Existence de l'infini

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 01 avr. 2012, 02:59

Cher Libre,
Le titre donné par Schopenhauer à son opuscule n'est pas L'art d'avoir toujours raison mais Dialectique éristique. Son objet n'est pas d'indiquer comment avoir toujours raison mais de lister les stratagèmes communément utilisés, quoique sans s'en rendre compte clairement, pour décourager une recherche sincère de la vérité. Il indique ainsi comment contrer ces stratagèmes si on veut faire valoir la vérité. C'est une lecture toujours utile pour qui fréquente les forums de discussion.

Quant à la distinction que le philosophe allemand reprend, entre ad hominem et ad personam, elle est claire et se justifie donc par elle-même.

Vous dites que je ne reconnais pas le bien-fondé de votre critique comme la France ne reconnaît pas certains États qui existent pourtant bel et bien. Je réponds que je reconnais l'existence de votre critique mais pas son bien fondé comme il est loisible à un État de droit de ne pas reconnaître la légitimité du pouvoir qui s'est installé dans un pays, notamment s'il s'est installé par la force (ce qui n'est pas votre cas) ou en raison d'autres critères. La question de mon accord personnel ou pas avec votre argumentation n'importe pas, je constate simplement que pour être légitime votre critique devrait être capable de répondre aux contre-arguments qui vous ont été présentés (et pas seulement par moi). Légitime logiquement s'entend. Bien sûr vous avez le droit moral de conserver vos certitudes et vos doutes, quels que soient les arguments et les contre-arguments.

Enfin, j'essaye encore une fois de comprendre car malgré peut-être certaines apparences j'y trouve du plaisir. Vous doutez de l'existence d'un être infini qui a une infinité d'attributs, mais grâce à Bardamu, vous ne doutez plus qu'un étant absolument infini doit être une substance constituée d'une infinité d'attributs. Vous ne doutez pas par ailleurs que le réel puisse être appelé substance cause de soi et que celui-ci existe. Mais vous dites que peut-être ce réel est fini, si je comprends bien.
On a donc deux propositions que vous admettez :
- Tout ce qui est cause de soi, autrement dit toute substance existe
- Un étant absolument infini est nécessairement une substance constituée d'une infinité d'attributs
Mais vous n'en concluez pas qu'un étant absolument infini existe au motif que la mention "constitué d'une infinité d’attributs" n'est pas dans la majeure. Mais si elle l'était, ce serait en effet une pétition de principe.
Si donc nous admettons les affirmations suivantes :
- Tous les hommes sont mortels
- Socrate est un homme qui fait de la philosophie
qui se présentent formellement exactement de la même façon que précédemment (Un moyen terme qui est sujet dans la majeure et prédicat dans la mineure ; un petit terme qui est sujet dans la mineure ; un grand terme qui est prédicat dans la majeure) vous n'en concluez pas que Socrate est bien mortel au motif qu'on pourrait concevoir qu'il ne soit pas philosophe, c'est bien cela ?

Je voudrais remarquer pour finir que loin de se contenter de nous dire banalement que le réel existe, Spinoza nous dit que ce réel est fondamentalement infini, ce qui est tout de même plus intéressant au moins. Cela permet de comprendre pourquoi chaque chose singulière n'est pas juste un fragment de réalité mais un effort de persévérer dans l'être, une puissance d'exister. L'être souverainement parfait qu'il s'agit d'aimer dans la béatitude n'est pas un réel conçu comme une simple chose plus grande que les autres, en ce qu'elle les envelopperait toutes. Si quand vous ressentez la présence du réel en jouant du piano, vous ne ressentez pas quelque chose qui s'affirme et que rien ne peut nier, mais que ça vous fait du bien quand même, c'est bien, mais tout de même, c'est moins bien que ce que vous ressentiriez en y percevant l'infini (et que vous ressentez peut-être d'ailleurs sans clairement pouvoir le nommer ici).

Enfin, en appelant Dieu cet étant absolument infini, il est à remarquer que Spinoza fait œuvre subversive. En son temps, il indique à ses contemporains la vraie nature de ce qu'ils vénèrent, non pas une puissance transcendante qui pourrait tout détruire s'ils faisaient un mauvais geste de trop, mais quelque chose de simple, qui ne juge pas, ne réclame aucune obéissance, mais seulement fait être, et qui est la vie même. Et il ne faut pas s'imaginer qu'une fois que les églises et autres temples se sont vidés, il n'y a plus de divinité, ni de théologie. Il y a un appétit de religiosité qui découle nécessairement du fait que les hommes raisonnent et imaginent. Il donne vie à des idoles comme l'Humanité, l'Histoire, le Progrès, la Science, le Marché, le Sport etc. Et il finit souvent par reprendre la forme des anciens dieux. La nature ne connaît pas le vide. L'intérêt d'appeler Dieu le fond absolu de toute réalité, c'est de libérer les hommes de l'appétit théologique.

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Libr617
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Messagepar Libr617 » 03 avr. 2012, 18:53

Cher Henrique,

Vous dites :

On a [...] deux propositions que vous admettez :
- Tout ce qui est cause de soi, autrement dit toute substance existe
- Un étant absolument infini est nécessairement une substance constituée d'une infinité d'attributs
Mais vous n'en concluez pas qu'un étant absolument infini existe au motif que la mention "constitué d'une infinité d’attributs" n'est pas dans la majeure

Je n'admets pas qu'il existe un étant absolument infini. Je disais seulement, en réponse à un texte de Bardamu, que si un tel étant existe, je comprends qu'il possède une infinité d'attributs. Autrement dit, je veux bien admettre que une substance absolument infinie possède une infinité d'attributs en puissance mais pas en actes.

Votre raisonnement serait pour moi valide si "être constitué d'une infinité d'attributs" ne touchait pas à l'existence même. Votre exemple de Socrate montre bien quel est, à mon sens, le problème :

Si donc nous admettons les affirmations suivantes :
- Tous les hommes sont mortels
- Socrate est un homme qui fait de la philosophie
qui se présentent formellement exactement de la même façon que précédemment (Un moyen terme qui est sujet dans la majeure et prédicat dans la mineure ; un petit terme qui est sujet dans la mineure ; un grand terme qui est prédicat dans la majeure) vous n'en concluez pas que Socrate est bien mortel au motif qu'on pourrait concevoir qu'il ne soit pas philosophe, c'est bien cela ?

Non, ce n'est pas cela. Je dis seulement que le membre de phrase "qui fait de la philosophie" se rapporte à une propriété de Socrate et non à son existence même. Toute la différence est là. Lorsque nous parlons de l'existence d'une infinité d'attributs, nous ne parlons pas d'une propriété propre à la substance (en tous cas lorsqu'on arrive à la proposition I, 11).

Le réel n'est pas infini du seul fait qu'on le décrète. Il faut apporter des preuves. De vraies preuves. Une pensée, aussi sophistiquée soit-elle, ne saurait démontrer l'existence, dans le réel, de tel ou tel concept. La théorie développée par Spinoza dans la première partie de l'Ethique est très séduisante. Mais cela reste une théorie. K. Popper dirait qu'il lui manque d'être falsifiable pour être scientifique.

Spinoza et ses adeptes, à mon avis, s'étourdissent de mots et d'émotions. Ils veulent y croire et y parviennent sans comprendre qu'ils confondent "infini" et "sublime".

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Shub-Niggurath
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Messagepar Shub-Niggurath » 03 avr. 2012, 20:33

Si l'Univers était fini, il serait limité par quelque chose de même nature. Si ce quelque chose à son tour est fini, c'est qu'il est limité par une autre chose de même nature, et ainsi à l'infini. La proposition "l'Univers est fini" suppose donc une infinité d'autres Univers de même nature se limitant les uns les autres, comme des poupées russes. Par suite l'infini existe bel et bien, car le néant n'ayant pas de nature propre ne peut limiter l'être.

Ce n'est pas une question de sublime, c'est une simple question de puissance.
Que l'Univers observable soit fini suppose en effet qu'il n'ait qu'une puissance limitée d'exister. Or ce qui n'a qu'une puissance limitée doit être limité par autre chose. Cet autre chose doit donc avoir la puissance de limiter l'Univers, et donc être soit fini soit infini. Si c'est une chose finie, c'est donc qu'elle est limitée par une autre chose, qui à son tour doit être finie ou infinie, etc. etc. On ne fait donc que déplacer le problème à l'infini. Car ce qui est au-delà de l'Univers ne peut être le néant, mais nécessairement quelque chose qui ait la puissance de limiter cet Univers. Or le néant n'a aucune puissance, il ne peut donc agir sur l'Univers lui-même.

Beaucoup de choses peuvent être critiquées dans le spinozisme, mais pas l'infinité de la Nature, qui possède une puissance absolue d'exister.
Je vous soupçonnerait presque dans votre discours de chercher à préserver une place pour un Dieu au-delà de l'Univers, ce Dieu qui aurait, par une décision de sa volonté, créé l'Univers à partir du big bang ex nihilo. C'était bien le sens des arguments de Georges Lemaître concernant l'origine et l'expansion de l'Univers. Cependant cette théorie se heurte à ces questions simples : qu'y a-t-il au delà de l'Univers ? Par quoi, si l'Univers est fini, est-il donc limité ? Si vous ne savez pas quoi répondre, vous êtes obligé de vous réfugier dans l'ignorance, ou plus vraisemblablement la foi.

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Messagepar Libr617 » 03 avr. 2012, 22:34

A Shub,

Amen !

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Messagepar Libr617 » 03 avr. 2012, 23:19

A Shub,

L'univers pourrait parfaitement être limité par lui-même.

Je donne un exemple métaphorique : imaginons que nous soyons des êtres à deux dimensions, c'est-à-dire plats mais vivant sur la terre qui, elle, possède trois dimensions. Nous pourrions explorer la terre entière sans voir le ciel, sans lever car nous serions plats et n'aurions pas accès à la troisième des dimensions (la "hauteur").

Que constaterions-nous ?

1/ N'ayant pas accès à la troisième dimension, notre Univers serait la surface de la terre. Nous n'aurions donc aucune conscience, aucune perception d'autre chose que de la surface de la terre dont nous ne sentirions même pas qu'elle est courbe.

2/ Cet univers n'aurait pas de limite physique puisque, en théorie, nous pourrions aller partout. Nous pourrions en faire le "tour" sans rencontrer d'obstacle, de mur. Cet Univers serait sans limite mais fini car la surface de la terre est finie.

3/ Imaginons que, par ailleurs, pour des raisons technologiques (par ex. un problème récurrent de carburant), nous ne puissions faire le tour de cette terre, de cet Univers, nous ne puissions en connaître les confins. Je suis certain que bon nombre d'entre nous n'hésiteraient pas à dire : " Ah ! C'est la preuve que notre univers est infini !". Ce serait évidemment faux.

Revenons maintenant dans notre monde en ajoutant une dimension à tout cela ! Nous reprenons nos trois dimensions. Et notre Univers redevient l'univers (avec un petit "u"). Le fait d'ajouter une dimension à tout cela ne signifie pas que la surface - volume - de notre univers soit infini.

En revanche, une question subsiste : faut-il supposer que notre univers serait lui-même plongé dans un univers à quatre dimensions ? En effet, dans mon exemple des êtres plats, la terre qui était l'Univers de ces êtres plats, était en effet plongée dans un univers à trois dimensions. C'était grâce à cela que sa surface était courbe et donc finie.

La réponse à cette question est centrale mais elle est loin d'être acquise. Tout au plus peut-on s'amuser à conjecturer. Deux hypothèses peuvent être décrites :

Hypothèse A : notre univers est plongé dans un univers à quatre dimensions.

Dans ce cas, on peut s'interroger sur l'infinité de cet autre univers à quatre dimensions. Autrement dit, on n'a fait que déplacer le problème ! Notre univers - à quatre dimensions voire à n dimensions - peut être fini ou infini. Nous ne savons pas.

Hypothèse B : notre univers n'est pas plongé dans un univers à quatre dimensions.

Dans ce cas, notre univers peut être fini.

Pour l'instant et à ma connaissance, la science ne peut répondre à cette question. En revanche, cette même science nous indique que l'univers peut être fini. La question des limites, des bornes de cet univers est pertinente, bien sûr, mais n'est pas décisive.

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Messagepar hokousai » 04 avr. 2012, 01:03

à Libr

1/ N'ayant pas accès à la troisième dimension, notre Univers serait la surface de la terre.


Qui si elle était plate ?
Soit elle serait infiniment plate.
Soit elle aurait une limite. Là nous tombons dans le vide ou nous restons sur terre. Nous avons conscience de ce que c'est que l' illimité dans les deux cas.(dans le deuxième cas l' illimité c'est l' au delà de toute limite )

Mais vous supposez qu'elle ne l'est pas,elle , plate ( qu'elle est une sphère , un volume ) Ce qui est <b>" tricher "</b>.
Cet univers des vers plats ne serait bien évidemment pas sans limite puisque la surface de la terre est courbe. C' est vous qui le supposez dans l'exemple.
C'est à dire que vous amalgamez deux mondes différents et le second pour prouver le premier.Vous prouvez une erreur de logique A avec des arguments tirés d' une logique B.

Les hommes plats qui auraient eu l'idée du cercle auraient compris que revenant à leur point de départ ils avaient parcouru un cercle et qu'au delà de la circonférence , l'univers pouvait bien être illimité. Ils auraient imaginé une terre plate où toutes les lignes de trajet sont des circonférences de cercles , la terre comme un cercle plat , une assiette ou un frisbee et<b> l' univers illimité autour</b>.
Et c'est d'ailleurs ce que dans l'antiquité et même plus tard ils ont imaginé.
Non ?
Même pas plats eux mêmes ils l'imaginaient plate .

bien à vous
hokousai
Modifié en dernier par hokousai le 04 avr. 2012, 14:04, modifié 1 fois.

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Messagepar bardamu » 04 avr. 2012, 04:25

Libr617 a écrit :(...)

Le réel n'est pas infini du seul fait qu'on le décrète. Il faut apporter des preuves. De vraies preuves. Une pensée, aussi sophistiquée soit-elle, ne saurait démontrer l'existence, dans le réel, de tel ou tel concept. La théorie développée par Spinoza dans la première partie de l'Ethique est très séduisante. Mais cela reste une théorie. K. Popper dirait qu'il lui manque d'être falsifiable pour être scientifique.

Pensez-vous que les astronomes ont tort de penser qu'il y a un trou noir invisible au centre de la galaxie ?
Qu'est-ce qui fait qu'on peut difficilement leur reprocher d'adhérer à l'idée ? D'où vient la réalité accordée à ce trou noir ? D'où vient le degré de réalité qu'on donne à une idée ? Vous pensez vraiment que ça ne vient que d'une "falsifiabilité" ?
Par exemple, la théorie "les poulets rôtis dans un frigo ne se mettent pas à danser quand on ferme la porte" est infalsifiable. Diriez-vous qu'elle est fausse, douteuse ? Avez-vous vraiment réfléchi à ce qui vous fait adhérer à une thèse plutôt qu'une autre, d'où vient qu'on accorde de la réalité à l'objet d'une idée ?
Comme on dit dans Matrix : pilule bleue ou pilule rouge ?

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Messagepar Henrique » 04 avr. 2012, 09:21

Votre raisonnement serait pour moi valide si "être constitué d'une infinité d'attributs" ne touchait pas à l'existence même.
(...)
Non, ce n'est pas cela. Je dis seulement que le membre de phrase "qui fait de la philosophie" se rapporte à une propriété de Socrate et non à son existence même. Toute la différence est là. Lorsque nous parlons de l'existence d'une infinité d'attributs, nous ne parlons pas d'une propriété propre à la substance (en tous cas lorsqu'on arrive à la proposition I, 11).


Notre discussion portait initialement sur le caractère logique ou non du raisonnement de Spinoza. D'un strict point de vue logique le terme "existence" n'a ni plus ni moins de signification que celui de mortalité. C'est tout ce que je me suis attaché à vous montrer avec l'exemple de la mortalité de Socrate.

De ce point de vue strictement logique, si vous ne trouvez rien à opposer aux prémisses suivantes :
- Tout ce qui est cause de soi, autrement dit toute substance existe
- Un étant absolument infini est nécessairement une substance constituée d'une infinité d'attributs
La conclusion qui s'impose est : un étant absolument infini existe.

Mais vous dites avec Kant que l'existence n'est pas l'idée de quelque chose qui peut être traitée au même titre que n'importe quel terme dans un raisonnement. A ce moment là, c'était la prop. 7 qu'il fallait attaquer au départ et non la 11 qui n'est que la suite logique de la 7 et de la def. 6. Vous supposez avec Kant que l'existence s'éprouve et ne peut se prouver à partir d'un concept qui ne serait jamais que la représentation d'une possibilité dont on ne pourrait déduire que des possibilités d'existence. Mais alors, c'est une autre question que celle d'un "manque de cohérence" comme vous disiez des démonstrations de Spinoza. Voyant que vous n'avez rien à répondre sur la question de la structure logique de l'argument, vous faites intervenir un principe méta-logique et en l'occurrence épistémologique qui serait que l'existence ne saurait être la propriété d'aucun concept. Sur cette autre objection, plus classique il est vrai que celle d'une dénonciation du "manque de logique" de Spinoza, je vous renvoie à ce sujet.

On peut facilement déduire d'un être absolument infini ou parfait, comme le concède Kant, la toute puissance, l'absolue liberté etc. mais quant à la question de son existence, ce serait uniquement une question de foi. Ce qui arrange bien le piétiste qu'était Kant et qui annonce au début de la Critique de la raison pure qu'il s'agit pour lui de sauver la foi et pour cause, bien qu'il ne le dise pas explicitement, le Dieu de la raison, c'est le Dieu scandaleux de Spinoza qui n'attend rien des hommes, n'est pas créateur d'une création qu'il transcende, n'a pas de libre arbitre, ne poursuit aucun but etc. autant de choses qui font de Spinoza jusqu'au milieu du XIXème siècle le modèle du philosophe qui dépasse les bornes.

Mais pour en rester encore à la question de l'infini, puisque vous admettiez jusqu'à présent la proposition 7, que pensez vous de la démonstration de la proposition 8 : "Toute substance est nécessairement infinie." Y voyez vous une faute quelconque puisque là il n'est pas explicitement question de l'existence de l'infini ?

Le réel n'est pas infini du seul fait qu'on le décrète. Il faut apporter des preuves. De vraies preuves. Une pensée, aussi sophistiquée soit-elle, ne saurait démontrer l'existence, dans le réel, de tel ou tel concept. La théorie développée par Spinoza dans la première partie de l'Ethique est très séduisante. Mais cela reste une théorie. K. Popper dirait qu'il lui manque d'être falsifiable pour être scientifique.

Et ce n'est pas parce que vous décrétez, fût-ce en le soulignant, qu'on ne peut tirer l'existence d'un concept qu'il en est bien ainsi. On appelle existant ce qui est indépendamment de l'entendement et de la volonté. Il y a donc une définition de l'existence, ce qui autorise à en faire un terme dans un raisonnement ou un jugement. Mais bien sûr, cela ne signifie pas qu'on peut déduire l'existence de n'importe quel être, pas plus que la toute puissance ou encore la capacité de concevoir sa propre mortalité (qu'on peut en l'occurrence n'attribuer qu'aux hommes).

Vous pouvez dire que que la logique seule ne peut prouver une existence en vertu donc d'un principe non pas logique mais épistémologique. Mais ce principe qui en partant de l'expérience ordinaire que ce n'est pas parce que je pense à la voiture idéale qu'elle existe, peut également être erroné si vous l'appliquez indûment à tout concept possible, y compris celui d'être absolument infini, notamment si vous ne faites pas la différence entre idée d'un être forgé et idée claire et distincte.

Quant à Popper, son épistémologie est une théorie de la science également, théorie qui prend pour unique modèle les sciences physiques, qui par nature s'occupent de phénomènes qui ne peuvent être appréhendés que de façon expérimentale. C'est comme si l'on disait en prenant la boulangerie pour modèle idéal de la cuisine que faire cuire de la viande n'est pas de la cuisine puisqu'on n'y utilise pas de farine. Aussi Popper peut-il affirmer que les mathématiques ou la biologie de l'évolution des espèces ne sont pas des sciences.

Ce n'est pas parce qu'un jugement est irréfutable qu'il est vrai, certes. Il faut encore qu'il s'appuie sur des idées claires et distinctes. Mais ce n'est pas parce qu'un jugement est irréfutable qu'il est faux. Doutez vous donc de l'existence de votre pouvoir de penser puisque par définition le jugement "je pense" est infalsifiable ?


Spinoza et ses adeptes, à mon avis, s'étourdissent de mots et d'émotions. Ils veulent y croire et y parviennent sans comprendre qu'ils confondent "infini" et "sublime".

Vous croyez vraiment que Spinoza, Descartes, Leibniz, Hegel et ceux que vous appelez de façon bien méprisante leurs "adeptes" qui pensent qu'on peut déduire l'existence du concept de Dieu sont si bêtes que cela ?

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Messagepar Libr617 » 04 avr. 2012, 11:21

Cher Henrique,

Gardez votre calme ! Qu'y a-t-il donc de méprisant à être un "adepte" ? Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Je ne pensais pas que le mot "adepte" aurait, aux yeux d'un Poitevin, une connotation méprisante.

Par ailleurs, le fait qu'une multitude de personnes croient à des sottises - je ne vise aucun texte, aucune personne en particulier, je parle ici de manière générale - ne transformera jamais ces sottises en vérités.

Quant au fait que ces personnes soient par ailleurs aujourd'hui célébrées pour leurs qualités intellectuelles, cela me laisse totalement froid. Je suis aussi imperméable à l'argument d'autorité(s) que vous à mes raisonnements.

Sur le reste, je répondrai plus tard.

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Messagepar bardamu » 04 avr. 2012, 11:52

Libr617 a écrit :Cher Henrique,

Gardez votre calme ! Qu'y a-t-il donc de méprisant à être un "adepte" ? Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Je ne pensais pas que le mot "adepte" aurait, aux yeux d'un Poitevin, une connotation méprisante.

Ce qui est méprisant, c'est de dire à des gens qui vous présentent des causes et des raisons qu'ils "s'étourdissent de mots et d'émotions".
Auriez-vous écrit ces mots sans vous en apercevoir ?

En fait, quitte à vouloir faire de la psychologie, faites-le de manière plus scientifique, demandez-vous vraiment quels sont les motivations d'une construction cosmologique ou métaphysique.
Spinoza en donne lui-même des causes (l'esprit est fait pour comprendre...), il récuse certaines passions ("étonnement imbécile", peur de la mort, désir d'ordre esthétique etc.) et, à défaut de le lire, vous pouvez aussi demander à ses adeptes quels sont leurs ressorts psychologiques, d'autant plus que ceux-ci sont portés à l'auto-analyse.

N'oubliez pas non plus d'interroger vos propres ressorts psychologiques, pourquoi vous adhérez à ceci plutôt que cela, d'où vous vient cette assurance à ne pas vous "étourdir de mots et d'émotions", si par exemple il est cohérent de prendre l'"univers" comme objet scientifique tout en prônant une falsifiabilité, pourquoi le mot "Dieu" ou infini semble vous révulser, pourquoi telle conception du monde convient à votre goût etc.


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