Existence de l'infini

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar bardamu » 25 mars 2012, 13:08

Libr617 a écrit :(...)

Second obstacle

J'essaie de défendre une vision rationnelle du monde qui ne correspond pas vraiment ou pas toujours au mode de pensée que vous employez ordinairement sauf exception. Rien d'étonnant, dans ces conditions, si les arguments que j'utilise ne vous convainquent jamais. Et je peux le comprendre, bien sûr.

Bonjour Libr617,
je vais essayer de faire simple et court :

Votre modification ne marche pas dès le départ :
« VI- Par Dieu j’entends un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée de 128 attributs, chacun d’eux exprimant une essence éternelle et infinie »
D'emblée, il y a contradiction dans les termes parce que "absolument infini" ne peut pas signifier "128 attributs".
Ce serait comme dire "par l'ensemble N j'entends le nombre infini des nombres naturels, c'est-à-dire un ensemble constitué de 128 nombres".
La "quantité" d'être est donnée par les attributs, "absolument infini" est synonyme de "infinité d'attributs".

Soit vous prenez comme base de raisonnement un "être absolument infini" et dans ce cas ce n'est pas un être à 128 attributs, soit vous partez d'un être à 128 attributs, et là, c'est à vous de construire votre ontologie, d'en tirer les conséquences, et de voir si, par exemple, le résultat n'a pas tendance à laisser une place aux amateurs de surnaturel, ceux qui préfère que par le terme "Nature", on entende quelque chose de fini, histoire d'avoir de l'espace pour placer leur "surnaturel".

Peut-être, pour vous faciliter la lecture : remplacez "Dieu" par "Réel", "attribut" par "variable indépendante" et mode par "équation à n variables indépendantes". Ca n'a pas la richesse expressive du langage de Spinoza, ça ne permet pas de tout saisir, mais ça doit à peu près fonctionner au niveau de la structure.

A part ça, au cas où vous ne connaitriez pas, une recommandation de lecture : "Traité de physique et de philosophie" de Bernard d'Espagnat.
Il y liste divers types de réalisme selon ce qui est considéré comme réel, ce qui permet d'éviter de penser que "vision rationnelle du monde" soit une sorte d'évidence ne dépendant pas d'une construction conceptuelle. Réalisme eisteinien (mathématique), réalisme des accidents (objectiviste), réalisme structural, réalisme transcendantal etc., tout ça est aussi à penser... rationnellement.

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Messagepar Libr617 » 25 mars 2012, 18:10

Chers tous,

Je répondrai brièvement :

A Bardamu :

Je suis d'accord avec vous. J'aurai dû me passer du "absolument infini". Une fois supprimé, la démonstration me paraît valide jusqu'à preuve du contraire. Je maintiens que Spinoza ne démontre absolument pas l'existence du dieu dont il parle et ce, quel que soit le nom dont il l'affuble.

J'ai commencé à lire "Aux contraires" de levy-Leblond. Difficile pour moi de lire tous les livres que vous nous conseillez !

A Henrique :

Je ne pense pas avoir la pensée contemporaine de mon côté bien évidemment. J'utilise le langage de la modernité, celui de la science, celui qui fonctionne dans le réel.

Il est certain qu'il y a différentes orthodoxies parmi les scientifiques. Mais, en l'état, je ne peux pas imaginer un seul "scientifique" - pour faire large - qui pourrait remettre en cause la dernière démonstration que j'ai faite (sous réserve du correctif ci-dessus). Ce raisonnement est, on ne peut plus, "basique".

C'est d'ailleurs ce même raisonnement qui a servi à montrer qu'il existait une géométrie non euclidienne. Vous avez manifestement oublié vos années de première et terminale scientifiques :wink: durant lesquelles vous avez nécessairement appris à raisonner comme un scientifique...Et vous avez sûrement bien fait d'oublier !

Quant à votre affaire de "doute sophistique", je trouve cela vexant. Quel est l'intérêt dans une controverse d'utiliser pareil vocable ? Vous ne pouvez ignorer que ce mot "sophistique" a une connotation péjorative. L'ami, ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas ce que je dis - je reconnais que je manque très souvent de clarté - que mon doute est "sophistique". Cette manière de jeter l'anathème par des mots sur des individus, de les catégoriser est contreproductive.

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Messagepar bardamu » 25 mars 2012, 19:50

Libr617 a écrit :Chers tous,

Je répondrai brièvement :

A Bardamu :

Je suis d'accord avec vous. J'aurai dû me passer du "absolument infini". Une fois supprimé, la démonstration me paraît valide jusqu'à preuve du contraire. Je maintiens que Spinoza ne démontre absolument pas l'existence du dieu dont il parle et ce, quel que soit le nom dont il l'affuble.

Je reprends, mode hypothético-déductif :
1. Si on prend le concept d'absolu infini, d'infinité d'attributs
2. étant donné que "attribut" désigne une réalité existante (être froid, être long, être large, être haut, être intelligent etc.)
3. alors le type d'existence qui revient au concept d'absolu infini, est celui de l'existence nécessaire (contrairement au type d'existence que pourrait avoir un être ayant un nombre fini d'attributs)

C'est tout ce qu'il démontre, rien de plus, juste que son concept implique l'existence nécessaire, que l'existence détermine l'essence de cet Etre, que le concept de Réel infini n'aura pas pour cause de son existence autre chose que sa nature propre.
Spinoza ne cherche pas à démontrer qu'on peut démontrer de l'infini à partir du fini, au contraire, il ne cesse de dire que le fini ne peut pas démontrer l'infini.

Avez-vous une autre proposition pour donner une cause à l'existence en général ? D'où ferez-vous venir le fait qu'il existe quelque chose plutôt que rien ? Soit ce sera un Etre cause de soi (Réel infini comme Spinoza), soit ce sera un être causé (par le Dieu créateur des religions ?), soit on nie la validité de la notion de cause, soit... soit ce que vous voulez mais une métaphysique ça se construit pour peu qu'on veuille la faire dépendre de sa raison et pas d'un enchaînement d'idées reçues sans réflexion.

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Messagepar Libr617 » 25 mars 2012, 23:12

A Bardamu,

Je comprends ce que vous dites et je suis pleinement d'accord avec vous sur ce point très précis.

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Messagepar Henrique » 28 mars 2012, 14:37

A Libre617,
A part "l'argument" selon lequel tous les gens comme il faut pensent comme vous, je ne vois rien de nouveau. A l'analyse argumentée et détaillée de votre erreur de logique patente, je ne peux que constater, sans vouloir vous heurter, que vous ne répondez que par l'argument ad personam selon lequel j'aurais oublié mes cours de terminale.

Quant au terme de "sophistique" je suis peiné qu'il vous ait vexé. Vous avez réagi ici encore à ce que vous associez personnellement au mot, comme vous faites avec Dieu et l'infini, et non à ce qui est contenu dans la définition précise qui en a été donnée, qui n'a rien de vexatoire mais qui permet la qualification d'un fait constatable : pour un doute donné, ou bien la possibilité de penser le contraire sans contradiction peut être justifiée et c'est un doute raisonnable ; ou bien il n'y a pas de justification puisqu'alors la contradiction apparaîtrait clairement et on peut appeler ce doute "sophistique" ; vous aviez vous même admis cette définition. Mais je ne dis pas pour autant qu'il n'est pas compréhensible de projeter sur un mot autre chose que ce qui est dans sa définition explicite ; c'est une tendance naturelle de l'esprit humain, je vous invite simplement à prendre quelque recul à son égard.

Or face à la mise en évidence de l'impossibilité de penser un étant absolument infini qui n'aurait qu'un nombre limité d'attributs, de la même façon qu'on pourrait mettre en évidence l'absurdité de penser un polygone à 5 côtés dont on affirmerait qu'il n'est traversé que par deux diagonales, vous vous contentez de ne rien répondre et de maintenir que pour vous affirmer un être infini qui aurait un nombre limité d'attributs est concevable. Au delà de nos qualités et défauts personnels qui peuvent entrer dans la discussion mais non servir d'argument sur un sujet philosophique quelconque, il y a donc bel et bien dans votre discours ce que j'avais appelé un doute sophistique. Maintenant, si ce terme suscite des affects trop tristes pour vous, on peut, comme je l'avais indiqué, appeler ce type de doute artificiel ou encore, si vous préférez factice, fictif, spécieux ou à la limite simplement subjectif pour éviter le côté affectif des termes et en rester à la seule confrontation des arguments.

On a donc, pour rappel et à toutes fins utiles :
- le doute objectif, c'est-à-dire l'attitude intellectuelle face à un jugement dont le contraire est concevable sans contradiction ;
- le doute subjectif que j'avais appelé sophistique, c'est l'attitude qui consiste à maintenir le doute alors que le contraire est inconcevable. C'est au passage le genre de doute qu'adopte Descartes à un moment quand il pose qu'on pourrait douter que 3 et 4 fassent 7 du fait qu'il se peut qu'un Dieu trompeur m'ait créé avec un entendement mal formé : ici, le doute ne s'appuie que sur une fiction qui est une idée obscure et confuse et ne produit donc qu'une fiction de doute (voir ce que Spinoza dit de la fiction et de l'idée douteuse dans le TRE).
- la certitude subjective ou croyance, qui pose un jugement dont le contraire est concevable, mais en ignorant la possibilité de ce concept.
- la certitude objective pose un jugement dont le contraire est inconcevable à cause de la contradiction qu'il implique.

Au final, il y a encore trois choses à distinguer dans notre discussion :
1) La question de savoir s'il est logique ou non d'affirmer qu'une substance constituée d'une infinité d'attributs existe s'il est établi qu'une substance existe ; la comparaison avec le syllogisme classique établissant que Socrate est mortel a clairement permis de voir qu'on ne peut demander à la prémisse d'un raisonnement d'être elle-même démontrée par le raisonnement puisque l'objet dudit raisonnement est sa conclusion et non ses prémisses - ce n'est pas parce que le raisonnement ne prouve pas que Socrate est un homme que la conclusion "Socrate est mortel" est fausse. Ainsi le raisonnement en question est formellement correct, mais la question est alors de savoir si ses prémisses le sont aussi.
2) La question de savoir si la prémisse "Dieu est une substance constituée d'une infinité d'attributs" est en elle-même valable a aussi été amplement traitée sans contre-argument sérieux : si on désigne du nom "Dieu" le concept d'un étant absolument infini alors cela ne peut être autre chose qu'une substance constituée d'une infinité d'attributs sans quoi on se contredit. En ce sens, la prémisse en elle-même qui dit que Dieu ou l'étant absolument infini est la substance constituée d'une infinité d'attributs est aussi nécessaire que celle qui affirmerait que l'hexagone ou figure fermée à 6 angles est un polygone constitué de 9 diagonales.
3) La question de savoir si on peut tirer l'existence nécessaire d'un simple concept. Vous semblez l'avoir concédé avec Bardamu qui montre comment on tire l'existence nécessaire du concept de l'infinité des attributs. Mais pour ce qui concerne la première démonstration de la prop. 11 dont nous discutions, ce n'est pas alors le raisonnement en lui-même qu'on y trouve que vous pourriez contester mais bien la proposition 7, sur laquelle s'appuie la prop. 11, qui établit l'existence nécessaire de la substance à partir du seul concept de substance. Mais c'est alors une autre discussion qui renvoie à celle que nous avions déjà eues sur les preuves a priori de l'existence de Dieu par rapport à la tentative de réfutation qu'en donne Kant et dont un rappel a récemment été proposé ici.

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Messagepar Libr617 » 29 mars 2012, 16:19

A Henrique,

Sur la forme

Je me suis effectivement interrogé sur la ou les raisons qui pouvaient vous pousser à ne pas vouloir « voir » le problème que je pointe du doigt. En toute bonne foi, j'ai pensé que vous aviez oublié ce qu'on vous a enseigné en terminale C.

Il n'y avait aucune malice dans mon propos sur ce point précis, aucun « argument » ad hominem.

Mais, vu le résultat, je vous présente mes excuses. J'aurais dû en effet m'abstenir de faire ce commentaire.

Sur le fond

Je vous cite :

[V]ous vous contentez [...] de maintenir que[,] pour vous[,] affirmer un être infini qui aurait un nombre limité d'attributs est concevable


Non. Suite à une intervention de Bardamu qui m'a permis de corriger le tir, je dis que l'existence d'un être infini qui aurait, par ailleurs, un nombre illimité d'attributs, est douteuse. Je dis que la démonstration de la proposition E I, 11 est fausse.


Au risque de vous agacer (tous) encore un peu plus, je ferais volontiers les deux remarques suivantes :

Première remarque :

Il me semble qu’il y a deux types de lecteurs de l’Ethique : le premier est l’homme qui vit aux XVIIe, XVIIIe ou XIXe siècles ; le second est l’homme des XXe et XXI siècles.

Le premier type de lecteur croit que le monde a été créé selon le schéma décrit dans la bible. Il croit en un dieu personnel et pense que le pouvoir de ses dirigeants est de droit divin. La métaphysique de l’Ethique s’adresse à lui et a vocation à le rendre libre c’est-à-dire autonome au sens étymologique du terme : il est, pour lui, sa propre loi. Les conséquences politiques d’une telle doctrine étaient dévastatrices pour l’époque.

Le second type de lecteur, finalement, c’est un peu nous. Avec notre rationalité, notre compréhension moderne du monde qui est loin d’être parfaite (au sens ordinaire du terme). De fait, la métaphysique de Spinoza ne nous apporte rien si ce n’est quelques idées intéressantes, égrainées çà et là, et qui ont essentiellement trait à la « formulation » du monde (modes, connaissances…etc.). Mais rien de révolutionnaire, rien qui ne soit évident pour qui est allé au lycée. Spinoza part du réel – la substance, cause de soi – pour aboutir à l’affirmation de l’existence du réel. La fin de la première partie de l’Ethique se conclut par cette évidence : « rien n’existe dont la nature n’entraîne quelque effet » autrement dit « tout a un effet » ce qui, j’imagine, est une banalité pour tous.

Seconde remarque :

Spinoza use, dit-il, de la forme more geometrico. Il ne fait aucun doute, dans son esprit, qu’une telle forme sera plus « persuasive ».

Et pour cause ! Spinoza savait pertinemment bien que l’habillage mathématique de ses théories impressionnerait ceux de ses contemporains qui n’entendaient rien aux mathématiques. Je n’irai pas jusqu’à attribuer à Spinoza, les travers d’un Lacan, d’un Deleuze ou d’un Baudrillard mais l’idée est là.

De ce point de vue, l’usage de la forme more geometrico est, pour moi, problématique dans la mesure où certains, ici, y voit l’alpha et l’oméga d’une pensée vraie. Qui de citer telle ou telle proposition en réponse à la question de savoir si Spinoza cautionnerait l’IVG ? Qui de rappeler que le système de l’Ethique est logico-déductif ? C’est vrai que ce site est consacré à Spinoza. Mais, parfois, il y règne comme un certain prosélytisme.

Spinoza n’est pourtant pas à l’origine d’une nouvelle religion. Son message est moins inquiétant : connaître, comprendre le monde, c’est la clé du bonheur. Ceux qui le comprennent le mieux sont d’ailleurs, sans surprise, des universitaires ou des intellectuels dont la vie toute entière est tournée vers l’acquisition de connaissances.

Partant, je serais tenté d’affirmer que la critique froide, sans concession, de l’Ethique est une exigence « spinoziste ». Et la première des critiques que j’adresserais à ce texte, est d’user d’une forme prétendument mathématique qui, aux yeux de certains, lui confère malheureusement une force probante qu’il n’a tout simplement pas.

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Messagepar Henrique » 29 mars 2012, 19:02

Cher Libr617,
1) La logique classique, que reprend Schopenhauer dans son traité d’éristique, distingue les arguments ad personam et ad hominem. Je ne disais pas me sentir touché par l'argument personnel mais seulement qu'il ne changeait rien à l'analyse que j'ai donnée sur la question de la construction formelle de la dém. d'E1P11 et je constate encore que même en vous expliquant par a + b votre erreur, vous la maintenez.

2) Je ne suis pas loin de penser comme vous qu'au fond Spinoza nous parle de choses relativement basiques que tout un chacun peut comprendre en étant attentif à ce qu'il trouve naturellement dans son intelligence. Mais la différence qui semble nous avoir opposé est le statut à accorder à l'infini. Pour vous apparemment, le concept d'infini est une fioriture datée de l'époque de Spinoza et qui ne correspond à rien d'intellectuellement nécessaire pour saisir l'intérêt de la philosophie de l'Ethique. Je dis que si vous retirez l'infini du spinozisme, vous lui retirez toute sa signification et toute sa force.

3) Sur le more geometrico, votre interprétation des raisons qui ont pu pousser Spinoza à l'adopter est arbitraire. Il faut lire la préface des principes de la philosophie de Descartes pour vous faire une idée plus précise de la différence entre méthode de recherche, analytique, et méthode d'exposition, synthétique. A l'époque de Spinoza, certainement encore plus qu'à la nôtre avec un scientisme qui sévit encore chez les moins lettrés de ceux qui ont une culture scientifique hyperspécialisée, la méthode géométrique n'est nullement un gage en soi de vérité. Comme je vous le rappelle encore une fois Spinoza dit lui-même qu'il n'est pas d'accord avec tout ce qui est dit dans les PPD alors qu'il vient de les exposer de façon géométrique. En mettant en évidence les prémisses de tous ses raisonnements, avec les axiomes et les définitions, il s'offre au contraire beaucoup plus à la critique, critique recevable cependant à condition qu'on entende ce que l'on dit et non qu'on se contente d'imaginer ou de parler.

4) Je n'ai pas suivi de près le débat sur l'IVG. Mais il y a une chose qui est souvent mal aperçue et qui me semble transparaître dans ce que vous dites. C'est qu'il y a sur ce forum deux types de débats :
- ou bien ceux qui traitent directement d'une question portant sur l'interprétation d'un passage ou d'une idée qu'on peut trouver chez notre auteur et dans ce cas qui relève de l'histoire de la philosophie, les références précises sont indispensables pour justifier la concordance entre ce qu'on affirme et ce qui peut se trouver effectivement dans les textes dont nous disposons.
- ou bien on discute de questions traitées par Spinoza mais d'un point de vue philosophique et non d'histoire de la philosophie et alors les références n'ont pas la même nécessité intrinsèque, il s'agit de savoir si on est d'accord ou pas avec telle ou telle idée ; mais inévitablement, on est alors aussi confronté à la question de savoir si on ne prête pas à Spinoza des idées qui ne sont pas les siennes et les références demeurent encore nécessaires.

Il ne s'agit donc nullement de citer Spinoza comme on cite la Bible, à titre d'autorité morale et spirituelle, qui devrait être admise sans véritable nécessité logique, mais seulement de discuter sur des bases vérifiables.

Quant à se faire le prosélyte des idées auxquelles on adhère, il me semble que vous ne vous en êtes pas privé depuis que vous êtes ici et avec raison car autrement il n'y aurait pas de débat possible.

Enfin, il est tout à fait légitime de critiquer l'Ethique au nom de l'Ethique même, comme d'ailleurs au nom de la philosophie qu'on voudra, mais si par légitimité on entend autre chose que le droit de conscience, c'est-à-dire le droit de dire et de penser n'importe quoi, si on entend une critique informée et logique, alors il ne suffit pas de dire "je ne suis pas convaincu par cette argumentation" pour prétendre avoir mené une critique digne de ce nom.

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Messagepar Libr617 » 29 mars 2012, 19:36

Cher Henrique,

Le fait que vous ne reconnaissiez pas le bien-fondé de ma critique portant sur la démonstration de la proposition I, 11 ne signifie pas qu'elle ne serait pas fondée. Seulement que vous n'êtes pas d'accord avec. Je la comparerais à ces Etats que la France ne reconnaît pas comme tels mais qui existent néanmoins bel et bien (ex. : Taïwan ou la République turque de Chypre-Nord).

L'art d'avoir toujours raison est un livre que j'avais acheté en prévision d'une soutenance de thèse que je savais, par avance, qu'elle serait particulièrement houleuse. Je ne l'ai finalement jamais lu. Je ne suis pas sûr de vouloir avoir raison à tout prix. Surtout, cela me gênerait d'avoir raison de façon artificielle.

Ceci explique mon incurie quant à la différence que fait Schopenhauer entre argumentum ad personam et argumentum ad hominem. Cette différence est-elle entrée dans l'usage ? La langue, c'est d'abord l'usage qu'on en fait, n'est-ce pas ? En tout état de cause, si j'ai bien compris, cet usage est en vigueur sur ce site :wink:

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Messagepar hokousai » 29 mars 2012, 22:24

cher libr

Ce forum est tout à fait ouvert aux critiques portant sur Spinoza.

Reformulez votre critique mais avant lisez bien la prop 11. Si vous voulez contester la definition de Dieu de Spinoza et donc les attributs il s'agit des prop 9 et 10/1.
De mon pt de vue il n'y avait pas à discutter de vos raisonnements sur la prop 11 parce qu' ils ne portaient pas sur la prop 11.

bien à vous
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Messagepar bardamu » 30 mars 2012, 00:23

Bonjour Libr617,
je vais y aller aussi de mon "petit" commentaire qui finalement est très long. Un peu de provocation parce que vous êtes agaçant avec vos certitudes sur notre supposé dogmatisme de croyant et un peu d'explications complémentaires.
Libr617 a écrit :(...)
Le second type de lecteur, finalement, c’est un peu nous. Avec notre rationalité, notre compréhension moderne du monde qui est loin d’être parfaite (au sens ordinaire du terme). De fait, la métaphysique de Spinoza ne nous apporte rien si ce n’est quelques idées intéressantes, égrainées çà et là, et qui ont essentiellement trait à la « formulation » du monde (modes, connaissances…etc.). Mais rien de révolutionnaire, rien qui ne soit évident pour qui est allé au lycée. Spinoza part du réel – la substance, cause de soi – pour aboutir à l’affirmation de l’existence du réel. La fin de la première partie de l’Ethique se conclut par cette évidence : « rien n’existe dont la nature n’entraîne quelque effet » autrement dit « tout a un effet » ce qui, j’imagine, est une banalité pour tous.

Vous êtes sûr de ne pas confondre le fait que ça ne vous apporte rien avec le fait que ça n'apporte rien.
D'après vous, pourquoi voit-on Spinoza évoqué encore aujourd'hui dans des domaines aussi différents que la physique, la neurobiologie, l'épistémologie, la psychologie, la sociologie, la politique... ?
Dans l'histoire des idées, il ne doit y avoir que quelques dizaines de penseurs qui incarnent des orientations fortes, des options majeures dans la conception du monde qui changent la manière de penser et d'agir.
Spinoza est l'un d'eux, ce n'est pas pour rien qu'il est régulièrement d'actualité, de même que peuvent l'être Platon, Descartes, Kant ou autres.

Mais en fait, vu que vous vous permettez de faire notre portrait, je vais faire le vôtre (mode hypothético-déductif, l'hypothèse n'a pas de vérité nécessaire...).
Hypothèse : dans votre brillant cursus, je pense qu'il manque une chose, l'étude de l'histoire des idées, éducation nécessaire pour réaliser ce qu'on demande en terminale de philo, apprendre à penser par soi-même. Vous savez ce que vous pensez, vous avez vos évidences, mais vous ne savez pas d'où elles viennent.
De votre manière de penser, j'ai déduit que vous étiez proche d'un courant positivo-scientiste, une science d'ingénieurs, une tendance empiriste qui se voudrait très terre à terre et qui, pour moi, caractérise une certaine éducation en sciences.
Etant à l'origine destiné à la recherche scientifique, je connais assez bien cet état d'esprit, mélange de matérialisme naïf, d'absence de réflexion sur ce qu'est un fait ou une théorie, de réaction allergique à certains mots (spiritualité, Dieu, métaphysique...), de manque de conscience des préjugés implicites présents dans l'activité scientifique elle-même.

Déductions : par manque de réflexivité sur lui-même, c'est ce genre de courant qui à la fin du XIXe s'est mis à traquer les fantômes avec des appareils photos, s'est demandé combien pesait une âme, qui plus tard a fait des expériences de télépathie dans des sous-marins, s'est interrogé sur les vertus magiques de la conscience dans la réduction du paquet d'onde en quantique et se voit encore chez le grand physicien Penrose à la recherche du libre-arbitre dans les microtubules des neurones.
Toute cette mentalité se retrouve encore dans la "parapsychologie" et autres pseudo-sciences qui à force de croire que tout ce dont on parle est visible, tangible, pesable, essaie de tordre des cuillères à la force de la pensée.

Seraient-ils un peu plus spinozistes, qu'ils admettraient qu'une bonne part de ce dont on parle, une bonne part de notre réalité, est par nature étranger à tout ça, qu'ils font une erreur de catégorie (au sens logique) que leurs efforts sont aussi vains que ceux de Descartes s'efforçant de lier les mouvements de l'âme à la glande pinéale.

Seulement, par définition, on ne peut que démontrer en idée que l'idée n'est pas caractérisée par le sensible, il n'y a que le raisonnement qui permettent de faire voir que l'idée ne se définit pas par les paramètres du physique, qu'il est aussi absurde de vouloir peser un esprit qu'il est absurde de demander le poids d'une couleur.
Toutes ces choses qui se comprennent mais ne se voient pas, toutes ces choses dont on parle et dont la définition implique qu'elles ne sont pas à déterminer par une logique du sensible, du physique, ce sont les choses de la raison, très ancienne distinction entre l'intelligible et le sensible.

Einstein disait que son Dieu était celui de Spinoza, et en effet, les "spinoziens" ont un peu les mêmes tendances que lui : naturalisme et rationalisme, c'est-à-dire l'adhésion à l'intelligible, à ce que montre une pensée "non-sensible".
L'aspect hypothético-déductif n'est pas un hasard, Einstein aussi fonctionnait en posant des hypothèses-postulats théoriques que son intuition lui indiquaient comme juste pour ensuite en développer les conséquences. Quand on a commencé à vouloir vérifier la Relativité Générale, il a dit que si les mesures ne collaient pas, c'est elles qui seraient fausses, pas la théorie. Elle était trop cohérente pour ne pas être exacte...
Est-ce de la foi, de la religion, que d'adhérer à la cohérence d'une idée ?
Certains anti-rationnalistes disent que oui.

On est donc dans ce curieux paradoxe de gens se présentant comme incarnations de l'esprit scientifique mais suspicieux face à des affirmations de raison.
Pour tout dire, quand je vous ai demandé si vous aviez une autre proposition que Spinoza sur la question de l'existence même, sur le fait qu'il y ait de l'existence, c'était un test pour savoir si vous aviez mené une réflexion sur votre propre cadre de pensée, si vous sauriez le défendre en raison. Je crains que ce ne soit pas le cas, je crains que vous ne sachiez pas pourquoi vous pensez comme vous pensez, et je vais même craindre qu'on sache mieux que vous d'où vous viennent vos idées, à quelle lignée de l'histoire des idées vous appartenez sans le savoir.

Cette critique se veut celle d'une forme de pensée même si je la centre sur vous pour la rendre plus "sensible". Je serais ravi que vous sachiez nous dire dans quel courant de pensée vous vous reconnaissez, de quelle tradition intellectuelle vous vous sentez proche (des -ismes, des auteurs, ce que vous voulez).
Libr617 a écrit :Spinoza use, dit-il, de la forme more geometrico. Il ne fait aucun doute, dans son esprit, qu’une telle forme sera plus « persuasive ».

Et pour cause ! Spinoza savait pertinemment bien que l’habillage mathématique de ses théories impressionnerait ceux de ses contemporains qui n’entendaient rien aux mathématiques.

Mais que connaissez-vous de la mentalité de l'époque pour dire des choses pareilles ?
Le contenu mathématique est quasi-nul et la forme était d'une difficulté standard pour le public de Spinoza. Ce sont des Leibniz et des Huyghens qui étaient susceptible de le lire, pas vraiment les premiers péquins venus. Aucun de ses correspondants ne semble particulièrement perturbé par celle-ci, et c'est plutôt nous qui avons du mal parce que nous n'avons plus les références implicites communes en ce temps, que le vocabulaire substance, attribut, mode, infinité, éternité, puissance, acte etc. a quelque chose d'exotique pour nous, bien qu'il soit habituel pour un lettré du XVIIe.

Spinoza a essayé d'autres formes avant d'opter pour le "more geometrico" et ce n'est pas pour faire de l'esbroufe, c'est sans doute dans un souci de clarté qu'il a opté pour cette forme, sur le même genre de motivation que la philosophie analytique du XXe siècle ou sur cette remarque de Bergson disant que ce qui manquait le plus à la philosophie c'était la précision.
L'objectif est de donner des définitions claires, un exposé aussi explicite que possible, permettant un cadre de critique de type "scientifique". Il a fallut une optique plus littéraire à la Voltaire ou un rien anti-rationnaliste à la Nietzsche, pour reprocher cette ambition.
Libr617 a écrit : Je n’irai pas jusqu’à attribuer à Spinoza, les travers d’un Lacan, d’un Deleuze ou d’un Baudrillard mais l’idée est là.

Laissez-moi deviner : vous avez lu "Impostures intellectuelles" de Sokal et Bricmont, cela vous a convaincu, mais je parierais que, par exemple, comme eux, vous ne connaissez pas vraiment l'oeuvre de Deleuze, que vous ne savez pas quel usage il fait des sciences ?
Il n'y a pas plus chez lui que chez Spinoza la tentation de faire le malin et son style n'a rien à voir avec l'ambition du "more geometrico". Au contraire, il adopte une forme en accord avec sa conception de la différence entre pensée scientifique et pensée philosophique, là où à l'époque de Spinoza, on parlait plutôt de philosophie naturelle, un mélange des deux. Ce serait plutôt le courant de la philosophie analytique, les héritiers de Wittgenstein et autres qui seraient tenté par l'approche logico-formelle.
Libr617 a écrit :Partant, je serais tenté d’affirmer que la critique froide, sans concession, de l’Ethique est une exigence « spinoziste ». Et la première des critiques que j’adresserais à ce texte, est d’user d’une forme prétendument mathématique qui, aux yeux de certains, lui confère malheureusement une force probante qu’il n’a tout simplement pas.

Ne seriez-vous pas tenté de croire que vos critiques sont nouvelles, qu'on n'a pas déjà vu tout ça dans la littérature concernant Spinoza depuis 3 siècles, chez Leibniz, Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger etc. ?
Vous croyez vraiment qu'on pense que le "more geometrico" est une démonstration mathématique ? Et je ne comprends pas que vous m'accordiez la présentation que j'ai faite de E1p11 pour ensuite faire avec Henrique comme si il disait le contraire, ce que je ne pense pas être le cas.

En tout cas, votre objection ressemble fortement à celle de Kant sur l'argument ontologique, et, comme nos explications semblent vous laisser dans le doute, un extrait d'ouvrage :
Totalité et subjectivité, J.-M. Vaysse, p.151, ed. Vrin a écrit :Le déplacement spinoziste de l'argument ontologique interfère avec sa critique kantienne. En posant l'identité de l'Etre et de la pensée, le spinozisme a permis de poser le principe d'un réalisme de l'Absolu qui surmonte l'opposition du sujet et de l'objet. Un tel réalisme est en fait un idéalisme, dans la mesure où il affirme que l'Absolu ne peut poser que lui-même. Aussi l'essence de l'Absolu n'est-elle que le libre déploiement de sa puissance. Spinoza a compris que l'Absolu n'est pas démontrable, mais doit être immédiatement posé. L'argument ontologique n'est pas, à proprement parler, une preuve mais une thèse ou position absolue, qui ne prend l'aspect d'une démonstration qu'en tant qu'il est une illusion naturelle de la raison finie vouée à la discursivité, comme Kant l'a établi.


Normalement, votre question devrait alors porter sur le fait qu'on puisse adhérer à cette intuition originelle d'un absolu infini, qu'on puisse poser ça comme base de fondement du réel, qu'on adhère à cette idée comme à une réalité sensible. Et là, vous direz peut-être que vous ne reconnaissez qu'une réalité subjective aux idées, que ce ne sont que des constructions humaines, voire même des connexions dans un cerveau, que pour vous il n'y a nulle raison de lui donner plus de réalité qu'à une licorne. C'est la position classique de l'agnostique "terre à terre" qui évite toute métaphysique perçue comme spéculation "irrationnelle", qui en reste à ce qu'il peut se représenter en "image". Il n'y a pas grand chose à répondre à ça, si ce n'est que l'agnosticisme n'affirmant rien, il laisse la porte ouverte à toutes les affirmations, aussi fantastiques soient-elles, il ne clôture pas le champ du pensable par une pensée raisonnée.
Dans son engagement métaphysique rationnel, Spinoza entend couper l'herbe sous le pied de tous les amateurs d'étrange et les prêcheurs qui ne doivent leur pouvoir qu'en l'affirmation d'une mystérieuse Révélation qui n'appartient qu'à eux. Soit une chose existe et elle est intelligible, conforme aux principes de la raison, cette même raison que nous exerçons (non-contradiction, conditions d'existence, causalité etc.), soit elle n'est pas.

Ceci étant, on pourrait éventuellement vous faire une liste de ce qui apparait régulièrement sur le forum comme étant pour nous de vraies difficultés, ces choses sur lesquelles même les spécialistes de Spinoza ne s'accordent pas.
Et puis aussi indiquer quelques-unes de ses astuces rhétoriques qui lui évitaient de trop choquer ses correspondants. Déjà "excommunié" par la synagogue, accusé d'athéisme, avec un dossier le concernant chez l'Inquisition, il n'était pas évident pour lui de poursuive sa critique de la pensée théologico-superstitieuse, mais il l'a fait, non sans ruse.


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