dans son être, et ce n'est que par l'action des forces extérieures qu'elle peut être détruite. Voir la proposition 6 partie 3 de l'Ethique.

C'est même cette conscience que tout est transitoire qui libère et nous délivre de notre attitude morne et triste qui consiste à éviter constamment la mort, qui nous contraint à rester attaché à notre petite personne ou à nos maigres possessions. On peut par exemple imaginer l'énergie, l'oubli de soi et la générosité qu'on déploierait à l'idée qu'il ne nous reste plus qu'un jour à vivre !


Là aussi la lecture de l'Ethique nous montre que pour Spinoza la pensée de la mort est la passion triste par excellence, et que le sage doit y penser le moins possible afin de préserver sa joie de vivre. Voir la proposition 67 de la partie 4.

Ce que vous percevez comme « limitation de la puissance d'agir » sont en fait des abstinences (mensonge, diffamation, bavadages néfastes, meutre, vol, mauvaises conduites sexuelles, commerce de poisons, armes, etc...). Quelles vertueuses abstinences tout de même !


Vous m'avez mal compris. Relisez mon précédent message dans lequel je parle de la limitation de notre puissance de comprendre, qui fait que nous avons des idées inadéquates, et non de celle d'agir.

Le levier vers la libération consiste justement à décupler sa puissance d'agir par l'attention de chaque instant au sein de notre société, et ce facteur de vigilance (sati en pali) éradique les facteurs mentaux négatifs par le simple fait de les « voir en face » : envie, haine, avarice, inquiétude, torpeur, doute, etc... Cette attention vigilante permet aussi l'apparition et cultive le maintient de la vigilance, tranquilité d'esprit, compassion, générosité, énergie, amour, joie bienveillante.
Cela correspond bien à la vertu spinoziste, non ?


Pas tout à fait non. La compassion pour Spinoza est une passion triste : la pitité, et à ce titre elle n'a pas sa place dans l'esprit du sage. Voir la proposition 50 de la partie 4.

Et c'est pour cela que tout simplement j'avais le sentiment que la méthode de base du boudhisme (maitrise des facteurs mentaux par l'attention vigilante de tous les phénomènes se présentant à nous), est plus accessible, plus simple que cette proposée par Spinoza (puissance de l'Esprit sur les affects), et me demandait si les deux écoles ne présentaient pas la même chose avec un vocabulaire différent (je provoque un peu ...).


La voie de Spinoza est celle de la raison qui démontre, en assemblant plusieurs idées entre elles par la force de notre intelligence. Cela ne consiste pas seulement à contempler les idées qui se présentent au hasard, et qui trouvent leur origine et leur cause à l'extérieur de notre intelligence. Mais j'ai souligné les principaux points de désaccords entre la philosophie de Spinoza et la religion du Bouddha, cela ne signifie pas qu'elles n'ont absolument rien en commun.

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Messagepar steph38 » 13 mai 2007, 22:08

Merci Faun pour ces précisions. Je suis sur ce forum pour mieux comprendre Spinoza de manière pratique, et de confronter mes lectures avec des personnes qui ont une bonne compréhension de ses idées.

[/quote]"Et bien c'est l'opposé de la pensée de Spinoza, car pour lui toute chose tend non pas à naître et à mourir, mais au contraire tend à persévérer indéfiniment, éternellement, dans son être, et ce n'est que par l'action des forces extérieures qu'elle peut être détruite"

Je ne suis pas d'accord puisque l'Abhdhamma fournit une analyse hyper détaillée des productions et relations conditionnées; à ceci s'ajoute des classifications exhaustives des processus mentaux et matériels. Dans la réalisation du conatus, les parties extensives sont de toute façon vouées à l'action des forces qui conditionnent la naissance, vers le declin/dépérissement puis la mort.

Quant à la compassion (karuna), "elle a pour caractéristique d'encourager la suppression de la souffrance chez les autres. Sa fonction est de ne pas tolérer la souffrance chez les autres. Elle se manifeste en tant que non-cruauté. Succès quand la cruauté est annéantie; défaite quand elle produit un sentiment de désolation (on retrouve la pitié).

De plus la méditation dans l'instant présent est bien entendu à conjuguer avec une vie que l'on entretient comme moralement bonne (donc pas "au hasard, on fait qd même des choix), et là on diverge complètement, il est vrai, de Spinoza sur les valeurs Bien/Mal.

Globalement, on peut certes voir un paquet de différences entre les deux méthodes. Ce qui importe est de bien comprendre que Buddha et Spinoza on délivré leurs oeuvres qui s'inscrivent dans des contextes socio-historico-civilisationnels très différent. Par exemple l'un voit la libération comme l'extinction des désirs (Siddharta, rappelons-le provenait d'un cadre très luxueux, repu, blasé dans l'abondance matérielle), alors que l'autre la voit plus comme une exaltation de notre potentiel de vie (lui qui était opprimé, menacé en permanence et en mauvaise santé).

Pour revenir au sujet du fil : la puissance sur les affects; si je m'en tiens à Spinoza et fais référence à votre première réponse, je n'arrive toujours pas à comprendre comment, en étant conscient de nos affections (donc de manière inadéquate), on parvient, avec force intelligence, à la connaissance des affects. Peut-être qu'un exemple concret (nous sommes après tout dans un forum sur le spinozisme pratique) m'aiderait ?

Merci

Stéphane

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Messagepar alcore » 06 mai 2009, 12:22

Si je peux me permettre une opinion sur le rapport entre Spinoza et bouddhisme, la voici.
Dans le bouddhisme, comme toutes les religions naturelles, on trouve la conviction que la nature est harmonie et que la sagesse consister à s'accorder avec cette harmonie, à la trouver en soi comme elle est dans les choses.
Je ne pense pas que Spinoza, très juif en cela, suive cette piste.
La nature, c'est les attributs de Dieu; de ces attributs découlent nécessairement au niveau des existences de modes, des rapports de force, dont nos affects dépendent. Et il est tout à fait impossible de sortir complètement des affects.
La nature est donc essentiellement chaotique et je ne vois pas comment trouver l'harmonie en elle. Supposer une telle harmonie serait supposer une vision finaliste de la nature, et demeurer aveugle à ce qui, en elle, est irréductiblement conflits.
Reste alors en suspens la question du salut et de son ancrage affectif.

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Messagepar sescho » 08 mai 2009, 12:21

alcore a écrit :Si je peux me permettre une opinion sur le rapport entre Spinoza et bouddhisme, la voici.
Dans le bouddhisme, comme toutes les religions naturelles, on trouve la conviction que la nature est harmonie et que la sagesse consister à s'accorder avec cette harmonie, à la trouver en soi comme elle est dans les choses.

Hum ! La Nature est ce qu'elle est et nous en faisons partie. Tout ce qui est de l'ordre du changeant n'a pas d'être propre et n'existe pas en soi mais en autre chose, qui est le Non-né, comme manifestation de l'énergie cosmique qui se tient dans ce Non-né. Ce qui nous libère de la souffrance (cette souffrance est le déterminant propre à l'Homme au sein de la détermination absolue en tout ; d'où la notion de "bien") c'est de prendre conscience pleinement (et non verbalement) de cela. Cette conscience claire de cela est absolument antinomique avec l'ego, entendu comme porté par la croyance d'être en soi, et donc de posséder le libre-arbitre (je parle de la réalité de l'âme, pas des dires, bien sûr.) Et l'ego est source de toute souffrance psychologique.

Je ne vois pas de différence fondamentale avec Spinoza.

Il n'est nullement question (ce que j'ai appelé les poncifs ignorants) d'insensibilité, d'amoralisme, etc. Au contraire, il y a libre pénétration, sans voile émotionnel ajouté, identifications fallacieuses, etc. des sensations et autres phénomènes. Et si l'émotion a disparu, le sentiment, lui, est au paroxysme de sa force.

Concernant l'affect, et même l'affect passif (forcément partiellement), il ne faut pas confondre selon moi chez Spinoza la capacité à percevoir (nombre de capteurs, sensibilités de ces capteurs, variété des expériences sensorielles), qui en soi est une richesse (c'est l'identification qui en fait ensuite une pauvreté), et les passions, qui sont chargées d'idées inadéquates (voir E3AppDGA, qui est en fait non une définition générale des affects, mais une définition générale des passions.) On note en passant que Spinoza associe en particulier "affirmer par une idée confuse une plus grande force d'exister" aux passions, montrant là-aussi (l'orgueil en est le prototype) qu'identifier "joie" et "force" chez Spinoza est une interprétation largement - et gravement - erronée.

Il serait complètement stupide de considérer qu'une sensation pure puisse être en soi un problème. Ce ne sont que les idées inadéquates, plutôt appuyées sur la mémoire, qui le sont. E2P17S : "l’âme n’est point dans l’erreur en tant qu’elle imagine, mais bien en tant qu’elle est privée d’une idée excluant l’existence des choses qu’elle imagine comme présentes." E2P19-29 : les sensations sont indispensables, quoique ne donnant pas adéquatement - directement - l'essence des choses. Des sensations naissent les notions communes, bases du raisonnement juste, qui lui-même désigne dans son déroulement la réalité sous-jacente, qui peut alors être vue intuitivement : c'est le troisième genre.

En tant que sentant je suis actif. Le senti direct est partiellement passif. L'idée inadéquate plaquée là-dessus, en fonction de laquelle de l'énergie s'oriente, fait ma servitude. En revanche, la démarche démonstrative et surtout le passage des conclusions à la perception intuitive vont me permettre d'atteindre mon potentiel de pure activité, tout en restant affecté, et donc passif en un certain sens, en permanence, et même hautement perméable à ce type d'affect. L'Harmonie c'est de suivre consciemment la Nature en tout (on peut lui adjoindre "harmonieuse" ou "parfaite", mais elle est comme elle est et elle est en tout, c'est tout.)


Serge
Modifié en dernier par sescho le 08 mai 2009, 12:56, modifié 1 fois.
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Messagepar alcore » 08 mai 2009, 13:28

Ce caractère chaotique et néanmoins parfaitement réglé de la nature a, à mon sens, fait l'objet d'aucune étude sérieuse.
On trouve quelques remarques chez Ramond
A quand une thèse sur l'idée d 'ordre et de chaos chez Spinoza ?


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