Babilomax a écrit :Je suis en train de tenter d'exprimer dans un langage formel la notion d'essence : pour A et B donnés, comment peut-on dire que A constitue l'essence de B ?
Reprenons tout de même le texte original :
Ad essentiam alicujus rei id pertinere dico quo dato res necessario ponitur et quo sublato res necessario tollitur ; vel id sine quo res et vice versa id quod sine re nec esse nec concipi potest.Ce qui peut donner :
Je dis qu'appartient à l'essence d'une chose quelconque ce qui, étant donné, fait que cette chose est nécessairement posée, et qui, supprimé fait que cette chose est nécessairement supprimée ; en d'autres termes, ce sans quoi une chose, et inversement ce qui sans cette chose, ne peut ni être, ni être conçu.
J'ai pour cela utilisé la déf. 2 du livre 2 de l'Éthique. Il en ressort que A constitue l'essence de B, si et seulement si :
- l'existence de B implique l'existence de A
- la non-existence de B implique la non-existence de A
Il me semble que vous vous perdez dans les lettres : si vous appelez A "
ce qui étant donné fait que..." (ce qui constitue l'essence de..., le contenu) et B
la chose constituée par la précédente, alors vous devriez avoir, en suivant le texte de Spinoza :
A constitue l'essence de B si et seulement si :
- l'existence de A implique l'existence de B
- la non-existence de A implique la non existence de B
Je trouve plus logique d'appeler au contraire A, la chose à définir essentiellement, et B ce qui la définit (encore qu'au niveau des lettres, il me semble qu'on réserve les majuscules aux ensembles et les minuscules aux éléments pouvant appartenir à un tout et chez Spinoza ce qui constitue l'essence d'un étant peut être multiple, mais un seul élément sans tenir compte de tous les autres peut être dit appartenir à l'essence d'un être).
Prenons un exemple connu et concret : le désir constitue l'essence de l'homme. Le sujet à définir ici est l'homme et le prédicat qui le définit est l'effort conscient.
On aura donc :
Le désir appartient à l'essence de l'homme. Autrement dit :
L'essence de l'homme enveloppe, contient le désir (l'essence de a contient b) si et seulement si :
- l'existence du désir implique l'existence de l'homme (l'existence de b implique l'existence de a)
ce qui équivaut à :
- l'inexistence du désir implique l'inexistence de l'homme (l'inexistence de b implique l'inexistence de a)
Et il faut encore ajouter une équivalence en suivant le texte de Spinoza :
- l'inexistence de l'homme implique l'inexistence du désir (l'inexistence de a implique l'inexistence de b)
(ce qui est important car cela signifie qu'il n'y a pas, comme chez Platon et pratiquement toute la métaphysique jusqu'à Spinoza, d'essence sans existence, ce qui revenait à identifier essence et modèle ou forme, comme si le plan de la maison était l'essence de la maison, ce plan pouvant exister indépendamment de la maison en dur, ce que la définition de Spinoza récuse. Bien sûr le plan peut exister sans la maison, mais alors, c'est que le plan n'est pas l'essence de la maison).
On peut finalement donc dire que l'essence de l'homme contient le désir si la notion d'homme équivaut à celle de désir, ce qui permet de déduire une quatrième équivalence de la formule "Essence de a contient b si b implique a" que Spinoza n'énonce pas explicitement dans sa formulation :
- l'existence de a implique celle de b
en l'occurrence :
- l'existence de l'homme implique celle du désir.
Résumons nous :
L'essence de a contient b si et seulement si :
- l'existence de b implique l'existence de a ;
- l'inexistence de b implique l'inexistence de a ;
- l'inexistence de a implique l'inexistence de b ;
- l'existence de a implique l'existence de b.
En un mot si et seulement si :
- l'existence de a équivaut à l'existence de b.
Ce qui en langage formel donne, je crois :
b ∈ essence de a
⇔ (a
⇔ b)
Voir
Tableau des symboles mathématiques de WPOu encore, si je ne m'abuse, avec Sujet et Prédicat (plutôt que P et Q, car il ne s'agit pas de le cas de la "chose" à définir d'une proposition) :
Essence de S := P
⇔ [(P ⇒ S) ∧ (¬P ⇒ ¬S) ∧ (¬S ⇒ ¬P) ∧ (S ⇒ P) = (S
⇔ P)]
Notons en passant que Spinoza ne parle pas d'existence dans sa définition (malgré la traduction de Saisset) mais on peut admettre qu'être donné, être posé, être équivalent ici à exister. D'autre part, cette formulation perd la notion de "ne pas pouvoir être conçu" mais comme c'est équivalent pour Spinoza à ne pas exister, on peut faire cette simplification.
La dernière proposition peut s'écrire : l'existence de A implique l'existence de A
N'y a-t-il pas une erreur ici ?
(en utilisant la propriété logique P => Q revient à non Q => non P).
On a deux implications symétriques, que l'on réunit en une équivalence :
« B existe si et seulement si A existe ». Si cette condition est vérifiée, alors B constitue l'essence de A.
Oui, à ceci près que A (dont vous faites maintenant le sujet) ici n'est pas une proposition.
Mais en tant qu'équivalence, la relation et symétrique. C'est là que le résultat me semble étonnant. Car si l'Étendue, en tant qu'elle est attribut de Dieu, constitue l'essence de Dieu, peut-on dire que Dieu constitue l'essence de l'Étendue ?
Oui. Dieu équivaut à l'étendue.
L'étendue constitue l'essence de Dieu, autrement dit l'essence de Dieu contient l'étendue si et seulement si :
- l'existence de l'étendue implique l'existence de Dieu ;
- sans l'existence de l'étendue, Dieu n'existerait pas ;
- sans l'existence de Dieu, l'étendue n'existerait pas ;
- l'existence de Dieu implique l'existence de l'étendue.
On pourrait de même dire que la mélodie ou succession de notes ou hauteurs sonores constitue l'essence de la musique du fait que :
- l'existence de la mélodie implique l'existence de la musique ;
- l'inexistence de la mélodie implique l'inexistence de la musique ;
- l'inexistence de la musique implique l'inexistence de la mélodie ;
- l'existence de la musique implique l'existence de la mélodie.
Et pourtant, cela n'empêche pas qu'on fasse entrer d'autres éléments dans l'essence de la musique comme le rythme (défini en musique comme durée des notes les unes par rapport aux autres), le tempo (vitesse globale d'exécution de la mélodie et du rythme), la nuance (intensité de l'exécution des notes, de pianissimo à fortissimo). Mais les uns et les autres s'impliquent tous logiquement, tout en permettant une infinité de variations. Il n'y a pas de mélodie sans rythme, même si pour une mélodie donnée, plusieurs rythmes, tempi, nuances sont possibles : ce sera toujours de la musique.