Formalisation de la notion d'essence

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Formalisation de la notion d'essence

Messagepar Babilomax » 16 févr. 2012, 20:31

Bonjour,

Je suis en train de tenter d'exprimer dans un langage formel la notion d'essence : pour A et B donnés, comment peut-on dire que A constitue l'essence de B ?
J'ai pour cela utilisé la déf. 2 du livre 2 de l'Éthique. Il en ressort que A constitue l'essence de B, si et seulement si :
    - l'existence de B implique l'existence de A
    - la non-existence de B implique la non-existence de A

La dernière proposition peut s'écrire : l'existence de A implique l'existence de B (en utilisant la propriété logique P => Q revient à non Q => non P).
On a deux implications symétriques, que l'on réunit en une équivalence :
« B existe si et seulement si A existe ». Si cette condition est vérifiée, alors B constitue l'essence de A.

Mais en tant qu'équivalence, la relation et symétrique. C'est là que le résultat me semble étonnant. Car si l'Étendue, en tant qu'elle est attribut de Dieu, constitue l'essence de Dieu, peut-on dire que Dieu constitue l'essence de l'Étendue ?
D'autre part, au-delà de l'intérêt d'une formalisation, avez-vous quelque chose à redire à mon raisonnement ?

Merci d'avance !

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Messagepar Babilomax » 18 févr. 2012, 09:36

Je me permets de faire remonter le fil, en insistant sur ma question principale : peut-on dire que Dieu constitue l'essence de l'Étendue ?

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Henrique
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Messagepar Henrique » 18 févr. 2012, 18:00

Babilomax a écrit :Je suis en train de tenter d'exprimer dans un langage formel la notion d'essence : pour A et B donnés, comment peut-on dire que A constitue l'essence de B ?


Reprenons tout de même le texte original :
Ad essentiam alicujus rei id pertinere dico quo dato res necessario ponitur et quo sublato res necessario tollitur ; vel id sine quo res et vice versa id quod sine re nec esse nec concipi potest.

Ce qui peut donner :
Je dis qu'appartient à l'essence d'une chose quelconque ce qui, étant donné, fait que cette chose est nécessairement posée, et qui, supprimé fait que cette chose est nécessairement supprimée ; en d'autres termes, ce sans quoi une chose, et inversement ce qui sans cette chose, ne peut ni être, ni être conçu.

J'ai pour cela utilisé la déf. 2 du livre 2 de l'Éthique. Il en ressort que A constitue l'essence de B, si et seulement si :
    - l'existence de B implique l'existence de A
    - la non-existence de B implique la non-existence de A


Il me semble que vous vous perdez dans les lettres : si vous appelez A "ce qui étant donné fait que..." (ce qui constitue l'essence de..., le contenu) et B la chose constituée par la précédente, alors vous devriez avoir, en suivant le texte de Spinoza :
A constitue l'essence de B si et seulement si :
- l'existence de A implique l'existence de B
- la non-existence de A implique la non existence de B

Je trouve plus logique d'appeler au contraire A, la chose à définir essentiellement, et B ce qui la définit (encore qu'au niveau des lettres, il me semble qu'on réserve les majuscules aux ensembles et les minuscules aux éléments pouvant appartenir à un tout et chez Spinoza ce qui constitue l'essence d'un étant peut être multiple, mais un seul élément sans tenir compte de tous les autres peut être dit appartenir à l'essence d'un être).

Prenons un exemple connu et concret : le désir constitue l'essence de l'homme. Le sujet à définir ici est l'homme et le prédicat qui le définit est l'effort conscient.
On aura donc :
Le désir appartient à l'essence de l'homme. Autrement dit :
L'essence de l'homme enveloppe, contient le désir (l'essence de a contient b) si et seulement si :
- l'existence du désir implique l'existence de l'homme (l'existence de b implique l'existence de a)
ce qui équivaut à :
- l'inexistence du désir implique l'inexistence de l'homme (l'inexistence de b implique l'inexistence de a)
Et il faut encore ajouter une équivalence en suivant le texte de Spinoza :
- l'inexistence de l'homme implique l'inexistence du désir (l'inexistence de a implique l'inexistence de b)
(ce qui est important car cela signifie qu'il n'y a pas, comme chez Platon et pratiquement toute la métaphysique jusqu'à Spinoza, d'essence sans existence, ce qui revenait à identifier essence et modèle ou forme, comme si le plan de la maison était l'essence de la maison, ce plan pouvant exister indépendamment de la maison en dur, ce que la définition de Spinoza récuse. Bien sûr le plan peut exister sans la maison, mais alors, c'est que le plan n'est pas l'essence de la maison).

On peut finalement donc dire que l'essence de l'homme contient le désir si la notion d'homme équivaut à celle de désir, ce qui permet de déduire une quatrième équivalence de la formule "Essence de a contient b si b implique a" que Spinoza n'énonce pas explicitement dans sa formulation :
- l'existence de a implique celle de b
en l'occurrence :
- l'existence de l'homme implique celle du désir.

Résumons nous :
L'essence de a contient b si et seulement si :
- l'existence de b implique l'existence de a ;
- l'inexistence de b implique l'inexistence de a ;
- l'inexistence de a implique l'inexistence de b ;
- l'existence de a implique l'existence de b.
En un mot si et seulement si :
- l'existence de a équivaut à l'existence de b.

Ce qui en langage formel donne, je crois :
b ∈ essence de a (a b)

Voir Tableau des symboles mathématiques de WP

Ou encore, si je ne m'abuse, avec Sujet et Prédicat (plutôt que P et Q, car il ne s'agit pas de le cas de la "chose" à définir d'une proposition) :
Essence de S := P [(P ⇒ S) ∧ (¬P ⇒ ¬S) ∧ (¬S ⇒ ¬P) ∧ (S ⇒ P) = (S P)]

Notons en passant que Spinoza ne parle pas d'existence dans sa définition (malgré la traduction de Saisset) mais on peut admettre qu'être donné, être posé, être équivalent ici à exister. D'autre part, cette formulation perd la notion de "ne pas pouvoir être conçu" mais comme c'est équivalent pour Spinoza à ne pas exister, on peut faire cette simplification.

La dernière proposition peut s'écrire : l'existence de A implique l'existence de A


N'y a-t-il pas une erreur ici ?

(en utilisant la propriété logique P => Q revient à non Q => non P).
On a deux implications symétriques, que l'on réunit en une équivalence :
« B existe si et seulement si A existe ». Si cette condition est vérifiée, alors B constitue l'essence de A.


Oui, à ceci près que A (dont vous faites maintenant le sujet) ici n'est pas une proposition.

Mais en tant qu'équivalence, la relation et symétrique. C'est là que le résultat me semble étonnant. Car si l'Étendue, en tant qu'elle est attribut de Dieu, constitue l'essence de Dieu, peut-on dire que Dieu constitue l'essence de l'Étendue ?


Oui. Dieu équivaut à l'étendue.

L'étendue constitue l'essence de Dieu, autrement dit l'essence de Dieu contient l'étendue si et seulement si :
- l'existence de l'étendue implique l'existence de Dieu ;
- sans l'existence de l'étendue, Dieu n'existerait pas ;
- sans l'existence de Dieu, l'étendue n'existerait pas ;
- l'existence de Dieu implique l'existence de l'étendue.

On pourrait de même dire que la mélodie ou succession de notes ou hauteurs sonores constitue l'essence de la musique du fait que :
- l'existence de la mélodie implique l'existence de la musique ;
- l'inexistence de la mélodie implique l'inexistence de la musique ;
- l'inexistence de la musique implique l'inexistence de la mélodie ;
- l'existence de la musique implique l'existence de la mélodie.

Et pourtant, cela n'empêche pas qu'on fasse entrer d'autres éléments dans l'essence de la musique comme le rythme (défini en musique comme durée des notes les unes par rapport aux autres), le tempo (vitesse globale d'exécution de la mélodie et du rythme), la nuance (intensité de l'exécution des notes, de pianissimo à fortissimo). Mais les uns et les autres s'impliquent tous logiquement, tout en permettant une infinité de variations. Il n'y a pas de mélodie sans rythme, même si pour une mélodie donnée, plusieurs rythmes, tempi, nuances sont possibles : ce sera toujours de la musique.

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Messagepar hokousai » 19 févr. 2012, 00:17

à Henrique

(ce qui est important car cela signifie qu'il n'y a pas, comme chez Platon et pratiquement toute la métaphysique jusqu'à Spinoza, d'essence sans existence,


Spinoza écrit pourtant

En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à<b> leur essence,</b> nous voyons qu'elle n'enveloppe ni l'existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l'une ni de l'autre, mais Dieu seul, parce qu'il est le seul à qui il appartienne d'exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.(trad Saysset )

la traduction de Pautrat précise : que les choses existent ou qu'elles n' existent pas .
.........................
la question est : est- ce que les essences objectives existent sans l'existence de leur essence formelle ?

au par 27 du TRE
Spinoza dit que l'idée en tant qu'elle est une essence formelle peut être l'objet d'une autre essence objective et à son tour cette autre essence objective considérée en elle même sera quelque chose de réel et de connaissable et ainsi indéfiniment .

Difficile de dire que les essences objectives ne sont pas distinctes des essences formelles .( l'essence formelle de Pierre c'est le Pierre en chair et en os )

Qu'il n'y ait pas d'essences sans existence, ce n' est pas du tout le problème de Spinoza dans le TRE. Bien au contraire il répudie l'existence pour ne valoriser que l'essence objective .
( par 27 sur l'idée vraie) .

La connaissance des causes y est inutile
Ce nest qu'au par 59 qu'elles réapparaissent .

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Messagepar hokousai » 19 févr. 2012, 12:37

à henrique

je ne suis pas du tout en désaccord avec ce que vous dîtes .
(ce qui est important car cela signifie qu'il n'y a pas, comme chez Platon et pratiquement toute la métaphysique jusqu'à Spinoza, d'essence sans existence, ce qui revenait à identifier essence et modèle ou forme, comme si le plan de la maison était l'essence de la maison, ce plan pouvant exister indépendamment de la maison en dur, ce que la définition de Spinoza récuse. Bien sûr le plan peut exister sans la maison, mais alors, c'est que le plan n'est pas l'essence de la maison)


Je pense que Spinoza a évolué du TRE à l' Ethique sur l' essence .

La définition donnée au scolie de la prop 10/2 est très intéressante et rompt avec le platonisme, je ne suis pas certain quelle diffère tant d' Aristote.

Il reste le statut de ces "manières de penser". Car il y a réitération de manières telles qu'on puisse en titer des généralités( tel que "le désir est l'essence de l' homme" )
Que ce soit des manières de penser ou des manières de faire les corps ces manières, ne tombent pas sous les sens. Il y a une abstraction.

Et il est là et pas ailleurs le vrai problème de l'essence.

Quand vous me dites que: L'essence de l'homme enveloppe, contient le désir . Quel est le statut d 'existence du désir en général ?

Est-ce que le désir a une essence objective et donc une essence formelle coexistant?

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Messagepar Shub-Niggurath » 19 févr. 2012, 13:07

Qu'est-ce qu'une essence, sinon une idée ? Selon Spinoza, il me semble que toutes les essences sont des idées, donc des modes de l'attribut pensant, et non des corps ou des modes de l'attribut étendu. Ainsi quand Spinoza dit que l'essence de l'esprit, c'est la connaissance, il veut dire que la nature de l'esprit humain n'est rien d'autre que l'ensemble des idées adéquates que l'esprit forme grâce à sa puissance de comprendre.

De même quand Spinoza parle de l'essence du corps, il n'entend pas par là autre chose qu'une idée qui représente la puissance d'un certain mode de l'attribut étendu. Dans la cinquième partie de l'Ethique, tout ce qui subsiste éternellement, ce sont des modes de l'attribut pensant, y compris l'essence du corps, qui n'est rien d'autre qu'un certain mode de l'attribut pensant.

La réalité de l'essence n'est donc rien d'autre qu'un certain mode de l'attribut pensant, et les modes de l'attribut étendu ne sont que l'effectuation temporaire d'un certain mode éternel de l'attribut pensant.

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Messagepar Babilomax » 19 févr. 2012, 14:55

Merci Henrique pour cette aide plus qu'appréciable.

Comme vous le soulignez, j'ai commis pas mal d'erreurs d'inattention dans mon message original, je tâcherai de les corriger.
De plus, je trouve que votre exemple de la musique est vraiment pertinent et éclairant.

Pour la distinction entre sujet et proposition, on peut choisir de noter E(a) la proposition « a existe » (a étant un sujet donné).
On a donc une définition finale :
Pour a et b distincts, on dit que b constitue l'essence de a si et seulement si l'on a : E(a) ⇔ E(b).

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Messagepar Henrique » 19 févr. 2012, 17:45

L'essence d'un corps comme un livre n'est pas l'étendue car bien qu'on ne puisse concevoir ce corps sans cet attribut de Dieu, on peut concevoir l'étendue sans ce livre. Cela signifie simplement que le livre ne contient pas l'étendue en tant que n dimensions s'affirmant à l'infini.

Ainsi la définition scolastique de l'essence "ce sans quoi une chose ne peut ni être, ni être conçue" est incomplète car cela reviendrait à dire que Dieu ou un de ses attributs appartient à l'essence d'une chose finie, autrement dit qu'une chose finie est infinie.

L'essence actuelle et donc formelle du livre comme de toute chose singulière nous dit Spinoza, c'est l'effort par lequel il persévère dans son être (E3P7). Dieu ou en l'occurrence, l'étendue est cause immanente de cette essence (E1P25), mais il n'est pas cette essence même. Cet effort n'est rien d'autre que la puissance par laquelle il se maintient dans l'existence et produit les effets qui en découlent : résister à sa décomposition tant qu'il le peut, occuper tel volume dans une bibliothèque etc. Cet effort peut se distinguer du livre lui-même, mais il est dans une relation d'équivalence stricte avec lui.

Cet effort ou essence du livre est bien formellement présent dans le livre réel, et pas seulement objectivement dans la pensée qu'on en a.

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Messagepar hokousai » 19 févr. 2012, 20:30

à Henrique

S'il y a effort c'est qu'il y a contre effort.
La réponse de de Spinoza est que les forces contraires à l'effort sont extérieures à l' homme. ( ce dont je doute ,mais bref )

L' homme a donc une composition naturelle , un être, dont il tend à préserver la pérennité.
Cette composition naturelle est réitérée similairement et suffisamment pour que nous sachions distinguer les hommes des chiens .

Ce serait donc là l ' être dont nous parle Spinoza et que l'effort fait persévérer.
S'il n'y a pas la chose il n'y a pas l'essence( ou l'effort ).

Qu'est -ce que la chose ( le coprs /esprit) a toujours et est toujours une question légitime.

Par l' idée d' effort il est bien évident que nous ne pouvons rien distinguer entre les choses ( ni l 'homme , ni les pommes ni les chiens ).

...................................

Ensuite: quel est le statut ontologique de l' effort ?

Est ce un corps ou une idée ? ou les deux ou autre chose ?
de quel attribut est -il l 'expression ?

Doit on ramener l'effort à la substance sans médiations?

<b>autant de questions non résolues ?</b>

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Messagepar hokousai » 19 févr. 2012, 20:36

cher Shub-Niggurath

Si l'essence est une idée on va immédiatement vous rétorquer que ce n'est qu'une idée . Ainsi que c'est une manière de voir les choses qui n'a pas son répondant dans la réalité . Car comment prouver qu'il y a ce répondant dans la réalité ?


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