L'Esprit selon Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 27 sept. 2011, 05:25

Bonjour recherche,
recherche a écrit :Puis-je t'en demander la raison ?

Parce que ta question d'origine était "qu'est-ce que l'esprit" et pas "qu'est-ce que la pensée". Il se trouve que pour les neurosciences, c'est la même chose mais pas pour Spinoza. La question de la pensée elle-même touche à l'ontologique, à une logique pure, alors que l'esprit (humain) est pour Spinoza le développement d'un mode de pensée (humain). Ce qui pour le mode d'explication scientifique classique, bottom-up, est émergence, est pour le système top-down de Spinoza l'accès à une réalité toujours déjà-là dont l'esprit humain est un mode, une manière d'être.
Mais qu'on parte sur un mode explicatif où un autre, les construction passent par des étapes communes. Ce serait dommage de ne pas voir comment Spinoza conçoit le développement de l'esprit humain, organise les capacités cognitives (3 genres de connaissance), le rôle des affects, le rapport au comportement, comment certains concepts se distribuent sous forme physique et mentale, tandis que d'autres sont réservés à une seule des expressions etc.
En fait, plutôt que la nature de la pensée elle-même, la plus grande partie de l'Ethique concerne l'esprit humain, une exploration de ses mécanismes, ses aptitudes, son évolution de la débilité enfantine à la sagesse. Qu'on en parle en neurobiologiste ou en psychologue, c'est le même processus.

Je suis d'avis que les pratiques scientifiques impliquent une ontologie implicite, et quand l'activité consiste à étudier un cerveau pour expliquer des fonctions cognitives, forcément on tend à identifier l'être même de la pensée à ces fonctions, et comme source de celles-ci la matière cérébrale. Il est naturel qu'un neurobiologiste tende à définir la pensée comme produit du cerveau et, à la limite, c'est comme cela qu'il peut apporter une connaissance sur le fonctionnement de notre mode de pensée, sans avoir à se soucier de ce qu'une conception "informationnelle" de la physique produira comme idées.

Et si la pratique est du type de Varela, on a une ontologie implicite plutôt paralléliste puisqu'on conserve le sujet et le cerveau, avec une tendance kantienne voire existentialiste (ego transcendantal, question des qualia etc.) vu le rôle de l'expression subjective.
recherche a écrit :Je suis plutôt surpris par ton revirement, dans la mesure où tu semblais avoir fondé ta position sur des bases solides (m'échappant certes en grande partie, d'où l'idée de me rapprocher de la pensée de Bitbol).

Merci beaucoup pour toutes les précisions apportées

C'est juste une inflexion par rapport à Bitbol à partir de bases communes.

Bitbol, dans ses tendances philosophiques, est sans doute plus porté vers une forme de subjectivisme que moi qui ait une affinité certaine avec l'idée d'"automate spirituel", une sorte d'"informatique" du monde, de dé-subjectivation, de décentrage des questions hors de la sphère de l'Ego, de l'humain. Par exemple, Bitbol considère avec justesse (selon moi...) que la théorie de la décohérence quantique ne résout en rien le problème de l'irruption du sujet dans la "réduction du paquet d'onde". Mais alors qu'il en traite comme d'un échec, j'insisterais plutôt sur le fait que c'est déjà une avancée vers la dé-subjectivation : la question n'est plus de savoir si une conscience humaine fait ceci ou cela, mais de savoir comment s'articule la relation entre systèmes clos, cohérents au sens quantique, et systèmes ouverts, décohérents. Pour moi, on entre alors dans une problématique logico-physique : que fait-on quand on définit/détermine un système "cohérent", à quel système expérimental cela correspond, quelles sont les conditions physiques nécessaires (énergie quasi-constante ?), qu'est-ce ce que ça implique sur les possibilités de traitement de l'information (probabilisme ? holisme ?) etc., en gros : que faut-il pour produire une relation de connaissance équivalente à celle qu'a l'expérimentateur en quantique indépendamment de tout humain.

Très grossièrement, Bitbol rappellerait à un certain matérialisme scientifique "naïf" que les sciences expérimentales ont au moins à prendre en compte les analyses kantiennes sur le phénoménal et Wittgenstein sur le discours, et je dirais qu'à défaut de ces références, elles pourraient prendre en compte Spinoza (et Deleuze...), une autre manière de concevoir le rapport connaissance/réalité, et plus particulièrement connaissance/corporel. En tout cas, surtout ne pas confondre la production d'une connaissance du corporel avec la production corporelle et plutôt considérer que l'activité des sciences expérimentales forme un cercle ayant pour pôle la connaissance et le corporel, la théorie et le test expérimental, les concepts d'atome, de champ, de particule etc. et les bidules qu'on pose dans un laboratoire, le concept de neurone et ce truc gras qu'on découvre sous un crâne.

Ou pour le dire dans un langage de neurosciences : ne pas confondre les opérations qui dans le cerveau représentent autre chose que le cerveau avec les opérations elles-mêmes, y compris les opérations qui représentent un cerveau "abstrait", les opérations qui synthétisent un ensemble de données sur des cerveaux. Quand un processus cérébral équivaut à "je pense à mon cerveau", ce processus représente quelque chose qui n'est pas ce cerveau en cours d'activité. Quand je vois un arbre, ce processus n'est pas l'arbre. La fonction de représentation qui est le propre de la pensée chez Spinoza, se fait par définition dans une distinction avec le représenté. Au plus près de la représentation, dans la sensation (1er genre de connaissance), on est dans un isomorphisme avec les processus corporel, un système de trace. Quand on passe à l'élaboration intellectuelle, il y a tout un régime d'opérateurs qui "efface" les traces, des processus tels qu'à partir de leur fonctionnement on ne peut pas remonter à telle ou telle trace : par exemple, le processus correspondant à la notion commune de lumière fonctionne indépendamment de telle ou telle vision, même si telle ou telle vision l'active.

Spinoza avait pour projet de développer ses vues physiques, il est hélas mort avant, et il y a sans doute un travail à faire pour établir des correspondances entre processus idéels et physiques. A mon sens, il y a toute une logique liant représentation, idéalité abstraite, multiréalisabilité, identité-essence et boucles procédurales indépendantes, c'est-à-dire qui "perdent" la mémoire, qui font que des excitations spatio-temporellement distinctes reviennent au même (notion commune). On sort de la logique des corps, de l'espace-temps, de la trajectoire, dès lors qu'on efface la trace distinctive. Et forcément, on se retrouve avec deux concepts antinomiques, l'un opérant sur les trajectoires spatio-temporelles (corps), l'autre faisant des liens indépendants de ces trajectoires (pensée).
Mais il se peut que je sorte de Spinoza dans ce genre de réflexion...


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