être et devenir dans la pensée de Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar sescho » 04 janv. 2011, 21:33

Je ne peux suivre tous les échanges. J’interviens donc comme cela me vient dans cet ensemble…

Pour commencer, je n’ai évidemment pas dit qu’à une chose singulière ne correspondait aucune essence (pour qui a quelque mémoire, j’ai déjà dit 100 fois le contraire…et même employé – incorrectement, donc – « essence singulière .») Ce serait tout simplement ridicule : l’essence est l’être d’une chose. Autant une chose est autant elle manifeste d’essence.

Sur cela, E2D2 et E2P10S, etc. le sujet a déjà été débattu depuis longtemps, par exemple dans :

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-106-20.html

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-690 ... sc-40.html

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-780 ... sc-10.html

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-825 ... c-190.html

http://spinozaetnous.org/ftopic-863-20.html

http://spinozaetnous.org/ftopicp-13745.html

Mais je renvoie particulièrement aux interventions de Henrique, entre autres, ici, sur la pertinence de « mode fini. »

Pour autant, ceci ne justifie pas d’employer « essence singulière » (c’est à dire d’attribuer le côté singulier à l’essence même) : tout est essence divine (ce que j’entends : Nature naturante ET naturée), et celle-ci est à la fois éternelle et infinie. Dieu n’est pas soumis au temps ; il n’y a pas de naissance, de durée et de mort dans l’essence divine. Il y a du Mouvement mais pas de limites réelles dans l’Etendue infinie. Les Lois du Mouvement dans l’Etendue qui causent de façon immanente toutes les choses particulières - qui sont donc en elles - ne portent pas d’ « essence singulière. » Il n’y a pas véritablement d’essence singulière, il y a de l’essence autant qu’il y a d’être dans les choses particulières, c’est tout.

Reste à savoir quel être exactement on peut à bon droit attribuer à une chose singulière… Ceci en plaçant les attributs et les modes infinis d’abord, sans aucune entorse, même masquée par la rhétorique…

On peut admettre « essence singulière » comme facilité de langage une fois ceci perçu, mais le problème en général c’est qu’il ne s’agit pas du tout de cela mais d’un nouveau support artificiel à une conception erronée du Monde, qui consiste – quoiqu’on en dise – à placer les choses singulières d’abord et à plaquer Dieu ensuite dessus (ce qui convient très bien à l’égocentrisme, alors, qui se voit – faussement - paré de toutes les vertus, en totale opposition avec ce que montrent – véritablement - ses actes...)

La difficulté vient évidemment de ce que, comme le dit Spinoza dans le TRE, la seule considération des choses éternelles – attributs, modes infinis et leurs lois –, est bien loin de nous permettre de tirer des conclusions concernant les choses particulières. Et comme nous en faisons partie, et que c’est surtout ce qui nous intéresse, outre que c’est ce que nous percevons en premier lieu à l’extérieur, c’est bien embêtant... Si nous voulons progresser, il nous faut donc par nécessité prendre acte tout à trac de ces choses particulières (mais ce n’est pas un vrai saut ontologique, comme celui qui lie les attributs aux modes infinis, c’est un saut méthodologique ; c’est dans ce mouvement que se situent E1P25 et E1P28, selon moi) et raisonner à partir d’elles. La seule façon qui permet de le faire est de considérer les « essences de genre » (part de l’essence commune à toutes les choses particulières du genre ; ceci aussi s’oppose à la tétanisation de l’essence par le singulier) qui montrent une certaine permanence dans la manifestation et ne sont pas insaisissables comme les choses singulières prises globalement (si toutefois « chose singulière » a vraiment un sens, ce qui se discute largement dans un contexte d’interdépendance et d’impermanence sans répit.)

Note : ce qui fait la différence entre une notion générale « comble de la confusion » (E2P40S2 ; ce qui est visé principalement là par Spinoza est l’erreur grave d’en venir à forger des « facultés » per se, cause de « leurs modes », telle « la volonté », qui est traitée peu après), et une autre notion générale support essentiel de la Raison (la meilleure part de l’Homme) telle l’essence commune de genre, tient dans la qualité de la définition :

Spinoza a écrit :TTP4 : Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité
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Messagepar Louisa » 04 janv. 2011, 22:05

Sescho a écrit :Note : ce qui fait la différence entre une notion générale « comble de la confusion » (E2P40S2 ; ce qui est visé principalement là par Spinoza est l’erreur grave d’en venir à forger des « facultés » per se, cause de « leurs modes », telle « la volonté », qui est traitée peu après), et une autre notion générale support essentiel de la Raison (la meilleure part de l’Homme) telle l’essence commune de genre, tient dans la qualité de la définition :

Spinoza a écrit:
TTP4 : Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité…


Je reviens bientôt en détail sur le dernier message de Hokousai et celui de Sescho (en les remerciant déjà tous les deux des objections pertinentes par rapport à ce que je venais d'écrire), mais avant cela juste ceci:

je ne pense pas qu'on puisse utiliser TTP4/6 pour montrer l'existence réelle des "essences communes de genre" chez Spinoza, d'abord et avant tout parce que Spinoza n'y parle pas d'essence mais de nature (et je suis de ceux et celles qui pensent que Spinoza distingue effectivement les deux termes), puis parce que le mot "général" (ou "de genre" n'y figure pas non plus, le texte latin mentionne uniquement le terme "universel" (donc: "déduite de la nature humaine universelle", litéralement (il n'y a pas "prise dans" non plus)).

La question est donc: qu'est-ce que la "nature humaine universelle" pour Spinoza?

Il explique juste avant ce qu'il appelle "universel": "c'est-à-dire commune à tous les hommes".

Or, ce qui est commun à tous ne peut pas constituer l'essence d'une chose singulière (en vertu de l'E2P37). Donc la loi divine dont il est question ici (= aimer Dieu comme le souverain bien, = comprendre que Dieu est notre souverain bien) a été déduite de ce que tous les hommes ont en commun et qui pour cette raison même ne peut constituer une essence singulière, ou l'essence de tel ou tel homme singulier.

Autrement dit: les propriétés communes ne constituent pas les essences des choses. C'est pourquoi Spinoza parle d'une nature humaine universelle, et non pas d'une "essence commune de genre".

"Essence commune" est une contradiction dans les termes, dans le spinozisme. Car:

Spinoza a écrit :Si tu le nies, conçois, si c'est possible, que cela (= ce qui est commun à tout, louisa) constitue l'essence d'une chose singulière; disons, l'essence de B. C'est donc (par la Déf.2 de cette p.) que sans B cela ne pourra ni être, ni se concevoir; or cela est contre l'Hypothèse: Donc cela n'appartient pas à l'essence de B, et ne constitue pas l'essence d'une autre chose singulière.


On ne peut pas faire l'économie de la définition de ce qui constitue l'essence d'une chose singulière, si l'on veut savoir ce que c'est, dans le spinozisme. C'est à cause de cette définition que la possibilitè d'avoir quelque chose de réel qui serait une essence de genre disparaît inévitablement. On peut toujours classifier les choses dans des genres et espèces, mais ces classifications sont des êtres de raison, et non pas, comme dans le platonisme ou aristotélisme, des essences qui existent réellement en dehors de l'Esprit humain.

(Soit dit en passant: je pense que les traducteurs de Spinoza de la génération précédente ont injecté pas mal de platonismes dans le texte. Raison pour laquelle je préfère les traductions de Pautrat pour l'Ethique et la nouvelle traduction du TTP de Moreau et Lagrée, qui restent beaucoup plus fidèles au texte latin et donc sont beaucoup plus neutres).

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Messagepar sescho » 04 janv. 2011, 23:50

hokousai a écrit :Pour Spinoza la connaissance des essences des choses (sans précision ) est antérieure à la connaissance de la nature de Dieu .
Désolé Sescho mais c'est ce qu'il écrit dans pensées métaphysiques partie chap 2.

Je n'ai rien à redire là-dessus ; Spinoza dit bien aussi dans l'Éthique que c'est la communauté de nature entre percevant et perçu qui porte la connaissance - adéquate - de Dieu.

Mais "connaissance" n'implique pas "adéquat", "clair et distinct", et nous n'en restons pas, et de très loin, fort heureusement, aux sensations primaires chez Spinoza...

hokousai a écrit :on pourrait se demander comment nous connaissons les essences des choses avant de connaitre la nature de Diue " cela provient de ce que les choses sont déjà créées ( ah tiens donc )
Voila donc l'ordre de philosopher contredit par les faits .!!!

Ce n'est pas du philosopher, cela, et l'ordre requis pour philosopher est bien indiqué par Spinoza soi-même :

Spinoza a écrit :E2P10S : ... la plupart des philosophes ... n’ont pas gardé l’ordre philosophique des idées. La nature divine, qu’ils devaient avant tout contempler, parce qu’elle est la première, aussi bien dans l’ordre des connaissances que dans l’ordre des choses, ils l’ont mise la dernière ; et ces choses qu’on appelle objet des sens, ils les ont jugées antérieures à tout le reste. Or voici ce qui est arrivé : pendant qu’ils considéraient les choses naturelles, il n’est rien à quoi ils songeassent moins qu’à la nature divine ; puis, quand ils ont élevé leur esprit à la contemplation de la nature divine, ils ont complètement oublié ces premières imaginations dont ils avaient construit leur science des choses naturelles ; et il est vrai de dire qu’elles ne pouvaient les aider en rien à la connaissance de la nature divine, de façon qu’il ne faut point être surpris de les voir se contredire de temps en temps ...

L'auteur lui-même ne pouvait mieux dire à l'avance la racine des nombreux contresens qui émaillent certains commentaires...

En passant, ont voit dans le reste du passage que, sans aucunement entamer en quoi que ce soit l'immanence, Dieu transcende les choses particulières. Les choses particulières sont en Dieu mais Dieu n'est pas en elles. Le Mouvement dans l'Étendue transcende les corps, tout en en étant la cause immanente.

Spinoza dit en outre, dans ces mêmes PM :

Spinoza a écrit :PM1Ch2 : … l'Être de l'Essence n'est rien d'autre que la façon dont les choses créées sont comprises dans les attributs de Dieu ; …

… l'essence formelle n'est point par soi et n'est pas non plus créée ; car l'un et l'autre impliqueraient une chose existant en acte ; mais qu'elle dépend de la seule essence divine où tout est contenu ; et qu'ainsi en ce sens nous approuvons ceux qui disent que les essences des choses sont éternelles. …

PM1Ch3 : … non seulement l’existence des choses créées mais encore, ainsi que nous le démontrerons plus tard dans la deuxième partie avec la dernière évidence, leur essence et leur nature dépend du seul décret de Dieu. D’où il suit clairement que les choses créées n’ont d’elles-mêmes aucune nécessité : puisqu’elles n’ont d’elles-mêmes aucune essence et n’existent pas par elles-mêmes.

… cette sorte de nécessité qui est dans les choses créées par la force de leur cause peut être relative ou à leur essence ou à leur existence ; car, dans les choses créées, elles se distinguent l’une de l’autre. L’essence dépend des seules lois éternelles de la Nature, l’existence de la succession et de l’ordre des causes. ...

PM2Ch1 : … la durée ne peut du tout appartenir aux essences des choses. Personne ne dira jamais que l’essence du cercle ou du triangle, en tant qu’elle est une vérité éternelle, a duré un temps plus long maintenant qu’au temps d’Adam. ...

… toutes les choses créées, tandis qu’elles jouissent de la durée et de l’existence présente, ne possèdent en aucune façon la future, puisqu’elle doit leur être continûment accordée ; mais de leur essence on ne peut rien dire de semblable …


hokousai a écrit :Ces vérité éternelles (que sont les essences ) ne sont réelles en tant que vérités que si des modes réels existent ( ou ont existé ou existeront )...

Oui, avec les 3 temps ; il n'y a pas de différence entre la puissance de Dieu et son essence : tout être dit "possible" en référence au temps vient à un moment ou un autre à la manifestation.

Mais tant que vous partirez des choses singulières et donc du temps (en leur concédant par-là un être en soi), même si c'est pour plaquer ensuite une éternité par là-dessus, je pense que vous ne pourrez pas vraiment comprendre (et rappelons-le, le Védanta, considéré très proche du Bouddhisme y compris par les spécialistes, dit exactement la même chose. Ce que vous appelez "réel" y est même appelé "irréel", du fait de l'absence d'être en soi, précisément.)

Tout est dans la Nature (et donc est un "être en autre chose"), et celle-ci est éternelle et donc immuable. L'essence (toute essence) est la nature de la Nature, et est donc de même éternelle et immuable. On ne peut penser l'essence avec Spinoza que dans ce cadre. La Nature (naturante comme naturée) n'est pas soumise au temps. Il faut donc pour concevoir l'essence la rapporter à tout être sans référence au temps ("tout être possible : passé, présent, à venir" si l'on ne peut s'empêcher de faire malgré tout une concession au temps, mais c'est une incorrection). Comme indiqué, on peut le comprendre de façon beaucoup plus intuitive en voyant que toutes les choses singulières tiennent aux seuls attributs et lois de mouvement, lesquelles sont éternelles.

Amicalement
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Messagepar hokousai » 05 janv. 2011, 00:55

à Sescho

Mais tant que vous partirez des choses singulières et donc du temps

Mais est- ce que Spinoza dit qu'il faut partir de ? Partir c'est s'engager dans la contrée du manque . Nous ne retirons rien de la vacuité parce que nous n'y sommes pas .

Partir de Dieu ou partir des choses singulières ? Spinoza nous dit que tout est donné d'un coup dans une connaissance intuitive .
Ce n'est pas une illumination mystique .C'est un regard intellectuel porté sur les choses singulières .
Car sur quoi d'autres voulez -vous porter le regard ?

conscient de soi ET de Dieu ET des choses avec une certaine nécessité éternelle

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Messagepar hokousai » 05 janv. 2011, 01:20

je pense que j' aurais mieux fait de me taire ...mais votre message est si sympathique ...

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Messagepar Louisa » 05 janv. 2011, 05:17

Hokousai a écrit :Je tire quelque chose ( de mon pt de vue Spinoza le pense ainsi ) de l'existence réelle de mon corps éprouvée comme telle .
Je ne tire rien du savoir de l'essence de mon corps laquelle n'enveloppe pas a priori l'existence .
A supposer que les essences des choses singulières existent comme vérités éternelles ,existent dans l'entendement infini de Dieu , je n'en tire rien tant que je n'ai pas éprouvée la réalité de telle ou telle existence singulière( et particulièrement celle de mon corps qui est l'objet de mon esprit ) .
C'est ce que Spinoza dit de la connaissance du troisième genre . "concevoir les choses ,par l'essence de Dieu comme des étants réels autrement dit en tant quelles enveloppent l' existence"


Cher Hokousai,

je pense pouvoir comprendre ce que vous dites, mais je dirais que vous ne vous livrez pas entièrement à l'exercice ou expérience que Spinoza propose, si j'ose dire.

Je pense que vous avez tout à fait raison lorsque vous insistez sur le fait que dans le spinozisme, on ne part pas de Dieu, le concept de Dieu doit être construit. On part de l'expérience, de quelques définitions nominales, et de quelques notions communes ou axiomes. Ces axiomes portent sur le monde tel qu'on le connaît, le monde des choses singulières, existant dans le temps.

Donc là-dessus, je suis d'accord avec vous, et je ne comprends pas comment Sescho pourrait nier cela (à mon avis c'est nier toutes les premières pages de l'Ethique).

En revanche, je crois qu'il a néanmoins raison lorsqu'il essaie de dépasser le niveau du temps pour arriver, comme le dit Spinoza, le "plus vite possible" à l'idée adéquate de Dieu, car sans cette idée et ce qui s'en suit, on ne sait pas concevoir les choses singulières comme des modes. Ce que vous semblez faire c'est en rester au niveau temporel et "athéiste", dans un monde où ne ne demeure qu'une idée, et non pas quelque chose que l'on peut expérimenter. Alors que justement, Spinoza nous invite à l'expérimenter, ce Dieu qui n'est rien d'autre que la substance.

Comment l'expérimenter? D'abord en construisant une idée adéquate de Dieu. Puis en construisant une idée adéquate de l'Esprit. Et enfin en déduisant de ces deux idées l'éternité de votre essence singulière (et ce n'est qu'à ce niveau-ci que l'interprétation proposée par Sescho et la mienne se sépare (à mon sens parce que d'une part il se base sur des traductions anciennes et tout sauf neutres, d'autre part parce qu'il interprète le texte par le biais de critères externes (les idées bouddhistes auxquelles il adhère, et qui selon lui doivent coincider avec le spinozisme puisque les grands esprits ne peuvent pas avoir pensé des choses différentes)).

Ce que fait Spinoza dans la deuxième partie de l'E5, c'est nous faire "expérimenter et sentir que nous sommes éternels", en montrant l'éternité de notre Esprit (mais l'Esprit n'est rien d'autre que l'idée du Corps) de façon "intuitive", c'est-à-dire en ne se basant que sur notre expérience personnelle en tant que chose singulière quelconque. Mais entre-temps, il nous a également fait "expérimenter" Dieu. Ce sont les deux expériences ensembles qui permettent d'avoir accès à l'éternité de notre Esprit.

De mon point de vue, c'est comme si vous sautez immédiatement à la fin de livre 5, pour nous dire que l'expérience ne marche pas, que vous êtes bien d'accord de partir du singulier, et que cela ne donne rien, vous ne sentez pas l'éternité de votre essence singulière. Je pense que Spinoza répondrait qu'il n'a pas écrit ce qui précède pour rien, et que donc il faut d'abord expérimenter, ou retrouver, l'idée adéquate de l'essence de Dieu en soi, avant que cela ne marche.

Tandis que Sescho semble sauter le livre 2 et surtout la définition 2 (définition de ce qui constitue l'essence d'une chose singulière), pour n'admettre que le niveau de l'essence de la substance, défaite de ses modes.

Si lui n'accepte, sur base de sa lecture du bouddhisme, que l'essence éternelle de la substance et rejette les modes dans la temporalité, et si vous n'acceptez que des modes temporels, je comprends que vous n'allez pas être d'accord l'un avec l'autre. Mais de mon point de vue, vous proposez tous les deux des spinozismes "tronqués", et la raison principale en est que vous introduisez tous les deux des critères extérieurs au spinozisme pour interpréter le texte (dans votre cas: ce que vous trouvez évident vous, et que par conséquent vous imaginez que Spinoza ne peut pas avoir rejetté, et inversément; vous ne pouvez pas vous imaginer que Spinoza a pensé que l'essence singulière du corps est éternelle, par exemple, simplement parce que selon vous une telle idée est absurde, ce qui est un autre argument qu'un argument textuel, c'est un argument extérieur au texte).

Un spinozisme "non tronqué" signifie à mon sens qu'il faut reconnaître qu'il n'y a que deux choses qui existent: les attributs (= l'essence de la substance), et les affections de ses attributs ou modes. Les deux peuvent être considérés du point de vue de la temporalité (celui que vous adoptez, et que Sescho rejette), mais également du point de vue de l'éternité (ce que vous rejettez, et ce que Sescho rejette lorsqu'il s'agit des essences singulières, mais qu'il accepte pour l'essence divine).

Pour Sescho il'n y a qu'une réalité, celle de l'essence de la nature, homogène et amorphe. Tout ce qu'on connaît dans le monde, tout ce qui est singulier est illusion, ou irréel. Pour vous il n'y a que ce monde et tout ce qu'on voit et peut sentir, le reste est illusion. Pour moi Spinoza échappe à ses deux impasses, en introduisant le rapport attribut-mode.

Hokousai a écrit :
sur les essences de genre je vous ai montré que Spinoza dans le TRE pensaient qu'elles existent non seulement comme vérité éternelles mais plus ,comme causes prochaines des choses singulières .
Là Spinoza s'engage nettement plus que de les comprendre comme des êtres de raison .


Disons que vous avez montré que Spinoza y utilise les notions "universel" et "genres de définitions".

Mais comment comprendre ce passage ... ?

Et comment sauter, comme vous voulez le faire, de "genres de définitions" à "essences de genre" ... ? D'autant plus que juste avant, Spinoza nous dit que si nous voulons arriver à avoir des idées vraies, il faut éviter tout ce qui est abstrait et universel car cela "interrompt le vrai progrès de l'entendement". Et même lorsqu'il propose de considérer les "choses fixes et éternelles" comme universelles, il dit qu'elles sont ainsi pour nous, et elles sont comme des universels ou des genres de définitions. Ce tanquam indique bien qu'il ne s'agit que d'une analogie, et rien de plus.

Aussi serait-ce à mon sens un contresens d'interpréter le démonstratif "celle-ci" dans "Mais celle-ci doit être demandée aux choses fixes et éternelles, et en même temps aux lois inscrites dans ces choses (...) lois selon lesquelles toutes les choses singulières se font et s'ordonnent; (...)" comme référant à "l'essence intime des choses". Le haec réfère à mon avis à la "série", dont il est question plus haut. Ce sont les choses fixes (je comprends: les attributs) qui peuvent donner une idée de la série des choses, la "série" des choses étant l'ordre et la connexion des choses.

Bref, je ne vois pas comment tirer de ce passage l'idée qu'il existerait quelque chose comme l'essence du genre "homme", par exemple.

Et encore une fois, je pense qu'il ne faut pas oublier que la grande innovation spinoziste, celle de considérer les choses singulières comme des modes d'une substance (et qui ont un être qui n'est pas constitué par l'essence de cette substance, comme il le dit dans l'Ethique), est ici absente. L'avait-il déjà trouvée mais ne voulait-il pas la mentionner ici? Ou fallait-il même encore la découvrir ou en élaborer les conséquences principales ... ? Toujours est-il que c'est à mon sens cette invention, ensemble avec la définition de l'essence singulière, qui rend toute existence réelle d'essence de genre inconcevable, chez Spinoza.
Modifié en dernier par Louisa le 05 janv. 2011, 06:16, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 05 janv. 2011, 05:38

symbiose a écrit :"Or on vient de dire qu'il existe bel et bien des essences singulières, qui se distinguent notamment de l'essence de la substance par le fait qu'elles sont postérieures à cette essence, mais aussi par le fait que leur essence n'enveloppe pas l'existence (c'est-à-dire qu'elles ne sont pas cause de soi)"

Je n'ai jamais dit que les essences singulières étaient postérieures à l'essence de la substance, elles sont conséquences, mais pas postérieures. Il ne faut pas confondre cause et antériorité, tout comme il ne faudrait pas confondre conséquence et postériorité.


Je ne suis pas certaine de bien comprendre la distinction que vous voulez faire entre conséquence et postériorité.

Pour autant que je sache, on utilise d'habitude (en philosophie) le terme "postérieur" pour ce qui est une conséquence logique, sachant que du point de vue logique effet et cause peuvent éventuellement se produire "en même temps", sans que l'effet n'ait lieu à un moment plus tardif dans le temps que la cause.

En ce sens, dire que les essences singulières sont postérieures à l'essence de la substance, c'est ne rien dire d'autre que que les essences singulières (ou les choses singulières tout court) suivent de, sont des conséquences logiques de, des affection de, des modifications de, des attributs, et certainement pas qu'elles se produiraient "plus tard" que les atributs eux-mêmes.

Si vous n'êtes pas d'accord avec cela, comment pensez-vous qu'il faudrait comprendre "postérieur"?

symbiose a écrit :Comment pouvez-vous affirmer (et je vous donne raison pour la première proposition) que l'infini immanent ne peut avoir de repères temporels et ensuite nous imposer une antériorité de la substance sur les essences singulières. Soit on choisit la temporalité soit on l'exclut, mais on n'en use pas quand cela nous intéresse.


oui bien sûr. J'espère que ce que je viens d'écrire clarifie les choses: dire que les modes ou affections sont postérieurs à l'essence de la substances (c'est-à-dire aux attributs, E1P1), ce n'est pas parler d'un ordre temporel, mais seulement d'un ordre logique. Donc je dirais: on exclut la temporalité, on se situe ici du point de vue de l'éternité, où tout est donné simul.

symbiose a écrit :Un plan d'immanence est infini, la cause et ses conséquences y exercent leurs puissances à l'infini dans ce lien où la cause nécessite ses conséquences.


en effet, tout à fait d'accord.

symbiose a écrit :L'immanence spinoziste se différencie clairement de la transcendance platonicienne en acceptant une cause comme simultanée à ses effets, car pensée dans l'infini absolu, et non dans un infini temporalisé.

A refuser cette différence, vous restez dans le sens commun (avec un début et une suite) et donnez raison à Hokousai.


non en effet, sur ce point je vous rejoins et ne suis pas d'accord avec Hokousai (dans la mesure où il dit qu'accepter des essences singulières qui seraient éternelles c'est un platonisme; cela ne l'est pas, notamment parce qu'il y a immanence, en effet; autrement dit, il ne suffit pas d'avoir des idées éternelles pour déjà avoir un platonisme, il faut aussi transcendance (ET il faut aussi que ces idées soit des idées d'espèces ou de genres, et non pas des idées singulières, alors que chez Spinoza il s'agit d'idées singulières - mais c'est précisément cela que Sescho conteste ...).

symbiose a écrit :Sinon, en ce qui concerne E2P8, pour appuyer votre position, cette dernière interdit toute possibilité de différencier idée de l'essence d'un mode et essence d'un mode. "Les idées des choses singulières [...] doivent être comprises [...] de la même façon que les essences formelles", et ceci dans le même rapport que "l'idée infinie de Dieu" avec ses "attributs". Si Hokousai arrive à nous séparer Dieu de ses attributs, je veux bien alors qu'il nous sépare l'idée de l'essence d'un mode de son essence. Sinon, c'est absurde.


en effet, mais je pense qu'il va falloir développer l'argument avant qu'il ne devienne clair pour ceux qui ne l'acceptent pas.

C'est en effet le parallélisme qui fait qu'à mon sens on ne peut pas attributer l'éternité à l'Esprit seul, puisque l'Esprit est toujours l'idée du Corps, et rien d'autre. Donc si l'essence singulière d'une chose singulière est éternelle, c'est bel et bien l'essence de la chose telle qu'elle est constituée des modifications précises des attributs de Dieu, ce qui dans le cas de l'homme signifie un Corps et un Esprit, et donc une essence de Corps et une essence d'Esprit (ou essence objective (idée) et essence formelle (corps)).

Ceci étant dit, cela nous ferait dire que l'essence de l'Esprit est l'idée de l'essence du Corps. Je crois me souvenir que quelqu'un avait un jour proposé un argument sur ce forum qui mettait cela en question. Je vais essayer de me souvenir de son pseudo et de retrouver le message en question.

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Messagepar symbiose » 05 janv. 2011, 09:30

Louisa, vous me dites:

"Il est simplement normal que certains de vos arguments concernant le texte de Spinoza ne parleront pas à certains interlocuteurs, seront ignorés, ou ne les convaincront pas. Y ajouter de longues tirades et des bilans de leur supposée "vie intellectuelle" n'y changera rien."

Dans ce cas là, autant lire et argumenter sur les parties des textes de Spinoza qui nous plaisent pour lui faire dire ce qui nous plait. A la manière de Hokousai et Sescho. Soit on comprend la logique globale d'un interlocuteur, en ayant à l'esprit les étapes de son argumentation, soit on parle dans le vide, et surtout à soi-même.

Prendre en compte l'ensemble de la pensée d'un autre forumeur c'est démontrer notre capacité à saisir l'ensemble de la pensée du philosophe que nous commentons en groupe. Si le peu d'arguments à traiter dans un post nous dépassent, qu'en est-il alors de notre maitrise d'une œuvre philosophique entière?

On est difficilement convaincu d'une vérité que l'on préfère ignorer pour ne pas avoir à se remettre en cause...
Modifié en dernier par symbiose le 05 janv. 2011, 10:06, modifié 1 fois.

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Messagepar symbiose » 05 janv. 2011, 09:58

@ JLT: moi aussi, je vous fais de gros calins bisounours, et vous souhaite une année pleine d'humilité et de modestie. Je vous souhaite surtout de continuer d'étaler vos bons sentiments et d'aussi peu nous faire don de vos capacités de réflexion (et ça se pense généreux...). A n'en point douter, vous les cachez pour ne pas trop "briller"; j'appréhende déjà d'être ébloui.

"Si, il est vrai, la voie que je viens d'indiquer paraît très ardue, on peut cependant la trouver. Et cela certes doit être ardu, qui se trouve si rarement. Car comment serait-il possible, si le salut était là, à notre portée et qu'on pût le trouver sans grande peine, qu'il fût négligé par presque tous? Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare." (E5PropXLII-Scolie)

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Messagepar symbiose » 05 janv. 2011, 11:24

A TOUT LE MONDE:

Dois-je vous rappeler que Spinoza a toujours combattu toutes vos vertus et bien pensances?

On se croirait dans un vrai cercle monacal! Spinoza ce n'est pas de scolastique!

L'humilité et la gentillesse dont vous faites preuve est une véritable hypocrisie. Vous me reprochez mon comportement pour mieux déguiser le vôtre.

L'ambition, la vanité, l'orgueil sont des choses propres à chacun d'entre nous. Et Spinoza ne dit qu'une seule chose dans la 5eme partie de l'Ethique: acceptez-les, admettez-les, et voyez ce que vous pouvez en faire de bon (ce qui ne vous rendra pas humble pour autant; tout au contraire, vous cesserez de vous illusionner!).

Sur ce forum, rares sont ceux d'entre vous qui en font quoique ce soit, car en se persuadant d'être humbles et sympathiques, en vous contraignant à l'être ou vous flattant de l'être devenus, vous entretenez d'autant plus vos vices, ce qui limite vos capacités de penser.

Votre analyse froide et désincarnée des écrits de Spinoza, sans mettre vos tripes sur la table, la rend infructueuse et en fausse les conclusions.

Que chacun vienne admettre ses prétentions, les pulsions qui vous on amené à ramener votre fraise sur ce forum, les impuissances que masquent vos principes moralisateurs, plutôt que de vous cacher sous les apparences d'une étude neutre et objective. Arrêtez de chercher à ressembler à des saints.

La raison ne doit pas analyser la raison, la raison doit prendre en compte et analyser les affects. Le Corps. Le Spinozisme est une philosophie pratique, si on n'accepte pas de jouer le jeu, on ne peut que lui faire dire le contraire de son contenu.

Donc, commençons pas nous comporter comme des spinozistes, en admettant les affects qui nous poussent ici, en n'épargnant pas notre bonne conscience, sans haine ni amour, mais par raison.

Inutile de vouloir prétendre être inoffensif pour les autres, mieux vaut assumer son agressivité pour la mettre au service de la raison.

Pour l'instant je ne constate que des pensées limitées par trop d'inhibitions et de bons sentiments, qui cachent d'autant plus de vices et de méchanceté.

Ceux qui s'affligent le plus de la méchanceté ou du manque de cordialité d'autrui, en se parant de leurs plus beaux habits de sainteté, sont ceux dont la rancœur envers la vie est la plus grande, ceux dont la fortune a été malheureuse, les affectant au point de rendre leur âme impuissante.


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