Spinoza n'était pas spinoziste !

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Spinoza n'était pas spinoziste !

Messagepar recherche » 26 mars 2012, 21:05

Bonsoir,

C'est ce qu'a déclaré ce soir Pierre Macherey, libre tel un professeur enfin honoraire, devant un parterre philosophique on ne peut plus académique, celui qu'héberge l'Ecole Normale Supérieure de Paris.

La philosophie, concède-t-il, je n'y crois plus vraiment...
Spinoza, quant à lui, n'était bien sûr pas spinoziste, tout comme Marx n'était pas marxiste. Et je vous invite à vous interroger sur ce qui pourrait le justifier. :)

« On n’enseigne la philosophie que dans l’agora, dans un jardin ou chez soi. La chaire est la tombeau du philosophe, la mort de toute pensée vivante, la chaire est l’esprit en deuil. »
Retrouver le scepticisme et le détachement de Cioran en ce lieu, c'était franchement suave !

PS - si quelqu'un est intéressé par l'enregistrement audio, merci de me faire signe.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 26 mars 2012, 23:42

La chaire ou la chair ? Joli lapsus.

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bardamu
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Re: Spinoza n'était pas spinoziste !

Messagepar bardamu » 27 mars 2012, 03:12

recherche a écrit :(...)
La philosophie, concède-t-il, je n'y crois plus vraiment...
Spinoza, quant à lui, n'était bien sûr pas spinoziste, tout comme Marx n'était pas marxiste. Et je vous invite à vous interroger sur ce qui pourrait le justifier. :)

Je suppose qu'il critique la philosophie considérée comme discipline académique. Si par "spinozistes" il désigne ceux qui ne tirent de Spinoza que sujet à commentaire académique, c'est clair que Spinoza n'était pas "spinoziste". Spinoza propose une philosophie à vivre plus qu'un sujet d'études scolaires (même si ça passe par l'étude).

J'allais commenter ma perception de la philosophie académique actuelle mais bon, je laisse ça de côté, on risque le hors sujet.
recherche a écrit :PS - si quelqu'un est intéressé par l'enregistrement audio, merci de me faire signe.

Tu as pensé à le proposer à Macherey directement ?
Il a un blog, et, si il le juge intéressant, il aura peut-être les outils nécessaires pour y intégrer un MP3.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 27 mars 2012, 10:09

Si "spinoziste" signifie ce qu'en ont fait certains de ses disciples ou commentateurs, il est logique en effet que Spinoza ne soit pas spinoziste mais simplement Spinoza.

La référence à la boutade de Marx qui disait cela de lui-même va dans ce sens je crois. Les marxistes ont tendu à faire de la pensée de Marx une idéologie, un ensemble systématique de dogmes qu'ils voulaient arrêtés définitivement alors que sa démarche se voulait philosophique, c'est-à-dire une recherche mouvante rendant compte du mouvement du réel.

La pensée de Spinoza a connu certaines évolutions. Mais si le spinozisme est cet ensemble caractéristique de principes qu'on peut tenter de définir en utilisant des termes (qui eux-mêmes restent à préciser par rapport à d'autres auteurs) comme le rationalisme, l'immanentisme, l'humanisme pratique etc. il y a bien un "spinozisme" auquel Spinoza adhère.

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Messagepar recherche » 27 mars 2012, 22:09

Bonsoir,

Il a non seulement critiqué la philosophie "académique" qu'il aura lui-même "servie" durant quarante années, mais aussi avancé que "Spinoza n'était évidemment pas spinoziste" en lien avec les limites de son propre système.

Le troisième genre de connaissance justifie-t-il, sorte de "sur-rationnalité" dont il ne dit presque rien, se pose comme une science "intuitive", dont le sens se trouve laissé à l'appréciation de tout un chacun.
"Parce qu'au-delà des commentaires qu'on peut en faire, saisir les essences singuilières, croyez-moi..."

Son discours m'a en fait semblé teinté d'une sorte de scepticisme de "bon sens", empêchant Spinoza tout comme lui de ne douter de leurs propres avancées.

PS - l'extrait audio en question (enregistrement de piètre qualité) : https://docs.google.com/open?id=0Byn0-0 ... WTFGYXVvQQ

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Messagepar hokousai » 27 mars 2012, 23:38

Macherey sur son blog mérite le déplacement .Article "pour faire le point"

Maintenant quand Macherey dit en substance "je n'ai pas de philosophie ..."
" je n’ai pas de philosophie, je ne cherche pas à en avoir, et je n’ai nul regret d’être de ce point de vue en manque, un manque que j’assume sans état d’âme en me contentant d’être un tâcheron, un ouvrier journalier de l’activité philosophique."(sic)

Manifestement Macherey a une philosophie des choses.
Impossible de résumer, il faut y aller voir .
......................................

je cite
"Cependant, bien qu’il (Husserl) y parvienne par des voies différentes, il défend une thèse qu’on peut rapprocher de celle de Marx : ce que la conscience individuelle perçoit sous les espèces de la certitude sensible comme une réalité naturelle est en réalité une construction culturelle qui a été isolée de l’ensemble constitué par le monde de la vie, donnée première à laquelle renvoie la compréhension de toute existence sans exception, y compris les formes de l’existence sensible."

Macherey ne montre pas explicitement vouloir nous entrainer dans le maelstrom sceptique. Pas évident non plus qu'il nous donne la méthode d' y savoir nager. Redoutant la noyade, je reste sur la rive.

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Messagepar hokousai » 27 mars 2012, 23:55

je recopie le passage sur Spinoza

"Sans doute Spinoza, celui des philosophes de la grande tradition sur lequel j’ai le plus travaillé, a-t-il écrit une Ethica ordine geometrico demonstrata : mais cela ne doit pas faire négliger que, dans le corps même de cet ouvrage, il explique que l’ordre démonstratif géométrique, qui correspond à ce qu’il appelle une connaissance de deuxième genre, n’est pas le dernier mot de la rationalité qui culmine dans un troisième genre, il le dénomme « science intuitive », dont les rapports avec le deuxième font, c’est le moins qu’on puisse dire, problème ; c’est donc en suivant la logique de son raisonnement qu’il est appelé à surmonter les contraintes qui en ont commandé le déroulement, et à transporter sa démarche sur un autre plan,<b> celui d’une espèce de surrationalité réconciliant les valeurs de l’intellect et celles de l’affect, une réconciliation dont la formule oxymorique « amor intellectualis Dei » fournit l’expression concentrée</b>. La tâche de la philosophie, loin de suivre un enchaînement rationnel rigoureux, est à reprendre entièrement dans chaque conjoncture dont elle doit exploiter la spécificité : dans ces conditions, il est vain de se la représenter comme progressant d’étape en étape sur une même ligne ; sa dynamique n’est pas continue, mais se nourrit de ruptures, de reniements, de relances, d’infléchissements qui l’amènent à se lancer sans cesse sur de nouvelles voies, donc à être constamment infidèle à elle-même."( c'est moi qui souligne )

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Messagepar recherche » 27 mars 2012, 23:58

C'est exactement cela ! ;)

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Messagepar hokousai » 28 mars 2012, 00:58

On peut espérer qu' il n'a pas trop ré-évolué à un mois d'intervalle. ( je n'ai pas écouté l' audio ...le texte écrit sur le blog me semble amplement suffisant ).http://stl.recherche.univ-lille3.fr/sitespersonnels/macherey/accueilmacherey.html

(lien déjà donné par Bardamu http://philolarge.hypotheses.org/

Humm!! ce n'est pas Cioran ...

Althusser, là oui, voila un homme qui l' a marqué profondément !
Modifié en dernier par hokousai le 29 mars 2012, 14:17, modifié 1 fois.

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Messagepar bardamu » 28 mars 2012, 02:28

recherche a écrit :(...)
Le troisième genre de connaissance justifie-t-il, sorte de "sur-rationnalité" dont il ne dit presque rien, se pose comme une science "intuitive", dont le sens se trouve laissé à l'appréciation de tout un chacun.
"Parce qu'au-delà des commentaires qu'on peut en faire, saisir les essences singuilières, croyez-moi..."
(...)

Ah, l'éternel débat...
Il est à craindre que ce soit une question d'expérience pour ce qui est des affects.

Pour le reste, pour ma part, j'ai tendance à rapprocher la science intuitive des "Eureka !". Quand Einstein, tout d'un coup, se dit que gravitation et accélération, c'est la même chose, ce n'est pas une déduction mais ça donne la relativité générale.
De manière plus générale, je rapprocherais ce type de connaissance de cette aptitude à décider l'indécidable au sens de la décidabilité algorithmique ou à savoir qu'une chose est vraie bien qu'indémontrable (cf la différence montrée par Gödel entre vérité et démontrabilité).
Je ne sais pas si il faut appeler ça "sur-rationalité", mais le fait est que quand un mathématicien pose son système d'axiome en se disant que c'est ce qu'il lui faut pour ses déductions, quand un physicien a l'intuition que c'est comme ceci plutôt que comme cela qu'il faut décrire les choses, ça ne passe pas par la démarche "algorithmique" d'une démonstration mais ce n'est pas non plus une simple hypothèse posée sans raison.
Il a ces idées parce qu'il connaît son domaine.

Pour moi, c'est la production de vérité sans le passage par la conscience réflexive, c'est une synthèse qui se fait "toute seule", la dynamique spontanée de la pensée qui s'applique sur des vérités, sur des idées de 2nd genre. Dans le premier genre de connaissance, des idées fausses s'enchaînent toutes seules, dans le second genre on effectue un travail conscient de construction ordonnée et dans le troisième genre, ça se déroule à nouveau tout seul, sans effort conscient, mais sur des idées vraies, on a compris, on sait, intuitivement.
On fait automatiquement "2+2=4", et ça se passe pareil pour des domaines plus complexes mais qu'on comprend vraiment.

Ca, ce serait pour la partie formelle, la manière dont peut marcher une "science intuitive". Pour que ça touche pleinement à l'"amour intellectuel de Dieu", il faut que la matière de ces idées soit en lien avec l'idée de Dieu, que la joie de l'"Eureka !" porte avec elle des aspects existentiels qui touchent à l'intime, des affects particuliers liés aux idées de Tout, de nécessité, un sentiment que tout est à sa place, vivant, parfait. Voir une pierre, un oiseau, une personne, n'importe quoi, c'est la saisir comme un être-là vivant dans l'ordre infini et nécessaire des choses. Comprendre non pas les aspects analytiques, le fait qu'une pierre soit faite de tel ou tel minéral ou se demander si elle est réelle, si c'est juste une apparence etc., mais saisir un état de présence singulière qui exprime tout un monde, manière d'être découlant directement de la nécessité d'un être infini (E1p16). Ne plus réfléchir parce qu'on sait déjà, voir "Dieu en tant que..".
Il y a dans cette synthèse immédiate, à la fois la pensée "cosmique" et les distinctions les plus triviales qui nous font dire "moi", "une pierre", "un nuage" etc., il y a à la fois l'unité d'un Tout et sa multiplicité, un Tout sans réduction à l'Un, sans perte du rapport à des choses particulières.

Pas évident de traduire ce type d'expérience affectivo-intellectuelle, ces affects mêlant conscience claire et joie, et certains se demandent si c'est encore de la philosophie. Il n'y a plus là de débat, d'argumentation, de preuve, de démonstration, c'est une chose à expérimenter, on ne peut que dire qu'on connaît ça, et qu'en l'occurrence, on pense que c'est de ça dont parle Spinoza. A la limite, de nos jours, c'est plus du côté des méditants et autres pratiquants d'exercices spirituel qu'on retrouverait la connaissance de ces états que les bouddhistes appelleront peut-être "Eveil".
Ceci étant, les bouddhistes comme Spinoza disent que c'est une question de pratique, qu'on peut s'y exercer pour y parvenir. Et puis, ça ne doit pas être si poétique ou abstrait que ça puisque les neurobiologistes commencent à voir à quel état physique ça pourrait correspondre...

Extrait du lien :
Dans une étude publiée en 2001, ce sont des moines tibétains pratiquant la méditation bouddhiste, un rituel destiné à atteindre certains états spirituels dont " une unité avec l'univers ", qui ont accepté de méditer dans les scanners de d'Aquili et Newberg. Au moment d'atteindre le pic de leur transe méditative, l'étude rapporte que le cerveau des sujet montrait une augmentation d'activité dans le lobe préfrontal droit ainsi qu'une diminution d'activité dans une région du lobe pariétal.

Pour Newberg et d'Aquili, ce pattern d'activité est cohérent avec le caractère subjectif particulier de ce type de méditation. En effet, le lobe frontal est impliqué, entre autres choses, dans la planification et l'attention. L'augmentation de son activité pourrait donc refléter, d'une part, l'aspect volontaire de la démarche et, d'autre part, la nécessité, dans la méditation bouddhiste, de se concentrer intensément sur une pensée ou un objet.

Quant au lobe pariétal, l'une de ses fonctions importantes est de permettre à l'individu de s'orienter dans l'espace, d'évaluer les distances et les positions relatives, bref de nous permettre de nous situer et d'évoluer dans l'espace. Son silence anormal lors de la méditation serait donc en accord avec le sentiment de dissolution du " moi " et d'unité avec le reste de l'univers rapporté par les sujets. Enfin, l'augmentation d'activité observée dans le système limbique, fortement lié aux émotions, contribuerait au sentiment de bien-être associé à ce sentiment d'unité cosmique.

Dans une ontologie de la séparation sujet-objet, on dira que ce n'est qu'un état subjectif, dans une ontologie unitaire, on dira que c'est l'accès au réel.
Ou si on inverse l'ordre des causes : quand on vit des états d'unité soi-chose-"Dieu", on a du mal à considérer que la réalité la plus profonde est celle des états de séparation et on produit une ontologie correspondant aux états qu'on juge les plus "éveillés".


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