Être heureux parmi les malheureux

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar nepart » 17 juil. 2008, 22:44

plus les gens autour de nous sont en proie à des affects-passions, plus nous risquons de succomber à ce genre d'imitations, donc plus nous risquons de voir diminuer notre propre puissance et donc notre propre possibilité de devenir heureux


Cela légitimerai la préférence national ou le fait de sauver des français plutôt que des étrangers?

Pour le fait de sauver des gens que l'on voit.

Même si j'en entends parler à la telé, ça me fait plus grand chose.
Si je les vois cela me touche plus. Si je vois le corps en vrai encore plus, si je l'ai connaissais et que je vivais à leur côté encore plus.
Donc même si rationnellement je sais que j'ai sauvé plus de personne, en sauvé plus peut me procurer moins de joie si je ne les verrai/connaitrai jamais

On peut schématiser par le fait que la joie procuré= au fait rationnel (la douleur évité ou la joie crée) x le niveau de conscience du fait.

En passant, pdt 1 semaine je n'ai pas suivi l'actualité, et ça m'a fait du bien. Je continu de penser que le bonheur assez égoïste est possible, dans le sens continué de penser aux autres, mais peu.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 21 juil. 2008, 04:31

Nepart a écrit :louisa:
plus les gens autour de nous sont en proie à des affects-passions, plus nous risquons de succomber à ce genre d'imitations, donc plus nous risquons de voir diminuer notre propre puissance et donc notre propre possibilité de devenir heureux

Nepart:
Cela légitimerai la préférence national ou le fait de sauver des français plutôt que des étrangers?


je crois qu'effectivement, cela légitimerait la préférence nationale, seulement il s'agit d'un "national" au sens de "tous ceux qui vivent sur le territoire national", qu'ils aient les "papiers" nécessaires ou non. Car un sans-papier qui vit dans l'immeuble en face de moi est tout aussi dangereux, en théorie, que n'importe quel autre français habitant en face de moi. Ce n'est pas une question de proximité théorique ou administrative, mais avant tout une question de proximité physique.

On pourrait dire qu'en cela, Spinoza est "de droite", si toutefois l'on tient à maintenir la définition de Deleuze de ce que c'est qu'être de droite: d'abord penser à soi-même, puis à sa famille, puis à ses voisins, puis à son quartier, puis à sa ville, puis à son pays, puis enfin au monde (voir l'Abécédaire avec Claire Parnet).

Or en même temps Spinoza trouve que "le soin des pauvres incombe à la société entière", ce qui le ferait plutôt pencher à gauche.

Toujours est-il que notre "inquiétude" d'office se dirige vers ceux qui pourraient réellement nous faire du mal. Ce n'est que dans le contexte actuel, ou "le monde est un village" ("Global City") que finalement la distinction entre notre environnement direct et "le monde" tombe. Car par le biais de l'internet, un jeune né en Angleterre peut être contaminé par les idées d'Al Quaida et organiser un attentat suicide au plein milieu de Londres. En ce sens, la "nationalité" n'a plus trop d'importance.

Nepart a écrit :Pour le fait de sauver des gens que l'on voit.

Même si j'en entends parler à la telé, ça me fait plus grand chose.
Si je les vois cela me touche plus. Si je vois le corps en vrai encore plus, si je l'ai connaissais et que je vivais à leur côté encore plus.
Donc même si rationnellement je sais que j'ai sauvé plus de personne, en sauvé plus peut me procurer moins de joie si je ne les verrai/connaitrai jamais


je crois que tu sous-estimes le pouvoir imaginaire de la raison. Si tu as entièrement compris en quoi le monde est un village, cette idée adéquate ne t'affectera pas moins que n'importe quelle autre idée issue de la perception directe (= imagination, chez Spinoza).

Nepart a écrit :On peut schématiser par le fait que la joie procuré= au fait rationnel (la douleur évité ou la joie crée) x le niveau de conscience du fait.


oui, sauf que chez Spinoza un "fait rationnel" est toujours accompagné d'un "niveau de conscience" maximal. C'est même la seule façon d'être "conscient" de quelque chose, être conscient ne signifiant rien d'autre que savoir qu'on sait.

Nepart a écrit :En passant, pdt 1 semaine je n'ai pas suivi l'actualité, et ça m'a fait du bien. Je continu de penser que le bonheur assez égoïste est possible, dans le sens continué de penser aux autres, mais peu.


si cela te fait mal d'écouter les infos, tu as sans doute raison de te couper de temps en temps de l'actualité!

Mais sur le long terme, d'un point de vue spinoziste, ce n'est pas une solution. Le bonheur "égoïste", comme tu l'appelles (qui pour Spinoza serait plutôt une "Joie passive", un bonheur qui ne se produit qu'en fuyant certaines vérités), est possible pendant quelques instants. Mais tôt ou tard, tu seras confronté à l'état "général" du monde. Et alors tu seras plus heureux si tu y as réfléchi déjà maintenant, si tu as déjà pris le temps de te créer une "position" qui te permet d'accepter la souffrance qui existe et qui était d'office inévitable, et d'envisager certaines solutions, aussi modestes qu'elles soient. L'important, c'est de bien comprendre que tu n'es PAS coupable de toute la misère du monde!! Mais cela n'empêche que chacun d'entre nous, à sa façon, peut contribuer à un monde un TOUT PETIT PEU meilleur qu'il ne l'est aujourd'hui, s'il consent à y réfléchir activement ... .
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Messagepar nepart » 21 juil. 2008, 23:12

Cher Louisa,

Je ne culpabilise pas d'être la raison de la misère humaine. C'est juste que je pense que la nature à fait des êtres humains qui ont par nature, une pensée pour les autres, et que cela a certainement permis leur avancée actuelle, mais que cela crée fatalement une source de peine.

En quelque sorte c'est une source impure de plaisir car elle emmènerai forcement avec elle une source de peine.

Bien que la prise de conscience du déterminisme relativise cette peine, elle n'en reste pas moins grande, et je remarque que les seuls moments de grande joie que j'ai dans ma vie, c'est quand le niveau de conscience de tout ça est faible.

Tu es certainement en dessacord avec moi car tu défends l'idée qu'il n'y a pas plusieurs niveau de conscience.

Je suis d'accord avec ça quand il s'agit d'une informations.
J'ai conscience que si je meurt le monde ne va pas s'arreter.
Mais quand il s'agit de ressenti, de sensations et de sentiments, il y a plusieurs niveaux.

Si tu dois tuer quelqu'un de tes propres mains et si tu dois ordonner à quelqu'un de tuer quelqu'un pour toi, tu ne seras pas autant touché dans les 2 cas.
Donc non je ne pense pas que je sous estime l'imagination. Je m'imaginerai sans doute la scène si j'ai envoyé quelqu'un, mais rien n'est aussi réaliste que la réalité.

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Messagepar sescho » 22 juil. 2008, 10:55

nepart a écrit : je pense que la nature à fait des êtres humains qui ont par nature, une pensée pour les autres, et que cela a certainement permis leur avancée actuelle, mais que cela crée fatalement une source de peine.

Cela c'est précisément ce que Spinoza appelle Pitié. Mais si cette pitié est vue par Spinoza comme une qualité inaccessible à l'orgueilleux, il la présente aussi - à juste titre - comme ne convenant pas au sage, à celui que mène la Raison. Mais non, ce n'est pas "fatal." La Générosité, comme déjà dit, ne comprend pas de "peine" ; elle ne consiste pas à s'attrister de la souffrance d'autrui par transposition imaginative sur son propre cas (mimétisme.) Elle consiste à exprimer une Bonté positive, une solidarité active, le plaisir sain de faire du bien, sans autre raison, sans espoir de retour, sans image de héros de soi-même, etc., ce qui suppose d'abord une pleine perception et acceptation du fait pris en lui-même, quel qu'il soit, sans émotion. Alors l'énergie positive peut s'exprimer pleinement. L'action - nécessairement limitée par le potentiel accessible - n'en est que plus efficace.

Mais soyons clair : ceci constitue un tout et il n'y a pas réellement d'avant et d'après dans l'amendement de l'esprit. Pour le lot commun, la pitié n'est pas mauvaise ; c'est dans une spirale positive d'assainissement de l'esprit (la différence se voit bien dans ce qui précède : c'est la transposition imaginative à son propre cas et aux peurs qui l'occupent qui pose là le problème) qu'elle se transmute progressivement en pure Générosité.


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Messagepar nepart » 22 juil. 2008, 19:07

Comment arriver à faire ce que du décrit.

Je n'arrive pas à réduire à neant mon égo, je n'arrive pas à ne pas transposer la souffrance d'autrui sur moi.

Est ce utopique, ou peut-on vraiment y arriver?

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Messagepar sescho » 22 juil. 2008, 20:44

nepart a écrit :Comment arriver à faire ce que du décrit.

Je n'arrive pas à réduire à neant mon égo, je n'arrive pas à ne pas transposer la souffrance d'autrui sur moi.

Est ce utopique, ou peut-on vraiment y arriver?

Oui on peut. Tout le monde en a le potentiel (mais les handicaps sont très divers.) C'est certain. Je ne doute pas un seul instant de la qualité et de la sincérité de ceux qui l'ont vécu et en ont témoigné (par exemple le Bouddha historique, le Christ historique, Spinoza, Krishnamurti) et le vivent et en témoignent aujourd'hui (par exemple Arnaud Desjardins et Eckhart Tolle.) Je constate en moi-même le lent mais réel progrès dans la paix de mon esprit, tout en restant dans l'action et dans le monde.

Mais évidemment, comme Spinoza nous le dit dans sa dernière proposition de l'Ethique, la chose doit être difficile, pour être à la fois aussi précieuse et aussi rare. Il n'y a pas de baguette magique, pas de martingale, pas de recette linéaire à suivre (mais quelques techniques utiles, oui.) L'erreur contient les conditions de sa propre pérennisation, la force vitale investie dans l'erreur ne se réoriente pas du tout d'un claquement de doigt ; elle résiste (en vertu du conatus), elle se défend.

Par exemple, il m'a fallu lire Alfred Adler et Paul Diel surtout pour abandonner ce que ce dernier appelle "la tâche exaltée", l'imagination d'avoir à faire un truc unique et être connu pour réussir sa vie. J'ai compris que je me tendais vers quelque chose de beaucoup trop loin de ma situation du moment, et que c'était nuisible. Au début, l'impression de chuter dans le néant m'a angoissé, mais assez vite ensuite j'ai pris le grand soulagement qui va avec... Et en plus mon action est devenue plus performante, car moins tendue, plus dans l'instant, dans le sujet du moment. "Nous verrons bien ce que de fait je serai amené à réaliser." Les jugements des autres - beaucoup plus le fait de leur propre complexion que de la mienne -, ne m'ont jamais beaucoup concerné sur la perception de ma valeur (et non-valeur) intrinsèque ; en revanche, en tant que problème "extérieur" venant me pourrir la vie, je ne m'en suis (presque) débarrassé que depuis peu. Sur le fait "d'être connu" il reste encore quelques rêveries diurnes ponctuelles, mais c'est aussi en voie d'extinction, je pense.

Sur ce que tu dis, certes l'ego est un problème, mais aussi le "mon" que tu mets juste devant. L'ego n'est pas un objet identifiable qu'il faut localiser et jeter ; penser cela relève aussi de l'ego... Pas simple... D'un autre côté il n'y a pas d'échappatoire au fait qu'on ne peut progresser qu'à sa propre marge. Ceci implique quelques "défauts" dans la démarche. Attaquer l'ego de front est voué à l'échec ; c'est chercher à voir ses propres yeux (pas les bons en l'occurrence...) Apaiser son esprit (méditation), réveiller sa curiosité au lieu de s'arc-bouter sur son "savoir", raisonner (c'est la voie de Spinoza), s'entraîner à bien réagir, etc. (cela dépend des individus), sont me semble-t-il bien plus profitable.

Chez notre grand Spinoza, comme il a déjà été dit, et en particulier tout récemment par Durtal, ce qui imprègne toute l'Ethique (le Court Traité et les passages généraux du Traité Théologico-Politique) c'est que tout se produit selon Dieu - la Nature, l'être souverainement parfait et éternel. L'ego est totalement incompatible avec la vision de ceci en pleine conscience (troisième genre de connaissance.) Encore faut-il y atteindre... Finalement, ceux qui croient en la providence éternelle d'un Dieu plus ou moins personnifié ne sont pas si loin du compte... Mais Spinoza est dans le compte. On peut donc méditer Spinoza avec le plus grand profit...


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Messagepar nepart » 22 juil. 2008, 22:54

Mais évidemment, comme Spinoza nous le dit dans sa dernière proposition de l'Ethique, la chose doit être difficile, pour être à la fois aussi précieuse et aussi rare


Probablement, mais ce n'est pas une qualité à mes yeux que cette faculté soit rare.

l'imagination d'avoir à faire un truc unique et être connu pour réussir sa vie.


Je pense que tout le monde est passer par cette idée. Est ce dans ton cas en partie pour la reconnaissance?


c'est chercher à voir ses propres yeux (pas les bons en l'occurrence...) Apaiser son esprit (méditation), réveiller sa curiosité au lieu de s'arc-bouter sur son "savoir", raisonner (c'est la voie de Spinoza), s'entraîner à bien réagir, etc. (cela dépend des individus), sont me semble-t-il bien plus profitable.


Je ne comprends pas ce passage.



Est ce que dans ta vie, tu n'a plus envie d'être reconnu par les autres?
Est ce que tu souffres encore en pensant au malheur des autres?

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Messagepar sescho » 23 juil. 2008, 10:28

nepart a écrit :ce n'est pas une qualité à mes yeux que cette faculté soit rare.

Certes. Mais elle est aussi précieuse, la plus précieuse qui soit, la seule à ce titre. Ce que le terme de "rare" montre en l'occurrence, c'est la difficulté à y accéder. Pas de recette miracle, donc, mais de la pertinence et de la constance dans l'effort (même si la durée prise en elle-même n'apporte rien.)

nepart a écrit :
l'imagination d'avoir à faire un truc unique et être connu pour réussir sa vie.


Je pense que tout le monde est passer par cette idée. Est ce dans ton cas en partie pour la reconnaissance?

C'est assez difficile pour moi de répondre, vu que rien mise à part la force vitale investie n'a vraiment de consistance là. A l'origine je pense qu'il y a précisément cette force vitale qui cherche à trouver la satisfaction dans la puissance ("volonté de puissance") et qui, sans savoir ce que puissance est réellement, s'efforce de l'imaginer (E3P12-E3P13) et puise plus ou moins pour cela dans le subconscient collectif / personnel. Je crois aussi qu'il convient de démêler l'écheveau, par exemple en distinguant les contributions des différentes pulsions : 1) Avoir beaucoup de biens matériels pour eux-mêmes. 2) La séduction (pulsion sexuelle ; une question à se poser dans ce cadre pour un homme (mâle) est : est-ce que le désir d'être connu aurait le même sel si cette réputation (je n'aime pas qu'on galvaude le terme "reconnaissance") imaginaire n'était strictement établie que parmi les mâles. 3) L'impression (qui ne peut qu'en rester là dans ce contexte, ce qui implique aussi l'impression contraire) de réussite elle-même (par des "signes extérieurs d'importance.")

Je dirais qu'à titre personnel, le problème se situait au niveau du 3 (avec un fort souci de consistance de la réalisation néanmoins : dans le "dur", pas dans l'apparence) et vaguement du 2.

La recherche de réputation n'est qu'une caricature du désir de sentir la puissance en soi-même. Le joyau dans ce cadre est de saisir dans les faits la réponse à : qu'est-ce que la véritable puissance ?

nepart a écrit :
c'est chercher à voir ses propres yeux (pas les bons en l'occurrence...) Apaiser son esprit (méditation), réveiller sa curiosité au lieu de s'arc-bouter sur son "savoir", raisonner (c'est la voie de Spinoza), s'entraîner à bien réagir, etc. (cela dépend des individus), sont me semble-t-il bien plus profitable.


Je ne comprends pas ce passage.

L'histoire des yeux, c'est pour l'illustration que la seule chose que l'on ne peut pas voir de notre corps, ce sont nos propres yeux (j'admets que pour l'espace entre les deux omoplates, vu ma souplesse, cela se discute aussi... ;-) ) C'est pour faire le parallèle avec l'ego : ce qui veut attraper l'ego pour lui faire sa fête, c'est l'ego lui-même... Pas gagné, donc... Passer par les qualités pouvant encore être exercées assez proprement me semble plus sûr.

nepart a écrit :Est ce que dans ta vie, tu n'a plus envie d'être reconnu par les autres?

Je crois que j'en viens à ce qu'en dit Spinoza, la seule reconnaissance (et là seulement le terme n'est pas galvaudé), outre en soi-même mais alors sans vanité, s'établit entre ceux qui sont au moins ponctuellement dans le juste. Je ne parlerais pas d'"envie", mais la satisfaction est grande lorsque cela se produit.

Comme déjà dit, quelques rêveries diurnes ponctuelles m'assaillent de temps à autre ; elles sont tellement hors de propos que j'en arrive les concernant à les regarder se dérouler sans y croire. Je n'ai pas atteint cela s'agissant des pensées structurées et plus à propos.

nepart a écrit :Est ce que tu souffres encore en pensant au malheur des autres?

C'est certainement là où je "marche" le plus. L'histoire des enfants en bas âge mourant de déshydratation à l'arrière de voitures, moi qui en plus peut être distrait - pas à ce point là je pense car les choses importantes me restent gravées en mémoire, et de toute façon le problème ne se pose plus -, ou écrasés sur l'autoroute après que leur père soit mort dans un accident, les exécutions de masse passées, etc. ont encore largement tendance à me nouer sérieusement les tripes si j'y pense. Je plains ceux qui ont une responsabilité, aussi, tant je n'aimerais pas être à leur place. Je pourrais aussi mourir (et devenir extrêmement agressif, donc, si la situation l'exige) pour sauver un de mes enfants.

Je ne suis moi-même qu'un marcheur... ;-)

Mais la vérité est bien au-delà : tout se produit selon la Nature, parfaite en tout et éternelle. L'individu n'est pour l'essentiel qu'une expression entre de multiples autres d'une même vie qui appartient éternellement à la nature de la Nature.


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Messagepar nepart » 23 juil. 2008, 16:05

Si toi qui fait un travail dans le but de ne plus souffrir à la pensée des souffrances des autres, n'y arrive pas, je ne vois pas comment moi y arriverai.

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Messagepar Louisa » 23 juil. 2008, 17:24

Nepart a écrit :Cher Louisa,

Je ne culpabilise pas d'être la raison de la misère humaine. C'est juste que je pense que la nature à fait des êtres humains qui ont par nature, une pensée pour les autres, et que cela a certainement permis leur avancée actuelle, mais que cela crée fatalement une source de peine.

En quelque sorte c'est une source impure de plaisir car elle emmènerai forcement avec elle une source de peine.

Bien que la prise de conscience du déterminisme relativise cette peine, elle n'en reste pas moins grande, et je remarque que les seuls moments de grande joie que j'ai dans ma vie, c'est quand le niveau de conscience de tout ça est faible.

Tu es certainement en dessacord avec moi car tu défends l'idée qu'il n'y a pas plusieurs niveau de conscience.

Je suis d'accord avec ça quand il s'agit d'une informations.
J'ai conscience que si je meurt le monde ne va pas s'arreter.
Mais quand il s'agit de ressenti, de sensations et de sentiments, il y a plusieurs niveaux.

Si tu dois tuer quelqu'un de tes propres mains et si tu dois ordonner à quelqu'un de tuer quelqu'un pour toi, tu ne seras pas autant touché dans les 2 cas.
Donc non je ne pense pas que je sous estime l'imagination. Je m'imaginerai sans doute la scène si j'ai envoyé quelqu'un, mais rien n'est aussi réaliste que la réalité.


Nepart a écrit :Si toi qui fait un travail dans le but de ne plus souffrir à la pensée des souffrances des autres, n'y arrive pas, je ne vois pas comment moi y arriverai.


Cher Nepart,

si en gros je suis assez d'accord avec ce que vient d'écrire Sescho quant à la solution proprement "spinoziste" au problème que tu poses, je crois qu'effectivement, ce problème comporte pour ainsi dire deux "volets": d'abord il s'agit de trouver le point de vue ou l'idée du monde nécessaire à ce genre de solution, mais ensuite il faut encore trouver un moyen pour pouvoir utiliser cette idée réellement dans la vie quotidienne afin de concrètement ne plus (ou disons moins; ce serait déjà ça) souffrir à la pensée des souffrances des autres.

Or ce que tu dis dans le dernier message adressé à moi traitait assez explicitement de ce deuxième volet, et à raison, car je ne l'avais pas encore très bien développé dans mon dernier message ci-dessus. J'y avais seulement dit que pour Spinoza, une idée adéquate (produite par la raison) n'affecte pas moins notre Esprit que n'importe quelle autre affection ou image. Voici donc l'une des façons dont on pourrait comprendre cela.

C'est que pour Spinoza, imaginer quelque chose, c'est l'avoir présent à l'Esprit. C'est la faculté de "temporalisation", si l'on veut, la faculté qui nous fait vivre les choses dans le temps, dans une succession de moments. La vérité, en revanche, est "éternelle", c'est-à-dire a quelque part un côté "hors temps". Et alors en effet, on pourrait se demander comment une vérité en tant que telle pourrait nous affecter. A mon sens, Spinoza répond en soulignant deux choses:

1. D'abord notre idée vraie, elle se produit bel et bien dans notre Esprit à un moment précis. Si aujourd'hui j'ai compris une démonstration d'un théorème en mathématiques, on ne peut pas dire que j'avais déjà cette idée vraie dans mon Esprit hier. Puis souvent avoir compris quelque chose procure une Joie. Cela prouve qu'une idée vraie nous affecte réellement.

2. Or on pourrait se dire que cette affection, aussi vraie soit-elle, ne nous affecte tout de même pas très durablement, au sens où il suffit que juste après nous entendons une mauvaise nouvelle pour que notre Joie aura déjà disparu et fera place à une Tristesse. Donc en ce sens on pourrait certes dire que l'image de quelque chose qu'on voit présent ici et maintenant nous affecte plus que juste savoir que ceci ou cela est vrai, sans plus. Et en ce sens, effectivement, juste sauver 10 personnes mais en les voyant devant soi nous affectera davantage, spontanément, qu'en sauver 10.000 mais sans jamais les voir. Or c'est précisément à ce niveau-ci qu'il me semble que la solution spinoziste est assez originale et vaut la peine d'être "testée" dans la vie réelle. Dire qu'une idée vraie ou un produit de la raison nous affecte, c'est déjà abandonner la séparation classique entre raison et sentiment, mais la façon dont Spinoza suggère de résoudre ce deuxième aspect (une image présente nous affecte plus qu'une idée vraie, en tant que simple connaissance logique) est à mon sens plus originale encore. Tentative de l'expliquer.

Le point crucial, il me semble, consiste dans le fait de commencer à utiliser activement cette faculté qu'est l'imagination. Car si l'idée vraie peut nous affecter de Joie, le problème n'est pas là, le problème est plutôt de savoir comment cette idée pourrait nous affecter sans cesse, de façon durable, et pas juste un instant, là où une image peut nous frapper très fortement et rester présente très longtemps dans l'Esprit, aussi après qu'on ne la voit plus réellement. Le problème est donc: comment faire durer la Joie qu'accompagne une idée vraie?

Réponse de Spinoza: il faut essayer d'enchaîner nos affections/affects/sentiments "selon un ordre pour l'intellect". C'est-à-dire: il faut que nous ayons maximalement ces sentiments présents à l'Esprit qui sont les plus "raisonnables", sachant que le sentiment le plus raisonnable, c'est finalement la Joie la plus intense qui dure le plus longtemps. Comment y arriver?

Il s'agit d'avoir toujours présentes à l'Esprit un certain nombre de "règles de vie". Ces règles sont issues d'idées adéquates (notamment: essayer de "vaincre la Haine par l'Amour ou Générosité et non la compenser par une Haine réciproque", essayer de "cultiver la Fermeté pour déposer la Crainte", "toujours prêter attention à ce qu'il y a de bon dans chaque chose", "contempler le moins possible les vices des hommes", essayer le moins possible de "dénigrer les hommes", ... - toutes les citations viennent de l'Ethique livre 5, proposition 10 scolie). Cela signifie que pour bien comprendre pourquoi elles sont vraies, il faut tout de même d'abord un petit exercice "rationnel". Mais une fois qu'on les a comprises (pour ce faire, on peut lire l'Ethique 3 et 4), il faut donc passer le plus vite possible à la deuxième étape: se les présenter le plus souvent possible à l'Esprit.

Cela signifie qu'on va commencer à utiliser activement notre imagination, cette faculté de rendre présent à l'Esprit, afin de non seulement nous laisser affecter par les images issues de nos "rencontres fortuites avec la nature", mais surtout aussi par les idées adéquates que nous avons déjà eu, et dont on sait qu'elles sont moins trompeurs que les images visuelles (par exemple: sauver 10.000 personnes est certes plus efficace, quand il s'agit de trouver un moyen pour diminuer la souffrance dans le monde, qu'en sauver 10, mais malgré cette vérité on aura tendance à croire l'inverse dès que ces 10.000 on ne les verrait jamais tandis qu'on voit réellement les 10).

Spinoza donne l'exemple de l"offense, donc de la Haine. J'ai l'impression que quelqu'un m'insulte. Spontanément, j'aurai tendance à être Triste, et à vouloir éloigner de moi cette cause extérieure de Tristesse. Je peux ne plus parler à la personne, par exemple, ou même essayer de la faire disparaître de mon monde quotidien à moi, ou même essayer de la détruire donc tuer. Dans tous les cas de figure, je suis en proie à une Haine. Or il est évident que souvent, celui qui a insulté ressent ma Haine, explicitement ou implicitement. Et celui qui se sent haï, aura très vite l'autre en Haine en retour. Il s'employera donc à m'insulter davantage. Ce qui me rendra encore plus Triste, etc. On ne pourra arrêter ce cercle infernal en réagissant à une insulte non pas par la Haine mais par la Générosité et l'Amour. Car quand j'arrive à faire du bien à l'autre, il me détestera un peu moins, et donc sera moins insultant, et ainsi de suite.

Ayant compris ce mécanisme, je peux avoir une idée adéquate de la Haine. Mais ce n'est pas encore pour autant que quand le lendemain quelqu'un m'insulte, je répondrai de façon extrêmement généreuse. Au contraire, la chance est grande que dès que quelqu'un m'insulte, je me sens tout aussi Triste qu'avant. Ce qu'il faut faire, selon Spinoza, pour que dans la vie quotidienne je n'éprouve pas une Tristesse lorsqu'il y a offense, c'est DEJA avoir cette idée adéquate de la Haine PRESENTE à l'Esprit AVANT même que qui que ce soit m'insulte. Cela signifie que "il faut penser aux offenses que se font couramment les hommes, les méditer souvent, ainsi que la manière et le moyen de les repousser au mieux par la Générosité; car ainsi nous joindrons l'image de l'offense à l'imagination de ce principe, et nous l'aurons toujours sous la main quand on nous fera offense" (même scolie).

Il s'agit donc de commencer s'imaginer ACTIVEMENT que je croise quelqu'un qui m'insulte, SANS que ce soit le cas, puis à se demander comment je devrais réagir si je veux réagir par la Générosite et non pas par la Haine. Cela, il faut se l'imaginer LE PLUS CONCRETEMENT possible. Puis on essaie de s'imaginer qu'on réagit réellement de cette façon, on s'imagine les détails de notre réaction: on imagine qu'on se dit que la Haine est une idée inadéquate, et que jamais elle ne peut s'expliquer par qui est l'autre personne réellement. On se dit que donc en tant que cette personne me déteste, elle se trompe, c'est-à-dire elle est passif plutôt que d'être actif, elle subit plutôt que d'agir. Elle n'est elle-même qu'une cause partielle de sa Haine, tandis que ce qu'elle a compris de moi risque d'être complètement à côté de la plaque si elle est sous le sentiment de Haine. Bref, on commence à appliquer tout ce que Spinoza développe en détail dans le livre 3 et 4.

Il est évident que ... ça prend du temps. Or souviens toi que c'était précisément ce qu'on cherchait: comment faire "durer" une idée adéquate, comment en être affecté durablement, dans le temps ... ! Et ainsi on voit que finalement, la solution est tout à fait logique: pour la faire durer il faut ... y penser beaucoup. Pour y penser beaucoup, il faut l'avoir présente à l'Esprit c'est-à-dire l'imaginer souvent, et le plus "distinctement" possible, en imaginant un maximum de détails possibles. Autrement dire, l'Esprit peut tout à fait créer ses PROPRES images. Cela ne se fait pas de façon si immédiate qu'une image visuelle qu'on a quand on regarde la télé ou quand on voit la personne qu'on sauve, bien sûr. Mais ce qui est de prime abord un désavantage peut donc tout aussi bien constituer un avantage: le fait que cela prend plus de temps pour s'imaginer en détail une situation d'insulte qui n'est pas réelle, veut dire aussi qu'il faut s'y employer au début TRES régulièrement. Et une fois qu'on l'aura ainsi "gravée" dans notre imagination, ce sera très difficile de ne pas l'avoir à l'Esprit dès qu'une situation concrète d'offense se présente.

Et ainsi devient-il fort probable que nous ne réagirons plus immédiatement par de la Haine à une Haine, mais que déjà nous avons la solution plus adéquate "prête", plus vite présente à l'Esprit que ce sentiment de Haine même. Ainsi sera-t-il cette idée adéquate même qui déterminera notre réaction, ce qui nous fera réagir spontanément par de la Générosité, sans même plus sentir une Tristesse.

Comme déjà dit, Spinoza développe cette histoire de "règles de vie" dans l'exemple donné, à l'offense donc à l'Haine. Mais il faut bien sûr aussi l'appliquer à la Pitié, donc au problème que tu nous soumets. Sur base de ce que Sescho a écrit de la Pitié, tu pourrais "tester" cette solution spinoziste en te livrant un instant à cet exercice pratique qui consiste à d'abord essayer de bien comprendre en quoi une Pitié est une idée inadéquate (pour y arriver tu peux lire Spinoza, 18e Définition des Affects fin du livre 3, proposition 50 du livre 4, et/ou demander aux participants de ce forum de l'expliciter davantage). Puis tu peux essayer de décrire (aussi sur ce forum, si tu le veux, car cela permettra à nous tous de participer à l'exercice et donc de profiter de l'avantage de le faire) une situation imaginaire où la Pitié te frappe (tu avais déjà commencé à le faire dans tes messages précédents, mais tu pourrais encore beaucoup plus entrer dans les détails, bien sûr). Puis tu essaies de décrire en détail comment tu dois 1) adéquatement comprendre cette situation concrète, et 2) adéquatement réagir à cette situation.

Lorsque tu l'as fait une fois, il suffit de refaire l'exercice pour une autre situation imaginée le plus en détail possible. Après un certain temps (si tu le testes réellement, tu pourras nous dire si c'est vrai ou non), tu ne devrais plus tellement t'occuper de ce genre d'exercices imaginaires, ils auront suffisamment "changé" ton cerveau pour que tu réagisses immédiatement adéquatement. Dans ton cas, cela signifierait par exemple que tu réussis à écouter les infos trois fois par jour sans ne plus sentir aucune Pitié. Selon Spinoza, c'est faisable et je ne peux que te confirmer que dans mon cas, cela marche assez bien (même si je suis loin d'avoir déjà épuisé l'apport de tels remèdes dans ma vie personnelle).
Bon travail ... :D
L.


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