être et devenir dans la pensée de Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Miam
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Messagepar Miam » 20 déc. 2010, 20:57

Etre, c'est devenir. Surtout chez Spinoza.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 20 déc. 2010, 21:31

Dans le mesure où c'est être actif , je suis d'accord avec miam .
Activité du corps et de l'esprit . (les deux sont unis ).

"deviens ce que tu es" c'est une maxime ( comme "connait toi toi même ") dont on ne tire rien immédiatement .

Est -ce que Dieu devient ?Je ne comprends pas ,c'est trop imprécis, il y a plusieurs manière de penser le verbe devenir . C' est un terme équivoque .

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Messagepar Miam » 21 déc. 2010, 14:57

Dieu est immuable dans le Court traité et dans l'Ethique. Son essence est éternelle, c'est à dire sans avant ni après. Par conséquent il me semble qu'on ne puisse pas dire que Dieu devient. Il est toutefois le devenir de ce qui devient.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 21 déc. 2010, 20:16

symbiose a écrit :De plus, Pascal Sévérac a écrit un livre intitulé "le devenir actif chez Spinoza", l'action (en opposition à la passivité) nécessite-t'elle donc de devenir?


Bonjour Symbiose,

personnellement je suis beaucoup plus convaincue par Sévérac que par Caillois.

Mais je ne pense pas que chez Spinoza seule l'action nécessite de devenir.

E3P11 scolie:

"Per Laetitiam itaque in sequentibus intelligam passionem, quâ Mens ad majorem perfectionem transit."

"Par Joie j'entendrai donc, dans la suite, une passion par laquelle l'Esprit passe à une plus grande perfection."

La Joie et la Tristesse passives sont des "transitions", des passages d'un état à un autre, d'un mode à un autre. Tout comme la Joie active est un passage à une puissance/perfection plus grande.

A mon sens il ne faut donc pas opposer "être" et "devenir", chez Spinoza. Je dirais plutôt qu'il y a de l'être "immuable" et de l'être "en devenir" ou muable. Et les deux sont plutôt deux "facettes" du seul et même Dieu ou de la seule et même nature:

- lorsqu'on considère les choses du point de vue de l'éternité, il n'y a que de l'être, pas de devenir (ou si l'on veut: il n'y a que de l'être immuable). C'est considérer Dieu en tant qu'il est nature naturante

- en revanche, lorsqu'on considère les choses du point de vue du temps, on considère Dieu en tant que nature naturée, et ici tout devient sans cesse autre chose (l'être en tant que muable).

Enfin, il faudrait préciser en quel sens on peut identifier le point de vue temporel et la nature naturée (je ne pense pas que les deux coïncident de façon absolue), mais si Caillois propose de concevoir l'ontologie spinoziste comme une ontologie où il n'y a pas de devenir, je ne vois pas comment défendre cette idée.

Au cas où tu es à Paris et que cela t'intéresse: Julie Henry fera une conférence consacrée à ce sujet le 5 janvier.

http://aspinoza.over-blog.com/article-j ... 61089.html



(PS à Miam, Sescho et Hokousai: désolée, je n'ai plus poursuivi nos dernières discussions, pourtant intéressantes, à cause du fait que j'ai dû partir à l'étranger; comme je vois que le forum discute de tout autre chose pour l'instant, je ne les reprendrai pas immédiatement, sauf si l'un d'entre vous le souhaitait)

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Messagepar hokousai » 22 déc. 2010, 18:54

chère Louisa

Ce sera un grand plaisir que de vous revoir écrire chez nous qui est aussi chez vous .

bien à vous
hokousai

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Messagepar QueSaitOn » 25 déc. 2010, 14:32

Bonjour,

Je rebondis sur ce post, car il y a un point qui m'a toujours échappé dans l'Ethique, celui qui est relatif à la définition de l'agir.

Dans la définition II de la Partie III:

Quand quelque chose arrive, en nous ou hors de nous, dont nous sommes la cause adéquate, c'est-à-dire (par la Déf. précéd.) quand quelque chose, en sous ou hors de nous, résulte de notre nature et se peut concevoir par elle clairement et distinctement, j'appelle cela agir. Quand, au contraire, quelque chose arrive en nous ou résulte de notre nature, dont nous ne sommes point cause, si ce n'est partiellement, j'appelle cela pâtir.


Le "résulte de notre nature" me pose problème, car cette notion me semble t-il n'est définie nulle part rapportée à l'être humain. On tourne en rond. Car qu'est ce que cette "nature" sinon aussi l'être en devenir ?

Concrêtement, qu'est ce que la liberté d'un trader par exemple de ce point de vue ? Qu'est ce que sa nature ?

Une solution peut être, celle qui est précisément préconisée par Bensayag: introduire le paradigme du paysage, de la situation: être libre est participer au déploiement de la situation. La nature est alors celle qui correspond à l'agir d'un paysage.

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Messagepar symbiose » 26 déc. 2010, 10:54

@Louisa: Il me semble que tout le propos de Spinoza est de traiter l'Être dans son immanence, et surtout pas de lui envisager plusieurs facettes.

Première partie, proposition XIII:
"La substance infinie est indivisible"

En ce sens, la "nature naturée" ne pourrait être qu'un attribut de la "nature naturante" qu'est Dieu. Faudrait-il concilier le Devenir avec l'infinité car tout attribut étant "ce que l'entendement perçoit de la substance comme constituant son essence" et toute substance étant "nécessairement infinie", la "nature naturée" se doit d'être infinie. L'éternel retour nietzschéen avec son "deviens ce que tu es" est peut être l'expression de ce Devenir immanent.

E3P11 scolie:

"Per Laetitiam itaque in sequentibus intelligam passionem, quâ Mens ad majorem perfectionem transit."

"Par Joie j'entendrai donc, dans la suite, une passion par laquelle l'Esprit passe à une plus grande perfection."

Il me manque certainement des connaissances sur le concept de Joie chez Spinoza pour comprendre sa conception des dynamiques de perfectionnement dans une totalité considérée comme immanente et parfaite. Comment perfectionne-ton ce qui est parfait, tout attribut exprimant une essence éternelle et infinie dans une substance (Dieu immanent) absolument infinie et indivisible?

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Messagepar Miam » 26 déc. 2010, 19:01

L'essence de toute chose est infinie et parfaite.
L'existence de toute chose finie est le devenir parfait de son essence.
Selon son degré de perfection infinie.
Autrement dit : l'existence d'une chose finie est la déclinaison temporelle de l'essence éternelle et infinie de Dieu.

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Messagepar Louisa » 26 déc. 2010, 22:44

symbiose a écrit :En ce sens, la "nature naturée" ne pourrait être qu'un attribut de la "nature naturante" qu'est Dieu.


attention, chez Spinoza la nature naturante c'est l'ensemble des attributs qui constituent la substance, alors que la nature naturée est l'ensemble de modifications ou modes de ces attributs.

Voir E1P29 scolie:

"Avant d'aller plus loin, je veux expliquer ici ce qu'il nous faut entendre par Nature naturante, et par Nature naturée, ou plutôt le faire observer. Car j'estime que ce qui précède a déjà mis en évidence que, par Nature naturante, il nous faut entendre ce qui est en soi et se conçoit par soi, autrement dit les attributs de la substance, qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire (...) Dieu considéré en tant que cause libre. Et par naturée, j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de chacun des attributs de Dieu, c'est-à-dire toutes les manières des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu, et qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir."

Ce "en tant que", quatenus, est très fréquent/important chez Spinoza. On pourrait dire qu'en ce sens le spinozisme est un "perspectivisme": on peut toujours considérer les choses et même Dieu sous différents "aspects" ou species.

symbiose a écrit :Faudrait-il concilier le Devenir avec l'infinité car tout attribut étant "ce que l'entendement perçoit de la substance comme constituant son essence" et toute substance étant "nécessairement infinie", la "nature naturée" se doit d'être infinie. L'éternel retour nietzschéen avec son "deviens ce que tu es" est peut être l'expression de ce Devenir immanent.


La nature naturée est certainement infinie: E2P9.

Mais je pense que Pascal Sévérac a raison lorsqu'il montre qu'il n'y a pas de "potentiel" chez Spinoza. Dans ce cas, tout devenir est devenir autre, on ne "réalise" jamais l'une ou l'autre potentialité "toujours déjà là".

symbiose a écrit :E3P11 scolie:

"Per Laetitiam itaque in sequentibus intelligam passionem, quâ Mens ad majorem perfectionem transit."

"Par Joie j'entendrai donc, dans la suite, une passion par laquelle l'Esprit passe à une plus grande perfection."

Il me manque certainement des connaissances sur le concept de Joie chez Spinoza pour comprendre sa conception des dynamiques de perfectionnement dans une totalité considérée comme immanente et parfaite. Comment perfectionne-ton ce qui est parfait, tout attribut exprimant une essence éternelle et infinie dans une substance (Dieu immanent) absolument infinie et indivisible?


l'essentiel, me semble-t-il, c'est de tenir compte du fait que chez Spinoza, toute chose, tout mode ou "manière", a une essence singulière, et cette essence singulière est un degré de puissance précis, expression déterminée de la puissance infinie de l'attribut dont il est l'une des modifications infinies.

Deuxième élément important: puisqu'il n'y a pas de potentiel, tout est toujours déjà "achevé", et en ce sens parfait. Or, l'homme veut sans cesse se parfaire, a toujours l'impression qu'il peut ou pouvait mieux faire. Spinoza décide donc de garder la notion de "perfection", mais en la "réduisant" à un être de raison, une pure "idée" n'existant que dans l'esprit humain.

Préface à l'E4:

"Perfection et imperfection ne sont donc, en vérité, que des manières de penser, à savoir des notions que nous forgeons habituellement de ce que nous comparons entre eux des individus de même genre ou de même espèce: et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut (Défin. 6 p.2) que j'entends, moi, par réalité et par perfection, la même chose. (...) et les comparant entre eux, et trouvons que les uns ont plus d'étantité ou réalité que d'autres, en cela nous disons que les uns sont plus parfaits que d'autres; et, en tant que nous leurs attribuons quelque chose qui enveloppe négation, comme une limite, une fin, une impuissance etc., en cela nous les appelons imparfaits, à cause qu'ils n'affectent pas notre Esprit autant que font ceux que nous appelons parfaits, et non pas parce que leur ferait défaut quelque chose qui leur appartienne, ou bien parce que la Nature aurait péché."

Perfection et imperfections sont donc "relatives", au sens positif du terme: tout dépend du point de vue de celui qui décide d'appeler parfait ou imparfait telle ou telle chose.

Considérée en soi, aucune chose n'est imparfaite. En tant qu'elle est réelle, ou plutôt autant qu'elle est réelle, elle est parfaite. Degré de perfection et degré de réalité/puissance sont une seule et même chose.

Personnellement, je trouve cela extrêmement fort comme idée. Les défauts que l'on voit chez soi-même et chez les autres en vérité n'existent pas, ce ne sont que des négations/privations, qui ne savent nullement exprimer l'essence singulière même de la chose.

Il suffit de comparer cela à la conception des "prêtres", qui vont tout le temps à la chasse des défauts, de soi-même et des autres, pour sentir la portée véritablement révolutionaire d'une telle pensée.

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Messagepar symbiose » 27 déc. 2010, 14:04

@ Louisa:

Merci pour tes commentaires très enrichissants, et désolé de ma méconnaissance de certaines subtilités du corpus spinoziste. Je crois en saisir l'esprit, mais certains liens conceptuels m'échappent.


Tu me dis "Dans ce cas, tout devenir est devenir autre"

Mais Devenir quoi? Un autre attribut? Donc une autre essence éternelle et infinie, "toujours déjà là" pour reprendre tes mots? Nous passerions d'une perfection à une autre? Ou plutôt un autre mode? La perfection passerait alors d'un mode à un autre? C'est ça?


Sinon, comment conclus-tu que "la nature naturée est l'ensemble de modifications ou modes de ces attributs" en lisant: "Et par naturée, j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de chacun des attributs de Dieu, c'est-à-dire toutes les manières des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu, et qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir"?"

"Tout ce qui suit de la nécessité de Dieu" et "toutes les manières des attributs" auraient donc un rapport avec la définition spinoziste du mot mode:"Par mode, j'entends les affections de la substance, autrement dit ce qui est en autre chose. Par quoi il est aussi conçu."

Je n'arrive pas à faire le lien, sauf à peut-être considérer le mode comme un effet à l'attribut, attribut qui serait donc la cause du mode, et mode qui ne serait que l'affection de l'attribut. Me trompé-je?


"l'essentiel, me semble-t-il, c'est de tenir compte du fait que chez Spinoza, toute chose, tout mode ou "manière", a une essence singulière, et cette essence singulière est un degré de puissance précis, expression déterminée de la puissance infinie de l'attribut dont il est l'une des modifications infinies."

L'essence singulière d'un mode serait un degré de puissance précis, ainsi un mode serait l'expression déterminée de la puissance infinie d'un attribut tout en étant une de ses modifications infinies.

Je n'arrive pas à me faire une idée de ce que peut-être "l'expression déterminée de la puissance infinie d'un attribut" surtout si l'on envisage qu'elle soit une modification. Qu'entends-tu pas déterminé? Qu'entends-tu par modification?

"Un degré de puissance précis" est-il envisageable dans un système de "puissance infinie" dans lequel il ne parait pas y avoir d'échelle de valeur (degré) puisque tout est perfection?

Le mode serait-il alors "une pure idée existant dans l'esprit de l'être humain", tout comme la notion de perfection? Qu'entends-tu par réduire la notion de perfection à un être de raison? Quel est le lien entre "perfection" et "raison"? Est-ce le simple fait que le raisonnement spontané de humain l'induit à penser en terme perfection et à seulement comparer les différents modes de l'attribut?

Le mode serait-il un effet trompeur de l'attribut? Notre esprit étant amené à considérer le mode, ce qui en quelque sorte nous affecte précisément, plutôt que d'en saisir l'attribut, c'est à dire la puissance infinie en jeu?

Dans ce cas là nous ne serions que des modes d'attributs infinis, affectés par les modifications de puissances qui nous traversent. Et la pensée des prêtres serait de chercher à juger les modifications tristes (les pertes de puissance) comme un Mal intrinsèque à notre nature humaine, et à condamner tout gain de puissance, toute joie, comme responsable du Mal sur Terre. La recherche du Bien s'apparenterait à un aveux impuissance totale en entretenant les passions tristes. Ai-je bien compris?


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