Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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acta93
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Qui a réussi ?

Messagepar acta93 » 09 août 2009, 20:18

Bonjour a tous et a toutes,

Je ne suis pas philosophe et n'ai pas cette prétention.

J'ai une question qui me paraisse, me semble-t-il, légitime : Qui a réussi à aller jusqu'au bout de la pensée et/ou de la philosophie de Spinoza et peut dire, en fin de compte : 'Voila, je suis heureux grâce aux enseignements de Spinoza' ?.

Je vois que c'est très hardu ( mais à coeur vaillant... ), mais si on voyait quelques personnes qui sont arrivées au bout du chemin, je pense que je pourrai me dire :'ok, si certains sont arrivés; même s'il faut que je m'y consacre ma vie entière, je vais prendre cette voie.'

Il y a-t-il des signes de progressions pour vous et au bout de combien de temps ?
Modifié en dernier par acta93 le 04 sept. 2009, 18:28, modifié 2 fois.

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Amstel
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Messagepar Amstel » 09 août 2009, 22:15

Votre question est tout à fait légitime puisque Spinoza se la pose dans les premiers paragraphes du Traité de la réforme de l’entendement.
La philosophie de Spinoza n’est pas une philosophie du bonheur qui se définirait comme l’antithèse ou la résultante d’un quelconque malheur. Il n’y a pas chez Spinoza de « bout du chemin », de paradis, ou d’arrière-monde, qui seraient comme la récompense bien méritée d’une vie de souffrance malheureuse.
Il s’agit d’une philosophie de la joie, d’une joie pleinement positive et éternelle, ou plus exactement de la béatitude. Il y a une joie à philosopher, à étudier l’Ethique, car il y a une joie à comprendre et la béatitude n’est pas au bout du chemin mais le chemin lui-même (E542). Libre à vous d’en faire l’expérience…

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Messagepar sescho » 10 août 2009, 11:28

Bonjour,


Vaste question...

Je suis assez d'accord avec Amstel, en soulignant qu'il s'agit bien en l'occurrence de Béatitude et non pas de Joie au sens standard chez Spinoza, soit une passion de base du Mental naissant la plupart du temps d'une idée confuse (E3AppDGA) et à ce titre marginalement différente de la tristesse ambivalente (et même, la pire des passions, l'Orgueil, est une joie.) Par ailleurs, je ne dirais pas que la Béatitude c'est le chemin : c'est un état très différent de l'état standard qui suppose une révolution, une renaissance, une épuration extrême de la psyché. Mais pour autant, rêver d'un état de félicité infinie c'est tomber dans la première ornière creusée par l'ego (qui veut avoir sans se réformer.) Il suffit de savoir que cet état est sous-jacent en chacun de nous, effectivement. Pour le reste le but est le chemin lui-même (autrement dit, c'est la part de valeur que nous pouvons découvrir au moment présent.)

Pour moi et bien d'autres, Spinoza s'inscrit dans la grande Tradition spirituelle, éternelle, au plus haut niveau. Dans ce cadre, tous les Sages accomplis de toute l'histoire ont été et sont les preuves vivantes que cela est possible.

Que tout est en Dieu - la Nature, éternel et éternellement parfait, y compris ce que l'on ressent comme étant soi-même et autrui, sans libre arbitre, réalisé à fond et dans toutes ses conséquences vaut Béatitude.

Mais s'il y a un cadre suprême pour exemplifier la distance colossale qu'il peut y avoir entre "parler" et "être", je crois que c'est celui-là...


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Messagepar acta93 » 13 août 2009, 15:30

Bonjour à tous

Merci pour vos réponses.

Cependant, ce n'est pas ce qui m'intéresse pour l'instant, bien que c'est clair que c'est dans notre quotidien que se trouve le bonheur. On a également dit "Tu ne tueras point"... et pourtant.

Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si c'est EFFECTIF POUR VOUS. Il est possible que, pour SPINOZA, ca soit le cas, mais qu'en est-il de vous ?

Est ce que vous avez changé ? Est ce que vous vous vous êtes "transformés" ( terme que l'on utilise très peu en philosophie, mais pourtant essentiel !! ) ?

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Messagepar Louisa » 13 août 2009, 19:16

acta93 a écrit :Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si c'est EFFECTIF POUR VOUS. Il est possible que, pour SPINOZA, ca soit le cas, mais qu'en est-il de vous ?

Est ce que vous avez changé ? Est ce que vous vous vous êtes "transformés" ( terme que l'on utilise très peu en philosophie, mais pourtant essentiel !! ) ?


Bonjour Acta93,

en ce qui me concerne, la réponse est oui. Oui, c'est effectif pour moi, et oui, j'ai changé.

Juste pour donner un exemple: Spinoza propose de se penser et de penser la vie sociale ainsi que l'on ne réfère plus au concept de "culpabilité", qui est réduit à une idée inadéquate donc fausse. Retraduire toutes tes actions, et donc aussi tout ce que tu as fait dans ta vie et que tu regrettes, d'une telle façon que cela n'est plus de ta faute, cela demande un travail assez sérieux, mais c'est tout à fait faisable, et surtout, cela ouvre la porte à une façon de gérer ses erreurs qui me semble effectivement être beaucoup plus efficace, au sens où je parviens à réellement moins commettre le même type d'erreurs qu'avant.

En même temps, cela permet également d'être moins fâché sur d'autres gens, lorsqu'ils font des choses que l'on trouve intolérable (violences, injustices, ...). Les considérer comme "coupable", c'est avant tout s'imaginer qu'ils auraient pu faire autrement. Le désavantage une telle pensée, c'est qu'on reste bloqué dans le passé, ou on croit que juste leur dire qu'ils auraient pu faire autre chose suffit déjà pour que, de manière miraculeuse, ils ne répéteront plus les mêmes actes dans le futur. Alors que s'interdire d'interpréter un comportement au moyen de l'idée de culpabilité oblige à se demander comment il faudra faire pour que cette personne (soi-même ou quelqu'un d'autre) pourra réellement se comporter autrement dans le futur.

Autrement dit, il me semble que la question de la transformation (en effet, notion cruciale!) se pose beaucoup mieux lorsqu'on ne reste pas dans le "montrer du doigt", pour pouvoir s'attaquer à ce qui importe réellement: la procédure qu'il faut inventer pour pouvoir transformer situation x en situation y. On peut se demander "que faire?", au lieu d'en rester au "tu n'aurais pas dû!".
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Messagepar sescho » 23 août 2009, 21:30

Pour ma part,

Oui, j'ai clairement et très significativement changé sous l'impulsion de Spinoza (et d'autres auteurs.)

Et de plus je suis certain que c'est en bien. Car une vue partielle, ou la capacité de l'ego à se saisir de tout ce qui peut le conforter, peut faire du meilleur des enseignements une voie de régression. Pour moi, il n'y a que deux choses qui puissent être positives : prendre conscience de Dieu et/ou prendre conscience des mécanismes passionnels en soi. Le reste a toutes les chances d'être une appropriation par l'ego d'un aspect partiel qui l'arrange, et donc une involution. Par exemple, celui qui veut se "débarrasser" artificiellement de l'émotion de culpabilité (qui a le côté positif d'alerte sur un dysfonctionnement) va s'emparer de la notion d'absence de Bien et de Mal dans les faits (soit se saisir par opportunisme de l'expression du point de vue de Dieu, en occultant une part monumentale et très explicite de Spinoza qui fonde l'éthique, et qui donc relève d'un Bien et Mal relatif à l'Homme) pour "se justifier" en l'état sans s'amender.

Il n'en va pas par tout ou rien. La prise de conscience profonde progressive (c'est l'opposé d'un simple jeu intellectuel) de la nature de Dieu ne peut qu'affaiblir jusqu'à l'anéantissement l'ego, principal nœud de confusion et donc d'impuissance. C'est très clairement le point majeur chez Spinoza. La vision des passions à l'œuvre en soi est une autre voie de progrès.

Le temps n'a rien à voir dans l'affaire, même s'il faut bien constater que les choses n'évoluent certes pas instantanément. Cela dépend de l'état de départ, de la capacité à saisir le sens au-delà des mots, à raisonner justement (et non à faire semblant), à sublimer le fruit du raisonnement en vision de ce qui est, etc. C'est donc un non-sens que de donner une durée.


Mais vous-mêmes, où en êtes-vous (car Spinoza ou pas, s'amender reste le but essentiel) ?


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Messagepar Louisa » 24 août 2009, 20:29

Sescho a écrit :Par exemple, celui qui veut se "débarrasser" artificiellement de l'émotion de culpabilité (qui a le côté positif d'alerte sur un dysfonctionnement) va s'emparer de la notion d'absence de Bien et de Mal dans les faits (soit se saisir par opportunisme de l'expression du point de vue de Dieu, en occultant une part monumentale et très explicite de Spinoza qui fonde l'éthique, et qui donc relève d'un Bien et Mal relatif à l'Homme) pour "se justifier" en l'état sans s'amender.

Il n'en va pas par tout ou rien. La prise de conscience profonde progressive (c'est l'opposé d'un simple jeu intellectuel) de la nature de Dieu ne peut qu'affaiblir jusqu'à l'anéantissement l'ego, principal nœud de confusion et donc d'impuissance. C'est très clairement le point majeur chez Spinoza. La vision des passions à l'œuvre en soi est une autre voie de progrès.


Puisque c'est moi qui ai évoqué l'exemple de la culpabilité, voici quelques clarifications.

1. Bien - Mal versus Bon - Mauvais.
Lorsque les commentateurs disent qu'il n'y a pas de Bien ou de Mal dans le spinozisme, il ne réfèrent pas à des mots précis que Spinoza aurait utilisés, et cela pour la simple raison qu'en latin il n'y a aucune différence entre le mot "bien" et le mot "bon".

Ce sont donc nous, ceux qui lisent Spinoza et confrontent entre elles les différentes interprétations possibles, qui avons introduit une distinction conceptuelle qu'on désigne par le couple "Bien - bon". Que veut-on dire par là, lorsqu'il s'agit du spinozisme?

Pas vraiment que "du point de vue de Dieu", il n'y a ni Bien ni Mal. La notion de "Bien" ne porte pas sur Dieu, elle porte sur les choses singulières. La question est de savoir si le bien ou le bon (bonum) existe de façon "absolue" c'est-à-dire appartient à l'essence même d'une chose, est une propriété essentielle d'une chose, ou non.

Par exemple: lorsque je dis "le vin est bon", est-ce que je suis en train de parler d'une propriété essentielle du vin? Ou est-ce que je suis en train d'attribuer quelque chose au vin que je suis en train de boire, et qui ne désigne que l'effet de ce vin sur moi?

Spinoza répond: le "bon" ne désigne que l'effet sur moi, ce n'est pas une propriété ou "dénomination" intrinsèque des choses.

C'est cela ce qu'on veut dire lorsqu'on dit que chez Spinoza il n'y a pas de Bien ou de Mal, mais seulement du bon et du mauvais. Il ne s'agit pas de croire que du point de vue de Dieu il n'y a pas de Bien ou de Mal, et du point de vue humain si, car cela impliquerait que pour nous, dans nos conceptions purement humaines des choses, on ne pourrait que penser le bon comme étant une propriété essentielle d'une chose. Alors que ce que Spinoza dit, c'est littéralement que le bon est réellement (c'est-à-dire du point de vue de la réalité, donc du point de vue de la vérité, que ce soit Dieu qui y pense ou l'homme) une dénomination extrinsèque des choses, et non pas une propriété essentielle.

Cela signifie que dans la réalité (humaine aussi bien que divine), il n'y a ni Bien ni Mal, il n'y a que du bon et du mauvais. Dieu en tant qu'il s'explique par moi, mode de la Substance, trouvera bon ce verre de vin, et Dieu aussi bien que moi aurons une idée tout à fait adéquate du vin lorsqu'on se dit que la "bonté" du vin n'est pas une propriété essentielle du vin lui-même.

2. La culpabilité comme Affect "réellement mauvais".
Ceci étant établi, Spinoza montre que certains de nos sentiments, ou de nos propres "Affects", peuvent être bons pour nous, et d'autres mauvais. En gros, ce qui est bon pour nous (ce qui augmente durablement notre puissance et donc notre bonheur), ce sont les "Joies actives". Ce qui est mauvais, ce sont les "Joies passives" (qui ne sont bons que pendant un certain temps mais ne durent pas) et surtout les Tristesses (qui quant à elles sont toujours passives, et jamais actives).

C'est à ce niveau-là qu'intervient la culpabilité. C'est quoi la culpabilité? Se sentir coupable de quelque chose, c'est avoir l'impression d'être responsable d'un acte qu'on a commis, et de le regretter. D'où la Tristesse qui accompagne nécessairement tout Affect de culpabilité.

Première chose étonnante: chez Spinoza, le mot "culpabilité" est tout simplement absent. Cela est étonnant, car le mea culpa mea culpa mea grande culpa est une formule essentielle du christianisme (l'idée que le croyant est nécessairement un pauvre pécheur, plein de vices, dont il est entièrement responsable, qui sont de sa faute (culpa) et dont il espère que grâce à la mort du Christ il va pouvoir en être débarrasé). On trouve en revanche trois Affects qui y ressemblent: le "Remords", l''Humilité", et le "Repentir".

2.1. Le Repentir.
Dans les trois cas, il s'agit de passions tristes, donc de choses auxquelles l'Ethique est censé nous proposer un "remède". Ainsi le Repentir est-il une Tristesse qu'accompagne l'idée d'un acte que nous croyons avoir fait par libre décret de l'Esprit (Ethique, troisième partie, Définition 27 des Affects). Pourquoi est-ce une "idée inadéquate"? Parce que le Repentir se base sur l'idée qu'on avait le choix, qu'on aurait facilement pu agir autrement, mais que l'on ne l'a pas fait et qu'on est entièrement responsable de cela, que c'est donc de notre faute. Or dans le spinozisme, on n'a jamais le choix, ou bien on fait une chose bonne, et alors elle s'explique par notre nature ou notre moi tout seul, ou bien on fait une chose mauvaise, et alors cet acte nécessairement s'explique par le fait qu'on pâtit d'une chose qui nous a fait agir ainsi. Comprendre que sentir ce genre de Repentir est en fait avoir une idée inadéquate, c'est déjà s'en débarrasser, car alors on peut se dire qu'on se trompait en pensant qu'on était seul responsable pour cet acte, on peut même se dire qu'on n'y pouvait rien, que tout était de toute éternité déterminé d'une telle façon qu'on allait faire à ce moment cet acte-là (bien sûr, du point de vue du sens commun cela pose problème, car on se dit que dans ce cas-là, il n'y a plus de "morale" possible; Spinoza est d'accord avec cela, et y ajoute même qu'une telle morale fait en fin de compte plus de mal que de bien, et qu'il vaut mieux la remplacer par une "éthique", ce qu'il a fait).

2.2. L'Humilité.
Deuxième version de la culpabilité: l'Humilité. C'est, dit Spinoza (E3 Définition 26 des Affects) une Tristesse qui naît de ce qu'un homme contemple son impuissance ou faiblesse. En effet, Spinoza montre que lorsqu'on contemple sa propre impuissance, on ne peut qu'être Triste, c'est-à-dire, on ne peut que faire diminuer encore sa puissance, ou devenir plus impuissant encore. C'est pourquoi par définition cet Affect est mauvais, puisque tout Affect qui est bon est un Affect qui fait augmenter notre puissance, au lieu de la diminuer.

2.3. Le Remords de conscience.
Enfin, on peut également ranger la culpabilité dans la catégorie que Spinoza appelle le "Remords". Le Remords de conscience (E3 Définition 17 des Affects) diffère du Repentir au sens où il s'agit ici d'une Tristesse qu'accompagne l'idée d'une chose passée qui s'est produite contre toute Espérance. C'est le contraire du "Contentement". Dans le cas du Contentement, on éprouve une Joie née de l'image d'une chose passée, dont nous avons douté de l'événement (par exemple, à un moment x je pensais déclarer mon amour à quelqu'un avec qui j'aimerais partager ma vie, mais je ne savais pas encore s'il allait accepter, je ne pouvais que l'espérer, sans plus; une fois qu'il est certain qu'il accepte, je serai Contente). L'inverse se produit lorsque cette personne finalement n'accepte pas, et que je le regretterai de le lui avoir proposé (or, le "contre toute Espérance" pour moi ici n'est pas très clair). Dans un certain sens, je me sens "coupable" de l'avoir demandé alors qu'il a refusé. L'idée inadéquate était ici mon Espérance, c'était le fait d'avoir espéré qu'il allait accepter.

Conclusion.
Je dirais donc que ce qu'on appelle dans le langage courant la "culpabilité" chez Spinoza peut être retrouvé dans l'ensemble Repentir-Humilité-Remords de conscience. Dans les trois cas, il s'agit d'idées inadéquates. La culpabilité n'est donc pas un Affect qui est bon pour nous, au contraire, elle diminue notre puissance. C'est donc l'un de ces Affects susceptible d'être traité par le fameux "Remède" spinoziste aux Affects, qui consiste essentiellement en deux choses :

1. d'une part il faut essayer d'agir "préventivement": il faut bien comprendre que la culpabilité est une idée inadéquate, et cette compréhension en tant que telle diminue déjà la chance d'interpréter tel ou tel événement par le biais de ce sentiment de culpabilité (autrement dit, on se sentira spontanément moins coupable)

2. d'autre part il faut apprendre à se dire que lorsqu'on croit ou trouve qu'on est coupable de tel ou tel acte, on est en train de se tromper, on est en train d'avoir une idée inadéquate, et qu'il est beaucoup plus adéquate ou vrai de se dire que la culpabilité est une erreur. Comprendre cela, même après coup, lorsqu'on se sent déjà coupable, aura comme effet de se sentir moins coupable, voir de sentir cette Tristesse disparaître, pour être remplacé par la Joie d'avoir compris qu'il ne s'agissait que d'une idée inadéquate, et donc pas de quelque chose qui peut nous caractériser dans notre essence ou, si l'on veut, dans notre "moi".

Bien sûr, on n'est pas "obligé" de voir les choses ainsi. On peut tout aussi bien adopter un point de vue chrétien, ou la culpabilité a une valeur positive, ou un point de vue psychanalytique lacanien, où c'est précisément la capacité de se sentir coupable qui fait qu'on est un "névrotique", et non pas un pervers ou un psychotique (sachant que pour la psychanalyse, 90% de la population est névrotique, ce sont les gens qui fonctionnent plus ou moins bien dans leur vie, contrairement aux deux cas vraiment "pathologiques" que sont les pervers et les psychotiques (= les schizophrènes etc.). Mais lorsqu'on essaie d'envisager les choses d'un point de vue spinoziste, à mon avis il est clair qu'il faut se dire que la culpabilité ne sert à rien, n'est qu'une notion totalement erronée, dont il faut apprendre à se débarrasser.

3. Utilité de la conception spinoziste de la culpabilité.
Enfin, si je disais que tout ceci était pour moi un bon exemple d'une idée ou conception qui, lorsque je l'applique à ma propre vie, a clairement des effets positifs, je voulais dire par là la chose suivante. C'est que j'ai constaté qu'effectivement, aussi longtemps qu'on reste dans le sentiment de culpabilité, on n'a qu'une puissance assez petite, on risque de se baser sur cette idée inadéquate pour agir, et ainsi rendre les choses pires au lieu de les résoudre.

En effet, lorsque je me dis que c'est de ma faute que je n'ai pas réussi telle ou telle tâche, je me contemple comme étant celle qui aurait pu faire autrement et qui par l'un ou l'autre vice inné ne l'a pas fait. Dès qu'on pense ainsi, on s'identifie à ce vice, on se dit voilà ça c'est moi de nouveau. Une fois qu'on "essentialise" ainsi le vice, on n'a plus qu'une possibilité de remède: c'est d'essayer d'assumer sa "personnalité", essayer d'apprendre à vivre avec l'idée qu'on a une nature "vicieuse". Du coup, on ne va pas commencer à se demander comment changer.

Alors que lorsque Spinoza répond à cela qu'il n'y a pas de vice dans la nature, que le vice n'est qu'une idée inadéquate ou une manière inadéquate d'interpréter les actes des hommes, on peut arrêter de se sentir Triste pour concentrer toute son attention sur la question de comment éviter de faire la prochaine fois la même chose, sachant que ce sont certaines circonstances qui nous ont fait agir ainsi. Il faut donc se demander quelles étaient ces circonstances, comment les éviter.

Tout cela n'est pas vraiment possible lorsqu'on se dit qu'on est "essentiellement" vicieux. Pour pouvoir se dire qu'on peut certes dans le futur éviter ce type d'acte, il faut pouvoir avoir la confiance en sa propre nature au sens où il faut pouvoir se dire qu'on est réellement capable d'agir autrement, dès qu'on trouve le moyen pour ce faire. Au lieu de se dire que c'est soi-même qui a été la cause de l'acte (ce que Spinoza appelle une "cause intérieure"), il faut se dire que la cause principale de cet acte se trouve en dehors de moi, qu'il faut aller la chercher, la comprendre, pour que la prochaine fois qu'on la rencontre, on sait agir de façon plus autonome. Et déjà cette compréhension en tant que telle nous rendra plus Joyeux, dit Spinoza, donc augmentera notre puissance, donc fera que notre acte suivant se basera sur notre nature, c'est-à-dire sur une idée adéquate, et a plus de chance d'être bon.
Cordialement,
L.

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Messagepar sescho » 25 août 2009, 22:43

Quelques précisions à la suite de ce qu’a proposé Louisa :

- D’abord la confusion entre le point de vue de Dieu et le point de vue de l’Homme : le point de vue de Dieu recouvre tous les faits, y compris les faits humains : les faits sont parfait tels qu’ils sont, quels qu’ils soient, sans exception, parce que puissance de Dieu.

- Le point de vue de l’Homme est différent, parce que relatif (à d’autres modes finis en particulier), le tout au sein de Dieu Nature. Par exemple, si je meurs de soif, c’est parfait au plan de Dieu, comme tout autre fait. Du point de vue humain, c’est une souffrance extrême et il est une LOI divine que l’Homme cherche à faire cesser cette souffrance. Le vrai bien (ou bon, c’est égal) en l’occurrence c’est de boire pour étancher sa soif. Le souverain Bien (dans cet exemple) c’est la satiété, le fait d’être désaltéré (ceci a d’ailleurs été utilisé comme parabole par Jésus, de mémoire.) Voilà, quand on a compris cet exemple élémentaire, on a compris la différence entre le point de vue de Dieu et le point de vue de l’Homme (mais tout est bien en Dieu quand-même : il s’agit de faits et de LOIS.) Illustration directe, entre de multiples autres :

Spinoza a écrit : E4P47S : … en donnant aux passions de ce genre le nom de mauvaises passions, je n’avais égard qu’à l’utilité des hommes. Les lois de la nature, en effet, enveloppent l’ordre entier de la nature dont l’homme fait partie ; et j’ai voulu noter cela en passant, afin que personne ne pense que je m’amuse ici à raconter les vices des hommes et leurs folies, au lieu d’exposer la nature et les propriétés des choses. Car, comme je l’ai dit dans la préface de la troisième partie, je considère les passions humaines et leurs propriétés du même oeil que toutes les choses naturelles. Et certes les passions humaines marquent l’art et la puissance de la nature, sinon celle de l’homme, non moins que beaucoup d’autres choses que nous admirons et dont la contemplation nous enchante. Mais je continue d’expliquer ce qu’il y a dans les passions d’utile et de nuisible aux hommes.

- Quand je parle de « sentiment de culpabilité », je ne parle pas d’inculpation au sens vulgaire (c’est une coïncidence de termes plus qu’autre chose, en fait), mais d’un véritable sentiment de malaise, immanent, lié indissociablement à une erreur vitale (c’est de la terminologie de Paul Diel, mais le fond est le même que pour Spinoza), autrement dit à une passion.

- Dans ce cadre, le malaise est une alerte sur une erreur vitale, et à ce titre positif. Quelque part, plus le malaise est grand et plus la perspective de révolution positive est élevée. Ceci même si personne ne cherche le malaise pour lui-même. L’enfoncement dans l’erreur, c’est de vouloir supprimer le malaise sans supprimer sa cause. C’est ce que Paul Diel appelle la banalisation, qui est en fait l’état – et non la folie au sens commun – le plus éloigné qui soit de la Sagesse.

- Pour être heureux, suffit-il que je me dise bien comme je suis (car expression du Dieu parfait) ? Certes non ! Cela se constate tous les jours. L’Orgueil ne fait que cela. Car c’est aussi une loi divine que quand je suis dans un état passionnel (au sens large) je ressens automatiquement du malaise. J’accepte mon orgueil comme fait divin et tout va bien ? Nullement. Tant que l’orgueil est bien l’orgueil c’est impossible (par la loi divine toujours.) Je ne fais que plaquer une couche de peinture sur une couche de rouille, et je m’enfonce un peu plus dans le marécage. Sinon, d’ailleurs, on se demande d’où viendrait la grande rareté de la Sagesse de E5P42S s’agissant d’une attitude si fréquente…

- Ce qui décrit le sage ne peut être plaqué sans discernement au non-sage. Le non-sage ne peut évoluer qu’à sa propre marge, ce qui suppose des moyens eux-aussi « non convenables au sage », mais mieux que rien pour lui dans son état de fait du moment. Pour le non-sage, il y a des tristesses (comme la pitié) qui valent beaucoup plus que des joies, comme l’Orgueil, la pire des passions. E3P26, E3AppDA28, E4P54-57. Illustration directe, entre autres :

Spinoza a écrit :E4P54S : … si les hommes dont l’âme est impuissante venaient tous à s’exalter également et par l’orgueil, ils ne seraient plus réprimés par aucune honte, par aucune crainte, et on n’aurait aucun moyen de les tenir en bride et de les enchaîner. Le vulgaire devient terrible dès qu’il ne craint plus. Il ne faut donc point s’étonner que les prophètes, consultant l’utilité commune et non celle d’un petit nombre, aient si fortement recommandé l’humilité, le repentir et la subordination. Car on doit convenir que les hommes dominés par ces passions sont plus aisés à conduire que les autres et plus disposés à mener une vie raisonnable, c’est-à-dire à devenir libres et à jouir de la vie des heureux.

E4P55 : Le plus haut degré de l’orgueil ou du mépris de soi est le plus haut degré de l’ignorance de soi.

E4P56 : Le plus haut degré de l’orgueil comme de l’abjection marque le plus haut degré d’impuissance de l’âme.

Corollaire : Il suit très clairement de cette proposition que les hommes orgueilleux et abjects sont entre les hommes les plus sujets aux passions.

Scholie : Toutefois l’abjection peut se corriger plus aisément que l’orgueil, parce qu’elle est un sentiment de tristesse ; tandis que l’orgueil est un sentiment de joie, et conséquemment cette passion est plus forte que l’autre (par la Propos. 18, part. 4).

E4P57 : L’orgueilleux aime la présence des parasites, des flatteurs, et il déteste celle des gens de coeur.

Scholie : Il serait trop long d’énumérer ici tous les maux qu’entraîne l’orgueil, puisque les orgueilleux sont sujets à toutes les passions, mais à aucune moins qu’à l’amour et à la pitié. …

E4P50 : La pitié est, de soi, mauvaise et inutile dans une âme qui vit selon la raison.

Scholie : … Il est expressément entendu que je parle ici de l’homme qui vit selon la raison. Car si un homme n’est jamais conduit, ni par la raison, ni par la pitié, à venir au secours d’autrui, il mérite assurément le nom d’inhumain, puisqu’il ne garde plus avec l’homme aucune ressemblance (par la Propos. 27, part. 3).

Note : si cette phrase n’était pas connue comme étant de Spinoza, qu’est-ce qu’on entendrait ! Le fait relève pourtant de la perfection de Dieu comme tout le reste..

Tout raisonnement basé sur « joie = bien ; tristesse = mal », vrai dans l’absolu de la Sagesse (par extension du sens de « joie », comme Spinoza le dit, car la Béatitude n’est pas la joie ordinaire, et est en particulier un état stable), comme du ressenti immédiat, n’est pas du tout justifié d’un point de vue éthique (donc humain) dans les affres des passions. Outre que la pire des passions est une joie, le Désir, la Joie et la Tristesse sont les passions de base dont toutes les autres (dont il convient de se débarrasser) découlent. C’est donc on ne peut plus clair : en aucun cas le Désir et la Joie, pas plus que la Tristesse, ne peuvent être pris comme positifs globalement d’un point de vue éthique ; ce serait immédiatement contradictoire (et c’est en outre confirmé par de nombreux passages du texte de Spinoza.)

Mais effectivement le remord n’est pas positif ; se morfondre de ses passions n’est pas libérateur ; au contraire cela les alourdit. Mais plaquer du vernis sur de la fange non plus ; c’est pire ! Il convient donc d’être bienveillant envers soi-même et les autres. Mais tant qu’il y a des passions il y a du malaise, c’est inévitable. Par ailleurs un véritable Sage, cela se reconnaît très bien, et c’est effectivement très rare.

Bienveillant, mais pas complaisant.


Serge
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acta93
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Messagepar acta93 » 09 sept. 2009, 22:54

Bonsoir,

Mais vous-mêmes, où en êtes-vous (car Spinoza ou pas, s'amender reste le but essentiel) ?


Oui, effectivement, s'amender (moi, j'utilise les termes 'devenir de plus en plus sensible ou bien augmenter le niveau de conscience ou se transformer') est pour moi le but essentiel car c'est à ce prix qu'est le bonheur. La question qui se pose alors est la suivante : 'Dans quel mesure, cela est essentiel pour nous et désire-t-on vraiment se transformer' ?

On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).

Pour ma part, je n'ai pas suivi la voie du raisonnement, de la conceptualisation, mais de la perception direct qui me semble plus élégante et plus adaptée car c'est une approche globale et il y a des domaines essentielles comme l'Amour, la Compassion qui ne peut pas s'appréhender par la conception et le raisonnement (ou alors très très difficilement).

Il est tentant de dire que c'est la meilleur, mais c'est le propre de l'EGO que de dire : j'ai raison et vous avez tort, mais n'ayant pas lu Spinoza, je pense qu'il est plus sage de voir Spinoza en détail avant de se faire une opinion. Alors, n'hésitez à me corriger si je dis des bêtises. Qui sait peut être que je deviendrai philosophe ... :D ?

Tout ce que je dis est seulement ma perception des choses. D'ailleurs, si vous vous êtes transformés ou bien, en terme spinoziste, gagné en puissance, alors, c'est tant mieux, car la conscience du monde a un peu plus gagné en paix et en sérennité et si vous êtes plus heureux alors le monde est également plus heureux.

Juste pour donner un exemple: Spinoza propose de se penser et de penser la vie sociale ainsi que l'on ne réfère plus au concept de "culpabilité", qui est réduit à une idée inadéquate donc fausse. Retraduire toutes tes actions, et donc aussi tout ce que tu as fait dans ta vie et que tu regrettes, d'une telle façon que cela n'est plus de ta faute, cela demande un travail assez sérieux, mais c'est tout à fait faisable, et surtout, cela ouvre la porte à une façon de gérer ses erreurs qui me semble effectivement être beaucoup plus efficace, au sens où je parviens à réellement moins commettre le même type d'erreurs qu'avant.


D'abord, en relisant cette phrase, j'y vois un élément très important sur lequel on fait l'impasse trop facilement : c'est la pensée... !!. Avant de "foncer tête baissé" et faire de la philosophie, il est , pour moi, très important de savoir avec quel outil je me sers, quel est sa nature, quelles en sont les limites. De même que pour gagner une guerre, il faut avoir la maitrise du terrain, du ciel et de l'océan, il me semble que dans le domaine de la pensée, il est nécessaire de maitriser la pensée. Essayer de rester immobile et de ne penser à rien pendant 20 secondes, voir 10 secondes, vous verrez que c'est très difficile (même quand on a l'habitude). Faire de la philosophie sans prendre conscience de la nature de la pensée, c'est comme essayer de diriger un cheval en furie vers un point donné. Malheureusement, je me suis fait avoir en terminal... !!

Ensuite, Louisa, la méthode avec le concept de culpabilité spinoziste, pour moi, ne me semble pas, me permettre de me "transformer". Je vais te citer un passage de Krishnamurti concernant l'intelligence qui rejoint nos propos :
Assurement, si je suis stupide et que je cherche à toute force à être intelligent, je continuerai d'être stupide, car s'efforcer d'être ou devenir quoi que ce soit participe de la stupidité.Une personne stupide peut acquérir un vernis d'intelligence, réussir quelques examens, obtenir un emploi, elle n'en demeure pas moins stupide. Mais dès lors que quelqu'un prend conscience de sa bêtise, de sa stupidité, et qu'au lieu de prétendre à l'intelligence, il commence à examiner et à comprendre sa stupidité (perception direct)- à ce moment la se produit un éveil de l'intelligence.


Pour moi, la voie de la perception direct me semble plus appropriée et sujet à moins d'erreurs et à moins de discours, mais si ta méthode marche, tant mieux !! Ce qui est sur, en tout cas, quelque soit la voie ou la méthode, c'est que la compréhension est un travail et le jugement une paresse... !!

Un autre point qui a été abordé que je conteste : c'est la tristesse qui est négative car elle diminue notre puissance ( corrigez moi, si je me trompe... !! ). Pour moi, la tristesse n'est pas à dénigrer, ni quoique ce soit. Si le bonheur est le chemin, la tristesse fait également partie du chemin.

Si vous voulez échapper à la tristesse, si d'une certaine façon, vous voulez vous en débarrasser, le problème va se poser - car quand vous voulez vous débarrasser de quelque chose, vous ne le regardez jamais directement [b]. Et cette chose se dissimule, car vous la condamnez, elle s'enfonce plus profondément dans l'inconscient, elle se cache dans le coin le plus sombre de votre être, là où vous ne pourrez la trouver.

Pour commencer, ne réprimez jamais. Ce qui est, est. Acceptez-le, laissez-le venir - faites-y face [b](perception direct).
En fait, se contenter de dire " Ne le réprimez pas ", ce n'est pas suffisant. Si vous me le permettez, j'aimerais vous dire, "Apprivoisez-le ". Vous vous sentez triste ? Apprivoisez la tristesse. Ayez de la compassion pour elle. La tristesse existe aussi. Permettez-la, étreignez-la, asseyez-vous avec elle, tenez-lui la main. Soyez amical avec elle. Aimez-la. La tristesse est belle ! Il n'y aucun mal à être triste. Qui vous a dit que ce n'était pas bien ? En fait, seule la tristesse vous donnera une profondeur. Le rire est superficiel ; le bonheur est à fleur de peau. La tristesse touche l'os, la moelle. Il n'y a rien qui soit aussi profond que la tristesse.

Ne vous faites donc pas de soucis. Restez avec votre tristesse et elle vous emmènera dans votre centre le plus intime. Vous pouvez la chevaucher, vous connaîtrez ainsi certains aspects de votre être que vous n'avez jamais connus. Certaines choses ne se révèlent que dans la tristesse, elles ne se révèlent jamais dans le bonheur. L'obscurité aussi est bonne, elle aussi est divine. Il n'y a pas que le jour qui soit l'oeuvre de Dieu, la nuit aussi. C'est ce que j'appelle une attitude religieuse.

Commentaire d'Osho au sujet de la tristesse.

voila, tout ce que j'ai dit n'est pas forcément lié à Spinoza de manière philosophique, la vie n'est pas seulement raisonnement intellectuelle et n'est surtout pas conceptuelle. De plus, c'est également intéressant de voir d'autres points de vue. Pour ma part, j'ai pris une autre voie, et à un certain moment, je trouve qu'il est également intéressant de voir les voies empruntés par d'autres personnes pour mieux vivre leurs vies.

Au plaisir de vous lire...

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Louisa
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Messagepar Louisa » 10 sept. 2009, 01:39

acta93 a écrit :
Mais vous-mêmes, où en êtes-vous (car Spinoza ou pas, s'amender reste le but essentiel) ?


Oui, effectivement, s'amender (moi, j'utilise les termes 'devenir de plus en plus sensible ou bien augmenter le niveau de conscience ou se transformer') est pour moi le but essentiel car c'est à ce prix qu'est le bonheur. La question qui se pose alors est la suivante : 'Dans quel mesure, cela est essentiel pour nous et désire-t-on vraiment se transformer' ?

On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).

Pour ma part, je n'ai pas suivi la voie du raisonnement, de la conceptualisation, mais de la perception direct qui me semble plus élégante et plus adaptée car c'est une approche globale et il y a des domaines essentielles comme l'Amour, la Compassion qui ne peut pas s'appréhender par la conception et le raisonnement (ou alors très très difficilement).


Bonjour acta93,

merci de ce témoignage très intéressant. Puisque je suis d'accord avec beaucoup de choses que tu dis, je ne m'attarderai que sur ce que de prime abord je perçois différemment.

A mon sens, en Occident l'opposition entre la "conceptualisation" ou le "raisonnement" et la "perception directe" ne date que du XIXe siècle, c'est-à-dire de l'époque du Romantisme. Dire cela ne le rend pas plus faux ou vrai, cela permet juste de comprendre que cette opposition appartient à une manière de concevoir les choses, alors que, même en Occident, il y en a d'autres. Spinoza pour moi est l'un de ces "autres". Chez lui les sentiments ne s'opposent plus aux idées, la raison ne s'oppose plus aux Affects, au contraire, l'un ne va pas sans l'autre. Sans vouloir dévaloriser en quoi que ce soit une pensée différente, pour moi cette idée d'abandonner toute opposition entre raison et sentiment est très pertinente et féconde. Chez Spinoza, la raison nous affecte autant que n'importe quelle autre chose, la raison est autant source d'Affect que la mémoire ou la perception. La seule différence entre un Affect produit par la raison et un Affect produit par la perception "pure", c'est que le premier a toutes chances d'être beaucoup plus adéquat et durable que le deuxième. En effet, une perception directe ne dure qu'aussi longtemps qu'on l'a. Une idée que l'on a compris, en revanche, c'est une idée qu'on n'oublie plus, et qui continue ainsi à nous affecter de ce que Spinoza appelle une "Joie active" (encore faudrait-il savoir ce que tu entends plus précisément par "perception directe", bien sûr, car il se peut que j'y lis autre chose que ce que tu voulais dire).

Par conséquent, chez Spinoza c'est bel et bien la raison qui permet de distinguer des Amours "passifs" des Amours "actifs". Cela signifie seulement que c'est en comparant différentes idées d'Amour que nous pouvons comprendre quel type d'Amour nous est vraiment utile sur le long terme, et lequel seulement de manière temporaire et peu durable.

Par exemple, je peux aimer le fait que quelqu'un me donne raison dans une discussion, mais cet Amour est peu stable (puisqu'il suffit que cette personne ait accès à d'autres arguments pour peut-être changer d'idée et ne plus me donner raison; ou il suffit que je continue moi-même à réfléchir et que je découvre une erreur dans ma pensée à moi pour que ce que je pense n'est plus la même chose que ce que pense l'autre, sachant qu'il y aura toujours des erreurs dans ce que je pense). Spinoza appelle cela une Joie passive, un Amour passif. Lorsqu'en revanche j'aime une chose éternelle, c'est-à-dire stable dans le temps, l'objet de mon Amour et donc mon Amour resteront intactes eux aussi. Il s'agit donc d'un Amour actif, un Amour où j'ai réellement compris quelque chose, et qui ne peut que me rendre plus fort que je ne l'étais.

En ce qui concerne la Compassion, il faudrait voir ce que tu veux dire par là, mais si tu pensais à la "pitié", alors il s'agit d'un sentiment qui selon Spinoza au bout du compte est peu efficace, au contraire même. Il propose de le remplacer par ce qu'il appelle la "charité" ou la "Générosité": le désir d'aider un maximum de gens, "sous la conduite de la raison" c'est-à-dire en essayant de comprendre maximalement qui ils sont et ce qu'ils demandent de nous. La pitié en revanche est un sentiment qui souvent consiste en le simple fait de se sentir triste lorsqu'on voit quelqu'un qui nous ressemble et qui vit une situation qui nous rend triste nous. Cela ne nous permet pas de prendre en compte la différence entre nous et l'autre, et on risque de traiter l'autre comme une victime alors qu'il a besoin d'être approché en tant qu'être humain à part entière, en tant que "incarnation" de la dignité et de la responsabilité humaine, et non pas en tant que victime. Enfin, disant cela est sans doute un peu vague, il faudrait peut-être d'abord comprendre ce que tu veux dire plus précisément par "Compassion" avant de pouvoir approfondir cet aspect du spinozisme.

acta93 a écrit :Il est tentant de dire que c'est la meilleur, mais c'est le propre de l'EGO que de dire : j'ai raison et vous avez tort, mais n'ayant pas lu Spinoza, je pense qu'il est plus sage de voir Spinoza en détail avant de se faire une opinion. Alors, n'hésitez à me corriger si je dis des bêtises. Qui sait peut être que je deviendrai philosophe ... ?

Tout ce que je dis est seulement ma perception des choses. D'ailleurs, si vous vous êtes transformés ou bien, en terme spinoziste, gagné en puissance, alors, c'est tant mieux, car la conscience du monde a un peu plus gagné en paix et en sérennité et si vous êtes plus heureux alors le monde est également plus heureux.


tout à fait d'accord.

acta93 a écrit :

Juste pour donner un exemple: Spinoza propose de se penser et de penser la vie sociale ainsi que l'on ne réfère plus au concept de "culpabilité", qui est réduit à une idée inadéquate donc fausse. Retraduire toutes tes actions, et donc aussi tout ce que tu as fait dans ta vie et que tu regrettes, d'une telle façon que cela n'est plus de ta faute, cela demande un travail assez sérieux, mais c'est tout à fait faisable, et surtout, cela ouvre la porte à une façon de gérer ses erreurs qui me semble effectivement être beaucoup plus efficace, au sens où je parviens à réellement moins commettre le même type d'erreurs qu'avant.


D'abord, en relisant cette phrase, j'y vois un élément très important sur lequel on fait l'impasse trop facilement : c'est la pensée... !!. Avant de "foncer tête baissé" et faire de la philosophie, il est , pour moi, très important de savoir avec quel outil je me sers, quel est sa nature, quelles en sont les limites. De même que pour gagner une guerre, il faut avoir la maitrise du terrain, du ciel et de l'océan, il me semble que dans le domaine de la pensée, il est nécessaire de maitriser la pensée. Essayer de rester immobile et de ne penser à rien pendant 20 secondes, voir 10 secondes, vous verrez que c'est très difficile (même quand on a l'habitude). Faire de la philosophie sans prendre conscience de la nature de la pensée, c'est comme essayer de diriger un cheval en furie vers un point donné. Malheureusement, je me suis fait avoir en terminal... !!


je crois que la méditation est très intéressante et peut nous apporter énormément de choses. Mais je ne crois pas qu'elle permet de comprendre ce qu'est la "pensée", au sens philosophique du terme. "Penser", en philosophie, cela signifie s'approprier des manières de concevoir les choses fort différentes de la nôtre, et en faisant cela prendre conscience des préjugés qui sont à la base de notre propre manière de penser (sachant que ce ne sont que les grands philosophes qui ont réussi à créer une pensée fort originale et différente). Ce que l'on fait en revanche en méditant, c'est observer la manière dont notre esprit fonctionne, la manière dont il tombe d'une idée en une autre, et cela en apprenant à ne rien juger mais à juste constater ce mécanisme d'associations, jusqu'à ce qu'on arrive à diriger notre pensée dans la direction que l'on a décidé de prendre. Bref, en méditant on ne fait pas du tout l'effort d'entrer dans une pensée foncièrement différente de la nôtre, on essaie plutôt d'explorer maximalement la nôtre. Alors qu'en philosophie on se lance dans un genre de "dépaysement conceptuel" absolu, où il s'agit d'entre dans un monde conceptuel totalement différent du nôtre, pour essayer d'en comprendre la cohérence et l'intérêt. Si les deux démarches (philosophie et méditation) ont chacune leur mérites et sont sans aucune doute hautement utiles, je crois qu'il convient néanmoins de bien les distinguer, quitte à décider de ne s'exercer que dans l'un des deux, si c'est ce que l'on souhaite.

acta93 a écrit :Ensuite, Louisa, la méthode avec le concept de culpabilité spinoziste, pour moi, ne me semble pas, me permettre de me "transformer". Je vais te citer un passage de Krishnamurti concernant l'intelligence qui rejoint nos propos :

Citation:
Assurement, si je suis stupide et que je cherche à toute force à être intelligent, je continuerai d'être stupide, car s'efforcer d'être ou devenir quoi que ce soit participe de la stupidité.Une personne stupide peut acquérir un vernis d'intelligence, réussir quelques examens, obtenir un emploi, elle n'en demeure pas moins stupide. Mais dès lors que quelqu'un prend conscience de sa bêtise, de sa stupidité, et qu'au lieu de prétendre à l'intelligence, il commence à examiner et à comprendre sa stupidité (perception direct)- à ce moment la se produit un éveil de l'intelligence.


Pour Spinoza (tel que je le lis), tout homme désire sans cesse de se transformer, et d'acquérir une "nature supérieure" à celle qu'il a. Cela signifie que tout homme, même l'homme le plus ignorant et le plus "stupide" qui soit, désire devenir plus intelligent, et ne peux pas ne pas désirer cela. Seulement, la force avec laquelle il le désire sera équivalente à ce qu'il a déjà compris. Si c'est peu de choses, cette force ne sera pas encore très grande.

Inversement, se sentir "stupide", chez Spinoza c'est "contempler son impuissance". Cela ne peut que rendre triste, c'est-à-dire plus impuissant encore. Pour pouvoir avancer dans la vie, il faut apprendre à regarder ce qui est bon chez soi-même, regarder ce qu'on a déjà compris, pour ensuite se demander comment comprendre davantage encore. Juste contempler son impuissance ne peut donner lieu à quelque chose de bon.

Or, si Krishnamurti ici veut dire qu'il vaut mieux comprendre qu'à tel ou tel sujet on a une idée inadéquate, au lieu de continuer d'adhérer à cette idée (d'y croire) sans comprendre en quoi il s'agit d'une erreur, alors je crois que Spinoza serait entièrement d'accord. Seulement, comprendre en quoi une idée qu'on a est inadéquate, c'est vraiment avoir compris quelque chose, donc avoir une idée adéquate, ce qui n'est pas la même chose que de s'imaginer "stupide".

acta93 a écrit :Pour moi, la voie de la perception direct me semble plus appropriée et sujet à moins d'erreurs et à moins de discours, mais si ta méthode marche, tant mieux !! Ce qui est sur, en tout cas, quelque soit la voie ou la méthode, c'est que la compréhension est un travail et le jugement une paresse... !!


oui, tout à fait d'accord!!

acta93 a écrit :Un autre point qui a été abordé que je conteste : c'est la tristesse qui est négative car elle diminue notre puissance ( corrigez moi, si je me trompe... !! ). Pour moi, la tristesse n'est pas à dénigrer, ni quoique ce soit. Si le bonheur est le chemin, la tristesse fait également partie du chemin.


en effet, chez Spinoza la Tristesse se définit par la diminution de notre puissance. Mais cela ne signifie pas qu'il faut dénigrer la Tristesse, au sens où il faudrait se dire que c'est grave ou pas bon qu'on est Triste etc. La première chose à faire, lorsqu'on sent qu'on est Triste (au sens spinoziste, d'où la majuscule), c'est de comprendre le fait même qu'on est Triste, donc de l'accepter comme chose totalement naturelle, plus même, comme nécessaire, c'est-à-dire comme phénomène qui a sa cause et qui était de toute façon inévitable. Dire que la Tristesse est une diminution de la puissance, c'est juste dire que la Tristesse ne peut pas être bonne sur le long terme, donc doit être transformée en Joie, ce qui se fait en essayant d'avoir une idée adéquate de ce qui nous a rendu Triste.

acta93 a écrit :Citation:
Si vous voulez échapper à la tristesse, si d'une certaine façon, vous voulez vous en débarrasser, le problème va se poser - car quand vous voulez vous débarrasser de quelque chose, vous ne le regardez jamais directement [b]. Et cette chose se dissimule, car vous la condamnez, elle s'enfonce plus profondément dans l'inconscient, elle se cache dans le coin le plus sombre de votre être, là où vous ne pourrez la trouver.

Pour commencer, ne réprimez jamais. Ce qui est, est. Acceptez-le, laissez-le venir - faites-y face [b](perception direct). En fait, se contenter de dire " Ne le réprimez pas ", ce n'est pas suffisant. Si vous me le permettez, j'aimerais vous dire, "Apprivoisez-le ". Vous vous sentez triste ? Apprivoisez la tristesse. Ayez de la compassion pour elle. La tristesse existe aussi. Permettez-la, étreignez-la, asseyez-vous avec elle, tenez-lui la main. Soyez amical avec elle. Aimez-la. La tristesse est belle ! Il n'y aucun mal à être triste. Qui vous a dit que ce n'était pas bien ? En fait, seule la tristesse vous donnera une profondeur. Le rire est superficiel ; le bonheur est à fleur de peau. La tristesse touche l'os, la moelle. Il n'y a rien qui soit aussi profond que la tristesse.

Ne vous faites donc pas de soucis. Restez avec votre tristesse et elle vous emmènera dans votre centre le plus intime. Vous pouvez la chevaucher, vous connaîtrez ainsi certains aspects de votre être que vous n'avez jamais connus. Certaines choses ne se révèlent que dans la tristesse, elles ne se révèlent jamais dans le bonheur. L'obscurité aussi est bonne, elle aussi est divine. Il n'y a pas que le jour qui soit l'oeuvre de Dieu, la nuit aussi. C'est ce que j'appelle une attitude religieuse.

Commentaire d'Osho au sujet de la tristesse.


je dirais que tout ce qui est "affirmatif" dans ce que dit ici Osho est tout à fait compatible avec le spinozisme. Oui, il faut accepter la Tristesse, ne pas la réprimer ou fuir, mais savoir qu'elle fait nécessairement partie de notre vie. Ensuite il faut essayer de la rendre non pas nocive mais utile, et cela on peut le faire en essayant de comprendre davantage d'où elle vient, ce qu'elle dit de nous etc. Il faut donc certainement l'aimer, mais au sens spinoziste cela signifie qu'il faut apprendre à en faire une source de bonheur, ce qui n'est possible que si l'on a compris en quoi consiste cette Tristesse, et si on a compris ce qui s'affirme de notre "élan vitale" dans cette Tristesse, ce qui vient vraiment de nous et ce qui vient de ce qui est hors de nous.

Quant à l'idée que certaines choses ne se révèlent que dans la tristesse: j'aurais tendance à être tout à fait d'accord, mais je ne suis pas certaine qu'elle soit spinoziste. Pour Spinoza la Tristesse diminue notre puissance de penser et d'agir. Pourrait-elle nous révéler quelque chose qu'autrement on n'aurait pas compris? L'expérience quotidienne nous dit: oui! Mais il me semble que le spinozisme nous dit: non. A vérifier.

acta93 a écrit :voila, tout ce que j'ai dit n'est pas forcément lié à Spinoza de manière philosophique, la vie n'est pas seulement raisonnement intellectuelle et n'est surtout pas conceptuelle. De plus, c'est également intéressant de voir d'autres points de vue. Pour ma part, j'ai pris une autre voie, et à un certain moment, je trouve qu'il est également intéressant de voir les voies empruntés par d'autres personnes pour mieux vivre leurs vies.


oui, absolument.
Au plaisir de te lire,
L.


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