Transcendance et immanence: l'identité en question.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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symbiose
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Transcendance et immanence: l'identité en question.

Messagepar symbiose » 25 déc. 2010, 19:57

Bonjour, un petit exposé d'inspiration spinoziste sur la conscience de soi assujettie aux notions de Bien et de Mal. En quoi la notion d'identité couramment admise pour définir un être humain s'oppose à l'immanente singularité des attributs de l'Être Spinoziste. Ou comment les prêtres critiqués par Spinoza exercent toujours leur tyrannie des passions tristes sous d'autres habits, prétendument modernes telles que la psychanalyse et les idéologies politiques (libérale comme marxiste).

Comment se libérer de la culpabilité pour accéder à la joie de vivre sans cas de conscience? Peut-être en se libérant de l'idée que l'on se fait de notre personnalité et ainsi que du rapport de notre pensée au monde qu'elle questionne:


La conscience est une instance qui bloque immanquablement nos ratés et nos réussites dans une dialectique du Bien et du Mal, même si ces termes peuvent dorénavant paraître démodés. Appelez le Mal névrose ou violence si cela vous plaît, l'enjeu de mon propos est bien d'en démontrer la triste actualité. Les pulsions perverses inconscientes de l'homme ne cesseraient de le tracasser, dit-on, tout comme l'homme aurait besoin de respecter des lois pour respecter ses congénères. Sans conscience l'homme serait, parait-il, mauvais, mais il n'en est rien. Face à notre incapacité à trouver les bonnes voies d'épanouissement de nos puissances respectives, les prêtres (religieux, psychanalystes, politiques) ont inventé ce fourre-tout intimiste du "Mal Idéel" dans lequel chacun abandonne ses douleurs considérées comme provenant d'une seule et même source transcendante, le "Bien Interdit", qui scellerait éternellement le destin de nos impuissances comme conséquence de son essence inaccessible.
L'humain est, de ce point de vue, condamné à souffrir de son vivant, condamné à être frustré, condamné à la violence. C'est dans sa nature. Le prêtre constate les raisons de cette damnation, et vise le Bien, tout du moins la limitation du Mal, en nous invitant à une terrible prise de conscience.

L'idéalisme cherche la félicité en acceptant les contraintes que le Mal imposerait pour accéder au Bien. A vouloir s'en émanciper nous ne ferions que toujours plus nous enfoncer dans l'horreur. Ainsi pouvons-nous dire que les prêtres en inventant le Bien, tout en en interdisant l'accès, ont inventé le Mal. L'idéalisme ne consiste pas à souhaiter des choses impossibles, mais à constituer les fondements même de leur impossibilité. La transcendance du raté est la marque même de l'idéalisme. L'idéalisme ne se développe que sur une pourriture dont il établit lui-même l'immuable réalité comme interdit d'une quelconque joie immanente. Ainsi en va-t-il de l'expulsion d'Adam et Eve du Paradis, qui en souhaitant accéder à la connaissance du Bien et du Mal mirent fin à leurs vies joyeuses. Les concepts de Bien et de Mal sont corrélatifs de celui de Faute, car l'idée du Bien nous étant interdite, la Faute lui sert de miroir réfléchissant l'idéation du Mal, du raté, de ce qui provoque la souffrance. La Faute, c'est le Bien et le Mal réunis dans une dialectique aliénante. Une fois la pomme croquée, la faute d'Eve provoqua la désolation et par là même sa prise de conscience.

Cependant, contrairement aux dires du prêtre, la conscience loin d'être l'instance de réflexion de l'interdit transcendant qui nous séparerait de nos vices, refoulerait dans l'inconscient nos pulsions inavouables, ou limiterait nos comportements sauvages, est la possibilité offerte à chacun de continuer à avancer malgré ses ratés et ses impuissances, sans tenter de s'y réconcilier, en généralisant abusivement leur dangerosité par le biais de Fautes totalisantes, et de se forger une identité malade qui permette d'accéder à une dignité morbide tout en menant une triste existence dans le regard compassionnel et empathique d'autrui. Chacun abandonne au prêtre ses ratés singuliers réduits par ce dernier à un Mal partagé. Notre Mal est le Mal d'autrui. Ainsi, chacun sera amené à souhaiter notre bien, en visant un Bien commun dont on ne se représentera l'essence qu'à travers les fautes à abjurer. Il faut prendre conscience du Mal pour viser le Bien. Nos souffrances et frustrations comme signes de nos vices et péchés, de pulsions incestueuses, ou encore d'une tare commune à l'espèce ou à la vie (la violence) généralisent nos insuffisances que les prêtres religieux, laïcs, ou politiques, se donneront comme mission de résoudre, en sauvant nos âmes, en soignant nos névroses, ou en encadrant nos comportements. Ceci en nous promettant le Bien à travers l'acceptation d'un Mal intrinsèque à notre nature.

Le prêtre en inventant la conscience a crée l'humilité mais aussi, et surtout, le narcissisme. Regarder son nombril et s'écouter parler est devenu par son intermédiaire un signe de civilité, d'autant plus moral qu'il est honteux. Ainsi se construit notre conscience. Le Mal comme représentation négative et nécessaire du Bien. Le Bien Interdit comme raison nécessaire au Mal. Dieu c'est la Faute: le Bien et le Mal réunis. Nous ne connaitrons de Dieu que le Mal, que notre déchéance idéalisée, sans jamais atteindre le Bien d'une autre façon que par l'intermédiaire du constat d'un Mal qui nous ronge. Les vertus endiguent le Mal, mais leur somme ne représente pas pour autant le Bien. Le Mal est intrinsèque à toutes ses composantes alors que le Bien reste inaccessible. Le Mal est en nous, le Bien est à reconquérir par un retour réflexif de notre conscience. Ainsi la satisfaction de soi va-t-elle de pair avec sa condamnation, le besoin d'être fier de soi avec la nécessité de rester humble: la représentation comme nécessaire au cheminement de son dépassement. Il faut avouer le Mal pour accéder au Bien. Il faut confesser ses vices pour être pardonné. Il faut accéder à ses pulsions perverses pour s'oedipianiser, il faut admettre sa dangerosité pour améliorer l'ordre social. Il faut assumer sa nature pour mieux la "sublimer": absolu opposé de la conception divine de Spinoza qui ne concevait Dieu que dans l'immanence béate de ses attributs, sans jamais interposer de Faute entre lui et ses supposées malheureuses créatures.

Affirmer son individualité revient à noyer sa singularité dans un triste destin commun. De la responsabilité individuelle dans la souffrance collective. L'homme serait un loup pour l'homme. Même l'individualisme contemporain et son culte du Moi sont les héritiers de la conscience pastorale: le libéralisme pense la place de l'individu dans ce qu'elle a de Bon pour la société. La nature humaine est égoïste, ce qui est (très) Mal, mais les égoïsmes réunis dans un système libéral visent le Bien. Un bien imparfait en ce bas monde, car sans espoir d'éradiquer totalement notre nature intrinsèquement malheureuse. En cela l'individualité est le strict opposé de la singularité qui ne confond pas la représentation de soi avec sa propre puissance, la représentation n'étant en réalité que l'expression d'une profonde impuissance. La singularité n'a que faire de la collectivité aux aboies, et de sa soit-disant responsabilité dans cette dramaturgie alimentée par l'impuissance de ses protagonistes. Au contraire, elle se lie à d'autres singularités exerçant tout autant leur pleine puissance. Mais combien d'êtres humains peuvent-ils prétendre à une telle immanence? Avec combien d'attitudes morbides, combien de comportements inhibés, un être singulier doit-il faire de pathétiques compromis? Le moins possible... sauf à développer et à entretenir en lui cette même tristesse qui poussent les plus faibles d'entre nous aux portes des églises, sur les divans des psychanalystes, ou à se laisser persuader par des idéologies politiques.

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Messagepar Miam » 25 déc. 2010, 22:06

Pas mal. je suis assez d'accord avec ce que vous avez produit.
Mais je ne suis pas sûr que cela plaira à tous les participants de ce forum.
Ca m'a l'air aussi d'inspiration nietzschéenne ou me tromperais-je ?
Si vous avez trouvé cela tout seul et le mettez en pratique, c'est qu'aux yeux des psys de tout accabit, vous devez être un dangereux psychotique.

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Messagepar symbiose » 25 déc. 2010, 22:26

@ Miam: On peut me penser nietzschéen à la seule lumière de Gilles Deleuze dans "Spinoza, philosophie pratique". Le philosophe contemporain y démontre clairement les parallélismes entre l'immanence spinoziste et la volonté de puissance nietzschéenne.

Heureusement pour moi l'antipsychiatrie, et son instrument thérapeutique qu'est la schizoanalyse, développée par Félix Guattari et Gilles Deleuze, ne m'imposeront pas de camisole de force pour les propos que j'ose tenir!

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Messagepar Miam » 26 déc. 2010, 00:05

Je vous salue, Symbiose !


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