L'anticipation des plaisirs

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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nepart
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L'anticipation des plaisirs

Messagepar nepart » 30 avr. 2008, 22:45

Bonsoir à tous,

J'aimerais partagé avec vous une réflexion :)

Souvent dans la vie, nous sommes prévenus des futurs évènement (planning, rdv, méteo...).

Je pense que vous, tout comme moi, anticipez systématiquement les joies et les peines qui vont en découler.

Ex: si vous amis vous appellent pour vous inviter le weekend prochain et que vous acceptez, vous allez anticipez le plaisir que vous aurez.

Or qui dit anticipation du plaisir, dit déception si ce plaisir n'a pas lieu.
Si finalement le weekend est finalement ennuyant ou vous êtes malades, vous allez éprouver de la douleur, qui sera proportionnelle au plaisir de l'anticipation.

Vous pourriez me dire si la déception est de même intensité que l'anticipation, nous n'avons rien perdu, pourquoi ne pas anticiper.
Je pense qu'il ne faudrait pas anticiper car, en cas de déception, vous restez sur une sensation négative, au lieu de rester sur une sensation positive ou neutre.

Ex: 1. Anticipation

Je vais passer un super weekend (joie)
1A Le weekend est super (joie)
1B Le weekend était mauvais (déception+ennuie)

2. Sans anticipation

Aucune anticipation (neutre)
2A Le weekend est super (joie plus intense qu'en cas d'anticipation)
2B Le weekend était mauvais (ennuie mais pas de déception).

Au contraire, il me semble utile d'anticiper les douleurs

ex: Je vais devoir travailler toute la nuit.

avec anticipation: si finalement ça se révèle plus rapide que prévu: bonne surprise, je reste sur une sensation positive

sans anticipation: pas de bonne surprise

N'hésitez pas à me donner votre point de vue, sur l'intérêt et la faisabilité de ne pas anticiper les plaisirs.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 02 mai 2008, 22:00

Bonjour Nepart!

d'un point de vue spinoziste, je dirais qu'il est important de bien distinguer l'anticipation de l'espérance ou de la crainte.

Ce n'est pas parce que je suis prévenu d'un événement dans le futur (week-end chez des amis que j'aime bien) que je suis déjà dans l'espérance. A partir du moment où je connais les causes qui peuvent produire cet événement, et que je sais que ces causes vont réellement avoir lieu, j'ai tout simplement une "connaissance" sur le futur. Ce type de connaissance est non seulement fort utile, mais avant tout complètement nécessaire à notre survie, et aussi à l'augmentation de notre bonheur. Car il faut bien prendre certaines décisions aujourd'hui qui auront un effet demain, donc connaître les chaînes causales qui déterminent ce genre de rapports effet-cause, est crucial. Autrement dit: il est très important de pouvoir anticiper les événements, et plus on y arrive, plus la puissance de notre esprit est grande.

La seule différence entre anticiper un plaisir et ressentir une espérance, c'est que dans l'anticipation nous pouvons être certain que cet événement (dans ton exemple: le plaisir) va se produire, tandis que nous n'espérons que dans les situations où il y a doute. Et le seul problème avec l'espérance, c'est qu'elle est une Joie inconstante, à cause de ce doute (elle se transforme facilement en Crainte, et par là diminue notre puissance d'agir et de penser, donc aussi notre capacité à anticiper et à organiser notre vie selon ce qui nous est le plus utile).

Nepart a écrit :Souvent dans la vie, nous sommes prévenus des futurs évènement (planning, rdv, méteo...).

Je pense que vous, tout comme moi, anticipez systématiquement les joies et les peines qui vont en découler.

Ex: si vous amis vous appellent pour vous inviter le weekend prochain et que vous acceptez, vous allez anticipez le plaisir que vous aurez.

Or qui dit anticipation du plaisir, dit déception si ce plaisir n'a pas lieu.
Si finalement le weekend est finalement ennuyant ou vous êtes malades, vous allez éprouver de la douleur, qui sera proportionnelle au plaisir de l'anticipation.


je crois qu'il n'y a aucune nécessité dans le rapport que tu installes entre anticipation du plaisir et déception s'il n'a pas lieu.

Si l'anticipation n'était pas une espérance, donc si tu étais certain d'avoir du plaisir le weekend prochain, alors déjà pendant que tu anticipes, tu es joyeux et par là plus puissant (par exemple: tu peux être certain que tu seras content de revoir tes amis; il vaut donc mieux déjà se baser là-dessus maintenant, et t'en réjouir; tandis que si vous avez décidé de faire de la planche à voile, il n'est jamais certain qu'il y aura du vent, donc là il vaut mieux anticiper que les deux situations sont possibles - ce qui te permettra de déjà penser à une alternative au cas où il n'y a pas de vent).

Puis nous ne sommes pas omniscient, et donc nous pouvons nous tromper. Si finalement il s'avère que le weekend n'était pas si agréable qu'attendu, malgré le fait qu'on ne s'était basé que sur ce qui semblait être certain, alors UNE des réactions possibles est la déception. Une autre réaction possible, c'est d'essayer de comprendre pourquoi le weekend n'était pas très agréable, et au fur et à mesure que tu comprends, tu seras plus joyeux, car tu auras par exemple compris comment organiser le weekend prochain pour déjà avoir plus de chances qu'il te plaît.

Bien sûr, en réalité il est souvent assez rare de pouvoir savoir à l'avance avec certitude qu'il y aura plaisir. C'est pourquoi souvent il vaut mieux aussi déjà anticiper la possibilité de son absence (du moment que là aussi tu cherches à anticiper surtout ce qui est certain, et non pas tout ce que tu crains qui pourrait se produire). Dans ce cas, tu auras déjà à l'avance compris ce qui pourrait entraver le plaisir, tout en te basant également sur tout ce qui indique que tu vas probablement bien t'amuser, et alors de nouveau, tu ne fais rien d'autre que te baser sur des certitudes. Si à la fin du weekend il paraît que ce que tu croyais être certain ne l'étais pas, tu peux éviter la déception en te disant que visiblement, il était inévitable que le weekend se déroulait ainsi, que tu as toi-même tout fais pour le rendre agréable, et que plus on ne sait pas faire dans la vie.

Nepart a écrit :Vous pourriez me dire si la déception est de même intensité que l'anticipation, nous n'avons rien perdu, pourquoi ne pas anticiper.
Je pense qu'il ne faudrait pas anticiper car, en cas de déception, vous restez sur une sensation négative, au lieu de rester sur une sensation positive ou neutre.

Ex: 1. Anticipation

Je vais passer un super weekend (joie)
1A Le weekend est super (joie)
1B Le weekend était mauvais (déception+ennuie)


c'est donc la déception et l'ennui qui n'est pas du tout nécessaire, du point de vue spinoziste, il me semble.

Nepart a écrit :2. Sans anticipation

Aucune anticipation (neutre)
2A Le weekend est super (joie plus intense qu'en cas d'anticipation)
2B Le weekend était mauvais (ennuie mais pas de déception).


idem: je ne crois pas que ce raisonnement est tout à fait nécessaire. Déjà si tu n'anticipes pas ce qui est certain, tu auras moins compris de la situation, donc seras déjà moins heureux que si tu anticipes. Puis si finalement le weekend est super, tu auras le sentiment (faux) qu'il aurait très bien pu avoir été moins bon, donc tu ne profiteras pas autant de ce que peuvent t'apporter ces deux jours que si tu ne dois pas douter de sa nécessité au moment même où tu le vis. Enfin si tu n'anticipes pas, tu ne seras pas "prêt" non plus à accueillir l'absence de plaisir d'une façon positive, c'est-à-dire en comprenant sa nécessité et son inévitabilité. Donc tu risques d'être plus triste que si tu avais anticipé.

Nepart a écrit :Au contraire, il me semble utile d'anticiper les douleurs

ex: Je vais devoir travailler toute la nuit.

avec anticipation: si finalement ça se révèle plus rapide que prévu: bonne surprise, je reste sur une sensation positive

sans anticipation: pas de bonne surprise

N'hésitez pas à me donner votre point de vue, sur l'intérêt et la faisabilité de ne pas anticiper les plaisirs.


tout comme pour les plaisirs je crois qu'il est fort utile d'anticiper les douleurs, mais de nouveau à condition que l'on se base sur ce qui est absolument certain, et qu'on n'oriente pas son esprit vers ce qui est encore incertain.

Après, une fois que l'événement n'est plus un événement futur mais se réalise concrètement, on sera toujours mieux "armé" pour gérer une situation inattendue quand on a déjà bien réfléchi à l'avance que quand on essaie de ne rien prévoir, car ne rien prévoir c'est ne rien comprendre, et donc d'office vivre dans une puissance d'esprit moins grande, ou un bonheur moins grand.

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sescho
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Re: L'anticipation des plaisirs

Messagepar sescho » 03 mai 2008, 10:59

nepart a écrit :... qui dit anticipation du plaisir, dit déception si ce plaisir n'a pas lieu.

Vous pourriez me dire si la déception est de même intensité que l'anticipation, nous n'avons rien perdu, pourquoi ne pas anticiper.
Je pense qu'il ne faudrait pas anticiper car, en cas de déception, vous restez sur une sensation négative, au lieu de rester sur une sensation positive ou neutre.

Effectivement il me semble bon de distinguer "anticiper" et "espérer." Il convient en général d'anticiper, c'est-à-dire d'être prévoyant, et c'est une condition de l'action sensée : une analyse rationnelle (plus ou moins) indique la probabilité (approximative) de certains évènements dont certains que l'on juge positifs et d'autres négatifs, et l'on tend vers les positifs. Ceci peut cependant englober paradoxalement de "tenter un coup", c'est-à-dire de faire une action sans anticiper de résultat si ce n'est de découvrir quelque chose dont on avait pas connaissance réelle.

Mais il n'y a pas de modèles parfaits, et ce qui vaut est ce-qui-est. Le bonheur ne se programme pas, il n'est même pas un objet : il se constate en l'instant. On peut certes se procurer du "plaisir" ("Joie" selon Spinoza) par l'imagination, mais ce "plaisir" n'est pas bonheur - et de toute façon comme lui il se constate en l'instant et n'est pas garanti par avance.

L'erreur vient de l'espérance, qui consiste tout simplement à "prendre ses désirs pour des réalités", en se détachant de cette réalité, qui est pourtant, elle, vue en vérité, source du bonheur. L'erreur consiste à passer de l'imagination créatrice, de l'anticipation, à la transposition imaginative, une drogue source de la joie-tristesse ordinaire.

Le sage, je pense, anticipe, mais ce qui le caractérise c'est de toujours dire "oui" à la réalité, "oui" à la vérité. Dans ces conditions il n'est jamais déçu. Ce peut être l'occasion de voir l'ennui en action, de voir en quoi son anticipation était mal fondée, d'introduire par lui-même de l'intérêt, et éventuellement d'abréger s'il peut le faire sans offenser...

Amicalement

Serge
Connais-toi toi-même.


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