Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 18 oct. 2009, 20:08

louisa a écrit :
Bardamu a écrit :De toute façon, je sais que mon idée de potentiel est vraie, je sais qu'elle est spinoziste et en plus je suis en accord avec Séverac (et avec Deleuze aussi, cf dans ses cours les passages sur l'essence affectée, la latitude et les quantités intensives avec leurs seuils, leurs minimum et maximum, notions a utiliser avec prudence vu qu'il y a beaucoup de Deleuze là-dedans).


euh ... à mon sens c'est exactement sur ce point que Sévérac critique Deleuze ... dans ce cas, comment être en accord avec les deux à la fois ... ? :?


Bonjour Bardamu,

juste pour illustrer ce que je viens de dire, voici Sévérac, dans l'Introduction du livre en question (pg. 28-29) (l'italique est de Sévérac, le gras c'est moi qui souligne):

Pascal Sévérac a écrit :Mais c'est sans doute à G. Deleuze que l'on doit la formulation la plus élaborée de cette identité entre être passif et être séparé de soi-même. . Selon Deleuze, une double inspiration travaillerait la philosophie spinoziste: une inspiration physique, d'après laquelle l'être et la puissance d'être sont équivalents; et une inspiration métaphysico-éthique, d'après laquelle l'être, dans la passivité, serait en deça de ce qu'il peut être. (...) Devenir actifs, ce serait pour nous combler le vide qui nous sépare de nous-mêmes, nous réapproprier la puissance dont la passivité nous éloigne. (...)

Nous pouvons dès lors énoncer ce qui sera la thèse de notre ouvrage: (...) il s'agira de tenir le plus loin possible l'idée que soutient Spinoza lui-même d'une actualité pleine et entière de la puissance, en Dieu comme en tout mode: il s'agira donc de penser le devenir actif en allant, autant que nous le pourrons, jusqu'au bout de l'idée que chez Spinoza toute puissance d'agir est en elle-même tout ce qu'elle est pour elle-même - la puissance n'étant jamais séparée de ce qu'elle peut. On le voit: notre travail consiste donc en la reprise du problème éthique du devenir actif chez Spinoza en tentant de le comprendre à partir de l'idée selon laquelle l'homme est toujours aussi parfait qu'il peut l'être.


Dans ce cas, comment faire pour à la fois soutenir l'idée d'un potentiel et être d'accord avec Deleuze, tout en étant d'accord avec Sévérac dont le but même du livre est d'aller à ce sujet dans le sens inverse que celui de Deleuze?

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Messagepar Durtal » 18 oct. 2009, 20:38

Louisa a écrit :
Pascal Sévérac a écrit :Mais c'est sans doute à G. Deleuze que l'on doit la formulation la plus élaborée de cette identité entre être passif et être séparé de soi-même. . Selon Deleuze, une double inspiration travaillerait la philosophie spinoziste: une inspiration physique, d'après laquelle l'être et la puissance d'être sont équivalents; et une inspiration métaphysico-éthique, d'après laquelle l'être, dans la passivité, serait en deça de ce qu'il peut être. (...) Devenir actifs, ce serait pour nous combler le vide qui nous sépare de nous-mêmes, nous réapproprier la puissance dont la passivité nous éloigne. (...)

Nous pouvons dès lors énoncer ce qui sera la thèse de notre ouvrage: (...) il s'agira de tenir le plus loin possible l'idée que soutient Spinoza lui-même d'une actualité pleine et entière de la puissance, en Dieu comme en tout mode: il s'agira donc de penser le devenir actif en allant, autant que nous le pourrons, jusqu'au bout de l'idée que chez Spinoza toute puissance d'agir est en elle-même tout ce qu'elle est pour elle-même - la puissance n'étant jamais séparée de ce qu'elle peut. On le voit: notre travail consiste donc en la reprise du problème éthique du devenir actif chez Spinoza en tentant de le comprendre à partir de l'idée selon laquelle l'homme est toujours aussi parfait qu'il peut l'être.




Bravo Louisa tu viens de démontrer par le fait l'absurdité qu'il y a vouloir régler des discussions avec des commentateurs plutôt qu'avec sa propre tête.... Tu sais c'est un peu le "sport" actuel du commentaire de faire des parricides Deleuziens. Bon c'est normal. C'est la vie universitaire. Mais en philo... la règle n'est pas "c'est le dernier qui a parlé qui a raison", donc maintenant ce serait bien que tu cesses de brandir Severac comme un bouclier, parce que tes interlocuteurs ont un droit égal à brandir Deleuze comme un bouclier, et on peut tourner en rond assez longtemps comme ça.

D.
Modifié en dernier par Durtal le 19 oct. 2009, 02:14, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 18 oct. 2009, 22:00

chère Louisa

J 'ai dit à Sinusix (sur un autre fil)
cet exemple( scolie Prop 8/2) on le comprend ou on ne le comprend pas .

et c 'est pourquoi je vous dis A vrai dire je n'ai pas de plus de solutions pédagogiques que Spinoza n' en a . Celui ci devait estimer que son exemple était suffisant . .

Donc :je ne vois pas comment transformer cette discussion en une situation "pédagogique.
.....................................................................................................................


Je n'ai pas à démontrer la vérité d' un exemple illustrant une proposition(la 8/2) que Spinoza d'ailleurs se passe de démontrer puisqu'il renvoie au précédent scolie.
"""l être formel de l'idée de cercle ne peut se percevoir que par une autre manière de penser comme cause prochaine ,et celle ci à son tour par une autre chose et ainsi à l'infini ."""

il n'y rien de plus évident que l'idée formelle de n'importe quelle chose singulière ne peut se percevoir que par une autre manière de penser comme cause prochaine et celle ci à son tour par une autre chose et ainsi à l'infini .

Là dessus je ne change pas .Je n’interprète pas je m 'en tiens au texte .
Il faudrait me convaincre que cause prochaine n’est pas inscrite dans la durée (et exclusivement ).
....................................................................................

Là où on pourrait penser que j extrapole c'est sur chose particulière .L'idée de choses particulières chez Spinoza ne recouvre pas l'idée d'individu substantiel ( comme chez Aristote )
on à les trois occurrences
chose particulière coroll prop 25/1)
corps def 1/2
choses singulières def 7/2


"""""par choses singulières j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée .
Que si plusieurs individus concourent à une même action en sorte qu’ils sont tous ensemble cause d’un même effet, je les considère tous,en cela, comme une même chose singulière """""". def 7/2


………………………………………………………………………..
Excusez- moi mais je sais mon texte et si je ne le sais plus je le retrouve . Je ne vais pas chercher chez les tireurs de maillots à droite à gauche et dans leur sens.
J’ai le plus profond respect pour Severac mais il apparaît à ses dires qu’il tire Spinoza là où il veut la mener sa Thèse .

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Messagepar Durtal » 19 oct. 2009, 03:22

Je me joins à ce qu’explique Sinuxis plus haut en ajoutant cependant la « nuance » suivante ( je ne sais pas à quel point en fait cela exprime ou non une divergence, l’intéressé me le dira), mais je pense que lorsque Spinoza parle des idées de choses singulières « qui n’existent pas en acte » mais qui sont dans la pensée infinie de Dieu, il parle des idées des essences de ces choses ( lesquelles essences ont comme telles un être formel et un être objectif) et non de leur existence, (ou si l’on veut : l’existence d’une chose considérée en tant seulement qu’elle est en Dieu, ou le « point de vue éternel » sur l’existence d’une chose, n’est rien d’autre que la considération de sa seule essence abstraction faite de son existence dans le temps, voyez entre autre le scolie de la proposition VII E1, lorsqu’il explique à l’intention de ceux qui confondent les modes et la substance, que les essences des choses qui n’existent pas (ou peuvent ne pas exister), se conçoivent néanmoins par l’essence d’une chose qui elle existe, et donc qu’on ne peut concevoir l’existence de la substance comme seulement possible (ou comme pouvant ne pas exister) puisque dans ce cas l’on se contredirait soi-même) sinon à l’évidence il s’en suivrait exactement ce que dit Sinuxis, que l’existence d’une chose singulière quelconque serait une vérité éternelle, ce que tout lecteur de Spinoza ne peut considérer autrement que comme une aberration ( même Leibniz n’ose pas ! c’est tout dire).


La différence entre le rectangle compris dans le cercle et le rectangle tracé sur le papier est la différence de l’essence à l’existence, les régimes causaux de la puissance d’exister de Dieu sont dans les deux cas extrêmement différents, l’un (celui des essences) est immédiat comme le fait observer Sinuxis (avec l’essence de Dieu est donnée éternellement aussi toute essence, une essence n’est pas un item temporel, d’un autre coté cela « existe » puisque c’est une détermination de cette chose qui toujours et nécessairement existe) tandis que l’autre (celui des existences) est engagé dans la médiation indéfinie de la causalité « transitive » des choses existantes les unes à l’égard des autres lequel n’est pas compris en Dieu de « toute éternité » parce que cela impliquerait que la nature suivrait un Ordre (au sens de l’appendice du livre I de l’Ethique, c'est-à-dire suivrait un plan divin, cet « asile de l’ignorance » et de toutes les superstitions).

Reste que, comme le dit Sescho, les essences ne sont pas comprises en Dieu, « comme dans une penderie » mais comme effets éternels d’une puissance causale éternelle, à la manière dont les rectangles sont dans le principe, dans l’essence du cercle. Est-ce à dire pour autant qu’elles n’y sont comprises que sous la forme d’« essences de genre » ? C’est une autre discussion, mais tout je pense n’a pas été dit là-dessus (en fait je pense que cela ne s’exclut pas du tout)

D.

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Messagepar Louisa » 19 oct. 2009, 17:07

Hokousai a écrit : 'ai dit à Sinusix (sur un autre fil)
cet exemple( scolie Prop 8/2) on le comprend ou on ne le comprend pas .


Cher Hokousai,

ne faudrait-il pas dire que cela vaut pour toute proposition, et même pour toute philosophie, ou pour toute chose qui est à comprendre ... ?

Si oui, la question est tout simplement: pourquoi quelqu'un qui dit avoir compris, aurait-il réellement compris? Et que faire si deux personnes disent avoir compris, mais elles ont clairement compris autre chose, comme c'est le cas ici?

Je ne vois qu'une solution: essayer de fonder son interprétation dans le texte même, sinon on reste dans le pur subjectif, où chacun a droit à son point de vue, sans plus.

Hokousai a écrit :Je n'ai pas à démontrer la vérité d' un exemple illustrant une proposition(la 8/2) que Spinoza d'ailleurs se passe de démontrer puisqu'il renvoie au précédent scolie.


je ne vous demandais aucunement de démontrer que Spinoza a eu raison, c'est-à-dire que l'idée de Spinoza est vraie. Nous nous situons ici sur le pur niveau de la compréhension: la question est de savoir quelle est l'idée exprimée par cette proposition et son scolie, et pourquoi serait-ce l'idée que vous proposez et non pas celle que moi je propose? A partir du moment où vous pensez que votre interprétation est vraie, que moi je le pense aussi en ce qui concerne la mienne, et que les deux ne s'accordent pas, il faut bien passer à la démonstration, non .. ?

Hokousai a écrit :"""l être formel de l'idée de cercle ne peut se percevoir que par une autre manière de penser comme cause prochaine ,et celle ci à son tour par une autre chose et ainsi à l'infini ."""

il n'y rien de plus évident que l'idée formelle de n'importe quelle chose singulière ne peut se percevoir que par une autre manière de penser comme cause prochaine et celle ci à son tour par une autre chose et ainsi à l'infini .


c'est clair.

Hokousai a écrit :Là dessus je ne change pas .Je n’interprète pas je m 'en tiens au texte .


euh ... vous citez le texte, donc en effet, pas d'interprétation ici.

Hokousai a écrit :Il faudrait me convaincre que cause prochaine n’est pas inscrite dans la durée (et exclusivement ).


?

La discussion ne porte pas là-dessus. Ce que j'ai dit de l'E2P8 implique une double existence des modes finis, l'une dans la durée, l'autre dans l'éternité. Donc il va de soi qu'une cause prochaine d'un mode fini s'inscrit dans la durée, puisqu'une telle cause est elle-même un mode fini, vous voyez?

Le problème concerne l'existence dans l'éternité. Là Durtal et Sinusix (mais aussi Sescho, si je ne m'abuse) contestent l'idée qu'il y aurait chez Spinoza une existence éternelle des essences singulières en tant que singulières. Seul argument donné par eux pour l'instant: ils ont des difficultés à croire personnellement en une telle existence, point. Pas d'analyse de texte pour montrer comment interpréter l'E2P8 autrement, pas de réfutation de l'analyse que j'ai donnée ci-dessus et qui montre en détail que c'est la seule manière de construire une lecture cohérente de cette proposition. D'où ma demande d'essayer de passer outre la simple affirmation de ses croyances subjectives pour essayer de démontrer la vérité de son interprétation lorsqu'il ne s'agit plus de soi-même mais du spinozisme (ou de réfuter la mienne).


Hokousai a écrit :Là où on pourrait penser que j extrapole c'est sur chose particulière .L'idée de choses particulières chez Spinoza ne recouvre pas l'idée d'individu substantiel ( comme chez Aristote )
on à les trois occurrences
chose particulière coroll prop 25/1)
corps def 1/2
choses singulières def 7/2


"""""par choses singulières j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée .
Que si plusieurs individus concourent à une même action en sorte qu’ils sont tous ensemble cause d’un même effet, je les considère tous,en cela, comme une même chose singulière """""". def 7/2

………………………………………………………………………..
Excusez- moi mais je sais mon texte et si je ne le sais plus je le retrouve . Je ne vais pas chercher chez les tireurs de maillots à droite à gauche et dans leur sens.


euh ... je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par là.

Hokousai a écrit :J’ai le plus profond respect pour Severac mais il apparaît à ses dires qu’il tire Spinoza là où il veut la mener sa Thèse .


ok, mais laissons de côté la personne de Sévérac. Si l'on veut comprendre Spinoza, la question est de savoir quels arguments sont aujourd'hui disponibles, lesquels seraient selon nous vrais ou faix, et pour quelles raisons est-ce qu'on pense cela, non?

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Messagepar Sinusix » 19 oct. 2009, 18:03

Cher Durtal,

Durtal a écrit :Je me joins à ce qu’explique Sinuxis plus haut en ajoutant cependant la « nuance » suivante ( je ne sais pas à quel point en fait cela exprime ou non une divergence, l’intéressé me le dira), mais je pense que lorsque Spinoza parle des idées de choses singulières « qui n’existent pas en acte » mais qui sont dans la pensée infinie de Dieu, il parle des idées des essences de ces choses ( lesquelles essences ont comme telles un être formel et un être objectif) et non de leur existence, (ou si l’on veut : l’existence d’une chose considérée en tant seulement qu’elle est en Dieu, ou le « point de vue éternel » sur l’existence d’une chose, n’est rien d’autre que la considération de sa seule essence abstraction faite de son existence dans le temps, voyez entre autre le scolie de la proposition VII E1, lorsqu’il explique à l’intention de ceux qui confondent les modes et la substance, que les essences des choses qui n’existent pas (ou peuvent ne pas exister), se conçoivent néanmoins par l’essence d’une chose qui elle existe, et donc qu’on ne peut concevoir l’existence de la substance comme seulement possible (ou comme pouvant ne pas exister) puisque dans ce cas l’on se contredirait soi-même) sinon à l’évidence il s’en suivrait exactement ce que dit Sinuxis, que l’existence d’une chose singulière quelconque serait une vérité éternelle, ce que tout lecteur de Spinoza ne peut considérer autrement que comme une aberration ( même Leibniz n’ose pas ! c’est tout dire).


La différence entre le rectangle compris dans le cercle et le rectangle tracé sur le papier est la différence de l’essence à l’existence, les régimes causaux de la puissance d’exister de Dieu sont dans les deux cas extrêmement différents, l’un (celui des essences) est immédiat comme le fait observer Sinuxis (avec l’essence de Dieu est donnée éternellement aussi toute essence, une essence n’est pas un item temporel, d’un autre coté cela « existe » puisque c’est une détermination de cette chose qui toujours et nécessairement existe) tandis que l’autre (celui des existences) est engagé dans la médiation indéfinie de la causalité « transitive » des choses existantes les unes à l’égard des autres lequel n’est pas compris en Dieu de « toute éternité » parce que cela impliquerait que la nature suivrait un Ordre (au sens de l’appendice du livre I de l’Ethique, c'est-à-dire suivrait un plan divin, cet « asile de l’ignorance » et de toutes les superstitions).

Reste que, comme le dit Sescho, les essences ne sont pas comprises en Dieu, « comme dans une penderie » mais comme effets éternels d’une puissance causale éternelle, à la manière dont les rectangles sont dans le principe, dans l’essence du cercle. Est-ce à dire pour autant qu’elles n’y sont comprises que sous la forme d’« essences de genre » ? C’est une autre discussion, mais tout je pense n’a pas été dit là-dessus (en fait je pense que cela ne s’exclut pas du tout)
D.


Bien évidemment, l'éventuelle mésinterprétation de ce que j'ai écrit ne vous a pas échappé et je vous confirme volontiers que l'idée de chose singulière dont il s'agit et dont nous discutons est celle de son essence. Votre précision me permet de savourer l'expression bien trouvée de Sescho, que je ne connaissais pas, et je vous en remercie.
Ceci dit, votre heureuse précision me conduit à faire l'observation suivante (preuve, pour ce qui me concerne, que, vous cotoyer, me fait penser).
En effet, cette précision même éclaire le chausse-trappe dans lequel on peut tomber si on ne reste pas rivé à la construction Spinoziste.
En effet, parler de l'idée de l'essence singulière de chose singulière pourrait laisser croire, si l'on est pas vigilant, à un troisième terme ou intercesseur entre l'essence d'une chose et son existence.
Or, dans le Spinozisme, il y a parallélisme strict entre Attributs. Autrement dit, à quelque niveau de "l'échelle ontologique" Spinoziste que l'on se place (substance/attributs, modes infinis immédiats, modes infinis médiats, modes finis), aucune idée de chose ne peut se présenter sans être associée à un corrélat attributif de même niveau, et qui soit situé en dehors de la Pensée.
C'est bien pourquoi, le mode infini immédiat corrélé (celui que nous connaissons) étant l'Etendue, indivisible je le rappelle, l'idée de Dieu ne peut pas, comme le dit si bien Sescho, être une penderie, et c'est pourquoi nul n'y trouvera l'idée de l'essence singulière de Louisa.
De plus, à ce niveau, il n'y a pas de conscience, puisque nous sommes dans la partie "éternité", invariant total. Or, à l'essence singulière de Louisa, ne doit pas manqué d'être attachée sa capacité d'être consciente, laquelle ne peut pas se situer à ce niveau, mais se retrouvera aux niveaux médiats, quand sera "intervenue" la modification génératrice du tout, à savoir le mouvement et le repos.
Je conçois que le jeu de l'immanence soit difficile à comprendre, raison pour laquelle il faut impérativement respecter la logique E1P21 à P23. Comme l'a dit je ne sais plus qui, dans le spinozisme, il n'y a pas de norme extérieure à son champ d'application.

Amicalement

PS : c'est Sinusix (comme Sinus X) et non Sinuxis.

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Messagepar Louisa » 19 oct. 2009, 18:57

Durtal a écrit :(...) je pense que lorsque Spinoza parle des idées de choses singulières « qui n’existent pas en acte » mais qui sont dans la pensée infinie de Dieu, il parle des idées des essences de ces choses ( lesquelles essences ont comme telles un être formel et un être objectif) et non de leur existence, (ou si l’on veut : l’existence d’une chose considérée en tant seulement qu’elle est en Dieu, ou le « point de vue éternel » sur l’existence d’une chose, n’est rien d’autre que la considération de sa seule essence abstraction faite de son existence dans le temps, voyez entre autre le scolie de la proposition VII E1, lorsqu’il explique à l’intention de ceux qui confondent les modes et la substance, que les essences des choses qui n’existent pas (ou peuvent ne pas exister), se conçoivent néanmoins par l’essence d’une chose qui elle existe, et donc qu’on ne peut concevoir l’existence de la substance comme seulement possible (ou comme pouvant ne pas exister) puisque dans ce cas l’on se contredirait soi-même) sinon à l’évidence il s’en suivrait exactement ce que dit Sinuxis, que l’existence d’une chose singulière quelconque serait une vérité éternelle, ce que tout lecteur de Spinoza ne peut considérer autrement que comme une aberration ( même Leibniz n’ose pas ! c’est tout dire).


je pense plutôt que lorsque Spinoza parle des choses qui "n'existent pas en acte" dans le passage auquel tu réfères, il ne parle que des êtres d'imagination ou de raison, c'est-à-dire de choses qui n'existent pas en dehors de l'entendement de tel ou tel être humain. Il s'agit donc de toute autre chose que ce dont parle l'E2P8, qui, comme Spinoza le précisera plus tard, ne considère que les choses réelles, pour dire que dans le spinozisme, une chose est dite "exister en acte" aussi bien lorsqu'elle existe dans le temps (acception courante du terme "exister") que lorsqu'elle n'existe pas dans le temps. Autrement dit, son essence formelle et objective singulière ne dépend pas du temps pour exister, c'est le fait qu'elle est logiquement possible qui fait que en tant qu'essence elle existe. Spinoza ici reprend une thèse fort connue depuis des siècles, et qui est celle de l"'être de l'essence" (esse essentiae): dans le christianisme, on a tendance à ne parler d'existence qu'au sens de "durer", alors qu'en philosophie on reconnaît depuis longtemps (et dans des écoles de pensée très différentes) une existence propre à l'essence.

Si tu penses que contrairement à ce que je dis Spinoza réserve l'expression "existence en acte" ou "existence actuelle" que pour les choses qui sont dites "durer", comment expliques-tu qu'en l'E5P29 scolie Spinoza dit que :

Spinoza a écrit :Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières, selon que nous les concevons soit en tant qu'elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, soit en tant qu'elles sont contenues en Dieu, et suivent de la nécessité divine.


autrement dit: en tant qu'une chose existe en Dieu, elle est aussi dite "exister en acte", non? Comment interpréter ceci autrement ... ?

Durtal a écrit :sinon à l’évidence il s’en suivrait exactement ce que dit Sinuxis, que l’existence d’une chose singulière quelconque serait une vérité éternelle, ce que tout lecteur de Spinoza ne peut considérer autrement que comme une aberration ( même Leibniz n’ose pas ! c’est tout dire).


D'abord, ce n'est pas parce qu'une idée choque certains visiteurs de ce forum qu'elle est en soi "osée" ... . Et je ne vois pas comment on pourrait mesurer la vérité d'une interprétation d'un philosophe au sentiment subjectif d'être choqué par une idée ou non. C'est un étalon assez arbitraire, non .. ?

En ce qui concerne Leibniz: celui-ci avait besoin d'une philosophie où la notion de "possible" est très importante, donc il a tout simplement fait d'autres choix philosophiques. On ne peut pas se baser sur l'absence d'une idée chez un philosophe X pour en conclure que sans doute elle doit donc aussi être absente chez Y, d'autant plus qu'on sait que le spinozisme et le leibnizianisme sont bien différents l'un de l'autre.

D'ailleurs, comme déjà dit, l'idée d'un être ou une existence propre à l'essence est tout à fait courante, dans l'histoire de la philosophie. Il suffit de la lire un peu en détail pour pouvoir s'en familiariser et ne plus être choquée par elle (ou si on "n'a pas le temps", on peut lire les excellents ouvrages d'Alain de Libera sur la philosophie médiévale, ou ceux d'Etienne Gilson, pour ne nommer que quelques-uns des commentateurs à ce sujet).

Ce qui selon Spinoza est une abérration, c'est l'idée que l'existence dans le temps d'une chose singulière serait elle-même éternelle. Car c'est cela l'idée d'immortalité: on pense qu'une partie de nous durera indéfiniment, de toute éternité. Cela, dit explicitement Spinoza, c'est faux. Mais il y ajoute immédiament que notre essence est néanmoins éternelle. Or on sait qu'il n'y a que des essences singulières chez Spinoza. Donc c'est bel et bien chaque chose singulière qui a une essence singulière qui, hormis une existence limitée dans le temps, a un autre type d'existence, non lié au temps, qui lui est éternel, comme le stipule déjà l'E2P8.

Enfin, quant à l'idée que tout le monde devrait nécessairement penser comme vous ou être choqué par les mêmes idées: il va de soi que cela est rarement le cas. Juste quelques citations, à titre d'exemples (c'est moi qui souligne lorsqu'il s'agit de caractères en gras):

P-F Moreau dans Expérience et éternité a écrit :Ce sont les démonstrations qui nous font éprouver l'éternité de l'âme; de notre âme. (...) La connaissance du IIIe genre est précisément une connaissance adéquate des essences singulières.


Bernard Rousset en 1968 a écrit :On a souvent mis en doute l'existence et même la possibilité d'une réelle individuation des êtres dans la métaphysique de Spinoza: (...) quant aux choses singulières, elles ne sont que des modes privés de substantialité propre et elles ne se distinguent les unes des autres que par des caractères fort relatifs et transitoires, comme l'unité de mouvement: aucune détermination ontologique ne viendrait donc fonder leur individualité. Mais, quoi qu'il en soit de cette métaphysique, la théorie de l'éternité n'implique-t-elle pas une négation supplémentaire de toute individualité, même relative? (...) or le parallélisme fait qu'avec la dissolution du corps dans l'étendue, l'être distinct de l'esprit doit également se dissoudre dans l'entendement universel, conclusion que Spinoza ne semble pas hésiter à tirer dans le Court Traité (...) .

L'individuation semble donc se faire dans l'existence en acte et par le corps, en sorte que l'individualité paraît condamnée à périr, ainsi que le pensent la plupart des interprètes: (...) "Tout en nous est éternel, sauf nous". (...)

Il serait évidemment facile de chercher à nous convaincre de renoncer à notre individualité. Mais cela pourrait surprendre au sein du spinozisme: (...) il est incontestable que les conceptions (...) de Spinoza (...) expriment le plus exigeant (...) des individualismes; rien ne lui est plus étranger que l'inspiration néo-platonicienne, qui tient l'individualité pour un défaut ou un mal, dont il faudrait nous sauver. En ce qui concerne la seule théorie de l'éternité, il suffit de constater la nature individuelle de ce qui est éternel (...). Spinoza s'exprime avec assez de clarté sur ce point: (...) "Notre esprit ... est un mode éternel du penser, qui est déterminé par un autre mode éternel du penser. (...) Les thèmes développés comme les expressions employées par Spinoza dans l'Ethique prouvent assez que l'éternité est individuelle.


Pour moi ceci confirme mon hypothèse: les interprétations proposées à ce sujet par Sescho, et à la suite de celui-ci par Durtal et Sinusix, sont propres à une lecture thomiste, chrétienne de Spinoza, lecture qu'on adopte spontanément de prime abord lorsqu'on est né dans une culture chrétienne (que l'on soit croyant on non), et qui était également en vogue parmi les commentateurs de Spinoza au moment même où le thomisme vivait ses derniers jours. Or, déjà fin des années soixantes, on trouve des commentateurs importants qui ne disent rien d'autre que ce que je viens de dire ci-dessus à ce sujet.

Bien sûr, il y a aujourd'hui encore des commentateurs qui prolongent l'idée thomiste même chez Spinoza. Macherey en est un bon exemple. Mais pour savoir ce qu'on peut objecter à Macherey, il me semble qu'il est très important de lire les critiques actuelles de son interprétation (dont celle de Sévérac est l'une des plus récentes) et de trouver un moyen pour réfuter ces critiques, du moins si l'on ne veut pas simplement affirmer une "croyance" en telle ou telle interprétation.

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Messagepar hokousai » 19 oct. 2009, 19:13

chère Louisa

Nous nous situons ici sur le pur niveau de la compréhension: la question est de savoir quelle est l'idée exprimée par cette proposition et son scolie, et pourquoi serait-ce l'idée que vous proposez et non pas celle que moi je propose?


Je ne propose aucune interprétation, je ne fais que de la paraphrase(et bien trop) .

Je lis les textes du scolie prop 7/2, la prop 8/2 ,son corol et le scolie . Je n'ai pas d'explications à donner .

C'est parfaitement bien dit par Spinoza .

hokousai

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Messagepar Louisa » 19 oct. 2009, 19:22

Sinusix a écrit :Ceci dit, votre heureuse précision me conduit à faire l'observation suivante (preuve, pour ce qui me concerne, que, vous cotoyer, me fait penser).


Vous semblez appeler "penser" ce que moi j'appele "développer une idée". Penser au sens philosophique du terme signifie pour moi (enfin moi ... à mon sens il suffit de lire ne fût-ce que Platon pour savoir que je ne suis pas en train d'inventer l'eau chaude): chercher la vérité. Pour chercher la vérité, il ne suffit pas de s'en tenir à un développement de ce qu'on pense déjà (ce qui est certes très agréable), chercher la vérité (donc philosopher) commence par une radicale mise en question de toutes nos idées (ce qui semble être pénible lorsqu'on n'en a pas l'habitude, mais qui en réalité procure un plaisir beaucoup plus profond et durable). Et il faut être prêt à tout moment de sa réflexion de ré-effectuer une telle interrogation, sinon on tombe très vite dans le dogmatisme.

Sinusix a écrit :En effet, cette précision même éclaire le chausse-trappe dans lequel on peut tomber si on ne reste pas rivé à la construction Spinoziste.


c'est précisément cela qui est à démontrer: que votre interprétation à vous est plus fidèle au texte que la mienne ou celle d'autres commentateurs. Sans passer à cette démonstration, vous restez dans le simple développement.

Sinusix a écrit :
En effet, parler de l'idée de l'essence singulière de chose singulière pourrait laisser croire, si l'on est pas vigilant, à un troisième terme ou intercesseur entre l'essence d'une chose et son existence.
Or, dans le Spinozisme, il y a parallélisme strict entre Attributs. Autrement dit, à quelque niveau de "l'échelle ontologique" Spinoziste que l'on se place (substance/attributs, modes infinis immédiats, modes infinis médiats, modes finis), aucune idée de chose ne peut se présenter sans être associée à un corrélat attributif de même niveau, et qui soit situé en dehors de la Pensée.


En effet. Ce qui signifie que si vous pensez qu'admettre l'éternité du mode fini, chez Spinoza, cela implique insérer un troisième terme entre l'essence d'une chose et son existence, il faut:

1. préciser quel serait ce troisième terme
2. montrer en quoi l'idée de l'éternité du mode fini aurait nécessairement besoin d'un tel terme pour pouvoir fonctionner.

Sinon, vous ne faites qu'affirmer qu'il n'y a de prime abord pas de troisième terme, affirmation dont on ne voit pas très bien comment elle pourrait constituer une quelconque objection à l'éternité du mode fini, vous voyez?

Sinusix a écrit :C'est bien pourquoi, le mode infini immédiat corrélé (celui que nous connaissons) étant l'Etendue, indivisible je le rappelle, l'idée de Dieu ne peut pas, comme le dit si bien Sescho, être une penderie, et c'est pourquoi nul n'y trouvera l'idée de l'essence singulière de Louisa.


d'abord, l'Etendue chez Spinoza n'est pas un mode infini immédiat (c'est-à-dire un mode produit immédiatement par l'Attribut), elle est elle-même un Attribut. Distinction assez importante .. .

Quant à dire que les modes finis ne peuvent pas être éternels à cause de l'indivisibilité de l'attribut: ce n'est pas cette éternité qui pose problème, c'est le fait même qu'il existe des modes finis qui pourrait suggérer que l'attribut qu'ils expriment doit être divisible. Or il faut nécessairement distinguer attribut et mode (ou essence divine et mode divin). Un mode ne peut jamais diviser un attribut, puisqu'il exprime l'attribut. Le rapport entre mode et attribut n'est pas un rapport de tout et parties, c'est un rapport de tout indivisible et d'une infinité de manières déterminées et précises d'exprimer ce tout.

Sinusix a écrit :De plus, à ce niveau, il n'y a pas de conscience, puisque nous sommes dans la partie "éternité", invariant total. Or, à l'essence singulière de Louisa, ne doit pas manqué d'être attachée sa capacité d'être consciente, laquelle ne peut pas se situer à ce niveau, mais se retrouvera aux niveaux médiats, quand sera "intervenue" la modification génératrice du tout, à savoir le mouvement et le repos.


Au cas où vous comprenez le mot "conscience" au sens ordinaire, je dirais que la conscience est un phénomène qui se produit nécessairement dans le temps. Or une idée vraie n'a pas besoin du temps pour être vraie, puisqu'elle est un mode fini éternel qui exprime de toute éternité l'attribut.

Si vous voulez enlever la réalité des modes finis, ou leur individualité, vous enlevez en fait à l'attribut la possibilité même de s'exprimer réellement. C'est enlever les modes mêmes du spinozisme, ce qui n'a aucun sens, puisqu'il est propre à un attribut d'avoir des modes, justement. C'est faire comme si le rapport entre l'attribut et les modes est au fond comparable au rapport entre un dieu transcendant et sa création. Pour moi c'est donc rester tout à fait en-deça de l'invention proprement spinoziste.

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Messagepar Durtal » 20 oct. 2009, 00:14

louisa a écrit :
Durtal a écrit :(...) je pense que lorsque Spinoza parle des idées de choses singulières « qui n’existent pas en acte » mais qui sont dans la pensée infinie de Dieu, il parle des idées des essences de ces choses ( lesquelles essences ont comme telles un être formel et un être objectif) et non de leur existence, (ou si l’on veut : l’existence d’une chose considérée en tant seulement qu’elle est en Dieu, ou le « point de vue éternel » sur l’existence d’une chose, n’est rien d’autre que la considération de sa seule essence abstraction faite de son existence dans le temps, voyez entre autre le scolie de la proposition VII E1, lorsqu’il explique à l’intention de ceux qui confondent les modes et la substance, que les essences des choses qui n’existent pas (ou peuvent ne pas exister), se conçoivent néanmoins par l’essence d’une chose qui elle existe, et donc qu’on ne peut concevoir l’existence de la substance comme seulement possible (ou comme pouvant ne pas exister) puisque dans ce cas l’on se contredirait soi-même) sinon à l’évidence il s’en suivrait exactement ce que dit Sinuxis, que l’existence d’une chose singulière quelconque serait une vérité éternelle, ce que tout lecteur de Spinoza ne peut considérer autrement que comme une aberration ( même Leibniz n’ose pas ! c’est tout dire).

je pense plutôt que lorsque Spinoza parle des choses qui "n'existent pas en acte" dans le passage auquel tu réfères, il ne parle que des êtres d'imagination ou de raison, c'est-à-dire de choses qui n'existent pas en dehors de l'entendement de tel ou tel être humain.



C’est non seulement arbitraire (« je pense que »… mais aucun argument) mais en plus c’est faux. Si tu te donnais la peine de lire le passage en question au lieu d’intervenir comme à ton habitude de façon tonitruante et précipitée, tu y verrais que Spinoza y traite d’idées vraies de modifications non existantes or un être de raison n’est pas l’idée d’une modification et les êtres d’imagination – licorne par ex- ne sont pas des idées vraies. D’autre part, cf lettre sur les définitions Spinoza donne une illustration de ce qu’est concevoir l’essence d’une chose non existante : il forge un temple dans son esprit (calculant le nombre de pierre etc.).

(subsidiairement, je me demande ce que tu peux comprendre à la force de l'argumentation de Spinoza dans ce scolie si tu ignores que la donnée du problème concerne des idées vraies de choses qui n'existent pas et non des fictions)

D'ailleurs, comme déjà dit, l'idée d'un être ou une existence propre à l'essence est tout à fait courante, dans l'histoire de la philosophie. Il suffit de la lire un peu en détail pour pouvoir s'en familiariser et ne plus être choquée par elle (ou si on "n'a pas le temps", on peut lire les excellents ouvrages d'Alain de Libera sur la philosophie médiévale, ou ceux d'Etienne Gilson, pour ne nommer que quelques-uns des commentateurs à ce sujet).
Ce qui selon Spinoza est une abérration, c'est l'idée que l'existence dans le temps d'une chose singulière serait elle-même éternelle. Car c'est cela l'idée d'immortalité: on pense qu'une partie de nous durera indéfiniment, de toute éternité. Cela, dit explicitement Spinoza, c'est faux. Mais il y ajoute immédiament que notre essence est néanmoins éternelle. Or on sait qu'il n'y a que des essences singulières chez Spinoza. Donc c'est bel et bien chaque chose singulière qui a une essence singulière qui, hormis une existence limitée dans le temps, a un autre type d'existence, non lié au temps, qui lui est éternel, comme le stipule déjà l'E2P8.


Tu sais tu n’es absolument pas obligée de commenter mes interventions ni même de les lire, mais si tu le fais il serait quand même plutôt pas mal que tu me fasses l'honneur de t'efforcer de réfléchir à ce que je peux bien vouloir y dire. Parce que tu es en train, je ne sais pas si tu t’en rends compte, de me présenter comme une objection, une chose que j’affirme moi-même en toutes lettres dans le message que tu es censée commenter. A savoir que les deux sortes de l’actualité correspondent à la différence entre essence et existence. Alors évidemment, comme pour les modes l’existence diffère de l’essence, que l’essence d’un mode n’en est pas moins pour autant quelque chose, et donc en cela quelque chose qui « existe », le terme d’existence devient ambigu parce qu’il peut désigner soit l’une soit l’autre chose, mais elles ne laissent pas d’appartenir chacune à des points de vues extrêmement différent sur ce qu’est l’existence par delà l’ambiguïté lexicale.

D’ailleurs Spinoza la plupart du temps, se contente de contraster l’essence et l’existence (que l’essence « existe » étant sous entendu ; ce qui peut se comprendre car toutes les propositions concernant « l’existence de quelque chose » deviendrait alors inutilement compliquées.)

Là-dessus, le problème n’est pas que tu distingues l’essence de l’existence, c’est très bien au contraire, et tu as bien lu les commentateurs, je te félicite, le problème c’est l’ exploitation que tu fais de cette différence. Dire : tous les évènements qui arrive à Louisa sont déterminés de toute éternité à lui arriver tels qu’ils arrivent, revient à confondre, si ce n’est dans les mots du moins dans les idées, l’ordre des essences et l’ordre des existences. Dans l’éternité il n’arrive rien à l’essence de Louisa, elle n’est la cause prochaine de rien, et n’est affecté de modifications par rien et donc cela n’a pas de sens dire ici qu’il est « prévu » que l’objet dont cette essence est l’essence subira telle ou telle modification sera détruit par telle autre ayant été causée à exister par tel concours de causes etc. Dans l’éternité tout est déjà là, la chose y jouit immédiatement de l’existence éternelle de Dieu, et donc tout ce lexique de la détermination par des causes prochaines n’a aucun sens dès lors qu’est envisagée l’existence de la chose sous l’espèce d’éternité en laquelle elle coexiste immédiatement et simultanément avec toutes les autres essences de choses et avec l’essence de Dieu. Ta conception de ce qu’est « l’essence » d’une chose revient simplement à projeter dans un espace nébuleux des déterminations qui ne conviennent et n’ont en réalité de signification que par rapport à l’ordre des existences (c’est déjà ce que tu faisais avec l’exemple du cercle, incapable manifestement de comprendre que les rectangles n’ont pas besoin d’être préformé dans le cercle pour « y être », et que « l’existence » de ces choses répond dans chaque cas à des conditions très différentes). L’ordre des essences n’est pas le système de la préformation des existences, précisément parce que les essences ont leur type autonome d’exister, qui se suffit à soi même, sans qu’il y ait aucun lieu de se référer à l’existence temporelle des objets dont ces essences sont les essences car l’affirmation que l’essence des choses singulières n’enveloppe pas l’existence est équivalente à l’idée que les deux régimes de l’existence sont indépendants l’un de l’autre et donc aussi qu’il ne se déduit rien de l’un à l’autre.

Mais toi que fais-tu d’autre sinon d’ignorer complètement ces caractéristiques lorsque tu admets qu’il fait partie de l’essence de Sinuxis de voir à telle heure telle jour et telle année telle mouche traverser son champ de vision ? Quel sens ont ces notions je te prie (d’heure, de date, et de lieu) dans l’idée éternelle que dieu forme de l’essence éternelle de Sinuxis ? Rien n’est déterminé à se produire en ce sens là chez Spinoza, encore une fois la nature ne suit pas un Ordre, la tuile qui tombe sur la tête du quidam dans l’exemple de l’appendice au livre 1 n’était pas de toute éternité déterminée, en la volonté ou en l’entendement de Dieu, à tomber sur la tête de cet individu.


Vale.


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