Spinoza et l'hédonisme

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar Prosodie » 02 nov. 2009, 14:42

michel a écrit : :D:) = (Joie += Amour += Perfection) +=> Liberté
et si on veut bien admettre qu'il n'y a ni Joie, ni Amour, ni Perfection, ni Liberté sans Connaissance, je crois qu'on à fait le tour de la pensée de Spinoza !
Assez d'accord, sauf que la Connaissance est une somme de Savoirs (et Lui avait, possédait, cette somme, grâce à sa formation/imprimatur hébraïque ; sa fragile santé qui était épreuve/initiation, à marche forcée même) quant à son milieu..
Je laisse la place aux spécialistes.
Pas spécialiste du tout, plutôt "frangine" en ressenti. J'ai bien moins de culture que lui en avait et suis bien plus âgée, cependant je me sens avec lui une terre commune.
C'est étrange.... :D
Il ne pourrait ni se dirait hédoniste. Na... (rire) de cela je suis certaine.. Ces derniers n'auraient jamais su endurer, ce que lui a vécu, c'est aux antipodes.
Tel est l'homme, tel est son Dieu Jmw.GOETHE

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Lemarinel
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Spinoza n'est pas hédoniste mais eudémoniste !

Messagepar Lemarinel » 17 févr. 2012, 00:36

Votre question est simple et ma réponse le sera tout autant: Spinoza n'est pas hédoniste (ce serait donner raison à ses accusateurs qui lui reprochent d'être athée, de vivre en athée qui ne respecte rien et vit dans l'impureté); c'est un eudémoniste (il recherche le bonheur en homme sage). Spinoza n'est pas un jouisseur, même s'il parle de jouir de dieu dans Eth V, c'est un eudémoniste : son projet tend vers le bonheur plus que vers le plaisir. Ethique, chez Aristote comme chez Spinoza, veur dire : recherche du bonheur. C'est ce que signifie précisément le terme eudémonisme.

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Messagepar gnayoke » 17 févr. 2012, 16:22

Il faudra ici distinguer l'homme de sa philosophie.

Sur l'homme Spinoza, je ne le connais pas personnellement.J'aurai aimé prendre un verre avec lui et discuter un peu.. ou beaucoup.

Sur ces principes, je peux répondre ceci:
Je crois que le spinozisme ne se pose pas ce genre de questions ( ou du moins pas de cette façon).
Le spinozisme s’intéresse aux causes des phénomènes dans le but de comprendre la nature des choses. Peu importe q'une personne soit hédoniste ou eudémoniste ou autre, il ne sera de toute façon que le résultat de son interaction avec son environnement. Le spinozisme cherchera à comprendre ces causes (ces interactions) et les intégrera dans une vision globale des choses.
Je vais essayer de poursuivre mon raisonnement.

L'hédoniste se donne comme principe de rechercher le plaisir, le plaisir immédiat. En le faisant il répond également à aux principes de sa nature, qui est d'être en équilibre avec soi et son milieu.
De même l'eudémoniste, qui place le bonheur comme but ultime de sa vie, ne fait que rechercher une certaine forme d'équilibre.

Nous avons là deux philosophies qui peuvent en apparence être différentes mais qui répondent toutes à un principe plus général. La constante recherche d'équilibre.
C'est là même une démarche spinoziste

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L'Ethique est la recherche du bonheur !

Messagepar Lemarinel » 17 févr. 2012, 18:20

Je ne suis pas d'accord avec vous : je maintiens que l'Ethique de Spinoza est la recherche du bonheur, et lorsque vous dites que "le spinozisme s’intéresse aux causes des phénomènes dans le seul but de comprendre la nature des choses", vous oubliez que Spinoza a toujours en vue la liberté, la joie, le bonheur. Ce n'est un secret pour personne que le spinozisme est fondamentalement une philosophie pratique (Deleuze), une philosophie de la joie (laetitia, dans le manuscrit; cf. les travaux de Robert Misrahi) et de la liberté. Pour Spinoza, il ne s'agit pas seulement de comprendre, mais de comprendre pour se libérer des passions tristes, pour faire naitre la joie et la liberté de la sagesse (lesquels culminent dans l'amor intellectualis dei de l'Ethique V), pour être heureux tout simplement (Cf le livre "être heureux avec Spinoza" dont l'auteur m'échappe). Hédonisme ou eudémonisme? Je maintiens eudémonisme, dans une tradition qui fait remonter Spinoza à Aristote, lequel dans l'Ethique à Nicomaque écrit, dès la première phrase: l'éthique est la recherche du bonheur. Mais peut-être qu'il s'agit d'un eudémonisme inclusif ou au sens large qui englobe la notion de plaisir (Spinoza parle en effet de jouissance, de "jouir de Dieu" dans Ethique V). Cet eudémonisme spinoziste apparait d'ailleurs peut-être plus clairement dans sa philosophie politique où le philosophe s'est efforcé de définir les conditions de liberté propres à l'épanouissement des citoyens, dans un contexte où il n'y a pas à craindre pour leur sécurité.

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Messagepar Henrique » 17 févr. 2012, 20:13

Quelle différence faites vous entre bonheur et plaisir ? Ce qu'on appelle bonheur n'est-il pas au fond qu'un plaisir du mental tandis que le plaisir est un bonheur physique ? Croyez vous qu'Epicure en fasse une, notamment quand il fait de l'amitié une condition du bonheur ? Trouvez vous que la différence que fait Aristote entre bonheur et plaisir est vraiment pertinente ? Spinoza semble distinguer satisfaction locale et satisfaction globale d'un individu, n'est-ce pas au fond qu'une distinction de degré et non d'essence ?

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Spinoza n'est pas Epicure et ne le sera jamais

Messagepar Lemarinel » 17 févr. 2012, 22:56

A Henrique,

Vous parlez pêle-mêle d'Aristote et d'Epicure, or ce sont des philosophies différentes. Celle d'Epicure peut être qualifiée proprement d'hédonisme (quoique raisonnable et mesuré qui l'interdit d'en faire un cyrénaïque ou un jouisseur invétéré), car elle repose toute entière sur le couple plaisir (hédoné)/ douleur, avec cette conséquence : rechercher le plaisir (en évitant les excès) et fuir la douleur. Hédonisme épicurien, donc.

Par contre, Aristote nous parle fondamentalement et dès la 1ère phrase de son Ethique à Nicomaque du "bonheur", de quête du bonheur, laquelle peut certes passer par des plaisirs (ceux de l'amitié, de la conversation, etc): raison pour laquelle je préfère parler d'un eudémonisme aristotélicien. Je n'ai pas lu pour autant l'Ethique à Eudème, raison pour laquelle ma conclusion est provisoire. J'avoue ne pas connaitre Aristote assez bien pour en parler avec profondeur.

En ce qui concerne Spinoza, on connait ma position : plus un eudémonisme qu'un hédonisme. La raison en est que Spinoza rapporte toutes les affections au couple joie / tristesse, et non au couple plaisir / tristesse comme chez Epicure. Eudémonisme, donc, car recherche de la joie plutôt que du plaisir, à moins qu'il ne s'agisse d'un hédonisme d'un genre particulier, d'un "hédonisme sans corps", comme y incline manifestement Michel Onfray dans sa Contre-histoire de la philosophie tome 3 : "etrange Spinoza! Son matérialisme sans matière, son dieu sans transcendance, son hédonisme sans corps, son épicurisme sans atomes, son éthique sans morale, sa religion sans dogmes, son éternité sans arrières-mondes, sa liberté sans libre-arbitre, son désir sans chair, ses vertus sans devoir, voilà une étrange pensée oxymorique ! Donc baroque." (p.269 Grasset).

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Messagepar hokousai » 18 févr. 2012, 01:42

à Lemarinel

La raison en est que Spinoza rapporte toutes les affections au couple<b> joie / tristesse</b>, et non au couple plaisir / tristesse comme chez Epicure.


plutôt plaisir /douleur ... chez Epicure ...non ?

en revanche

douleur/tristesse chez Spinoza


Maintenant,<b> la douleur, qui est au contraire un sentiment de tristesse,</b> prise en soi, ne peut être bonne (par la Propos. 41, part. 4). Mais comme sa force et son accroissement se mesurent par le rapport de la puissance d’une cause extérieure avec la nôtre (par la Propos. 5, part. 4), nous pouvons concevoir pour cette passion une infinité de degrés divers de force et des modifications infinies (par la Propos. 3, part. 4), et, en conséquence, on peut la concevoir de telle façon qu’elle puisse contenir le chatouillement, en faire disparaître l’excès, et empêcher ainsi (par la première part. de cette propos.) que le corps ne devienne moins propre à ses fonctions. Or, sous ce point de vue, la douleur est bonne. C. Q. F. D.
PROPOSITION XLIII/4

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Messagepar 8 » 18 févr. 2012, 08:24

il faut désirer la chose parce qu'elle est bonne....même si cela est douloureux

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Messagepar Henrique » 18 févr. 2012, 11:54

Cher Lemarinel,
La première question que j'avais posée était celle par rapport à laquelle les autres n'étaient que des pistes. Ce que je vous demandais, c'est concrètement la différence qu'on peut faire entre bonheur et plaisir. Les mots diffèrent par les lettres qui les composent certes, mais au niveau des idées, je ne vous vois pas indiquer de contenu spécifiquement différent.

Pour ce qui est de Spinoza, y a-t-il lieu d'opposer plaisir et joie si corps et esprit ne sont qu'une seule et même chose considérée sous des angles différents ? Si on peut appeler joie l'augmentation de la puissance du mental, comment appellera-t-on l'augmentation de la puissance du corps ? Et si l'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des corps (E2P7), quelle différence y a-t-il entre le chatouillement (titillatio) et la joie ? cf. scol. de E3P11. Misrahi traduit carrément titillatio par plaisir, car en effet, Spinoza oppose titillatio (augmentation de puissance ou de perfection affectant plus vivement une partie du corps et du mental à la fois - ce côté partiel expliquant son caractère peu durable) et dolor (diminution de puissance sur une partie du corps et de l'esprit). Or en français, ce qu'on oppose à douleur, c'est plaisir.
(note au passage : et à la gaité qui affecte globalement corps et esprit, la morosité, qui me semblerait donc un peu mieux que mélancolie pour traduire melancholia)

Les grecs ont hêdonê et eudaïmonia. Mais pour Épicure, il n'y a pas de différence derrière ces mots : il nie la différence que font les cyrénaïques entre corps et esprit et entre passager et stable : le bonheur est un état de plaisir stable qui affecte autant le corps que l'esprit. Cet état consiste dans l'absence de douleur et de trouble moral (Lettre à Ménécée) grâce à la préférence accordée aux désirs naturels et nécessaires.

Ce sont les stoïciens qui opposent le plus radicalement bonheur et plaisir. Épictète notamment définit le bonheur comme obtention ce que l'on veut, faisant ainsi du bonheur une activité de l'âme, la volonté étant une faculté qui dépend entièrement de nous tandis que le plaisir est une satisfaction qui ne dépend pas de nous, et qui n'est donc, comme la douleur, ni bonne ni mauvaise par elle-même, de sorte que le sage doit y être indifférent.

Ainsi, Cicéron traduira eudaïmonia par felicitas ou beatitudo et hêdonê par laetitia.

Le terme latin qui correspondrait exactement à plaisir est voluptas et Spinoza ne l'emploie qu'une fois dans le TP (II,6) dans un sens manifestement synonyme de celui qu'il donne habituellement à laetitia en tant que passion.

Une différence notable entre le stoïcisme et le spinozisme est ainsi qu'entre la joie passive conduite par l'imagination et la joie active conduite par la raison, il n'y a pas une différence de nature quant à l'affect en lui-même mais seulement dans le genre de connaissance qui le gouverne. Pour les stoïciens, il y a le corps qui ne dépend pas de nous et d'autre part l'âme qui en dépend entièrement. Chez Spinoza, le corps comme le mental peuvent être passifs et l'un et l'autre doivent pouvoir également être actifs en vertu de l'unité des attributs.

Et donc, si le plaisir peut être le nom que l'on donne à ce qui affecte autant le corps que le mental dans le sens d'une plus grande puissance d'exister, il doit concerner l'homme autant sous le régime de l'imagination que sous le régime de la raison, voire l'intuition intellectuelle.

Si on veut réserver le mot plaisir à la voluptas, c'est-à-dire la satisfaction que l'on ne rapporte qu'au corps ou qui ne relèverait que de l'imagination, Spinoza n'est bien sûr pas pour en faire un principe de bonheur, mais cela restera néanmoins un élément essentiel du bonheur de l'homme libre :
Spinoza, dans Ethique IV, scol. de la prop. 45 a écrit :Plus nous avons de joie, plus nous acquérons de perfection ; en d'autres termes, plus nous participons nécessairement à la nature divine. Il est donc d'un homme sage d'user des choses de la vie et d'en jouir [delectari] autant que possible (pourvu que cela n'aille pas jusqu'au dégoût, car alors ce n'est plus jouir). Oui, il est d'un homme sage de se réparer par une nourriture modérée et agréable [suavi] , de charmer ses sens du parfum et de l'éclat verdoyant des plantes, d'orner même son vêtement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne.

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Messagepar Lemarinel » 18 févr. 2012, 13:54

Cher Henrique,

Vous aviez raison de me ramener au texte latin, car j'ai pu ainsi voir que :

1. Spinoza n'utilise pas le terme d'hédoné mais qu'il utilise en revanche son exact contraire "dolor" (scolie Eth.III, 11). S'il s'exprime quelque part dans Ethica avec le terme "hédoné", je vous demande où... Par contre, pas non plus trace d'"eudémonismos", de bonheur dans l'Ethique (ou sauf avis contraire, je demande où afin d'apprendre quelquechose).
2. Spinoza utilise un grand nombre de termes pour désigner les affections : laetitia (joie) et tristitia (tristesse) pour les affections de l'âme; titillio (chatouillement) tristitia (tristesse), dolor (douleur) ou melancholia (mélancholie) pour les affections du corps et de l'âme. (cf scolie Eth.III,11). Dans Eth.V, d'autres termes apparaissent dans le manuscrit original : acquiescentia (contentement), beatitudo (béatitude), notamment.
3. Spinoza utilise les différents mots selon le point de vue où il se place : selon que les affections sont rapportées à l'âme seule (joie et tristesse), à l'âme et au corps (chatouillement, douleur ou mélancholie), à l'âme ou à Dieu (acquiescentia).
4. Eymologiquement, j'en conclus que le spinozisme n'est ni un hédonisme strict (car pas de notion d'hédoné malgré celle de dolor) ni un eudémonisme (car pas de notion d'eudémonismos), et que cela importe peu, au fond... peut-être faut-il forger un nouveau néologisme pour qualifier la philosophie de Spinoza, et alors lequel ?

Henrique, je vous remercie encore pour votre éclairage sur les notions latines, car il faut tâcher de comprendre Spinoza non seulement à partir de lui-même (en évacuant nos projections, nos préjugés et nos phantasmes), mais aussi dans le manuscrit originel (donc en latin avec Ethicadb.fr, notamment). Quant aux traductions, elles peuvent nous aider, que ce soit celle de Misrahi, d'Appuhn ou celle de n'importe qui, mais ne doivent pas faire oublier le texte latin qu'elles ne traduisent jamais qu'imparfaitement.


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