La fierté

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
Enegoid
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Messagepar Enegoid » 31 mai 2008, 21:34

Je suis intervenu dans ce débat parce qu’il ne me semblait pas simple de comparer les essences ou les puissances (à propos des « jeunes de banlieue » ou des gens qui « ne se prennent pas en charge »)

Discussion ensuite avec toi, Louisa. Aujourd’hui ma perception est la suivante :

1. On peut comparer des puissances lorsqu’elles s’affrontent. Celle qui détruit l’autre ou la domine est plus puissante que l’autre. C’est simple et indiscutable : les barbares détruisent Rome, l’eau éteint le feu,… c’est un peu comme ce jeu à deux où chaque joueur cache ses mains puis les ouvre en figurant une pierre, un chiffon, une paire de ciseaux : le chiffon enveloppe la pierre, la pierre casse les ciseaux et les ciseaux coupent le chiffon. Il n’est pas non spinoziste de considérer les puissances de cette façon.

2. Lorsque les puissances coopèrent, il est plus difficile de les comparer : les membres d’un orchestre, les joueurs d’une équipe de foot, les hommes en société (il suffit dans ce dernier cas de penser aux débats sur la redistribution des richesses).

3. Quand on considère les puissances indépendamment de leurs effets on est amenés à comparer des essences singulières, qui, par définition, n’ont rien en commun. Chaque chose persévère dans son être, c’est tout.

4. On se tourne alors vers l’idée spinoziste qu’il y a des choses qui sont plus parfaites ou réelles que les autres (dont l’essence est plus parfaite ou réelle)…. Spi dit cela en considérant la capacité d’un corps à être affecté ou à affecter, et à être actif. Il y aurait une échelle des essences qui aurait à voir avec la complexité, la capacité à percevoir les choses. « Plus un corps est capable d’être affecté… » etc. J’ai parlé de sport, mais, Louisa tu m’as ri au nez. J’aimerai bien comprendre ce que signifie réellement la capacité du corps à affecter ou à être affecté, et son rapport avec la perfection ou la réalité !

(Pour finir, je suis mal à l’aise avec la notion d’essence singulière. C’est une chose dont on parle mais dont on ne sait rien dire : que dire de l’essence de Pierre ? Alors… Wittgenstein ?)

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Messagepar Louisa » 02 juin 2008, 22:19

Enegoid a écrit :Je suis intervenu dans ce débat parce qu’il ne me semblait pas simple de comparer les essences ou les puissances (à propos des « jeunes de banlieue » ou des gens qui « ne se prennent pas en charge »)

Discussion ensuite avec toi, Louisa. Aujourd’hui ma perception est la suivante :

1. On peut comparer des puissances lorsqu’elles s’affrontent. Celle qui détruit l’autre ou la domine est plus puissante que l’autre. C’est simple et indiscutable : les barbares détruisent Rome, l’eau éteint le feu,… c’est un peu comme ce jeu à deux où chaque joueur cache ses mains puis les ouvre en figurant une pierre, un chiffon, une paire de ciseaux : le chiffon enveloppe la pierre, la pierre casse les ciseaux et les ciseaux coupent le chiffon. Il n’est pas non spinoziste de considérer les puissances de cette façon.


oui, d'accord.

Seulement, après notre discussion je serais peut-être tentée (comme je viens de le signaler dans ma réponse à davdav) de comprendre "puissance" dans ce cas plutôt dans le sens de "pouvoir" (potestas). Sinon il faudrait admettre que l'océan ait une plus grande puissance de penser que moi quand je m'y noie, ce qui serait absurde. Ce qui s'affronte, c'est donc avant tout les forces ou pouvoirs. Sur tel ou tel domaine, telle ou telle chose peut avoir plus de force que moi. En ce sens précis, elle est plus puissante. Mais cela ne nous donne aucune idée des degrés de puissance respectifs de deux choses qui s'affrontent. Pour avoir une telle idée, il ne faut aucun affrontement, il faut plutôt pouvoir entrer dans le troisième genre de connaissance, seul capable de voir les essences singulières.

Enegoid a écrit :2. Lorsque les puissances coopèrent, il est plus difficile de les comparer : les membres d’un orchestre, les joueurs d’une équipe de foot, les hommes en société (il suffit dans ce dernier cas de penser aux débats sur la redistribution des richesses).


pour pouvoir les comparer dans leur degré de puissance, il faut avoir une idée du troisième genre de connaissance de chacun, puis comparer les idées. Or ces idées surgissent via l'intuition, et non plus par la considération des rapports.

Autre moyen de s'y prendre: de façon plus "quantitative", on peut essayer de voir de combien de manières différentes chacun peut être affecté et affecter. Dans le cas d'un musicien: dans quelle mesure son jeu est-il "nuancé"? Combien de nuances un pianiste sait-il faire entendre? Combien de variations dans les expressions des sentiments sait-il concevoir et exprimer?

Si je ne crois pas que l'on peut vraiment "compter" ce genre de chose de manière exhaustive, je crois que l'important dans ce cas, c'est de pouvoir distinguer les nuances produites par quelqu'un qui n'a jamais touché un piano, ou seulement une année par exemple, du nombre de nuances produites par un pianiste qui appartient au crème de la crème au niveau mondial.

De même peut-on dire que celui qui se fâche facilement, qui se sent facilement insulté, qui méprise beaucoup de choses, qui a un désir de comprendre fort petit etc est probablement moins puissant que celui qui n'insulte jamais, qui ne méprise rien, et qui a appris comment aimer le monde. C'est là que l'on voit la pertinence de ce genre de comparaisons pour comprendre les jeunes des banlieus: beaucoup d'entre eux (pas tous, bien sûr!!) sont fort soumis aux affects passifs. Ils sont donc, d'un point de vue spinoziste, moins puissants que d'autres jeunes qui ont eu plus de chance dans la vie.

Sinon je ne vois pas très bien ce que tu veux dire ici quand tu parles des débats sur la redistribution?

Enegoid a écrit :3. Quand on considère les puissances indépendamment de leurs effets on est amenés à comparer des essences singulières, qui, par définition, n’ont rien en commun. Chaque chose persévère dans son être, c’est tout.


oui d'accord, mais chaque chose est également un degré de puissance. C'est en tant que degré de puissance singulier que les choses sont "comparables". L'effort par lequel un dépressif persévère dans son être est beaucoup moins grand que celui de quelqu'un qui est tout à fait content de la vie qu'il mène et qui a l'impression de progresser dans le sens des objectifs qu'il s'est posés.

Enegoid a écrit :4. On se tourne alors vers l’idée spinoziste qu’il y a des choses qui sont plus parfaites ou réelles que les autres (dont l’essence est plus parfaite ou réelle)…. Spi dit cela en considérant la capacité d’un corps à être affecté ou à affecter, et à être actif. Il y aurait une échelle des essences qui aurait à voir avec la complexité, la capacité à percevoir les choses. « Plus un corps est capable d’être affecté… » etc. J’ai parlé de sport, mais, Louisa tu m’as ri au nez. J’aimerai bien comprendre ce que signifie réellement la capacité du corps à affecter ou à être affecté, et son rapport avec la perfection ou la réalité !


je crois en avoir donné un exemple ci-dessus en parlant de pianistes. Qu'en penses-tu?

Enegoid a écrit :(Pour finir, je suis mal à l’aise avec la notion d’essence singulière. C’est une chose dont on parle mais dont on ne sait rien dire : que dire de l’essence de Pierre ? Alors… Wittgenstein ?)


on pourrait effectivement dire que la connaissance des essences singulières ne passe pas par la connaissance "discursive" (= 2e genre) mais par la connaissance intuitive, où les choses se montrent à nous uno intuitu.

Sinon il est un fait que JAMAIS, pour autant que je sache, Spinoza n'utilise la notion "essence singulière" dans l'Ethique. Il parle d'essences et de choses singulières. Alors les essences singulières existent-elles dans le spinozisme? Il me semble que tous les commentateurs supposent que oui, elles existent. Un argument en faveur de cette thèse pourrait être le fait que Spinoza parle bel et bien de "choses singulières", qui se définissent par le fait de produire un effet, tandis qu'on voit mal comment quelque chose en manque d'une essence pourrait produire un effet. Puis on peut très facilement lire l'Ethique en supposant l'existence d'essences singulières, JAMAIS cela ne pose problème, jamais une contradiction en surgit.

Or sur ce forum quelqu'un défend l'idée qu'il n'y a pas d'essences singulières: Sescho. S'il le veut bien, il pourrait peut-être nous résumer en quelques mots l'essentiel de son raisonnement?

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Messagepar Enegoid » 06 juin 2008, 22:55

Louisa a écrit :L'effort par lequel un dépressif persévère dans son être est beaucoup moins grand que celui de quelqu'un qui est tout à fait content de la vie qu'il mène et qui a l'impression de progresser dans le sens des objectifs qu'il s'est posé.


Je ne crois pas que ce soit vrai. La dépression est une affection qui comme toute chose persévère dans son être. L’être du dépressif (son essence) n’est pas sa dépression. Rien ne permet de dire que celui qui est atteint de dépression persévère moins dans son être qu’un autre. Ce qui permettrait de le dire, c'est d'essentialiser le dépressif dans sa dépression (ce qu'on appelle couramment "coller une étiquette").

A propos de l’essence singulière :

Spinoza n’emploie peut-être pas l’expression « essence singulière » mais il parle bien de l’essence de choses singulières (p.e ET 5 p22 : « …l’essence de tel ou tel corps humain…", ou ET 2 p10 : « Mais je n'insiste pas, mon dessein n'ayant été ici que d'expliquer pourquoi je n'ai pas dit que l'essence d'une chose, c'est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue. Les choses particulières, en effet, ne peuvent exister ni être conçues sans Dieu ; et cependant Dieu n'appartient point à leur essence. En conséquence, j'ai dit : ce qui constitue l'essence d'une chose, c'est ce dont l'existence emporte celle de la chose, et la destruction sa destruction, en d'autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose. »

Cette question d’essence est une vraie soupe conceptuelle.

On a quand même l’impression que Spi s’intéresse avant tout à l’essence des êtres de raison (l’essence de l’homme- et non pas de tel homme- par exemple). Ce qui n’est pas surprenant si l’on pense que seuls les êtres de raison font l’objet d’une définition. On peut définir l’homme, mais peut-on définir Pierre ?

« …par exemple, un homme est cause de l'existence d'un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c'est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l'essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l'existence, et de là vient que, si l'existence de l'un d'eux est détruite, celle de l'autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l'essence de l'un d'eux pouvait être détruite et devenir fausse, l'essence de l'autre périrait en même temps. »

Ne pourrait-on conclure de ce passage que tous les hommes ont la même essence et que donc toute comparaison d’essence entre les hommes est inutile ? Et donc toute comparaison de puissance etc. (On revient au jeune de banlieue!)

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Messagepar hokousai » 06 juin 2008, 23:28

Mais si vous lisez la suite (scolie de la prop 12 partie 2) qui se conclut par :""''et par là nous pouvons connaitre la supériorité d'un esprit sur un autre """
il y a comparaison de puissance !

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Messagepar Louisa » 07 juin 2008, 03:09

Bonjour Enegoid,

je reviens bientôt à tes objections intéressantes. Ceci juste pour dire que je suis d'accord avec Hokousai: on ne peut pas nier le fait que Spinoza compare les puissances. Le dernier scolie de l'Ethique en est un énième exemple: le sage est beaucoup plus fort que l'ignorant.

A très bientôt.

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Messagepar Enegoid » 07 juin 2008, 11:01

Réponse rapide, provisoire : je ne nie pas que l'on puisse comparer des qualités. Je ne nie pas que tel ou tel homme soit supérieur à tel ou tel autre sous tel ou tel aspect.

Je nie, pour l'instant, que l'on puisse comparer des essences singulières.

Ou plutôt : je cherche à qualifier ce que l'on peut comparer.

Cordialement

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Messagepar Enegoid » 07 juin 2008, 22:01

I

hokousai a écrit :Mais si vous lisez la suite (scolie de la prop 12 partie 2) qui se conclut par :""''et par là nous pouvons connaitre la supériorité d'un esprit sur un autre """
il y a comparaison de puissance !


Oui.

A votre avis Spinoza parle de la comparaison des âmes humaines entre elles ou de la comparaison des âmes humaines avec les autres âmes (celles des moules par exemple) ?

Je dis cela parce que le passage que vous citez fait suite à la phrase :
"... et ainsi l'on doit dire nécessairement de l'idée d'une chose quelconque ce que nous avons dit de l'idée du corps humain. Nous ne pouvons nier cependant que les idées diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes..."

et à celle-ci :
" ...pour déterminer en quoi l'âme humaine diffère des autres et l'emporte sur elles..."

Ces phrases semblent indiquer que Spinoza cherche à montrer la supériorité de l'âme humaine sur "l'âme " des autres corps.

Si, maintenant on cherche à comparer les âmes humaines entre elles, on note que la supériorité est une conséquence ("donc") :

-de la capacité du corps à percevoir plusieurs choses à la fois
-de l'autonomie des actions du corps par rapport à celle d'autres corps.

Je ne résiste pas à l'idée de citer le film "into the wild" que, me semble-t-il, vous avez vous-même évoqué sur ce forum.Bonne image du corps le plus autonome possible.



II
Un homme est une âme et un corps. La possibilité de supériorité de l'essence d'un homme sur celle d'un autre (qui est pour moi l'enjeu du débat) implique que l'âme et le corps soient impliqués.
A supposer que l'on puisse savoir ce qu'est l'essence d'un homme...
Si on dit qu'il suffit que ce soit son âme que fait-on de ce que dit Spinoza sur la puissance du corps ?

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Messagepar hokousai » 07 juin 2008, 23:50

à Enegoid

Si on dit qu'il suffit que ce soit son âme que fait-on de ce que dit Spinoza sur la puissance du corps ?[


Sur la puissance du corps , justement , il ne dit pas grand chose ( on ne sait pas ce que peut le corps !!)
Le corps et l'âme sont unis . L' esprit humain est l'ideé du corps humain pas de celui des moules .

Il me semble que le héros de" into the wild " est des plus dépendant qui soit et de plus dépendant de corps qui ne concourent pas d'emblée à sa conservation ( à la différence de la vie en société )

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Message court à lire jusqu'au bout

Messagepar LaPhilosophieAuMarteau » 08 juin 2008, 04:15

Il serait judicieux que l'ensemble des participants à ce forum se mette d'accord sur la substance à absorber avec toute lecture de Spinoza. En effet, au vue de vos échanges, on voit très clairement que les différences de réaction physico-chimiques face au texte, entraînent très naturellement des différences d'interprétation (ce n'est pas un reproche personnel qui je vous fais, le blâme n'ayant pas de raison d'être dans la philosophie de Spinoza)!

Par ailleurs, et je pose humblement la question, quel impact politique réel ont vos conversations? Je veux dire par là: vous, gens intelligents, quelle est votre contribution concrète à notre société. Celle-ci marche en effet vraiment sur la tête. Dans quelle mesure les participants de ce forum DEDIE A SPINOZA, c'est à dire aux les lecteurs du TRACTATUS POLITICUS (?), ont un impact sur l'organisation de notre société?

En d'autres termes, existe-il sur ce site une véritable volonté de puisssance, ou est-ce simplement un site que des névrosés utilisent pour satisfaire de manière détournée, et au moyen de la plume virtuelle, leurs pulsions réprimées?

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Re: Message court à lire jusqu'au bout

Messagepar bardamu » 08 juin 2008, 15:04

LaPhilosophieAuMarteau a écrit :(...)
En d'autres termes, existe-il sur ce site une véritable volonté de puisssance, ou est-ce simplement un site que des névrosés utilisent pour satisfaire de manière détournée, et au moyen de la plume virtuelle, leurs pulsions réprimées?

C'est quoi ça ? Une enquête du Medef ? De la LCR ? Il s'agit d'évaluer notre performance d'agités du politique ? J'aurais une mauvaise note si ma puissance veut rester à distance raisonnable des aléas de la petite politique ?
Y'a pas à dire notre société "marche en effet vraiment sur la tête", manquait plus qu'une inquisition pseudo-nietzschéenne...


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