L'individu total et les individus singuliers

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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L'individu total et les individus singuliers

Messagepar Shub-Niggurath » 09 mars 2012, 10:14

hokousai a écrit : Quand on lit son scolie du lemme 7/2 sur le grand individu on s'aperçoit qu'il n'existe en fait QU' UNE chose singulière .( cela est du moins pensable ).


"La Nature entière est un Individu unique, dont les parties, c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de façons, sans aucun changement de l'Individu total."

Il n'existerait donc qu'une seule chose singulière, à savoir Dieu, et ce n'est qu'à cause d'un vision partielle de notre esprit limité que nous serions portés à distinguer en Dieu des parties finies. Les modes ne seraient alors que des illusions dues à notre imagination, à nos perceptions mutilées et confuses du Réel. L'essence des modes ne se distinguerait alors plus de l'essence de Dieu, et leur puissance ne serait que la puissance même de Dieu. On peut tirer de là l'idée de vacuité de la dimension modale de l'existence, et la négation de toute finitude, au profit de l'infinité absolue de Dieu, seul être réellement existant. Nos intellects singuliers seraient donc des aspects d'un seul et même intellect, qui ne conçoit réellement qu'une seule Nature, à savoir Dieu. Illusion de nos sens primitifs, la division du monde entre une infinité d'êtres, que seul peut détruire l'intellect dans sa conception fondamentale d'un Être unique, infini et éternel.

Tout dépends de notre manière de considérer la Nature, soit par le haut, à savoir par l'essence de Dieu, soit par le bas, en considérant comme réellement existants les êtres de la Nature. Que tous les êtres ne soient qu'un ne signifie pas qu'ils n'existent pas réellement, je pense au contraire qu'il existent nécessairement comme des individus uniques, chacun ayant une essence singulière et différente de tous les autres, et c'est en cela que réside la richesse infinie de la Nature. Dieu produit une infinité de modes qui certes ne peuvent être séparés de lui, néanmoins chacun d'eux est unique et indispensable au Tout. Chacun d'entre nous exprime la nature de Dieu d'une manière unique, selon une puissance propre qui est son essence singulière. Sinon il n'y aurait aucune différence entre le rêve et la réalité, ces deux choses seraient deux illusions d'une imagination délirante, qu'il faudrait alors attribuer à Dieu, le seul être pensant du monde, ce qui est absurde. Dieu n'a pas d'imagination, il ne rêve pas, car alors il faudrait lui attribuer également des sens humains.

Curieux cette tentation de vouloir supprimer la puissance propre de chaque être de la Nature au profit de la seule puissance de Dieu, j'y vois une volonté de tromper les hommes et de leur faire accepter, à partir de là, n'importe quel sacrifice concernant leur utilité. Il me semble que tout, dans la philosophie de Spinoza, consiste au contraire à donner aux humains la conscience de leur puissance, autrement dit de leur liberté d'exister et d'agir, et non de leur faire convenir qu'ils ne sont que des songes creux, sans existence propre. Au profit de qui, en effet, sinon d'un tyran, devrions-nous accepter d'être ainsi dessaisi de ce qui fait notre individualité et notre particularité ?

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Re: L'individu total et les individus singuliers

Messagepar Picrate » 09 mars 2012, 13:29

Shub-Niggurath a écrit : Que tous les êtres ne soient qu'un ne signifie pas qu'ils n'existent pas réellement, je pense au contraire qu'il existent nécessairement comme des individus uniques,


Sauf erreur - d'après l'Éthique de Spinoza - seule la Substance existe.
Par ses définitions , je trouve l'exposé convainquant.
Il dit par ailleurs quelque chose comme "un individu existe ou pas" et donc son existence n'est pas une existence nécessaire.
Rien à redire non plus.
Pour ce qui est de tomber sous le joug d'un tyran : rien ne peut nous dessaisir de notre pensée.

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Messagepar hokousai » 09 mars 2012, 22:09

à Shub

Vous me dites <b>"Curieux cette tentation de vouloir supprimer la puissance propre de chaque être de la Nature au profit de la seule puissance de Dieu"</b>

Il y a certes le conatus , mais ni moi, ni vous, ni personne n'en est plus responsable que du reste. J'entends par reste, le reste de la nature.
On échappe pas plus au conatus qu'au restant des causes.
A vrai dire à une infinité de causes, et disons simplement à l' état des choses.

La puissance "propre" de chaque être, elle est dans l'état des choses. Elle ne lui appartient pas en propre. Il ne lui appartient pas, à tout le moins, d' en décider, c'est à dire de décider de sa propre nature.
Chaque être non seulement ne peut la supprimer (sa nature ) mais il ne peut faire autrement que de l' affirmer (dixit Spinoza ).
..................................

<b>Qu' en est- il de la nature d' une chose ?</b>

Tout d'abord Spinoza ne dit pas qu'il n'existe qu'une chose singulière et il n' assimile certainement pas le grand individu à Dieu .
Je dis qu'il est pensable en suivant sa logique de voir dans la nature toute entière la seule singularité à ce détail près qu' il faut alors la comprendre comme infinie.
Ce n'est donc plus une chose finie et ce n'est plus une chose singulière selon la définition de Spinoza .

Aussi pour moi n-y- a t-il pas de choses singulières du tout.
Car il n' y pas de finitude.
Quand Spinoza écrit "j'entends les choses qui sont finies"(def 7/2), je lui demande de m'expliquer ce qu'il entend par chose qui est finie .
................................

Je considère comme<b> réellement existant</b>, les phénomènes ( ce qui nous apparait comme existant ). Je dis tout simplement qu'ils n'ont pas d'existence substantielle.
C' est à dire qu'ils n'existent pas par soi (causa sui).

Ce qui est une <b>illusion</b> ce n' est pas leur réalité mais leur identité à soi.
En ce sens la nature n' est logique qu'une fois une seule et pour elle même.
A est A une fois et une seule et c'est pour Dieu ou la nature (quand on est substantialiste, je ne le suis pas).

Pour le reste la logique est très utile( fondement de notre raisonnement ) mais c' est penser le monde constitué de <b>causa sui</b> en relation les unes avec les autres . Des A identique à A en relation avec des B identique à B.
(Je parle de la logique héritée d' Aristote.)
................................

Spinoza dit que cela fait une différence de penser comme ceci ou comme cela. Que cela fait même une différence de penser selon des genres de connaissance. On ne peut le croire sur parole, il faut avoir éprouvé la différence .
Rien n'est exigible au delà de notre nature . On ne peut <b>se</b> contraindre à en changer.
On peut être contraint d' en changer. Contre des forces extérieures tyranniques , la révolte est légitime.

jluchks

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Messagepar Shub-Niggurath » 10 mars 2012, 20:21

S'il n'y a pas de finitude, alors nous sommes tous infinis. Je veux bien admettre que tout individu est composé à l'infini d'une infinité d'ensembles infinis de corps et d'idées, mais cela ne m'empêche pas de penser ce même individu comme ayant des limites, qui englobent ces ensembles infinis. Et donc tout individu sera dit fini seulement en tant qu'il est limité par un autre de même nature, ce qui me parait aller de soi. Je peux bien concevoir que les individus, ou les choses singulières, soient composés d'une infinité de parties infiniment petites, sans que leur finitude soit par là abolie. Sinon chaque individu serait un Dieu infini absolument, ce qui me paraît absurde.
Peut-être Spinoza aurait-il du parler de l'infini "en son genre" pour le distinguer de l'infini "absolument", plutôt que des modes finis.

D'autre part je ne comprends pas comment vous faites pour nier à la fois la substance et la finitude des modes. La logique voudrait que, si vous considérez chaque chose comme infinie, alors vous les concevez comme découlant de la substance infinie, et au contraire que si vous niez la substance, vous ne pourriez rencontrer dans l'expérience que des choses finies, autrement dit limitées. Mais vous semblez tenir une voie moyenne, en ce que vous considérez toute chose comme infinie, sans pour autant reconnaître l'existence d'aucune substance dans la Nature...

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Re: L'individu total et les individus singuliers

Messagepar Shub-Niggurath » 10 mars 2012, 20:25

Picrate a écrit :Sauf erreur - d'après l'Éthique de Spinoza - seule la Substance existe.
Par ses définitions , je trouve l'exposé convainquant.
Il dit par ailleurs quelque chose comme "un individu existe ou pas" et donc son existence n'est pas une existence nécessaire.
Rien à redire non plus.


Seule la substance existe nécessairement, c'est-à-dire est éternelle, mais cela ne signifie pas que les modes n'existent pas. Ils existent d'une manière différente de la substance, mais d'une manière tout aussi réelle, du moins tant que dure leur existence.

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Messagepar hokousai » 10 mars 2012, 23:42

à Shub

S'il n'y a pas de finitude, alors nous sommes tous infinis.

humm !!! pour moi infini ça veut dire<b> non fini </b>,non limité, ça ne veut pas dire infiniment grand .

La logique voudrait que, si vous considérez chaque chose comme infinie, alors vous les concevez comme découlant de la substance infinie


Sur la logique: elle y trouve ce qu'elle y met ce qui est bien normal.
Donc dans MA logique , je ne fais rien <b>découler</b> de rien.
.......................................................

On peut penser la finitude, certes et on ne s'en prive pas, mais il faut la penser sur fond d infinitude.
Une sorte de troisième genre de connaissance , <b>Combien préférable elle est à la connaissance universelle du deuxième genre</b> dit Spinoza.
Oui mais sur fond d'infinitude, pour moi ça implique que les choses réelles sont infinies, c'est à dire sans limites.

L'idée qui accompagne mon troisième genre de connaissance n'est pas la même que chez Spinoza.

ça c est un problème .

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Messagepar hokousai » 11 mars 2012, 01:18

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Messagepar sescho » 11 mars 2012, 11:19

Ah, le goût de la singularité !

La singularité placée en préalable, avec un T-shirt "Belongs to God" glissé dessus… Rien de plus commun... ni de plus opposé à la Sagesse, et donc à l'esprit de Spinoza. Le faux-moi mentalisé, l'ego, ne déteste rien plus que la communauté d'être, le commun, le "rien de spécial" et recherche au contraire - à l'être surtout - le particulier exceptionnel...

La Sagesse, elle, commence à s'exprimer seulement quand on est allé au bout de la vanité de cette quête, pour admettre, par abandon pur et non par résignation, qu'on n'est rien de particulier, rien du tout au sens de l'ego. Et c'est alors, et alors seulement, qu'on se révèle tout ou presque, en communauté avec les autres hommes et tout ce qui est – et donc infiniment plus que cette misérable fiction – : du Dieu éternel…

Note : bien évidemment, il n'y a pas « soit les choses, soit Dieu », ce qui est l'opposé absolu de l'esprit de Spinoza, mais les choses en Dieu, les choses dont l'essence est "partie" de l'essence de Dieu.

Corrélativement, recollant à un autre fil (E5P40S : signification ?), il n’y a pas multiplication de « l’esprit en tant qu’il est intelligent, qu’il comprend clairement et distinctement, etc. » mais un seul, commun à tous les hommes.

Spinoza a écrit :E1P17S : … un homme est cause de l’existence d’un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c’est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l’essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l’existence, et de là vient que, si l’existence de l’un d’eux est détruite, celle de l’autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps. …

E2P18S : ... cet autre enchaînement des idées qui se produit suivant l’ordre de l’entendement, d’une manière identique pour tous les hommes, et par lequel nous percevons les choses dans leurs causes premières. ....

E3P55S : Lors donc que nous avons dit, dans le Schol. de la Propos. 52, partie 3, que notre vénération pour un homme vient de ce que nous admirons sa prudence, sa force d’âme, etc., il est bien entendu (et cela résulte de la Propos. elle-même) que nous nous représentons alors ces vertus, non pas comme communes à l’espèce humaine, mais comme des qualités exclusivement propres à celui que nous vénérons ; et de là vient que nous ne les lui envions pas plus que nous ne faisons la hauteur aux arbres et la force aux lions.

E4P36 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.

Démonstration : Agir par vertu, c’est agir sous la conduite de la raison (par la Propos. 24, part. 4), et tout l’effort des actions que la raison dirige ne va qu’à un seul objet qui est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4), et conséquemment (par la propos. 28, part. 4), le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire (par la Propos. 47, part. 2, et son Schol.) un bien qui est commun à tous les hommes, et que tous, en tant qu’ils ont même nature, peuvent également posséder.

Scholie : On m’adressera peut-être cette question : Si le souverain bien de ceux qui suivent la vertu n’était pas commun à tous, ne s’ensuivrait-il pas, comme plus haut (par la Propos. 25, part. 4), que les hommes, en tant qu’ils vivent suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 35, part. 4), en tant qu’ils sont en conformité parfaite de nature, sont contraires les uns aux autres ? Je réponds à cela que ce n’est point par accident, mais par la nature même de la raison, que le souverain bien des hommes leur est commun à tous. Le souverain bien, en effet, est de l’essence même de l’homme en tant que raisonnable, et l’homme ne pourrait exister ni être conçu s’il n’avait pas la puissance de jouir de ce bien souverain, puisqu’il appartient à l’essence de l’âme humaine (par la Propos. 47, Part. 2) d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.

E5P20 : Cet amour de Dieu ne peut être souillé par aucun sentiment d’envie ni de jalousie, et il est entretenu en nous avec d’autant plus de force que nous nous représentons un plus grand nombre d’hommes comme unis avec Dieu de ce même lien d’amour.

Démonstration : Cet amour de Dieu est le bien le plus élevé que puisse désirer une âme que la raison gouverne (par la Propos. 28, part. 4) ; il est commun à tous les hommes (par la Propos. 36, part. 4), et nous désirons que tous nos semblables en jouissent (par la Propos. 37, part. 4) ; par conséquent (en vertu de la Défin. 23 des passions), il ne peut être souillé d’aucun mélange d’envie ni de jalousie (par la Propos. 18, part. 5, et la Défin. de la jalousie qui se trouve au Schol. de la Propos. 35, part. 3) ; au contraire (par la Propos. 31, part. 3), cet amour de Dieu doit être entretenu en nous avec d’autant plus de force, que nous imaginons un plus grand nombre d’hommes jouissant du bonheur qu’il procure. C. Q. F. D.

E5P42S : J’ai épuisé tout ce que je m’étais proposé d’expliquer touchant la puissance de l’âme sur ses passions et la liberté de l’homme. Les principes que j’ai établis font voir clairement l’excellence du sage et sa supériorité sur l’ignorant que l’aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu’il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l’âme, vit dans l’oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. Au contraire, l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. ...

TTP1 : ... les choses que nous savons par la lumière naturelle dépendent entièrement de la connaissance de Dieu et de ses éternels décrets ; mais comme cette connaissance naturelle, appuyée sur les communs fondements de la raison des hommes, leur est commune à tous, le vulgaire en fait moins de cas ; le vulgaire, en effet, court toujours aux choses rares et surnaturelles, et il dédaigne les dons que la nature a faits à tous. ...

Mais quoique l’âme de Dieu et ses éternels desseins soient gravés aussi dans notre âme, et que nous percevions en ce sens l’âme de Dieu (pour parler comme l’Écriture), cependant, comme la connaissance naturelle est commune à tous les hommes, elle a moins de prix à leurs yeux, ainsi que nous l’avons déjà expliqué ; surtout aux yeux des Hébreux, qui se vantaient d’être au-dessus du reste des mortels, et méprisaient, en conséquence, les autres hommes et la science qui leur était commune avec eux. ...

TTP3 : ... Pour cela, je pose en principe que les objets que nous pouvons désirer honnêtement se rapportent à ces trois fondamentaux : connaître les choses par leurs causes premières, dompter nos passions ou acquérir l’habitude de la vertu, vivre en sécurité et en bonne santé. Les moyens qui servent directement à obtenir les deux premiers biens, et qui en peuvent être considérés comme les causes prochaines et efficientes, sont contenus dans la nature humaine, de telle sorte que l’acquisition de ces biens dépend principalement de notre seule puissance, je veux dire des seules lois de la nature humaine ; et par cette raison il est clair que ces biens ne sont propres à aucune nation, mais qu’ils sont communs à tout le genre humain, à moins qu’on ne s’imagine que la nature a produit autrefois différentes espèces d’hommes. ...

Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité...

Et dans cette fameuse soi-disant précieuse « singularité, » combien relève de ce que Spinoza appelle « passions »… ? Ces passions étant des hybridations floues entre l’individu humain et du singulier connexe, étranger en tant que singulier, où est donc l’entité parfaitement identifiable et singulière, supposée se diriger par elle-même (cela rejoint la problématique du libre arbitre) ?

Dans un contexte d’interdépendance / impermanence globales (très clairement affirmé par Spinoza, et d’une totale évidence en général) que peut bien pouvoir dire « singularité » dans l’absolu ? Quelle est la pertinence de « solidifier » ainsi une entité, qui en fait est en interaction - en porosité même - permanente et inévitable (et vitale) avec son environnement ?

Certes, il n’y a pas deux choses rigoureusement identiques dans le monde actualisé. Swâmi Prajnanpad place même cette vérité dans ces premiers « enseignements. » Mais ce qu’il enseigne sur cette base, ce n’est pas que ces différences sont importantes en elles-mêmes, mais qu’il convient de « laisser toute chose être ce qu’elle est », sans faire de jugement de valeur, sans qualifier de bien ou de mal, sans comparer même : tout est neutre, et cela est sacré (car c’est le fait même, le ce-qui-est même, l’être même, en général, autrement dit Dieu.)

Ce qui rassemble les hommes (l’essence commune, dite « de genre, » Homme) est-il anéanti par des différences de détail, périphériques (si oui, il est interdit de parler d’homme, d’ailleurs, puisque le singulier prétendu « absolutisé » ne supporte évidemment pas d’être associé à autre chose que lui-même) ?

L’exemple « type » (et tout à fait pertinent) est celui de jumeaux homozygotes. Certes, ils ne sont jamais absolument identiques, dans le contexte d’interdépendance généralisée (il suffit que, ne pouvant se trouver à la même place, l’un prenne plus le soleil que l’autre ; encore une fois, si un prend un seul photon que l’autre ne prend pas, ils sont différents vus comme singuliers « solidifiés »…) Mais il est évident (et l’examen scientifique le montre : ils meurent généralement en même temps, sauf accident, etc.) qu’ils manifestent la même nature, la même essence (qui ne peut pas se concevoir véritablement comme singulière « solidifiée » : c’est dans l’essence de la nature, l’essence divine, qui est continuum.) L’essence dans le singulier n’est pas par tout ou rien. Dans tous les hommes, la part commune d’essence (la vision de laquelle seule autorise à les appeler par ce terme générique d’« hommes »), est bien clairement l’essentiel comparé à la captation d’un photon ou non… Et il en est de même pour des détails moins « périphériques » (ce n’est qu’une question de degré, pas de principe.)

Oui, il n’y a pas deux « choses » (qu’on pose artificiellement comme identifiables en propre) identiques dans la Nature, mais la richesse n’est pas tant là-dedans que dans la compréhension que c’est l’expression, plus ou moins dans le détail, du Mouvement dans l’Étendue, qui est éternel.
Modifié en dernier par sescho le 13 mars 2012, 15:59, modifié 1 fois.
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Messagepar Shub-Niggurath » 11 mars 2012, 12:48

Si je comprends bien, la singularité propre à chaque humain ne serait que l'orgueil de chacun, croyant être unique, affect du à l'illusion d'un "moi", et la sagesse consisterait à comprendre que chacun de nous n'est qu'un élément d'un ensemble infini d'êtres, ayant tous la même identité fondamentale, qui serait à rechercher dans un seul être infini et éternel, que nous appelons Dieu.

Cela serait faire fort peu de cas du troisième genre de connaissance, qui chez Spinoza concerne bien les individus singuliers que nous sommes.

"cette idée qui exprime l'essence du corps sous l'aspect de l'éternité est un mode particulier du penser qui appartient à l'essence de l'esprit et qui est nécessairement éternel."

Scolie de la proposition 23 partie 5.

Il parle donc bien d'un "mode particulier du penser" par le troisième genre de connaissance, et cela n'est pas, comme dans le second genre de connaissance, une idée générale et universelle, commune à tous les individus.

La raison en est simple, c'est que le troisième genre de connaissance ne concerne que les essences singulières, tandis que le second concerne ce qui est commun à tout et est autant dans la partie que dans le tout.

"J'ai pensé qu'il fallait le remarquer ici, afin de montrer par cet exemple toute la force de cette connaissance des choses singulières, que j'ai appelée intuitive ou connaissance du troisième genre, et combien elle est supérieure à la connaissance universelle que j'ai appelée connaissance du second genre."

Scolie de la proposition 36 partie 5.

Si Spinoza parle des choses singulières dans le troisième genre de connaissance, c'est bien qu'il les considère comme réellement existantes, et qu'elles ne se dissolvent pas, comme elles le font dans la connaissance du second genre, dans le Grand Tout de l'Être.

Si nous en restons au second genre de connaissance, nous pouvons aisément dire qu'en effet plus aucune chose singulière ne se distingue, mais qu'il n'existe que des lois et règles générales applicables à tout ce qui existe. Dans cette connaissance par notions communes en effet les singularités l'existent plus, mais Spinoza affirme bien qu'il ne s'agit pas là de l'ultime manière de comprendre les choses.

Il n'y a donc pas un seul esprit qui serait commun à tous les humains, cela serait s'en tenir seulement au second genre de connaissance, mais bien une infinité d'esprits singuliers, tous différents les uns des autres, et cela n'est pas une illusion de l'imagination due aux affects passifs du premier genre de connaissance, mais une vérité que seuls ceux qui ont atteint le troisième genre de connaissance peuvent apercevoir.

C'est bien pourquoi le salut n'est pas donné à tous les êtres, mais seulement à quelques uns :

"Le sage, en tant que tel, est à peine ému, il est conscient de soi, de Dieu et des choses par une sorte de nécessité éternelle, et, ne cessant jamais d'être, il jouit toujours au contraire de la vraie satisfaction de l'âme."

Scolie proposition 42 partie 5.

Le sage est donc conscient de lui-même, et non seulement de Dieu, et cela Spinoza l'affirme explicitement. Il n'y a aucune abolition de l'individualité ni de la singularité de chaque être en Dieu, mais au contraire pleine affirmation d'une nature particulière, différente de toutes les autres.

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Messagepar hokousai » 11 mars 2012, 17:46

à Shub

mais bien une infinité d'esprits singuliers, tous différents les uns des autres,

Mais aucun n'est libre. Le poids infini de la nécessité contraint chacun et chacune.
Rien jamais de neuf, d' inédit qui échappe à la contrainte absolue de la nécessité.
Ce serait désespérant.

Le pessimisme teinte beaucoup de vos messages.

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je sais vous n' aimez pas .. allons Faun un petit sourire !


bien à vous
hokousai


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