Le conatus et Kant

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Le conatus et Kant

Messagepar Int » 28 déc. 2011, 00:28

Très chers experts,

Comme vous le savez, pour Spinoza, l'essence actuelle de chaque chose est de persévérer dans son être, "car la définition d'une chose quelconque contient l'affirmation et non la négation de l'essence de cette chose".

Mais en faisant cela, Spinoza ne considère t-il pas l'existence « comme un prédicat », et ne tombe t-il pas sous les coups de la critique kantienne ? Car si l'essence d'une chose, prise en elle-même, est la même indépendamment de l'existence de cette chose, comme le démontre Kant lors de la critique bien connue de l'argument ontologique, cette fameuse proposition de Spinoza est invalidée et tout ce qui s'en suit, à savoir la distinction entre activité et passivité (le ressort fondamental de la conception spinoziste de la liberté, donc), s'écroule. "L'éthique" spinoziste ne serait plus qu'un guide pratique commode pour la recherche de l'utile qui nous est propre selon la distinction du bon et du mauvais, et il ne serait plus possible de penser la liberté.

J'ai du mal, en tant que très jeune lecteur de philosophie, à trouver une solution. Je ne vous cache pas non plus une certaine crispation à l'idée de renoncer à cette belle idée comme quoi la nature de chaque chose est de persévérer dans son être (car cela reviendrait presque à renoncer à Spinoza), et je sens malgré tout intuitivement la pertinence de la distinction entre activité et passivité. Mais ne pouvant par mes faibles moyens résoudre ce problème rationnellement, je me tourne vers vous.

Navré si ce topic n'est pas posté dans la bonne section, au passage.

Int

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Henrique
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Messagepar Henrique » 31 déc. 2011, 17:56

Peut-être que je ne comprends pas complètement la question, mais Spinoza ne dit pas qu'il appartient à l'essence de chaque chose en dehors de Dieu d'exister, mais seulement de persévérer dans son existence. L'existence d'une chose donnée ne peut s'expliquer que par l'existence d'autre chose et non son essence.

Quand Spinoza dit "la définition d'une chose quelconque contient l'affirmation et non la négation de l'essence de cette chose" dans de la dém. d'Ethique III, 4, on peut y voir une définition de l'existence comme affirmation d'une essence. Mais bien sûr il ne suffit pas d'affirmer "j'ai 100 euros dans ma poche" pour qu'ils s'y trouvent. Ici, cette affirmation se rapporte à la question de savoir si une chose peut s'autodétruire, cela sous-entend que pour pouvoir être détruite, une chose doit d'abord exister. Et pour exister une chose doit être "quelque chose", ne pas être rien, autrement dit elle doit avoir une essence. Cette essence ne saurait envelopper sa propre négation : dans la rose n'est pas inscrite la non-roséité, la négation de la rose ne peut donc venir que de l'extérieur. Il ne s'agit donc pas ici de dire que l'existence découlerait de l'essence mais qu'en fait l'inexistence ne peut découler d'une essence.

Prenez un verre d'eau dans lequel vous mettez une goutte de vin, vous pouvez dire approximativement que l'essence de ce corps est la rencontre de quantités différentes d'eau et de vin. Ici l'existence de ce corps résulte bien de la rencontre de deux corps préexistants et non de sa seule essence. Et l'essence étant posée, ce verre d'eau légèrement colorée, comment l'inexistence pourrait en découler ? Le corps ainsi formé ne peut détruire sa propre formation. Rien dans ce corps ne contient sa propre négation. Et si au lieu du vin vous aviez mis un produit qui transforme l'eau en gaz, c'est simplement une autre essence qui aurait été produite. Mais comme on peut le voir ici, l'essence elle-même n'est rien sans l'existence des corps qui la constitue. On peut certes concevoir ou plutôt imaginer ce verre d'eau abstraction faite de ce qui a pu produire son existence, mais ce ne peut être que d'une façon inadéquate, confuse et mutilée. Il n'y a donc en fait pas de distinction réelle entre l'essence d'un être et son existence, mais seulement une distinction de raison, pour les besoins éventuels de l'analyse.

Voir à ce sujet : http://www.spinozaetnous.org/wiki/Existence
et http://www.spinozaetnous.org/wiki/Essence

Or c'est sur la base de cette pseudo-distinction que Kant s'appuie au fond pour affirmer que l'existence ne saurait être un prédicat analytiquement déterminé de quelque essence que ce soit. Il suppose qu'il ne peut y avoir entre essence et existence qu'un rapport synthétique, parce qu'il en reste à l'héritage platonicien/aristotélicien de l'essence comme réalité indépendante de l'existence. Il a beau jeu ensuite d'en conclure que l'existence ne saurait être connue qu'empiriquement (i.e. comme prédicat de représentations a posteriori ou bien comme prédicat de représentation a priori pratiques et non théoriques).

Enfin, il faut rappeler que si Kant tient tant que cela à ruiner toute idée de métaphysique rationnelle, c'est parce qu'il veut rétablir la foi contre la "prétention" de la raison à se passer de toute croyance pour poser l'existence d'un être suprême, car ce qu'elle est conduite à poser (une réalité impersonnelle et indifférente aux peines et aux joies des hommes) est loin de convenir au bon piétiste qu'il était. Si cette critique a connu tant de succès, c'est qu'elle convenait au fond autant aux vertueux croyants qu'aux incroyants impies : chacun n'a plus qu'à s'en remettre à son goût personnel, la raison critique d'elle-même n'ayant ici rien à nous dire. Autant dire que cela permet de maintenir un ressort important de l'illusion du libre arbitre.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 01 janv. 2012, 22:45

à Henrique

La négation de la rose ne peut donc venir que de l'extérieur.
.

Il y a dans la nature une infinité de causes qui concourent à détruire l'individu constitué, lequel ne se détruit pas lui même . C' est la thèse .

Il y a un grave problème là. D' une certaine manière c'est l' extérieur qui contient la non roséité. Plus précisément les choses extérieures tout autant que de persévérer dans leur être tendent à <b>détruire</b> les autres choses et moi même en particulier.
Ce qui n'est pas trop mis en avant par les spinozistes.

Les choses persévèrent pour autant qu' elles ne sont pas détruites, certes, mais elles ne sont pas passives elles détruisent aussi.
Le conatus c'est persévérer à condition de résister, mais pas en dehors du rapport des forces lequel implique que toute chose impose sa force de destruction à toutes les autres choses .
Vous pouvez remplacer "destruction" par "transformation" le résultat est le même.

Le problème est de trouver la chose en question.
Puisque les choses sont composées, les parties entrent en rapport de forces destructives les unes avec les autres .
Vous êtes obligé d' admettre des choses individuées non composées.
Que ce soit des atomes ou des monades... que sais- je ?
Donc une<b> substance divisée</b> en individus qui ne contiennent pas un rapport de forces destructives en eux.
Ce qui n'est pas le cas du corps humain .


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