Durtal a écrit :louisa a écrit :je pense plutôt que lorsque Spinoza parle des choses qui "n'existent pas en acte" dans le passage auquel tu réfères, il ne parle que des êtres d'imagination ou de raison, c'est-à-dire de choses qui n'existent pas en dehors de l'entendement de tel ou tel être humain.
C’est non seulement arbitraire (« je pense que »… mais aucun argument) mais en plus c’est faux. Si tu te donnais la peine de lire le passage en question au lieu d’intervenir comme à ton habitude de façon tonitruante et précipitée, tu y verrais que Spinoza y traite d’idées vraies de modifications non existantes or un être de raison n’est pas l’idée d’une modification et les êtres d’imagination – licorne par ex- ne sont pas des idées vraies. D’autre part, cf lettre sur les définitions Spinoza donne une illustration de ce qu’est concevoir l’essence d’une chose non existante : il forge un temple dans son esprit (calculant le nombre de pierre etc.).
Cher Durtal,
il va de soi que je me "suis donnée la peine" de lire le passage en question, sinon je ne le commenterais pas (d'ailleurs c'était plutôt agréable, pas de "peine" en ce qui me concerne ...). L'hypothèse que ton interlocuteur ne peut avoir une opinion différente de la tienne que s'il n'a pas lu me semble être en général peu réaliste. Ce qui explique une divergence, c'est un point de départ différent, et en discuter signifie ne pas sans cesse tomber dans le piège des reproches mais simplement préciser ce point de départ puis vérifier.
En ce qui me concerne, Spinoza dit très clairement qu'on peut avoir une idée vraie d'une licorne, ou de n'importe quelle autre idée d'un être imaginaire. Dire par exemple qu'une licorne est un animal bipède, c'est faux. Avoir une idée vraie d'une licorne signifie notamment savoir qu'une licorne est un animal quadrupède.
Ce que j'ai essayé de te dire, c'est que je ne vois pas en quoi ceci aurait quelque chose à voir avec ce dont nous discutons: le statut non pas d'êtres imaginaire ou de raison, c'est-à-dire de modes qui n'existent que dans notre entendement, mais le statut de modes réel, tel que toi ou moi, et cela surtout avant et après l'existence dans la durée. C'est là-dessus que porte notre divergence, toi disant qu'il n'y a pas d'essence singulière éternelle, autrement dit qu'il n'y a pas de mode fini éternel, et moi disant l'inverse.
Durtal a écrit :louisa a écrit :
D'ailleurs, comme déjà dit, l'idée d'un être ou une existence propre à l'essence est tout à fait courante, dans l'histoire de la philosophie. Il suffit de la lire un peu en détail pour pouvoir s'en familiariser et ne plus être choquée par elle (ou si on "n'a pas le temps", on peut lire les excellents ouvrages d'Alain de Libera sur la philosophie médiévale, ou ceux d'Etienne Gilson, pour ne nommer que quelques-uns des commentateurs à ce sujet).
Ce qui selon Spinoza est une abérration, c'est l'idée que l'existence dans le temps d'une chose singulière serait elle-même éternelle. Car c'est cela l'idée d'immortalité: on pense qu'une partie de nous durera indéfiniment, de toute éternité. Cela, dit explicitement Spinoza, c'est faux. Mais il y ajoute immédiament que notre essence est néanmoins éternelle. Or on sait qu'il n'y a que des essences singulières chez Spinoza. Donc c'est bel et bien chaque chose singulière qui a une essence singulière qui, hormis une existence limitée dans le temps, a un autre type d'existence, non lié au temps, qui lui est éternel, comme le stipule déjà l'E2P8.
Tu sais tu n’es absolument pas obligée de commenter mes interventions ni même de les lire
désolée, je ne fais pas vraiment attention à qui propose telle ou telle idée, je suis sur ce forum pour discuter d'idées. Si tu préfères qu'on ne commente pas tes idées, pourquoi les écrire sur un forum public ... ?
Durtal a écrit :, mais si tu le fais il serait quand même plutôt pas mal que tu me fasses l'honneur de t'efforcer de réfléchir à ce que je peux bien vouloir y dire.
si tu veux absolument sans cesse dédoubler tes messages en faisant porter une partie sur la personne même de ton interlocuteur, alors je ne peux que te demander de me faire l'honneur de supposer que lorsque je partage mes réflexions par rapport à une idée proposée, c'est que j'y ai réfléchi. C'est trop facile de s'imaginer que n'importe qui qui réfléchirait un peu penserait immédiatement comme toi.
Durtal a écrit :Parce que tu es en train, je ne sais pas si tu t’en rends compte, de me présenter comme une objection, une chose que j’affirme moi-même en toutes lettres dans le message que tu es censée commenter. A savoir que les deux sortes de l’actualité correspondent à la différence entre essence et existence.
euh ... juste pour info: c'est exactement cette différence que je conteste.
Durtal a écrit :Alors évidemment, comme pour les modes l’existence diffère de l’essence, que l’essence d’un mode n’en est pas moins pour autant quelque chose, et donc en cela quelque chose qui « existe », le terme d’existence devient ambigu parce qu’il peut désigner soit l’une soit l’autre chose, mais elles ne laissent pas d’appartenir chacune à des points de vues extrêmement différent sur ce qu’est l’existence par delà l’ambiguïté lexicale.
ce qui signifie ... ?
Durtal a écrit :D’ailleurs Spinoza la plupart du temps, se contente de contraster l’essence et l’existence (que l’essence « existe » étant sous entendu ; ce qui peut se comprendre car toutes les propositions concernant « l’existence de quelque chose » deviendrait alors inutilement compliquées.)
pourrais-tu citer un exemple d'un passage où Spinoza "contraste" l'essence et l'existence?
Durtal a écrit :Là-dessus, le problème n’est pas que tu distingues l’essence de l’existence, c’est très bien au contraire, et tu as bien lu les commentateurs, je te félicite, le problème c’est l’ exploitation que tu fais de cette différence. Dire : tous les évènements qui arrive à Louisa sont déterminés de toute éternité à lui arriver tels qu’ils arrivent, revient à confondre, si ce n’est dans les mots du moins dans les idées, l’ordre des essences et l’ordre des existences. Dans l’éternité il n’arrive rien à l’essence de Louisa, elle n’est la cause prochaine de rien, et n’est affecté de modifications par rien et donc cela n’a pas de sens dire ici qu’il est « prévu » que l’objet dont cette essence est l’essence subira telle ou telle modification sera détruit par telle autre ayant été causée à exister par tel concours de causes etc. Dans l’éternité tout est déjà là, la chose y jouit immédiatement de l’existence éternelle de Dieu, et donc tout ce lexique de la détermination par des causes prochaines n’a aucun sens dès lors qu’est envisagée l’existence de la chose sous l’espèce d’éternité en laquelle elle coexiste immédiatement et simultanément avec toutes les autres essences de choses et avec l’essence de Dieu.
quant au déterminisme, voir ci-dessous. Sinon oui, nous sommes bien d'accord là-dessus. Mais en quoi est-ce que cela abolirait l'éternité des modes finis, autrement dit en quoi est-ce que cela impliquerait qu'il n'y a pas d'essences singulières éternelles ... ?
Par exemple, comment une chose pourrait-elle dans l'éternité "jouir de l'existence éternelle de Dieu" et en même temps ne plus être une chose, car ayant perdu tout ce qui la singularise, c'est-à-dire, selon la définition de l'essence, son essence même ... ?
Durtal a écrit : Ta conception de ce qu’est « l’essence » d’une chose revient simplement à projeter dans un espace nébuleux des déterminations qui ne conviennent et n’ont en réalité de signification que par rapport à l’ordre des existences (c’est déjà ce que tu faisais avec l’exemple du cercle, incapable manifestement de comprendre que les rectangles n’ont pas besoin d’être préformé dans le cercle pour « y être », et que « l’existence » de ces choses répond dans chaque cas à des conditions très différentes).
euh ... l'idée que tu proposais était facile à comprendre. Il arrive que parfois on t'a compris mais on pense différemment, tu vois? En ce qui me concerne, je suis d'accord avec ceux qui disent que cela n'a pas de sens de parler de l'éternité en tant qu'"endroit" où les choses seraient "pré-formées", puisque par définition il n'y a pas d'avant ni d'après dans l'éternité (ni d'endroit). Mais cela n'empêche en rien qu'il y ait des essences singulières éternelles.
La façon dont tu reformules ce que j'ai dit du cercle me donne l'impression que tu fais ce que Spinoza dit qu'on fait tous spontanément: confondre l'éternité avec une durée infinie. Dire que le carré existe dans toute sa singularité de toute éternité ce n'est pas dire qu'il existe d'abord pour ensuite être tracé, car là tu transformes l'éternité en une ligne temporelle. Il faut essayer de concevoir un carré singulier en ne contemplant que son essence formelle et objective, sans relation au temps, pour le contempler dans son éternité.
Durtal a écrit :L’ordre des essences n’est pas le système de la préformation des existences, précisément parce que les essences ont leur type autonome d’exister, qui se suffit à soi même, sans qu’il y ait aucun lieu de se référer à l’existence temporelle des objets dont ces essences sont les essences car l’affirmation que l’essence des choses singulières n’enveloppe pas l’existence est équivalente à l’idée que les deux régimes de l’existence sont indépendants l’un de l’autre et donc aussi qu’il ne se déduit rien de l’un à l’autre.
pour ma part je le formulerais autrement, mais au fond je ne vois rien de vraiment contraire à ce que je pense ici. Mais, encore une fois, en quoi est-ce que cela rendrait la singularité des essences éternelles impossible, car c'est bien là-dessus que porte notre différend?
Durtal a écrit :Mais toi que fais-tu d’autre sinon d’ignorer complètement ces caractéristiques lorsque tu admets qu’il fait partie de l’essence de Sinuxis de voir à telle heure telle jour et telle année telle mouche traverser son chant de vision ? Quel sens ont ces notions je te prie (d’heure, de date, et de lieu) dans l’idée éternelle que dieu forme de l’essence éternelle de Sinuxis ? Rien n’est déterminé à se produire en ce sens là chez Spinoza, encore une fois la nature ne suit pas un Ordre, la tuile qui tombe sur la tête du quidam dans l’exemple de l’appendice au livre 1 n’était pas de toute éternité déterminée, en la volonté ou en l’entendement de Dieu, à tomber sur la tête de cet individu.
ok, si c'est cela ce que tu penses, tu ajoutes un nouvel élément au débat: il ne peut pas y avoir des modes finis éternels parce que sinon tout devrait être déterminé, alors que chez Spinoza tout ne serait pas déterminé.
Si tu penses que tout n'est pas déterminé chez Spinoza (ce qui à mon sens est une erreur; la béatitude consiste notamment à comprendre qu'absolument tout événement se produit nécessairement et n'aurait pas pu ne pas se produire ou se produire autrement), qu'est-ce qui te fait penser cela? Où Spinoza laisserait-il une possibilité pour de l'indétermination? Et comment dans ce cas interpréter par exemple l'E1P29 où Spinoza écrit:
"Il n'y a rien de contingent dans la nature des choses ; elles sont au contraire déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à oeuvrer d'une manière certaine."
ou bien:
In rerum naturâ nullum datur contingens, sed omnia ex necessitate divinae determinata sunt ad certo modo existendum, & operandum."
?