Existentialisme

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Existentialisme

Messagepar recherche » 03 août 2011, 22:22

Bonjour,

Vous paraît-il juste de considérer que, par son déterminisme absolu, Spinoza se pose (à nos yeux rétroactifs...) comme un "anti-existentialiste" ?

Merci

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Miam
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Messagepar Miam » 05 août 2011, 15:24

Non. Au contraire, on pourrait dire que chez Spinoza c'est l'existence qui est cause de l'essence. En tous cas il n'y a pas chez lui d'essence qui précède l'existence. Pourquoi l'existentialisme serait-il toujours étayé par le libre-arbitre ?

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hokousai
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Messagepar hokousai » 12 août 2011, 00:20

l essence existe donc causee par l existence et de quoi donc alors l essence est elle la cause?(je reponds sur un iphone,mais l affirmation tranchee de miam vaut que je sorte d'un mutisme techniquement imposé)

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Henrique
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Messagepar Henrique » 21 août 2011, 15:50

Ce que montre Spinoza, c'est que l'essence de la substance (Dieu) enveloppe son existence, puisque ce qui est par définition cause de soi ne saurait être inexistant. On pourrait croire que cela signifie que l'essence vient d'abord et l'existence ensuite, mais ce serait poser le temps comme une réalité indépendant de la substance, ce qui est impossible. Du fait que l'éternité est l'existence même en tant qu'elle découle nécessairement d'une essence (qui par définition échappe au temps), et que l'existence de Dieu découle nécessairement de sa propre essence, "L'existence de Dieu et son essence sont une seule et même chose" (E1P20). En ce sens, l'essence ne précède pas l'existence de Dieu mais coïncide avec elle.

Au niveau des modes, on peut concevoir leur essence indépendamment de leur existence, car ils ne sont pas cause de soi mais cela ne signifie pas qu'ils soient réellement distincts : l'essence de la table, par exemple, n'est pas "dans" la table mais dans la nature, autrement dit dans la totalité de ce qui amène divers morceaux de bois ou d'autres matières à former une table. Le fait d'être de la table, son existence, n'est donc "distincte" de son essence que par une opération d'abstraction, qui consiste à penser ce mode en dehors de tout ce qui le détermine concrètement à être ce qu'il est. En réalité, l'essence de la table, contenue dans les déterminations de la nature, et son existence à un niveau de la nature, coïncident également.

La différence fondamentale entre l'existentialisme sartrien et la pensée de Spinoza est le statut conféré au temps. Chez Sartre, le temps est le fond de toute réalité. Chez Spinoza, c'est une illusion liée à notre finitude. Si le temps est le fond de tout être, alors les essences ne peuvent qu'en découler, elles n'en sont que des produits. Il y aurait donc un libre arbitre possible : il n'y a d'essence pour l'homme (au moins) que celle que je me donne à partir de mon existence, je ne suis par exemple lâche que parce que je l'ai choisi.

Avec Spinoza, nul ne choisit à partir de rien. Si je choisis d'être lâche, c'est que mes connaissances et mon vécu ne m'ont pas permis de trouver une meilleure façon d'exister. Mon choix était donc déterminé par mon existence antérieure. Mais cette existence ne découle pas de mon essence pour autant. Si on considère les choses sous l'angle de la durée (qu'on ne confondra pas avec le temps qui en est la mesure conventionnelle), l'existence n'est jamais précédée ou succédée que par l'existence.

En revanche, ma manière d'exister est affectée par mon essence, mon conatus. Si je mange et donc qu'à partir de l'existence des aliments je peux continuer d'exister, c'est aussi parce que je m'efforce de persévérer dans mon être. Mais dans la plupart des cas, notamment lorsque les hommes sont esclaves de leurs passions, mon conatus n'est jamais suffisant pour expliquer mes choix, ce sont des causes qui échappent à mon être qui les expliquent. Donc ici, c'est encore l'existence d'autres choses qui précède ma façon d'exister. Dans le cas de l'action libre, c'est l'exercice de la raison en tant qu'il découle du conatus qui fait que je vais faire des choix libres. Mais c'est l'exercice de la raison, dans l'existence donc, qui fonde ma liberté, non mon seul effort de persévérer dans l'être considéré hors de la continuation de son existence ou durée.

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Messagepar recherche » 21 août 2011, 16:22

Merci pour votre somptueuse réponse ! (comprenez que je reste impressionnable... :)...)

Néanmoins, j'aurais encore une question :

Sartre
Si le temps est le fond de tout être, alors les essences ne peuvent qu'en découler, elles n'en sont que des produits. Il y aurait donc un libre arbitre possible : il n'y a d'essence pour l'homme (au moins) que celle que je me donne à partir de mon existence, je ne suis par exemple lâche que parce que je l'ai choisi.

Spinoza
Nul ne choisit à partir de rien. Si je choisis d'être lâche, c'est que mes connaissances et mon vécu ne m'ont pas permis de trouver une meilleure façon d'exister.

Depuis cette distinction de vue sur le temps, je ne vois pas d'où vous tirez ce qui s'ensuit.

Pour Spinoza, mes connaissances et mon vécu conditionnent ma façon d'exister.
Pour Sartre, dites-vous, il n'y a d'essence que celle donnée à partir de mon existence.

Que vous empêche de penser que cette existence n'est elle-même conditionnée, comme chez Spinoza, par mes connaissances et mon vécu ?

Merci

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Messagepar QueSaitOn » 23 août 2011, 01:38

Bonjour,

Chez Sartre, pour ce que j'en ai compris dans "L'Etre et le Néant", le garçon de café "joue à être garçon de café". Il y a donc comme un fossé entre l'existant, "l'en soi" du contexte (le café etc.) et le "pur néant" qu'est la conscience, le pour-soi du garçon de café. La conscience, le pour-soi est pur néant, donc pure liberté chez Sartre. Une ouverture, un trou angoissant. Le pour-soi n'existe que par le projet qi le porte, toujours se néantisant. Ainsi l'homme n'est jamais "ce qu'il est", pur être libre.

Le pour-soi dans son angoisse vise à se fondre dans l'en-soi (le monde, le "fond"), et c'est pourquoi le garçon de café joue à être garçon de café. En un sens ici, le pour-soi dans sa mauvaise foi sartrienne n'échappe pas au déterminisme de l'en-soi.

La mauvaise foi chez Sartre consisterait à s'arroger une essence, un "en-soi", alors que dans le langage spinoziste ce serait l'inverse: se croire libre. Il y a donc un fond de liberté, de "pur néant" chez Sartre, sort de liberté résiduelle, un absolu séparé de l'en-soi. En ce sens l'essence de l'homme ne corespondrait pas à son existence.

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Messagepar Alexandre_VI » 27 août 2011, 03:08

L'existentialisme a été réfuté par la psychologie évolutionniste et d'une certaine manière par une meilleure compréhension de l'ethnologie, qui ont amplement montré l'existence d'invariants anthropologiques (issus du patrimoine génétique), encore que les mutants soient toujours possibles et que le milieu ait son rôle à jouer. Bien sûr les gènes ne sont pas identiques à ce que les anciens philosophes appelaient nature, mais c'est ce qui en est le plus proche.

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Messagepar recherche » 27 août 2011, 22:10

Alexandre_VI a écrit :L'existentialisme a été réfuté par la psychologie évolutionniste et d'une certaine manière par une meilleure compréhension de l'ethnologie, qui ont amplement montré l'existence d'invariants anthropologiques (issus du patrimoine génétique), encore que les mutants soient toujours possibles et que le milieu ait son rôle à jouer. Bien sûr les gènes ne sont pas identiques à ce que les anciens philosophes appelaient nature, mais c'est ce qui en est le plus proche.

Pourriez-vous s'il vous plaît développer ?
En quoi l'existence d'invariants anthropologiques implique-t-elle cette réfutation ?

Merci.

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Messagepar Alexandre_VI » 28 août 2011, 01:57

Bonjour,

L'existentialisme dit que l'être humain n'a pas d'essence, que l'on est ce qu'on choisit d'être. Certains chercheurs en sciences sociales au milieu du vingtième siècle pensaient de même que l'esprit humain était une tabula rasa et que le milieu déterminait à peu près tout ce qui était important. Les béhavioristes étudiaient alors comment les organismes apprenaient de nouveaux comportement et les psychanalystes cherchaient des traumatismes infantiles comme explication des problèmes des adultes.

Si c'était vrai, on ne s'attendrait pas à trouver des traits et des symboles communs à tous les peuples du monde, ce qu'on appelle des invariants anthropologiques (par exemple l'interdit de l'inceste ou l'existence d'une cellule familiale).

Je n'essaie pas de réhabiliter ici les essences que je critique dans un autre fil. Ce ne sont pas des essences qui déterminent ce qui est universel dans notre espèce, mais les gènes en interaction avec un milieu.

Ma philosophie est le matérialisme mécaniste, qui n'est ni essentialiste, ni existentialiste. Je crois pourtant que l'esprit humain est capable de libre choix dans certaines circonstances. Les neuroscientifiques savent que le néocortex est normalement capable d'inhiber jusqu'à un certain point les pulsions primitives du système limbique. En fait, même si je suis matérialiste, j'ai beaucoup de respect et d'admiration pour l'esprit et ses pouvoirs. Celui qui a écrit Hamlet ou la Critique de la raison pure, ce n'est bien entendu pas des machines à survie biologiques.

Si on n'était pas libres, on n'aurait pas la possibilité de vérifier le bien-fondé de nos croyances: on serait déterminé à croire quelque chose par des processus mentaux qui s'imposeraient à nous irrésistiblement. On ne pourrait pas prendre le recul nécessaire devant les impulsions du cerveau pour essayer d'évaluer les fondements de nos conceptions. Car cette évaluation exige que l'on soit le maître à bord, et non une feuille d'arbre emportée par le vent dans toutes les directions.

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Messagepar recherche » 28 août 2011, 21:07

Merci pour votre réponse.

Elle résume ma surprise face aux étiquettes que chacun semble, en philosophie, contraint d'arborer à un certain moment.

"Moi, matérialiste mécaniste" bien que... etc.

Tout comme, pour reprendre ce dont vous me parliez, nous aurions en philosophie de l'esprit (dont linguistique) les tenants des thèses générativistes (Chomsky et sa pauvreté du stimulus... etc.) "vs." les tenants des thèses structuralistes et dérivées.

Les choses étant ce qu'elles sont (mettons : nous invitant sur à peu près tout aux tiraillements...), je regrette que l'on conçoive cette nécessité de s'auto-classer plutôt que d'en rester à une circonspection.

Mais qu'importe.

Merci.


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