L'essence des choses singulières.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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L'essence des choses singulières.

Messagepar sescho » 26 oct. 2004, 22:36

Je lance un nouveau fil, car je crois que le sujet le mérite, tout en précisant que des éléments ont été déjà donnés dans un autre, "L'Essence de l'Homme" :

http://www.spinozaetnous.org/modules.php?name=Forums&file=viewtopic&t=105&sid=cedafcbbb0f7cf14ddd41135482f6b96

Je m'apprêtais, en effet, après avoir considéré comme bon de ne pas prolonger le débat avec Bardamu sur la Connaissance du troisième genre, à débattre avec Hokousai de ses interventions... et je m'arrêtais sur la première :

hokousai a écrit :L'essence de la chose c'est d' être réelle

Or le concept d'essence d'une chose est très ambigu il est indissolublement lié à l’universel.
En effet l’essence est ce qui perdure au delà (ou en infra ) des changements accidentels . . La chose serait-elle unique , si elle a une essence(ou si on parle d’une essence ), elle est placée dans un espace ou sa singularité ( hic et nunc ) est rattachée une permanence subsumant les accidents donc à une généralisation des événements accidentels, c’est à dire ramenée dans le giron d’ un universel.
L'universel étant ce qui lie les éléments de l’ensemble des accidents particuliers , ensemble constitué dans la temporalité ,d’ ailleurs ,puisque l’opération de liaison pour être permanente est inscrite dans le temps . Conférer une essence cette chose particulière, c’est la faire repénétrer dans la temporalité et ainsi la faire sortir de l éternité ..

L’essence peut ne pas pouvoir être dîtes ou décrite (peu importe ) il y a un centre, fut-il obscur,de référence .
Extrêmement difficile d’ échapper à l’essence ( donc au platonisme comme à son égal l’aristotélisme )


Et encore :

hokousai a écrit :Si vous voulez avoir l'essence de la chose même ( celle ci ,celle là ) ...c'est l'effort pour se conserver soi même , c'est cela l' essence de la chose .(partie 4 prop 26- démonstration )

et je dirais bien :pas plus pas moins .


Comme il l'a été indiqué par ailleurs ci et là par d'autres, une révision générale de la notion d'essence m'a alors semblé effectivement nécessaire. Je propose pour débuter le débat les propositions suivantes :

1) Il est un fait régulièrement vérifié qu'il faut être très précis dans la compréhension des termes utilisés par Spinoza. Ceci rend en outre d'autant plus sensible la qualité de la traduction.

2) A ce titre, la confusion entre "être" et "étant" est assez funeste, comme il apparaît ci-après.

3) Il faut faire (ce que je n'ai sans doute à titre personnel pas bien fait antérieurement, au moins verbalement) la distinction entre "chose particulière" et "chose singulière". En effet, la seconde est un étant par définition alors que la première est un être.

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2D7 : Par choses singulières, j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée. Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu’ils soient tous ensemble la cause d’un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.

E2P8 : Les idées des choses particulières (ou modes) qui n’existent pas doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.

Corollaire : Il suit de là qu’aussi longtemps que les choses particulières n’existent qu’en tant qu’elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c’est-à-dire les idées de ces choses n’existent qu’en tant qu’existe l’idée infinie de Dieu ; et aussitôt que les choses particulières existent, non plus seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu’ayant une durée, les idées de ces choses enveloppent également cette sorte d’existence par laquelle elles ont une durée.
Scholie : Si quelqu’un désire que je prenne ici un exemple pour que la chose devienne plus claire, j’avoue que je n’en puis fournir aucun qui en donne une explication adéquate, car c’est une chose unique en son espèce ; je vais tâcher pourtant de l’éclaircir autant que possible. Un cercle est tel de sa nature que si plusieurs lignes se coupent dans ce cercle, les rectangles formés par leurs segments sont égaux entre eux ; cependant on ne peut dire qu’aucun de ces rectangles existe si ce n’est en tant que le cercle existe ; et l’idée de chacun de ces rectangles n’existe également qu’en tant qu’elle est comprise dans l’idée du cercle. Maintenant, concevez que de tous ces rectangles en nombre infini deux seulement existent, les rectangles E et D. Dès lors, les idées de ces rectangles n’existent plus seulement en tant qu’elles sont comprises dans l’idée du cercle, mais elles existent aussi en tant qu’elles enveloppent l’existence des deux rectangles donnés, ce qui distingue ces idées de celles de tous les autres rectangles.


4) La proposition suivante :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P7 : L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose.


... pose un problème évident : si l'essence, qui est l'être, est parfaitement distincte de l'existence, en quoi peut-elle être précisément définie par une existence persévérant dans l'être ? Cela semble aberrant...

Mais il y a "actuelle"...

Suit cette proposition, chronologiquement, dans le TP, dans un résumé qui englobe l'Ethique :

Spinoza, Traité Politique, traduit par E. Saisset, a écrit :TP2 (2)... Toutes les choses de la nature peuvent être également conçues d’une façon adéquate, soit qu’elles existent, soit qu’elles n’existent pas. De même donc que le principe en vertu duquel elles commencent d’exister ne peut se conclure de leur définition, il en faut dire autant du principe qui les fait persévérer dans l’existence. En effet, leur essence idéale, après qu’elles ont commencé d’exister, est la même qu’auparavant ; par conséquent, le principe qui les fait persévérer dans l’existence ne résulte pas plus de leur essence que le principe qui les fait commencer d’exister...

...

Qu'en conlure... ?

Que l'essence d'une chose singulière n'a "rien à voir" avec l'essence de la chose particulière qui lui correspond : la première a une essence propre, qui est dite "essence actuelle" qui relève de l'existence, c'est-à-dire de la persévérance dans une certaine forme, laquelle forme - essence formelle ou idéale - est dite "son" être, cet "être" étant en fait non en elle-même mais en Dieu. Dieu n'en est pas moins aussi cause de l'existence elle-même de la chose singulière.

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E1P24 : L’essence des choses produites par Dieu n’enveloppe pas l’existence.
Démonstration : Cela est évident par la Déf. 1. En effet, une chose, dont la nature (prise en soi) enveloppe l’existence, est cause de soi, et existe par la seule nécessité de sa nature.
Corollaire : Il suit de là que Dieu n’est pas seulement la cause par qui les choses commencent d’exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l’existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l’être des choses (causa essendi). En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu’elle n’enveloppe ni l’existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l’une ni de l’autre, mais Dieu seul, parce qu’il est le seul à qui il appartienne d’exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.

Spinoza, Traité Politique, traduit par E. Saisset, suite immédiate du précédent extrait, a écrit :... ; et la même puissance dont elles ont besoin pour commencer d’être, elles en ont besoin pour persévérer dans l’être. D’où il suit que la puissance qui fait être les choses de la nature, et par conséquent celle qui les fait agir, ne peut être autre que l’éternelle puissance de Dieu. Supposez, en effet, que ce fût une autre puissance, une puissance créée, elle ne pourrait se conserver elle-même, ni par conséquent conserver les choses de la nature ; mais elle aurait besoin pour persévérer dans l’être de la même puissance qui aurait été nécessaire pour la créer.


5) De plus, l'essence formelle n'est pas, comme le dit en substance Hokousai, une sorte d'entité séparée correspondant à chaque chose singulière possible. Elle relève bien "du genre" :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E1P17S : ... par exemple, un homme est cause de l’existence d’un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c’est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l’essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l’existence, et de là vient que, si l’existence de l’un d’eux est détruite, celle de l’autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps.

E4Pré : … Il est important de remarquer ici que quand je dis qu’une chose passe d’une moindre perfection à une perfection plus grande, ou réciproquement, je n’entends pas qu’elle passe d’une certaine essence, d’une certaine forme, à une autre (supposez, en effet, qu’un cheval devienne un homme ou un insecte : dans les deux cas, il est également détruit) ; j’entends par là que nous concevons la puissance d’agir de cette chose, en tant qu’elle est comprise dans sa nature, comme augmentée ou diminuée.


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Messagepar hokousai » 27 oct. 2004, 01:06

Rep à Sescho

"""""""5) De plus, l'essence formelle n'est pas, comme le dit en substance Hokousai, une sorte d'entité séparée correspondant à chaque chose singulière possible. Elle relève bien "du genre" : """"""""""""

il se peut que j'ai dit cela . Parce que je suis toujours interrogé par ce problème (canonique ) des essences formelles .(querelle des universaux ) Je ne suis pas certain de vous donner une réponse qui vous convienne .


Qu 'est -ce qui est commun aux tables ou aux hommes qui fait que tel homme est un homme et pas un triangle .?

Wittgensein répond" il y a un air de famille (familienähnlichkeit )".
Pour faire très court Wittgenstein s'oppose à l'essentialisme .
IL montre des exemples de dissolution des liens forts établis par les propositions analytiques de tel ou tel concept, celui de jeu ou de couleurs ,de nombres etc .....
Par exemple il dit que les types variés de nombres ne peuvent pas être définis par une propriété commune . Beaucoup de ses réflexions sont pénétrantes en ce qu’ elles conduisent à penser que la perspective sous laquelle on observe un objet détermine la définition analytique .

Pour revenir à ma table , dans la perspective humaine( de culture possédant des tables )les tables existent et ont une propriété commune (pus ou moins précise/ à préciser ) mais pour tout autre animal ou être ayant conscience ,. est –ce que LES tables ont encore une propriété commune . Sont elles toutes classables en une seul genre celui des tables . Rien n'est moins certain.
Ou bien chacune de NOS tables n est –elle pas assez différente d’ une autre pour constituer un événement du monde si différent ,de telle façon que plus aucunes propriétés communes n’apparaissent entre les tables –mais que d’ autres propriétés communes, avec d’ autres objets apparaissent ,ce qui donnerait un classement très différent ) (exit des tables) .

C’est toute la question de l’objectivité du monde qui est posée .Je ne l’ai pas posé ce soir à travers Spinoza ,mais J’ attends qu' on la pose à travers lui .C 'est ce qu j’ avais demandé à miam .

Voyez -vous mon cher Sescho, je ne suis pas platonicien ,jusqu' à preuve du contraire .Mais le problème reste ouvert.. et je ne dis pas qu'il soit si facile de penser hors d'un platonisme ( sur ce sujet ).

hokousai

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Messagepar Faun » 27 oct. 2004, 20:11

Tout cela me paraît très loin des préoccupations de Spinoza.
Dans l'Ethique il n'y a pas d'essence de la table en général, ça ne peut être qu'une image appartenant au premier genre de connaissance.
Quand Spinoza parle de l'essence (ce qu'est la chose) c'est toujours de l'essence de telle chose singulière, cette table là en tant qu'elle est réelle.
Quand mon corps fait l'expérience de la table, par exemple quand mon genou se cogne dedans, cela me permet de déduire des idées de cette table (idée du dur, idée du repos, affect de douleur, etc.) et de comprendre en quoi mon corps et le corps de la table peuvent s'accorder ou s'opposer.
L'essence c'est ce qui s'affirme de la chose, ce que la chose affirme d'elle même, ce qui est affirmé par la chose.
Deux citations :
"enfin par perfection en général j'entendrai, comme j'ai dit, réalité, c'est-à-dire l'essence d'une chose quelconque, en tant qu'elle existe et opère de manière précise, sans qu'il soit tenu aucun compte de sa durée."
(préf. de la 4eme p.)
"par vertu et puissance j'entend la même chose, c'est-à-dire (par la prop 7 p. 3), la vertu, en tant qu'elle se rapporte à l'homme, et l'essence même ou nature de l'homme, en tant qu'il a le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature."
(def. 8 p. 4)
C'est pourquoi Deleuze affirme que l'essence d'une chose pour Spinoza c'est un degré de puissance, et ce degré de puissance est une partie (réelle) de la puissance de Dieu (infinie).

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Messagepar sescho » 27 oct. 2004, 22:03

hokousai a écrit :Pour revenir à ma table , dans la perspective humaine( de culture possédant des tables )les tables existent et ont une propriété commune (pus ou moins précise/ à préciser ) mais pour tout autre animal ou être ayant conscience ,. est –ce que LES tables ont encore une propriété commune . Sont elles toutes classables en une seul genre celui des tables . Rien n'est moins certain.
Ou bien chacune de NOS tables n est –elle pas assez différente d’ une autre pour constituer un événement du monde si différent ,de telle façon que plus aucunes propriétés communes n’apparaissent entre les tables –mais que d’ autres propriétés communes, avec d’ autres objets apparaissent ,ce qui donnerait un classement très différent ) (exit des tables) .

Quelques relfexions diverses :

1) Créer un genre "table" ne me semble pas très sérieux (dans le sens de : portant un sens clair et distinct en tant qu'entité séparée) ; c'est à mon avis ce que, en partie, Spinoza récuse dans E2P40S1 (que, cependant, je pense qu'on radicalise à tort tout en l'isolant du reste, interdisant ensuite toute possibilité de compréhension de Spinoza). On trouvera toujours un objet qui porte au doute : table ou guéridon ? S'il est défini par l'usage que j'en fais, en quoi ceci peut-il être attribué à l'objet ? Et si j'en viens par commodité à manger sur un guéridon ? Ce qui reste, fondamentalement, c'est une certaine forme (géométrie) dans la dimension de l'étendue. Je n'ai, par ailleurs, de cette forme qu'une idée imparfaite (il suffit de prendre un microscope pour s'en apercevoir), sans être pour autant insensée (d'où éventuellement le problème de chercher l'absolu là où ne règne que le flou, c'est-à-dire : ni totalement faux, ni totalement vrai). Sinon, que veut dire "percevoir en acte", si ce n'est percevoir une certaine forme ? Note : on peut par extension y ajouter : couleur, dureté, rugosité, odeur, etc.

2) D'un autre côté, il est évident que les hommes, par exemple, partagent une communauté de nature. Il est donc parfaitement légitime - ce que dit Spinoza - que leur corresponde dans l'entendement une essence formelle commune. Tout en n'étant jamais parfaitement identiques, ils ont beaucoup en commun, et ce commun est beaucoup plus important à connaître en premier lieu que le détail, contrairement à ce que l'individualisme ambiant se plait à prendre pour le summum de la sagesse (qui interdit alors, si les faits suivaient le discours, de ne rien voir d'autre que des formes extérieures dans l'étendue et des mouvements psychiques strictement internes, le tout sans aucune autre cohérence, dénué d'un quelconque ordre naturel ; des ombres sur un mur, quoi... Note : ce qui ne veut pas dire pour autant que in fine ce détail soit sans aucun intérêt). L'exemple limite "type" est celui de jumeaux homozygotes : à la fois identiques et différents ; (presque) identiques selon la nature, différents selon l'existence.

3) Qu'est-ce qu'un homme, sinon des dispositions et lois communes à un certain groupe d'étants ? Un état particulier, fruit du jeu des interdépendances dans une histoire singulière, succession dans l'ordre commun de la Nature. Mais - vis-à-vis d'une pierre, par exemple - c'est d'un état psychique qu'il s'agit essentiellement (dire qu'il correspond univoquement à un état du corps n'ajoute absolument rien à la compréhension), lequel ne peut être connu en vérité que de l'individu lui-même, et ce seulement s'il en a l'idée claire, c'est-à-dire s'il se connaît lui-même, c'est-à-dire s'il a atteint la Sagesse. Mais s'il a atteint la Sagesse, ce n'est plus un état particulier, mais un état limite selon une loi de la Nature commune à tous les hommes (même si les différences innées et la réalité de l'environnement font que dans les faits cette Sagesse ne recouvre pas la même puissance ou les mêmes actes suivant les individus - jugement relatif ici, ce que recouvre toujours la notion de Puissance, d'ailleurs)... De plus, le désir et la spéculation étant donnés, l'espoir et la crainte y sont contenus en principe ; personne ne s'en affranchit ni ne se connaît lui-même s'il ne connaît les lois de la joie et de la tristesse qui s'y rattachent. De même, il s'agit de lois de la Nature afférentes aux hommes en général.

On ne connaît presque rien d'un autre homme et on ne connaît même presque rien de soi si l'on ne prend les faits que pour des faits sans aucune profondeur analytique. Cette profondeur analytique ne tient pas tant aux faits eux-mêmes, qui sont conjoncturels, fruits d'une succession dans l'ordre commun de la Nature qui nous échappe largement et qui finalement n'a qu'un intérêt minime, qu'aux lois qui y sont inscrites. C'est cela qui a du sens et c'est cela surtout l'essence formelle de l'Homme.

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Re: L'essence des choses singulières.

Messagepar bardamu » 27 oct. 2004, 23:45

sescho a écrit :3) Il faut faire (ce que je n'ai sans doute à titre personnel pas bien fait antérieurement, au moins verbalement) la distinction entre "chose particulière" et "chose singulière". En effet, la seconde est un étant par définition alors que la première est un être.

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2D7 : Par choses singulières, j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée. Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu’ils soient tous ensemble la cause d’un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.

E2P8 : Les idées des choses particulières (ou modes) qui n’existent pas doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.


Comme tu le dis, attention aux traductions :

E2D7 : Per res singulares intelligo res quæ finitæ sunt et determinatam habent existentiam. Quod si plura individua in una actione ita concurrant ut omnia simul unius effectus sint causa, eadem omnia eatenus ut unam rem singularem considero

E2P8: Ideæ rerum singularium sive modorum non existentium ita debent comprehendi in Dei infinita idea ac rerum singularium sive modorum essentiæ formales in Dei attributis continentur.
(...)

COROLLARIUM : Hinc sequitur quod quamdiu res singulares non existunt nisi quatenus etc.

A mon avis, la différence entre essence formelle et essence actuelle ne passe pas par une différence de vocabulaire entre choses particulières ou singulières.

sescho a écrit :Qu'en conlure... ?

Il y a une autre manière de voir les choses notamment si on part de la nature de Dieu qui est pure existence en acte.

1- chose particulière ou chose singulière, c'est la même chose
2- l'essence d'une chose particulière quelconque, comme un homme quelconque, c'est une part de la puissance de Dieu, une part de l'existence (E4 Préface, E4P4)
3- cette essence lorsqu'elle est en acte, détermine le conatus qui anime la chose et tend à son maintien (E3P7) : la puissance de chaque chose tend à conserver une infinité de parties sous un certain rapport (condition formelle d'existence : une chose = existence formée = mode) et c'est ce qui forme l'essence des corps et donc des choses (E4P29).
L'essence de mode est donc une puissance d'existence en acte, d'existence formée, déterminée. L'essence actuelle d'abord.
4- la condition de maintien ou pas de ce rapport (condition de passage à l'existence en acte ou de disparition) est Dieu, c'est-à-dire la globalité des causes et effets, et non pas la détermination propre de la chose à conserver ce rapport
5- lorsque le mode n'est pas en acte, son essence existe formellement (E2P8) dans un attribut, et lui-même en tant qu'impliqué par l'infinie puissance de Dieu de même qu'une plante sera impliquée par une graine. L'essence reste indissociablement liée à une existence en acte bien que celle-ci ne soit pas présente, pas donnée (E3P7 démonstration). Les attributs n'expriment pas les essences sans exprimer les existences qu'elles impliquent (E1P20). L'essence formelle n'est pas l'essence d'un être possible (il n'y a que du nécessaire) mais bien celle d'un être réel qui n'est simplement pas donné.


Sescho a écrit :5) De plus, l'essence formelle n'est pas, comme le dit en substance Hokousai, une sorte d'entité séparée correspondant à chaque chose singulière possible. Elle relève bien "du genre" :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E1P17S : . si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps.

E4Pré : … Il est important de remarquer ici que quand je dis qu’une chose passe d’une moindre perfection à une perfection plus grande, ou réciproquement, je n’entends pas qu’elle passe d’une certaine essence, d’une certaine forme, à une autre (supposez, en effet, qu’un cheval devienne un homme ou un insecte : dans les deux cas, il est également détruit) ; j’entends par là que nous concevons la puissance d’agir de cette chose, en tant qu’elle est comprise dans sa nature, comme augmentée ou diminuée.


Je suis d'avis que la première essence est singulière et que l'essence de genre est seconde, reconstruite par analogie, mais il est indéniable que certains usages se font sur le mode "du genre".
Est-ce l'essentiel ?
Et si on poursuit la lecture de E4Préface on tombe sur le passage cité par Faun : "enfin par perfection en général j'entendrai, comme j'ai dit, réalité, c'est-à-dire l'essence d'une chose quelconque, en tant qu'elle existe et opère de manière précise, sans qu'il soit tenu aucun compte de sa durée."

Toute la préface du livre IV est un positionnement plutôt contre les genres, contre les modèles pris pour des réalités ontologiques.
La conclusion est que le modèle est utile pédagogiquement mais n'est pas la réalité profonde des choses.

Selon moi, on peut considérer que les essences peuvent être aussi bien générales que singulières selon qu'on s'attache au rapport singulier animant un être singulier, ou au rapport commun animant un genre d'êtres.
L'essence de genre serait le plus grand diviseur commun d'un ensemble de choses particulières. Elle ne s'applique à aucun être particulier (E2P37). Néanmoins, à cet ensemble correspond aussi une essence singulière qui combine l'ensemble de ses puissances et produit l'essence singulière d'un être différent (cellules -> tissu -> organe -> humain particulier ).
L'essence de genre peut être utilisée en science ou comme modèle moral, politique, mais l'essence singulière est la véritable nature des êtres, leur puissance, ce qu'ils peuvent faire, et elle ne suit pas forcément les modèles.

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Messagepar hokousai » 28 oct. 2004, 00:38

Autant dire tout de suite que je ne suis pas satisfait de ces réponses ,mais alors vraiment pas .
...............................................................................
rep à Faun

lisez ou relisez : scolie 1 prop 40 partie 2)

Spinoza distingue t-il un homme d' un triangle ?
ma réponse est oui
Spinoza explique t-il comment cela se passe ?
ma réponse est non .
.........................................................................
rep à Sescho
( je vois que vous citez scolie 1 prop 40 partie 2)

Distinguez -vous une table ressemblant à un guéridon d' une casserole ?
ma réponse est oui .
Ce qui n’est pas très sérieux est de penser qu'on puisse parler des choses sans concept c'est à dire sans les classer dans un genre .
Comment se fait-il qu on puisse classer des choses ? et cela non arbitrairement ,semble t-il ?
Je pense que vous n'abordez pas encore le début du commencement du problème .,à tout le moins que conscient du problème ,vous tournez autour et m'embarquez dans des digressions intéressantes mais hors sujet .

.Ce qui n'est pas très sérieux c'est de ne pas considérer comme important un problème de notoriété philosophique et cela depuis Aristote et Platon jusqu’à Wittgenstein (problème platonicien s'il en est ) .

Quand même curieux qu' un aussi bon logicien, capable d’ en remontrer à Frege et à Russell ,et si impertinent philosophe par ailleurs ait cru encore bon de se pencher sur le problème .

..............................................................................

rep à bardamu


"""""""L'essence de genre serait le plus grand diviseur commun d'un ensemble de choses particulières. Elle ne s'applique à aucun être particulier (E2P37). Néanmoins, à cet ensemble correspond aussi une essence singulière qui combine l'ensemble de ses puissances et produit l'essence singulière d'un être différent (cellules -> tissu -> organe -> humain particulier ). """""""""""""""

je mesure l'ampleur de votre embarras .Une essence de genre qui ne s' applique à aucun être particulier est une inutilité .
je veux dire qu'un diviseur commun qui n'est diviseur d'aucun des nombres particulier est une absurdité mathématique .

hokousai

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Messagepar Faun » 28 oct. 2004, 02:09

Tout cela est peut être très pertinent du point de vue de Wittgenstein, mais n'a rien de Spinoziste encore une fois.
Des idées d'universaux, de genre, d'espèce, etc., comme l'homme, le chien, etc., ne peuvent, dans l'Ethique, qu'appartenir au premier genre de connaissance ("ceux qui prennent pour les choses les affections de leur imagination" appendice p. 1).
Ce sont des idées confuses au plus haut degré, comme dit Spinoza.

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Messagepar hokousai » 28 oct. 2004, 12:16

rep à Faun
[vous décrétez du Spinozisme à chaque message .( c'est un peu crispant )] Vous interprétez Spinoza à votre façon et Deleuze à la sienne et encore bardamu et Sescho et miam et moi-même .La question est de bien confronter les interprétations et non de décréter que la sienne est la seule valable .
voila pour la méthode .

.........................................................................
je dis que Spinoza ne se prononce pas avec fermeté sur le sujet mais l'aborde et tente une réponse dans scolie 1 de prop 40—

« « « « « Maintenant, il faut remarquer que ces notions ne sont pas formées de la même façon par tout le monde ; elles varient pour chacun, suivant ce qui dans les images a le plus souvent affecté son corps, """""

précédemment il dit : « « « « « et il en est ainsi, parce que ce dont le corps humain a été le plus affecté, c'est précisément ce qui est commun à toutes les images ; et c'est cela qu'on exprime par le mot homme, et qu'on affirme de tous les individus humains en nombre infini, » » »

Ne soutenez pas que Spinoza est étranger au problème
il donne une réponse articulée en deux niveaux

1)suite à la répétition d’images se ressemblant elles se confondent en une seule (celle de l’homme par exemple )
2)tous ne forment pas ces idées de la même manière.

On peut-être d’ accord avec cela et je suis d’ accord .mais le problème reste entier :

1)de la distinction entre les images (image générale ).c’est à dire de la distinction entre les concepts c’est à dire du classement en genre et espèce .
2)avant la formation de l’image générale , la question de la distinction des images particulières comme pouvant se regrouper et se confondre en une seule .

Il est évident que des images succéssives de triangle ne donne pas une image confondue d’ homme .

Là dessus sur ces questions Spinoza ne répond pas (et vous non plus ).

Bien sûr on peut mépriser les difficultés liées au premier genre de connaissance et sauter vaillamment dans le troisième ?mais je pense que si on a déjà pas compris le premier je doute qu’on puisse comprendre le troisième .
je crains bien que les difficultés non réglées et liées au premier genre ne se retrouvent lors de la tentative de comprendre le troisième .
...................................................................;
Les explications de Spinoza ne me satisfont pas .Vous me dire que je n’ai qu à m en contenter
Pas question .Spinoza n’est pas pour moi une substance morte et L’ Ethique n’est pas un livre sacré .
Quand Spinoza parle de l’habitude d ‘ associer une pomme au mot pomum il n’explique pas ce phénomène( étrange )d’ apparition d’ événements classables sous le même concept .
Il constate seulement que nous ne percevons pas les petites différences ente les choses mais seulement les ressemblances « « car c’est cela qui se trouvant dans chaque singulier ,à le plus affecté le corps « «

Pour terminer,à votre avis ,ce que dit là Spinoza( dans le scolie de la prop 40) est de quel genre de connaissance ?


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Messagepar Faun » 28 oct. 2004, 14:21

Spinoza distingue très clairement entre les étants d'imagination (par exemple l'homme), les étants de raison ( par exemple le triangle) et les notions communes (par exemple la joie) tout en précisant bien qu'aucune de ces trois idées n'est l'essence d'une chose singulière, c'est à dire l'idée d'un être réel.
L'idée d'homme appartient au premier genre de connaissance, c'est une idée confuse, j'ai du mal à dire que c'est un concept puisque c'est une image que je forme plutôt malgré moi et qui dépend non de la puissance de comprendre de mon esprit mais de sa puissance d'imaginer.
L'idée de triangle qui n'est pas l'image d'un triangle appartient au second genre, tout comme la joie. Elles dépendent de ma puissance de comprendre.
Il me semble que les idées d'essence, celles du troisième genre, ne sont rien d'autre que la chose elle-même en tant que partie, modification, manière de l'attribut Esprit.
"de la suit que l'essence de l'homme est constituée par des modifications précises des attributs de Dieu". (cor. prop. 10 p.2)
Ce n'est pas l'idée de l'homme en général qui est dans mon esprit qui est une modification précise d'un attribut de Dieu, c'est l'idée de tel homme (moi, toi) en tant qu'elle est quelque chose de réel dans l'esprit de Dieu.
Proposition XXII partie 5 :
"En Dieu pourtant il y a nécessairement une idée qui exprime sous l'aspect de l'éternité l'essence de tel ou tel corps humain"
Démonstration :
"Dieu n'est pas seulement cause de l'existence de tel ou tel corps humain, mais aussi de son essence, laquelle doit donc nécessairement se concevoir par l'essence même de Dieu, et ce avec certaine nécessité éternelle, lequel concept, assurément, doit nécessairement se trouver en Dieu. CQFD"

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Messagepar hokousai » 28 oct. 2004, 16:46

rep à Faun

d' accord mais l' homme Spinoza distinguait à chaque niveau : un homme d' un cheval ,un cercle d' un triangle et dans le troisième genre distinguait sous une espèce d' éternité n'importe quel objet d'un autre .

Et le problème de la distinction et de la ressemblance ou pas entre les chose se pose à tous les étages du système
Il n'y a pas d' essence d'une chose en ce qu 'elle sont toute unique certes, n' empêche que dans leur originalité( exceptionnalité ) persiste un quelque résidu identique ( sous réserve ) avec le même résidu présent dans une autre chose du même genre .

Et même si cela n'est que pensée il faut encore en rendre compte .
IL n'y a pas plus de raison de parler des petites différences en nombres infinies entre chaque chose et qui la rendent unique que de parler des ressemblances qui la font être classée dans un genre .

Si Spinoza ne s'est pas posé le problème c'est grave . A mon avis il se l'est posée ,mais ne l'a pas résolu .
hokousai .


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