L'Esprit selon Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Henrique
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Unité de la substance et modernité

Messagepar Henrique » 25 mars 2011, 19:16

Je ne suis pas d'accord avec l'expression de "dualisme des propriétés" de la substance. Pensée et étendue restent chez Spinoza les deux faces d'une seule et même réalité. Le corps et l'esprit sont ainsi une seule et même chose, de sorte qu'on peut en droit considérer toute la nature soit du point de vue uniquement de l'étendue, soit du seul point de vue de la pensée.

Ainsi, les corps ont uniquement des causes et des effets d'ordre corporels : aucune pensée proprement dite (non confondue avec les influx nerveux du cerveau, ni les images visuelles, sonores, olfactives etc. qu'il peut former), ne peut expliquer un mouvement corporel. Et les idées ont uniquement pour cause et effets d'autres idées.

Ainsi la cause de l'idée que j'ai d'écrire en ce moment n'est pas une réalité étendue qui se serait mystérieusement dématérialisée pour devenir pensée, mais une autre idée : celle de mon corps. Quant à l'idée de mon corps, elle s'explique par la pensée d'autres corps en Dieu ou la Nature. Cela signifie que pour tout corps, il y a une idée en Dieu et qu'ainsi tout corps a un esprit, que l'esprit n'émerge pas des corps complexes par on ne sait quel miracle mais lui est intemporellement coextensive, comme la vallée l'est de la montagne. Diderot développera bien cette idée dans le rêve de D'Alembert : de même que la vie du poussin n'a pas été introduite par miracle à travers la coquille d'œuf mais était présente dans la matière apparemment inorganique de l'œuf, la sensibilité était déjà sous une autre forme dans cette matière. On peut faire le même raisonnement pour le passage d'un ensemble de molécules à une cellule.

Ce qui définit la notion de modernité, c'est le fait de n'admettre aucun miracle, de ne recourir à aucune intervention transcendante pour expliquer les phénomènes naturels, de n'admettre aucun mystère, aucune question insondable, de l'inexpliqué mais de l'inexplicable. De ce point de vue, Spinoza est des plus modernes. La modernité n'est pas à confondre avec la contemporanéité. L'hylozoïsme et panpsychisme ne sont pas des idées dominantes dans le temps que nous partageons avec nos contemporains (qui vont, de loin en loin, de la fin du XIXème siècle à aujourd'hui), mais ça ne fait de ce temps une époque forcément moderne (sachant qu'on peut aussi être moderne sans être panpsychiste ou hylozoïste).

Mais notre époque n'est guère moderne, elle est plutôt dominée par la post-modernité, on en est beaucoup revenu, en politique, en morale mais aussi en sciences à l'idée qu'il y aurait de l'incompréhensible. Il y a même certaines choses qu'il devient moralement douteux d'essayer de comprendre (Auschwitz notamment). Mais c'est une tendance qui n'est pas généralisée, il y a encore des foyers de modernité ça et là.

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Re: Unité de la substance et modernité

Messagepar recherche » 01 avr. 2011, 18:35

Bonjour, et merci pour ta réponse !

Henrique a écrit :Ainsi, les corps ont uniquement des causes et des effets d'ordre corporels : aucune pensée proprement dite (non confondue avec les influx nerveux du cerveau, ni les images visuelles, sonores, olfactives etc. qu'il peut former), ne peut expliquer un mouvement corporel. Et les idées ont uniquement pour cause et effets d'autres idées.

Ce point de vue me paraît fort contestable, et il est de fait fort contesté.
Pourquoi nos pensées ne seraient-elles pas un corollaire d'une machine de Turing (telle que présentée par Fodor) ?

Le "monisme anomal" de Davidson, dont je viens de prendre connaissance, me paraît déjà plus acceptable. Ce dernier admet que le langage que l'on adoptera nous fera parler d'états psychologiques (irréductibles à des lois déterministes - "anomie du mental") ou bien d'états neurophysiologiques (où la causalité mental (c'est-à-dire ici physique) - physique sera vérifiée).

Ainsi la cause de l'idée que j'ai d'écrire en ce moment n'est pas une réalité étendue qui se serait mystérieusement dématérialisée pour devenir pensée, mais une autre idée : celle de mon corps. Quant à l'idée de mon corps, elle s'explique par la pensée d'autres corps en Dieu ou la Nature. Cela signifie que pour tout corps, il y a une idée en Dieu et qu'ainsi tout corps a un esprit, que l'esprit n'émerge pas des corps complexes par on ne sait quel miracle mais lui est intemporellement coextensive, comme la vallée l'est de la montagne.

Tout corps a-t-il vraiment un "esprit" pour Spinoza ?

Ce qui définit la notion de modernité, c'est le fait de n'admettre aucun miracle, de ne recourir à aucune intervention transcendante pour expliquer les phénomènes naturels, de n'admettre aucun mystère, aucune question insondable, de l'inexpliqué mais de l'inexplicable.

Admettre que les idées seraient causées par des idées sans sans que l'étendue n'intervienne ici de manière causale me semble revenir à accepter un "mystère".[/b][/quote]

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Messagepar hokousai » 01 avr. 2011, 20:02

à recherche

Si je pense à une rose là devant moi sur le rosier, j ai l'idée d' une rose et de cette rose là ).
Si par inadvertance je me pique le doigt, j ai l'idée d' une douleur au doigt.

Il est difficile de ne pas attribuer l'idée de douleur au doigt à une affection de mon corps( piqûre ) plutôt qu' à l'idée à l'idée antécédente de rose .
La causalité ascendante du corps vers l’esprit me semble assez indubitable.

Maintenant dans le champ de conscience ce sont des idées qui suivent des idées ( il y a enchaînement des idées ). Une pensée est bornée par une autre pensée, et Spinoza parle de causalité transversale entre les idées.
Il n'est pas contradictoire d' estimer qu' il y a plusieurs causes à une idée (celle de piqûre pare exemple ): une cause corporelle et aussi une cause liée à la continuité du champ psychologique.

L' union de l'esprit et du corps tel que Spinoza en parle permet une compréhension que les dualismes ne permettent pas mais que le réductionnisme ne permet pas non plus.

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Messagepar recherche » 03 avr. 2011, 01:35

Merci pour votre réponse.

Causalités ascendantes et descendantes (corps <=> esprit) me semblent aussi assez indubitables.

Pour ce qui est des idées entraînant d'autres idées ("causalité transversale"), je suis moins sûr de moi, alors que je peine déjà à définir et à limiter une "idée". À partir de quel point considérera-t-on qu'une idée donnée en cause une autre distincte d'elle-même ? je serais tenté de considérer le processus d'une façon plus continue, diffuse.
Enfin, je comprends malgré tout qu'il est ici fait allusion au caractère progressif de la pensée.

Ce qui m'ennuie est l'on ne puisse a priori envisager, avec Spinoza, que le "champ psychologique" lui-même (intentionnalité... etc.) soit "sous la tutelle" d'une causalité physique qui, peut-être un jour percée, nous permettrait d'entrer dans le contenu même des états cognitifs...
Modifié en dernier par recherche le 03 avr. 2011, 12:29, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 03 avr. 2011, 12:04

cher recherche

Spinoza dit "on ne sait pas ce que peut le corps" ... donc toutes les découvertes physiologiques sont autorisées
.
Pour Spinoza il n( y a qu'une seule substance indivisible .Il dit simplement qu' elle se donne à comprendre sous deux grandes catégories.

Les idées, quelles que soient la précision d' observation du corrélat corporel ,les idées vous ne pouvez ni les voir ni les toucher, ni les sentir ,ni les goûter, ni les entendre , ni les localiser dans l' étendue ( pour ne pas dire espace )

Il y a une hétéromorphie entre pensée et entendue.
C'est (par analogie ) comme la différence entre voir et toucher .
..............................................................

Sur le statut des attributs Spinoza n'est pas très clair .N' est -ce qu'une distinction de pensée ( d’intelligence) propre à l' homme ?
La question n'est pas résolue et les commentateurs divisés .

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Messagepar recherche » 03 avr. 2011, 13:35

Cher Hokousai,

Spinoza dit "on ne sait pas ce que peut le corps" ... donc toutes les découvertes physiologiques sont autorisées

Vous m'aviez me semble-t-il indiqué que pour Spinoza, l'idée ne pouvait provenir de la matière.


Les idées, quelles que soient la précision d' observation du corrélat corporel ,les idées vous ne pouvez ni les voir ni les toucher, ni les sentir ,ni les goûter, ni les entendre , ni les localiser dans l' étendue ( pour ne pas dire espace )

Je n'en suis pas certain. Un ordinateur manie des nombres, que l'on ne peut ni "voir, toucher, sentir"... etc. Les circuits impliqués dans cette "intégration" des nombres sont pourtant nécessaires et suffisants pour l'expliquer.

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Messagepar hokousai » 03 avr. 2011, 17:07

à recherche

Vous m'aviez me semble-t-il indiqué que pour Spinoza, l'idée ne pouvait provenir de la matière
.

Spinoza écrit qu’une pensée cause une pensée et qu’un corps ne cause pas une pensée.
D’un autre coté il dit que plus que d’ être un couple corrélé ( affection du corps et idée ) un affect c'est les deux( l’affection du corps ET l'idée de l'affection).

"le décret de l'esprit et la détermination du corps vont de pair par nature,ou plutôt ce sont une seule et même chose que nous appelons décret quand on la considère sous l'attribut pensée et détermination sous l'attribut étendue "( j' ai résumé /scolie prop 2/des affects )
..................................

remarques personnelles :

Moi je ne prends pas Spinoza au pied de la lettre, il est parfois trop systématique et géométrique, parfois dans l’incertitude, néanmoins il ouvre des pistes dans une certaine direction . Globalement je suis d’accord avec lui, mais on peut a assouplir .

(par exemple) il y a des affections du corps (et même du cerveau) qui ne sont pas corrélées d'emblée avec des idées .
En revanche il ne semble pas qu'il y ait des activités de pensée sans activité neuronale ( du moins de notre vivant).
Il y a pour moi une causalité ascendante et une descendante .
Mais puisque/si c'est au sein de la même substance indivisible, je n'ai pas trop de problèmes.
………………………………………………….
Je n'en suis pas certain. Un ordinateur manie des nombres


Vous observez objectivement un ordinateur. C'est un objet "matériel". Qu'il produise des immatériels me semble douteux, il produit des phénomènes électriques et puis c'est tout.
Le phénomènes électriques sont lus par la pensée humaine à ce moment ces phénomènes interprétés sont des pensés.

Lorsque vous avez des idées ce n'est pas un phénomène objectif c'est une évènement subjectif.
Et la pensée pour Spinoza c'est ça ( entre autre ) c'est ce qui nous apparaît comme devant être nommé pensée par opposition à ce qui peut être nommé corps.

hokousai

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Messagepar recherche » 14 avr. 2011, 23:42

Bonjour,

En revanche il ne semble pas qu'il y ait des activités de pensée sans activité neuronale ( du moins de notre vivant).

Permettez-moi de redire qu'il est à craindre que la pensée soit un aboutissement de cette activité de la matière.

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Messagepar hokousai » 15 avr. 2011, 18:10

cher recherche

C'est comme vous voulez.
Sauf que l’idée de" matière" est largement plus confuse que celle de pensée.
Si la matière est pensée comme une mécanique non intentionnelle on a toutes les peines du monde à en faire la cause de la pensée.
C''est de mon point de vue l'idée de matière qui'est à explorer et à affiner.
Spinoza dit qu'on ne sait pas ce que peut le corps ( et on ne le sait toujours pas ).

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Messagepar aldum » 16 avr. 2011, 21:39

recherche a écrit :Permettez-moi de redire qu'il est à craindre que la pensée soit un aboutissement de cette activité de la matière.


Faire de la pensée une production de l'activité de la matière procéde d'un parti pris: impossible à démontrer, et proprement inconcevable, il s'agit donc d'un choix, et seulement d'un choix, qui attribue le primat, sinon la primauté, de la matière sur la pensée; mais comment concevoir un tel miracle, et accepter un tel postulat que comme une position, en quelque sorte, de combat ? si la pensée est un produit de l'activité de la matière, c'est proprement, disions-nous, un miracle, car il faut admettre que la matière pense, ce qui, à l'inverse, la définit négativement, puisque précisément la matière, c'est ce qui ne pense pas; les positions de ce type sont proprement aporétiques, puisque si l'une produit l'autre, alors qu'elles n'ont rien en commun, il faut admettre une création ex nihilo, et réintroduire l'idée de miracle, avec son incongruité dans un débat philosophique; on pourrait aussi bien dire, indifféremment dès lors, que  « la matière soit un aboutissement de cette activité de la pensée » .On choisira donc l'une ou l'autre assertion, comme le parrain péférera tel ou tel prénom pour l'enfant qu'il présente sur les fonts baptismaux; une simple affaire de goût, donc !
Modifié en dernier par aldum le 17 avr. 2011, 10:40, modifié 1 fois.


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