Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 00:57

Durtal a écrit :
louisa a écrit :je pense plutôt que lorsque Spinoza parle des choses qui "n'existent pas en acte" dans le passage auquel tu réfères, il ne parle que des êtres d'imagination ou de raison, c'est-à-dire de choses qui n'existent pas en dehors de l'entendement de tel ou tel être humain.


C’est non seulement arbitraire (« je pense que »… mais aucun argument) mais en plus c’est faux. Si tu te donnais la peine de lire le passage en question au lieu d’intervenir comme à ton habitude de façon tonitruante et précipitée, tu y verrais que Spinoza y traite d’idées vraies de modifications non existantes or un être de raison n’est pas l’idée d’une modification et les êtres d’imagination – licorne par ex- ne sont pas des idées vraies. D’autre part, cf lettre sur les définitions Spinoza donne une illustration de ce qu’est concevoir l’essence d’une chose non existante : il forge un temple dans son esprit (calculant le nombre de pierre etc.).


Cher Durtal,

il va de soi que je me "suis donnée la peine" de lire le passage en question, sinon je ne le commenterais pas (d'ailleurs c'était plutôt agréable, pas de "peine" en ce qui me concerne ...). L'hypothèse que ton interlocuteur ne peut avoir une opinion différente de la tienne que s'il n'a pas lu me semble être en général peu réaliste. Ce qui explique une divergence, c'est un point de départ différent, et en discuter signifie ne pas sans cesse tomber dans le piège des reproches mais simplement préciser ce point de départ puis vérifier.

En ce qui me concerne, Spinoza dit très clairement qu'on peut avoir une idée vraie d'une licorne, ou de n'importe quelle autre idée d'un être imaginaire. Dire par exemple qu'une licorne est un animal bipède, c'est faux. Avoir une idée vraie d'une licorne signifie notamment savoir qu'une licorne est un animal quadrupède.

Ce que j'ai essayé de te dire, c'est que je ne vois pas en quoi ceci aurait quelque chose à voir avec ce dont nous discutons: le statut non pas d'êtres imaginaire ou de raison, c'est-à-dire de modes qui n'existent que dans notre entendement, mais le statut de modes réel, tel que toi ou moi, et cela surtout avant et après l'existence dans la durée. C'est là-dessus que porte notre divergence, toi disant qu'il n'y a pas d'essence singulière éternelle, autrement dit qu'il n'y a pas de mode fini éternel, et moi disant l'inverse.

Durtal a écrit :
louisa a écrit :
D'ailleurs, comme déjà dit, l'idée d'un être ou une existence propre à l'essence est tout à fait courante, dans l'histoire de la philosophie. Il suffit de la lire un peu en détail pour pouvoir s'en familiariser et ne plus être choquée par elle (ou si on "n'a pas le temps", on peut lire les excellents ouvrages d'Alain de Libera sur la philosophie médiévale, ou ceux d'Etienne Gilson, pour ne nommer que quelques-uns des commentateurs à ce sujet).
Ce qui selon Spinoza est une abérration, c'est l'idée que l'existence dans le temps d'une chose singulière serait elle-même éternelle. Car c'est cela l'idée d'immortalité: on pense qu'une partie de nous durera indéfiniment, de toute éternité. Cela, dit explicitement Spinoza, c'est faux. Mais il y ajoute immédiament que notre essence est néanmoins éternelle. Or on sait qu'il n'y a que des essences singulières chez Spinoza. Donc c'est bel et bien chaque chose singulière qui a une essence singulière qui, hormis une existence limitée dans le temps, a un autre type d'existence, non lié au temps, qui lui est éternel, comme le stipule déjà l'E2P8.


Tu sais tu n’es absolument pas obligée de commenter mes interventions ni même de les lire


désolée, je ne fais pas vraiment attention à qui propose telle ou telle idée, je suis sur ce forum pour discuter d'idées. Si tu préfères qu'on ne commente pas tes idées, pourquoi les écrire sur un forum public ... ?

Durtal a écrit :, mais si tu le fais il serait quand même plutôt pas mal que tu me fasses l'honneur de t'efforcer de réfléchir à ce que je peux bien vouloir y dire.


si tu veux absolument sans cesse dédoubler tes messages en faisant porter une partie sur la personne même de ton interlocuteur, alors je ne peux que te demander de me faire l'honneur de supposer que lorsque je partage mes réflexions par rapport à une idée proposée, c'est que j'y ai réfléchi. C'est trop facile de s'imaginer que n'importe qui qui réfléchirait un peu penserait immédiatement comme toi.

Durtal a écrit :Parce que tu es en train, je ne sais pas si tu t’en rends compte, de me présenter comme une objection, une chose que j’affirme moi-même en toutes lettres dans le message que tu es censée commenter. A savoir que les deux sortes de l’actualité correspondent à la différence entre essence et existence.


euh ... juste pour info: c'est exactement cette différence que je conteste.

Durtal a écrit :Alors évidemment, comme pour les modes l’existence diffère de l’essence, que l’essence d’un mode n’en est pas moins pour autant quelque chose, et donc en cela quelque chose qui « existe », le terme d’existence devient ambigu parce qu’il peut désigner soit l’une soit l’autre chose, mais elles ne laissent pas d’appartenir chacune à des points de vues extrêmement différent sur ce qu’est l’existence par delà l’ambiguïté lexicale.


ce qui signifie ... ?

Durtal a écrit :D’ailleurs Spinoza la plupart du temps, se contente de contraster l’essence et l’existence (que l’essence « existe » étant sous entendu ; ce qui peut se comprendre car toutes les propositions concernant « l’existence de quelque chose » deviendrait alors inutilement compliquées.)


pourrais-tu citer un exemple d'un passage où Spinoza "contraste" l'essence et l'existence?

Durtal a écrit :Là-dessus, le problème n’est pas que tu distingues l’essence de l’existence, c’est très bien au contraire, et tu as bien lu les commentateurs, je te félicite, le problème c’est l’ exploitation que tu fais de cette différence. Dire : tous les évènements qui arrive à Louisa sont déterminés de toute éternité à lui arriver tels qu’ils arrivent, revient à confondre, si ce n’est dans les mots du moins dans les idées, l’ordre des essences et l’ordre des existences. Dans l’éternité il n’arrive rien à l’essence de Louisa, elle n’est la cause prochaine de rien, et n’est affecté de modifications par rien et donc cela n’a pas de sens dire ici qu’il est « prévu » que l’objet dont cette essence est l’essence subira telle ou telle modification sera détruit par telle autre ayant été causée à exister par tel concours de causes etc. Dans l’éternité tout est déjà là, la chose y jouit immédiatement de l’existence éternelle de Dieu, et donc tout ce lexique de la détermination par des causes prochaines n’a aucun sens dès lors qu’est envisagée l’existence de la chose sous l’espèce d’éternité en laquelle elle coexiste immédiatement et simultanément avec toutes les autres essences de choses et avec l’essence de Dieu.


quant au déterminisme, voir ci-dessous. Sinon oui, nous sommes bien d'accord là-dessus. Mais en quoi est-ce que cela abolirait l'éternité des modes finis, autrement dit en quoi est-ce que cela impliquerait qu'il n'y a pas d'essences singulières éternelles ... ?

Par exemple, comment une chose pourrait-elle dans l'éternité "jouir de l'existence éternelle de Dieu" et en même temps ne plus être une chose, car ayant perdu tout ce qui la singularise, c'est-à-dire, selon la définition de l'essence, son essence même ... ?

Durtal a écrit : Ta conception de ce qu’est « l’essence » d’une chose revient simplement à projeter dans un espace nébuleux des déterminations qui ne conviennent et n’ont en réalité de signification que par rapport à l’ordre des existences (c’est déjà ce que tu faisais avec l’exemple du cercle, incapable manifestement de comprendre que les rectangles n’ont pas besoin d’être préformé dans le cercle pour « y être », et que « l’existence » de ces choses répond dans chaque cas à des conditions très différentes).


euh ... l'idée que tu proposais était facile à comprendre. Il arrive que parfois on t'a compris mais on pense différemment, tu vois? En ce qui me concerne, je suis d'accord avec ceux qui disent que cela n'a pas de sens de parler de l'éternité en tant qu'"endroit" où les choses seraient "pré-formées", puisque par définition il n'y a pas d'avant ni d'après dans l'éternité (ni d'endroit). Mais cela n'empêche en rien qu'il y ait des essences singulières éternelles.

La façon dont tu reformules ce que j'ai dit du cercle me donne l'impression que tu fais ce que Spinoza dit qu'on fait tous spontanément: confondre l'éternité avec une durée infinie. Dire que le carré existe dans toute sa singularité de toute éternité ce n'est pas dire qu'il existe d'abord pour ensuite être tracé, car là tu transformes l'éternité en une ligne temporelle. Il faut essayer de concevoir un carré singulier en ne contemplant que son essence formelle et objective, sans relation au temps, pour le contempler dans son éternité.

Durtal a écrit :L’ordre des essences n’est pas le système de la préformation des existences, précisément parce que les essences ont leur type autonome d’exister, qui se suffit à soi même, sans qu’il y ait aucun lieu de se référer à l’existence temporelle des objets dont ces essences sont les essences car l’affirmation que l’essence des choses singulières n’enveloppe pas l’existence est équivalente à l’idée que les deux régimes de l’existence sont indépendants l’un de l’autre et donc aussi qu’il ne se déduit rien de l’un à l’autre.


pour ma part je le formulerais autrement, mais au fond je ne vois rien de vraiment contraire à ce que je pense ici. Mais, encore une fois, en quoi est-ce que cela rendrait la singularité des essences éternelles impossible, car c'est bien là-dessus que porte notre différend?

Durtal a écrit :Mais toi que fais-tu d’autre sinon d’ignorer complètement ces caractéristiques lorsque tu admets qu’il fait partie de l’essence de Sinuxis de voir à telle heure telle jour et telle année telle mouche traverser son chant de vision ? Quel sens ont ces notions je te prie (d’heure, de date, et de lieu) dans l’idée éternelle que dieu forme de l’essence éternelle de Sinuxis ? Rien n’est déterminé à se produire en ce sens là chez Spinoza, encore une fois la nature ne suit pas un Ordre, la tuile qui tombe sur la tête du quidam dans l’exemple de l’appendice au livre 1 n’était pas de toute éternité déterminée, en la volonté ou en l’entendement de Dieu, à tomber sur la tête de cet individu.


ok, si c'est cela ce que tu penses, tu ajoutes un nouvel élément au débat: il ne peut pas y avoir des modes finis éternels parce que sinon tout devrait être déterminé, alors que chez Spinoza tout ne serait pas déterminé.

Si tu penses que tout n'est pas déterminé chez Spinoza (ce qui à mon sens est une erreur; la béatitude consiste notamment à comprendre qu'absolument tout événement se produit nécessairement et n'aurait pas pu ne pas se produire ou se produire autrement), qu'est-ce qui te fait penser cela? Où Spinoza laisserait-il une possibilité pour de l'indétermination? Et comment dans ce cas interpréter par exemple l'E1P29 où Spinoza écrit:

"Il n'y a rien de contingent dans la nature des choses ; elles sont au contraire déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à oeuvrer d'une manière certaine."

ou bien:

In rerum naturâ nullum datur contingens, sed omnia ex necessitate divinae determinata sunt ad certo modo existendum, & operandum."

?

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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 02:47

PS à Durtal:

Durtal a écrit :Quel sens ont ces notions je te prie (d’heure, de date, et de lieu) dans l’idée éternelle que dieu forme de l’essence éternelle de Sinuxis ? Rien n’est déterminé à se produire en ce sens là chez Spinoza, (...).


les notions d'heure, de date et de lieu n'ont du sens que du point de vue de la durée, et non pas du point de vue de l'éternité, cela va de soi.

Or une heure n'est pas en tant que tel un mode d'un attribut. C'est une abstraction produite par notre imagination, sans plus.

Par contre, ce qui est bel et bien réel, c'est que Sinusix (par hypothèse) a eu aujourd'hui à 18h43 une idée adéquate en écrivant sur ce forum. Cette idée adéquate est un mode fini éternel, comme tout mode fini. L'essence de Sinusix considérée au point de vue de l'éternité est constituée de l'ensemble des idées adéquates de Sinusix, de ses idées adéquates, et non pas de mes idées adéquates à moi (nécessairement différentes des siennes, ce qui implique que l'essence éternelle de Sinusix doit être différente elle aussi de la mienne, puisqu'elle est composée différemment). Et que ce soit celle-là l'essence éternelle de Sinusix et non pas une autre, à mon sens on est obligé de dire que chez Spinoza cela est bel et bien déterminée de toute éternité, et cela précisément parce que le temps n'est qu'une imagination, tu vois? Que quelque chose se passe à nos yeux à telle heure ne dit rien de réel de la chose.

Par conséquent, on ne peut surtout pas se baser sur le fait que nous, êtres humains, on a des imaginations, et donc on a l'impression de vivre dans le temps, pour donner une quelconque réalité à ces imaginations en dehors de notre entendement, et en faire la preuve ou un argument pro l'idée qu'il y aurait réellement de l'indétermination. C'est même précisément cette idée que Spinoza dénonce comme étant illusoire lorsqu'il dit que le possible s'explique entièrement par l'ignorance du futur, et non pas par l'une ou l'autre indétermination réelle.

Bref, on ne peut pas conclure du fait que le premier genre de connaissance nous fait voir les choses dans le temps que ce qu'on voit ainsi existerait à la fois réellement et néanmoins en dehors de l'éternité. Et la raison, c'est précisément le fait qu'il s'agit ici du premier genre de connaissance lui-même, autrement dit de rien que de l'imaginaire.

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Messagepar hokousai » 20 oct. 2009, 13:10

à Louisa


à mon sens on est obligé de dire que chez Spinoza cela est bel et bien déterminée de toute éternité,


Toute détermination est une négation (lettre 50)
la chose singulière déterminée est une négation (la figure n’est autre chose qu’une limitation) ce qui est éternel c’est cette idée là ( c’est une vérité éternelle) elle ne peut s’expliquer par la durée et le temps )
.

Que tout soit déterminé ,certes, on peut le concevoir comme une vérité éternelle mais cela n’implique pas que chaque choses singulières soient éternelle à l’image du principe .
C’est comme si vous déduisiez de l’éternité de la loi de la pesanteur que toutes les choses pesantes sont éternelles .
...........................................................................................

*** ce qui pour moi n’est pas un problème majeur .
Je le traduis ainsi « tout ce qui peut advenir advient en contexte «
Le lien entre la contextualité et l’indivisible de la substance est travaillé par Spinoza .On ne peut cependant nier que son idée d’expression nous laisse bien des latitudes de penser .

C’est ce qui fait son charme .Spinoza est quelque part un enchanteur qui nous mène aux frontières et nous laisse là devant, nous débrouiller de quelques formules obscures quand il n’a pas trouvé mieux . Je ne pourrai donner à coup sur aucun exemple qui explique adéquatement la chose dont je parle, vu que la chose est unique .

Vous qui défendez tant et plus les idées adéquates devriez méditer sur cet impossibilité de Spinoza à expliquer adéquatement la chose dont il parle qui plus est une chose qui lui tient au corps ( si j’ose dire ). la forme de l’ homme ce n’est pas l'être de la substance

Voila un aveu fulgurant ( Je ne pourrai donner à coup sur aucun exemples adéquatement la chose ) qui devrait inciter à la modestie
1) quant aux idées adéquates
2) quand à l’extrapolation et les obligations de dire ce qui est chez Spinoza quand il est chez vous .

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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 16:06

Hokousai a écrit :Que tout soit déterminé ,certes, on peut le concevoir comme une vérité éternelle mais cela n’implique pas que chaque choses singulières soient éternelle à l’image du principe .
C’est comme si vous déduisiez de l’éternité de la loi de la pesanteur que toutes les choses pesantes sont éternelles .


Cher Hokousai,

lorsque Spinoza dit que toutes les choses qui sont données dans la nature sont déterminées, peut-on dire que le spinozisme est un déterminisme absolu, ou doit-on le dire? C'est-à-dire, y a-t-il différentes manières d'interpréter ce passage ou est-ce que la conclusion qui s'impose quand on l'analyse en détail, c'est que le spinozisme est un déterminisme où le contingent ou l'indéterminé n'existe pas?

Sinon il va de soi qu'on ne peut pas déduire de l'idée même du déterminisme que l'essence singulière de chaque chose existe en tant que singulière de toute éternité. Si vous dites que j'aurais fait une telle déduction, pourriez-vous citer le passage en question qui vous a donné une telle impression? Merci par avance.

Enfin, l'idée que la créature est "à l'image de" son créateur est chrétienne, je ne vois rien dans ce genre chez Spinoza (au contraire, car encore une fois, chez Spinoza l'image perd son statut "positif", pour ainsi dire, qu'il avait dans le christianisme, pour ne devenir rien d'autre qu'une affection du Corps, source de toutes les idées inadéquates).

Ce qui fait qu'il faut dire que l'essence singulière de chaque chose existe en tant que singulière de toute éternité, c'est bien plutôt les trois propositions citées il y a quelques jours (en commençant par l'E2P8). Une manière de réfuter cette idée ou interprétation serait donc de réfuter l'analyse donnée de ces trois propositions ... mais je me répète.

Hokousai a écrit :*** ce qui pour moi n’est pas un problème majeur .
Je le traduis ainsi « tout ce qui peut advenir advient en contexte «
Le lien entre la contextualité et l’indivisible de la substance est travaillé par Spinoza .On ne peut cependant nier que son idée d’expression nous laisse bien des latitudes de penser .

C’est ce qui fait son charme .Spinoza est quelque part un enchanteur qui nous mène aux frontières et nous laisse là devant, nous débrouiller de quelques formules obscures quand il n’a pas trouvé mieux . Je ne pourrai donner à coup sur aucun exemple qui explique adéquatement la chose dont je parle, vu que la chose est unique .

Vous qui défendez tant et plus les idées adéquates devriez méditer sur cet impossibilité de Spinoza à expliquer adéquatement la chose dont il parle qui plus est une chose qui lui tient au corps ( si j’ose dire ). la forme de l’ homme ce n’est pas l'être de la substance

Voila un aveu fulgurant ( Je ne pourrai donner à coup sur aucun exemples adéquatement la chose ) qui devrait inciter à la modestie
1) quant aux idées adéquates
2) quand à l’extrapolation et les obligations de dire ce qui est chez Spinoza quand il est chez vous .


euh ... disons qu'à mon sens il ne s'agit pas vraiment d'un "aveu", mais d'une simple information, tout à fait claire par ailleurs. Avant d'expliquer encore une fois (car je l'ai déjà fait lors de l'analyse de l'E2P8, ci-dessus, mais libre à vous de contester ou réfuter cette analyse bien sûr), rappelons juste que des idées ou affects tels que "aveu", "modestie", etc. semblent avoir disparu du vocabulaire spinoziste, ou bien recevoir un nouveau sens qui le rend difficile de les valoriser à la manière des Chrétiens.

Souvenez-vous par exemple du fait que chez Spinoza la Modestie n'est plus rien d'autre que le désir de plaire aux gens. Si on le formule ainsi, c'est tout de suite un peu moins "noble", non ... :D ? Pourtant, pour Spinoza c'est le sens le plus pertinent ou adéquat ou approprié bref vrai qu'on peut donner à ce mot ... .

Quant au fait que Spinoza dit qu'il ne peut pas donner un exemple du corollaire de l'E2P8 parce que ce dont il y parle est tout à fait unique:

1. il vient d'expliquer adéquatement la chose dont il parle, et cela aussi bien dans la proposition même que dans son corollaire. Les propositions E2P45 et E5P29 confirment d'ailleurs ce qu'il y dit, et le développent davantage.

2. donner un exemple n'ajoute rien à l'idée en tant que telle, on ne donne des exemples que par souci de pédagogie.

Or il se fait que dans ce cas-ci (E2P8), il parle de l'existence même d'une chose singulière, c'est-à-dire unique. Aucun pédagogue ne sait donner un "exemple" d'une chose unique, vous voyez? Cela n'enlève rien à la clarté de ce qu'il dit concernant cette chose unique, c'est juste que pour ceux qui n'ont pas encore compris le corollaire en tant que tel (et puisque l'idée qu'il y propose est tout de même très nouvelle il s'attend sans doute déjà à ce certains lecteurs sautent ce corollaire au lieu de le prendre au sérieux) il va essayer de l'illustrer, afin de déjà mettre l'Esprit du lecteur sur la bonne route, s'il n'avait pas bien fait attention au corollaire. Il va donc prendre une idée dont une infinité de choses singulières se déduisent (cette idée, c'est l'idée du cercle), et montrer que pour lui, ces choses singulières existent d'une part de toute éternité en tant que comprises (bien sûr dans leur singularité, sinon elles n'y existeraient tout simplement pas!!) dans l'idée de ce cercle-là, et d'autre part en tant qu'elles existent dans le temps et dans l'espace à partir du moment où quelqu'un en trace un. L'exemple n'est pas parfait pour la seule raison qu'ici il parle d'êtres de raison, c'est-à-dire de choses qui précisément n'existent pas hors de l'entendement humain, donc auxquelles les deux types d'existence à strictement parler ne s'appliquent pas. Mais il est bien obligé de prendre un exemple d'une certaine "généralité" (d'où la nécessité de prendre des êtres de raison), car seul ce qui est général peut être illustré par l'un ou l'autre cas particulier. Alors que les choses singulières par définition ne sont pas des cas particuliers.

Donc disons qu'avant de dire qu'il y a pas mal de choses obscures chez Spinoza, il faut peut-être se demander si ce n'est pas plutôt dans notre tête à nous, lecteur qui ne le lit pas toujours tel qu'il le demande, que se trouvent ces choses obscures ... ? Pas que je pense qu'il soit possible d'avoir une compréhension à 100% claire du spinozisme, bien sûr (d'un point de vue spinoziste c'est impossible puisqu'il communique ses idées par des mots, c'est-à-dire des mouvements corporels qui sont différents chez chacun), mais j'aurais plutôt tendance à me méfier d'une "règle de lecture" qui stipule que lorsqu'on ne comprend pas, cela doit avoir été Spinoza lui-même qui n'a pas compris, juste parce qu'une telle méthode de lecture risque d'être assez peu féconde, risque de nous faire arrêter la réflexion là où il faut précisément s'y mettre avec plus d'effort/Désir encore.

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Messagepar Sinusix » 20 oct. 2009, 18:39

Louisa a écrit :"Il n'y a rien de contingent dans la nature des choses ; elles sont au contraire déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à oeuvrer d'une manière certaine."

ou bien:

In rerum naturâ nullum datur contingens, sed omnia ex necessitate divinae determinata sunt ad certo modo existendum, & operandum."


Qu'il n'y ait rien de contingent dans la nature des choses, certes (elles obéissent strictement à leur essence et aux lois), mais il n'y a que du contingent dans la nature des rencontres, du commerce entre les choses.
Or, c'est à partir de ce commerce contingent (sous réserve du surhomme que serait le sage et ne serait qu'action : je ne sais toujours pas comment il échappe au Tsunami !) que va se constituer la nature de chaque homme et la couleur particulière de ses affects (les associations individuantes).
Vous ne répondez donc absolument pas à l'objection de Durtal, et que je vous ai déjà faite, et prétendez faire du spinozisme un déterminisme absolu, où tout ce qui arrive était inscrit.
Je ne sais pas qui fait de la Théologie, mais là, pour de la prédestination, c'est de la prédestination.

Je ne réponds pas à votre longue diatribe à mon égard, aux relents protecteurs de maître d'école. Sachez en tout cas que, quand je remercie Durtal de me faire penser, ce n'est pas au sens mesquinement blessant relevé par vous, mais que, et ce n'est qu'un raccourci linguistique courant, la pensée, en tant qu'échange d'idées, est la face sociale d'une recherche personnelle de la Vérité, en tout cas de celle qui me convient, car, pour la première, il y a beau temps que j'ai renoncé à pouvoir prétendre la découvrir, puisque jamais personne ne l'a fait.
J'ajoute enfin, en réponse à quelques unes de vos gracieusetés (ne prenez surtout pas la peine de répondre en me ressortant des litanies Joie/Tristesse) que, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, je ne suis pas, comme vous, un professionnel de la Philosophie. Il est donc inutile de penser à me taxer de thomiste, de théologien, ou de quelque étiquette que vous vouliez dans la mesure où, si ma culture ne me fait pas ignorer les personnes nommées, je n'ai rien lu d'elles. Autrement dit, si vous trouvez telle lignée de pensée dans ce que je dis, mettez le à l'actif de la pensée "autonome" qui s'exerce, sans a priori aucun (à l'exception de ce qui pourrait provenir de mon tempérament, l'ingenium Spinoziste, dont il ne vous a pas échappé qu'il avait quelque importance et était fruit partiel de la contingence), et non à la faculté de s'appuyer sur des sources. Au demeurant, ce faisant, je n'ai garde de penser que vous me fassiez honneur, mais fais observer à quel point la lecture d'un auteur, notamment d'un philosophe, dépend de la nature de son lecteur (raisonnement trivial sur lequel R. Barthes a exercé son talent).
Enfin, je ne m'intéresse à Spinoza qu'en tant que sa philosophie constitue un exceptionnel champ de convergences avec de nombreuses autres disciplines, et, comme vous l'avez peut-être remarqué, j'essaie d'organiser ma réflexion en confrontant sans cesse sa pensée aux autres domaines que j'ai cotoyés, et dont la connaissance vous est peut-être moins familière (chacun ses blessures). En d'autres termes, la Philosophie n'est qu'un processus rassembleur et c'est en ce sens que, pour ce qui me concerne et faute de temps (même les philosophes professionnels doivent se contenter de travailler sur des filières), je me concentre sur la partie qui a "progressé" (ô blasphème), c'est-à-dire qui tient compte de ce que Merleau-Ponty appelait (je peux le faire aussi) les découvertes philosophiques négatives.
En conclusion, si vous reprochez aux autres d'avoir des a priori, soyez convaincue de votre appartenance à la nature humaine, et cherchez les vôtres. Je crains que vous ne soyez plus chargée de croyances que moi.

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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 19:55

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :"Il n'y a rien de contingent dans la nature des choses ; elles sont au contraire déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à oeuvrer d'une manière certaine."

ou bien:

In rerum naturâ nullum datur contingens, sed omnia ex necessitate divinae determinata sunt ad certo modo existendum, & operandum.



Qu'il n'y ait rien de contingent dans la nature des choses, certes (elles obéissent strictement à leur essence et aux lois), mais il n'y a que du contingent dans la nature des rencontres, du commerce entre les choses.
Or, c'est à partir de ce commerce contingent (sous réserve du surhomme que serait le sage et ne serait qu'action : je ne sais toujours pas comment il échappe au Tsunami !) que va se constituer la nature de chaque homme et la couleur particulière de ses affects (les associations individuantes).


Bonjour Sinusix,

si vous parlez toujours de Spinoza, je ne vois pas vraiment comment le contingent, qui aux yeux de Spinoza n'existe tout simplement pas (au sens ontologique), pourrait "constituer la nature de chaque homme". Comment le contingent pourrait-il constituer ce dont vous dites par ailleurs qu'il est tout à fait déterminé (la nature des choses)?

Le seul endroit dont je me souviens où Spinoza admet l'idée d'une contingence, ce n'est pas du tout pour relativiser ce qu'il vient de dire auparavant (qu'il n'y ait pas de contingent dans la nature; or il n'y a rien hors la nature), c'est pour indiquer que l'ordre dans lequel les événements nous arrivent n'est pas déterminé par notre nature ou essence à nous seul. Qu'un pot de fleur tombe sur une personne qui se promène dans la rue est certes contingent au sens où il s'agit d'un concours de circonstances ou plutôt de causes dont son essence à lui n'était qu'une cause, et non pas la seule cause déterminante. Mais qu'il y ait une ou plusieurs causes, l'ensemble de ces causes appartiennent entièrement à la nature donc sont par définition entièrement déterminées, non?

De même, lorsque Spinoza dit que l'ignorant suit davantage l'ordre commun de la nature que l'ordre de la raison, ou que ses idées et affections s'enchaînent selon l'ordre fortuit de ses rencontres avec la nature et non pas selon un ordre pour l'intellect, il n'est pas en train d'introduire une quelconque indétermination dans la nature, ce dont il parle ici ce n'est que le fait que la manière dont les événements sont déterminés à se dérouler ne tient pas compte de ce qui serait mieux pour nous, de ce qui est le plus utile pour nous. C'est en ce sens précis et en ce sens seul qu'on peut dire qu'il y a de la contingence.

Sinusix a écrit :Vous ne répondez donc absolument pas à l'objection de Durtal, et que je vous ai déjà faite, et prétendez faire du spinozisme un déterminisme absolu, où tout ce qui arrive était inscrit.
Je ne sais pas qui fait de la Théologie, mais là, pour de la prédestination, c'est de la prédestination.


oui vous pouvez dire cela si vous voulez, mais on peut tout aussi bien dire que j'essaie de vous répondre et que vous ne comprenez pas ce que je dis, de telle sorte que je suis bien obligée d'expliquer autrement la même idée, et peut-être vous-même aussi?

Par exemple, j'ai déjà essayé de vous expliquer la différence qu'il faut à mes yeux faire entre le déterminisme spinoziste et la prédestination. Bien sûr, il se peut que cette explication ne vous convainc pas, ou que vous ne l'avez pas bien compris. Mais alors il faudrait qu'on revienne là-dessus pour voir ce qui éventuellement n'était pas clair voire faux, non?

Pour le résumer rapidement: parler d'un "pré" (= latin pour avant), c'est parler d'un point de vue du temps. Or l'éternité est quelque chose qui ne concerne en rien le temps. Donc dire que tout est de toute éternité déterminée, cela ne veut pas dire qu'il y aurait quelque part une ligne temporelle sur laquelle se trouvait un intellect qui a déjà une idée adéquate de ce qui va se passer plus tard (comme l'aurait un prophète), idée à laquelle la personne concernée ensuite ne pourrait qu'obéir, comme un acteur lit le texte de la pièce écrite auparavant par l'auteur de théâtre.

Quant au déterminisme absolu: il faut savoir qu'il s'agit d'une idée communément admise parmi les commentateurs, et cela depuis très longtemps. Juste à titre d'exemple: Robert Misrahi, 100 mots sur l'Ethique de Spinoza, entrée "déterminisme", commence l'article en disant que "L'une des idées fondamentales du spinozisme est le déterminisme: il est universel et constant."

Bien sûr, ce n'est pas parce que tous les commentateurs sont d'accord là-dessus que c'est nécessairement vrai. Je veux juste signaler que ce n'est pas moi qui ai inventé la qualification "déterminisme absolu" lorsqu'il s'agit de Spinoza.

Et Misrahi y ajoute immédiatement: "Mais, avant de décrire ce déterminisme de plus près, il est nécessaire d'éviter un malentendu. Chez Spinoza, la mise en évidence de l'enchaînement rigoureux des causes et des effets n'est pas destinée à humilier l'être humain en annulant son pouvoir ou en dénonçant ses illusions. (...) Le déterminisme, chez Spinoza, n'est ni une prédestination ni un destin (...). C'est le contraire qui est vrai. (...) c'est le déterminisme qui va devenir un instrument de notre libération. (...) Instrument de notre liberté véritable, la connaissance du déterminisme est également l'instrument de notre sérénité. C'est en effet par la connaissance de l'unité de la Nature et de la nécessité rigoureuse avec laquelle elle déploie son action que le sage se réjouit de tous les événements qui marquent sa vie et son monde: ils sont l'expression du déploiement même de la nécessité divine, c'est-à-dire de la nécessité de la Nature. La béatitude est précisément la connaissance de cette nécessité (...). "

Encore une fois, je n'exclus point la possibilité que tous ces gens se trompent et que ce soit vous qui le premier avez découvert qu'il y a de l'indétermination dans le spinozisme (pas d'ironie), mais sur quoi vous basez-vous, si c'est cela ce que vous pensez? Qu'est-ce qui vous fait croire (quel passage du texte spinoziste) que Spinoza admette de l'indétermination, voire même que ce serait grâce à cette indétermination qu'un monde déterminé ou un monde d'essence pourrait se constituer, comme vous le dites ci-dessus?

Sinusix a écrit :Je ne réponds pas à votre longue diatribe à mon égard, aux relents protecteurs de maître d'école.


si vous lisez ce que j'écris comme s'il s'agit d'un discours moralisateur, en effet, cela n'a aucun sens. Mais j'espérais plutôt que vous alliez le lire comme une invitation à la discussion, où ni vous ni moi on peut être mis en position de "sujet supposé savoir".

Sinusix a écrit :Sachez en tout cas que, quand je remercie Durtal de me faire penser, ce n'est pas au sens mesquinement blessant relevé par vous, mais que, et ce n'est qu'un raccourci linguistique courant, la pensée, en tant qu'échange d'idées, est la face sociale d'une recherche personnelle de la Vérité, en tout cas de celle qui me convient, car, pour la première, il y a beau temps que j'ai renoncé à pouvoir prétendre la découvrir, puisque jamais personne ne l'a fait.


je ne suis pas certaine d'avoir compris à quoi réfère "la première". Mais dire, comme je l'ai fait, que vous semblez davantage vous intéresser à développer vos idées au lieu de les mettre en question, ce n'était pas vraiment un reproche, je voulais plutôt indiquer par là que je pense que depuis 2500 ans, les humains ont inventé une activité qui permet d'aller plus loin, et qui à mon sens est plus intéressant, nous apporte beaucoup plus, que de juste développer ses idées (donc, forcément aussi, préjugés).

Vous pouvez ne pas être d'accord avec cela, cela ne dit rien de négatif de vous. C'est juste que je crois que sur un forum de philosophie il est parfois nécessaire de rappeler qu'au fond il ne s'agit pas tellement de chercher les vérités qui nous conviennent, mais plutôt la vérité en tant que telle, surtout aussi lorsque de prime abord elle semble ne pas nous convenir du tout. Si vous ne croyez pas que ce soit possible, que donc toute vérité est "relative" au sens postmoderniste du terme, alors je crois que d'une part une telle croyance est peu compatible avec le spinozisme, mais d'autre part aussi que le postmodernisme à ce sujet est peu cohérent. Il faudrait donc qu'on en discute pour pouvoir voir qui de nous deux éventuellement se trompe, à ce sujet (sachant que pour ma part le mieux me semble être de partir de l'idée qu'on se trompe sans doute tous un peu).

Sinusix a écrit :J'ajoute enfin, en réponse à quelques unes de vos gracieusetés (ne prenez surtout pas la peine de répondre en me ressortant des litanies Joie/Tristesse) que, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, je ne suis pas, comme vous, un professionnel de la Philosophie. Il est donc inutile de penser à me taxer de thomiste, de théologien, ou de quelque étiquette que vous vouliez dans la mesure où, si ma culture ne me fait pas ignorer les personnes nommées, je n'ai rien lu d'elles. Autrement dit, si vous trouvez telle lignée de pensée dans ce que je dis, mettez le à l'actif de la pensée "autonome" qui s'exerce, sans a priori aucun (à l'exception de ce qui pourrait provenir de mon tempérament, l'ingenium Spinoziste, dont il ne vous a pas échappé qu'il avait quelque importance et était fruit partiel de la contingence), et non à la faculté de s'appuyer sur des sources.


je comprends que vous pensez et ressentez les choses ainsi. Mais d'abord, je ne crois pas que cela a beaucoup à voir avec être un professionnel de la philosophie ou non. En philosophie encore plus qu'en d'autres métiers, obtenir un diplôme universitaire ne signifie pas grand-chose, et surtout pas que le diplômé en question soit un véritable "amateur" de la philosophie, au sens tout à fait positive du terme (= qui aime la philosophie).

Puis, il se fait que depuis Platon, en philosophie on part plutôt du point de vue inverse: ce n'est pas parce que nous avons une idée (après avoir pensé ou non), que nous avons produit cette idée de manière autonome. Il se peut que nous avons cette idée sans être conscient des causes qui l'ont produite, et alors on pensera qu'on l'a librement produite ou pensée, "tout seul", tandis qu'en réalité cette impression ne provient que d'une ignorance de la cause, comme le rappelle aussi Spinoza.

Inversement, les philosophes ne travaillent pas dans une tour d'ivoire (même si on peut avoir cette impression). Les idées des grands philosophes circulent, d'abord parmi les intellectuels, mais puis d'une manière ou d'une autre aussi chez ceux qui ne les ont jamais lues, précisément parce que ces intellectuels s'engagent dans la société, écrivent des pamphlets, parlent devant des masses, occupent des postes politiques importantes ou travaillent pour des politiciens, influencent les artistes, les scientifiques etc.

Dire d'une idée proposée par quelqu'un qu'elle est thomiste, ce n'est donc pas dire qu'on suppose que cette personne a lu Thomas d'Aquin ou des choses sur lui, c'est dire que cette idée, que vous venez de produire vous, en pensant à vous-même et au monde, n'est pas nouvelle, a déjà été inventée par d'autres avant vous. Cela n'est pas très étonnant, car si des gens dont le métier n'est pas de devenir spécialiste en matière d'idées pourraient trouver immédiatement un tas d'idées nouvelles, on le saurait. Tout débutant dans un "art" quelconque commence par avoir des idées que d'autres débutants avant lui ont plus ou moins eu eux aussi. Et lorsqu'on vit dans une culture imbibée de thomisme, il ne faut même pas connaître le nom de Thomas d'Aquin pour spontanément penser ou prendre pour évidentes des idées qui au fond viennent de lui.

Plus précisément, dire dans une discussion sur Spinoza que telle ou telle idée est thomiste et non pas spinoziste, c'est essayer de montrer en quoi il y a deux idées différentes, afin de pouvoir mieux expliciter la singularité de la pensée spinoziste (et il va de soi que ce faisant, on peut se tromper).

Sinusix a écrit :Au demeurant, ce faisant, je n'ai garde de penser que vous me fassiez honneur, mais fais observer à quel point la lecture d'un auteur, notamment d'un philosophe, dépend de la nature de son lecteur (raisonnement trivial sur lequel R. Barthes a exercé son talent).


certes. Pour moi l'un des intérêts d'un forum de discussion philosophique c'est donc qu'il permet de mieux comprendre en quoi l'interprétation à laquelle on adhère peut éventuellement être plus liée à ma nature à moi qu'à une compréhension plus objective du texte.

Sinusix a écrit :Enfin, je ne m'intéresse à Spinoza qu'en tant que sa philosophie constitue un exceptionnel champ de convergences avec de nombreuses autres disciplines, et, comme vous l'avez peut-être remarqué, j'essaie d'organiser ma réflexion en confrontant sans cesse sa pensée aux autres domaines que j'ai cotoyés, et pour dont la connaissance vous est peut-être moins familière. En d'autres termes, la Philosophie n'est qu'un processus rassembleur et c'est en ce sens que, pour ce qui me concerne et faute de temps (même les philosophes professionnels doivent se contenter de travailler sur des filières), je me concentre sur la partie qui a "progressé" (ô blasphème), c'est-à-dire qui tient compte de ce que Merleau-Ponty appelait (je peux le faire aussi) les découvertes philosophiques négatives.


il est vrai que cela, pour moi, c'est vouloir y aller trop vite. Pour pouvoir savoir en quoi il y a réellement convergence, il faut approfondir maximalement sa compréhension du texte spinoziste, ce qui n'est possible que lorsqu'on prend activement le temps d'interroger ses propres "vérités premières", comme vous l'avez appelé, sinon on risque de voir des convergences là où en réalité il n'y a qu'une seule idée, qui n'a rien à voir avec le spinozisme, et que vous transposez allègrement en un langage spinoziste alors que mise à part les mots, il n'y a pas trop de choses en commun entre ce que vous mettez ainsi en rapport l'un avec l'autre.

Sinon en effet l'idée de "découverte philosophique négative" est à mon sens hautement problématique. Dès qu'on analyse plus en détail en quoi l'idée qui est soi-disant réfutée consiste, on est très souvent obligé de constater qu'en fait c'est tout de même plus compliqué que cela, qu'on ne parle pas exactement de la même chose.

Sinusix a écrit :En conclusion, si vous reprochez aux autres d'avoir des a priori, soyez convaincue de votre appartenance à la nature humaine, et cherchez les vôtres. Je crains que vous ne soyez plus chargée de croyances que moi.


il va de soi que comme tout le monde j'ai un grand nombre d'a priori (plus que vous ... ? Comment les compter ... ?). Aussi n'ai-je aucunement reproché à qui que ce soit de les avoir, j'ai essayé de signaler que dès le début le but même de la philosophie était d'aller à la recherche des a priori (sachant qu'on en a tous et que certains on partage même, et surtout supposant que ce n'est pas juste une question de bonne volonté, qu'il faut toute une méthode à part entière pour pouvoir ce faire), plutôt que de se dire qu'on peut se contenter des vérités qui nous conviennent et qu'il ne nous reste plus qu'à commencer à construire chacun sa "vision du monde". On n'a jamais eu besoin de philosophes pour pouvoir construire chacun sa vision du monde. Mais il faut bel et bien une méthode proprement philosophique pour pouvoir commencer à mettre en question les bases mêmes de telles constructions.
Amicalement,
L.
Modifié en dernier par Louisa le 20 oct. 2009, 19:59, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 20 oct. 2009, 19:56

à LOuisa


hokousai
Enfin quoi !! Vous me soutenez qu’ elles existent ( les choses singulières )de toutes éternité .
Louisa
ben oui ... il va de soi que chez Spinoza elles existent de toute éternité.
…………………………………………………………………………………………..
Suite à « potentiel « on en est arrivé à :

Il va donc prendre une idée dont une infinité de choses singulières se déduisent (cette idée, c'est l'idée du cercle), et montrer que pour lui, ces choses singulières existent d'une part de toute éternité en tant que comprises (bien sûr dans leur singularité, sinon elles n'y existeraient tout simplement pas!!) dans l'idée de ce cercle-là,


bien sûr dans leur singularité!!! tel que vous le dites signifie que les choses particulières ont deux existences .

C’est à dire que Dieu a antérieurement connu les choses. Ce à quoi Spinoza répondrait ce n’est pas que Dieu a antérieurement connu les choses .(corol prop7/2)
Vous allez me dire qu’il n’y a pas d’antériorité dans l’éternité , Spinoza vous répondra que la substance est antérieure a ses affections .

Et puis enfin bref relisez une bonne fois la démonstration de la proposition 28 partie 1
………………………………………………………………………….

Pas que je pense qu'il soit possible d'avoir une compréhension à 100% claire du spinozisme, bien sûr (d'un point de vue spinoziste c'est impossible puisqu'il communique ses idées par des mots, c'est-à-dire des mouvements corporels qui sont différents chez chacun)


Ça c’est votre problème … problème qui s'il était le mien je n'envisagerais sans doute pas d' un point de vue spinoziste . (pt vue logique : Spinoza n' éclaire pas sur ce qu'il tait .)

Mais partant vous iriez jusqu’ à dire qu’une femme peut moins bien comprendre Spinoza qu’ un homme( histoires de mouvements corporels ), j’en connais qui n’apprécieraient pas .

hokousai

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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 20:09

Hokousai a écrit :Vous allez me dire qu’il n’y a pas d’antériorité dans l’éternité , Spinoza vous répondra que la substance est antérieure a ses affections .


J'ai dit qu'il n'y a pas "d'avant" dans l'éternité.

Si vous pensez qu'il y a d'abord eu des attributs (et donc, nécessairement avant ou simultanément avec ces attributs, le temps), puis, un peu plus tard dans le temps, les affections, vous faites du temps quelque chose qui appartiendrait à l'essence divine elle-même (voire qui la précèderait, auquel cas la substance ne serait plus la seule chose qui existe ...), alors que Spinoza dit clairement que le temps est quelque chose que nous, modes finis, imaginons. Il n'y a donc pas de temps en dehors des imaginations des modes, et donc certainement pas au niveau de l'attribut même, voire en-deça de tout attribut ... .

Dire que l'attribut est antérieur à ses affections, ce n'est donc pas parler d'une antériorité chronologique, il s'agit d'une antériorité logique, c'est-à-dire on veut dire par là qu'il est impossible de penser adéquatement une affection sans penser à l'attribut. Rien de plus.

Concernant le reste de votre message: je crains que je ne parvienne pas à comprendre de quoi vous parlez plus précisément. Pourriez-vous reformuler? Merci.

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Messagepar hokousai » 20 oct. 2009, 20:12

chère Louisa

Or il se fait que dans ce cas-ci (E2P8), il parle de l'existence même d'une chose singulière, c'est-à-dire unique. Aucun pédagogue ne sait donner un "exemple" d'une chose unique, vous voyez?


je reconnais avoir été un peu faible sur l' exemple illustrant la chose unique scolie prop 8/2) et vous avez raison de me reprendre .

.Un peu faible et peut être pour la raison suivante :
1) la chose est unique et non illustrable par un exemple
2)mais la chose unique ce n'est pas la chose singulière (comme vous le dites ) c'est l'idée de Dieu ( à mon avis ) et je l'ai toujours compris comme cela .. d ' où notre divergence .:cry:

l'idée de Dieu ça c'est un et c'est la grande affaire, l' affaire véritablement unique . .
...............................................................................
( et bien sur pas les choses singulières qui bien qu'étant chacune unique peuvent être exemplifiées )

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Messagepar Louisa » 20 oct. 2009, 20:20

Hokousai a écrit :l'idée de Dieu ça c'est un et c'est la grande affaire, l' affaire véritablement unique . .
...............................................................................
( et bien sur pas les choses singulières qui bien qu'étant chacune unique peuvent être exemplifiées )


oui mais là vous parlez en bon aristotélicien (je ne suis pas en train de dire que vous êtes un aristotélicien, je veux dire que cette idée est aristotélicienne et non pas spinoziste).

Si l'essence d'une chose est définie par ce sans quoi elle ne peut exister, il est évident que différents exemplaires d'une même essence sont possibles. Mais Spinoza opère une révolution conceptuelle assez considérable en ajoutant à cette condition un deuxième critère: constitue l'essence d'une chose ce qui sans la chose ne peut pas exister. A partir de ce moment-là, toute chose devient unique, par définition. Car il va de soi que tout ce que j'ai en commun avec vous continuera d'exister aussi longtemps que vous vivez, même si moi je meurs (définition aristotélicienne de l'essence). Tandis que si ce qui constitue votre essence c'est ce que vous n'avez en commun avec personne, il faut bel et bien en conclure que votre essence est singulière c'est-à-dire unique, propre à vous et à aucune autre chose singulière (définition spinoziste de l'essence). Chez Spinoza seuls les êtres de raison ont une définition qui permet la généralité. Raison pour laquelle l'exemple n'est pas parfait, puisque la proposition et le corollaire parlent bel et bien de choses singulières qui existent réellement, et non pas d'êtres de raison. Il faut donc un instant faire comme si les cercles et carrés existent réellement et ne sont pas juste des êtres de raison, autrement dit il faut comprendre l'exemple comme une "analogie", et non pas comme une illustration ou un cas particulier d'une règle générale, non?


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