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Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
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Vanleers
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Messagepar Vanleers » 07 janv. 2013, 11:21

A Hokousai et Explorer
Les questions dont nous débattons me paraissent difficiles mais méritent un examen approfondi. Pour le moment, je dirai ceci.
1) L’Étendue
Pour Spinoza, l’Étendue désigne l’un des attributs de Dieu et, à ce titre, ne doit pas être confondue avec l’extension de Descartes ou l’espace des physiciens. C’est pour cette raison que je proposais d’appeler cet attribut « Puissance d’agir » (et l’attribut Pensée « Puissance de penser »). Dans le scolie d’E I 15, Spinoza souligne l’indivisibilité et la continuité de l’Étendue.
Spinoza emprunte la notion d’étendue à la physique géométrique de son temps, notamment à celle de Descartes mais, comme le dit Pascale Gillot (voir notamment la note 8 de son article en :
http://methodos.revues.org/114):
Spinoza, à la différence de Descartes, postule :
- l’inhérence du principe du mouvement et du repos à la matière elle-même
- l’infinité en acte de l’Étendue

2) Le mouvement
Aristote distinguait six espèces de mouvement, dont la translation, c’est-à-dire le changement de lieu. Lorsque Spinoza définit le mode infini immédiat et éternel de l’Étendue par le mouvement et le repos, qu’entend-il par « mouvement », question que nous allons revoir ci-après.

3) Le corps
J’ai déjà indiqué que la notion de corps selon Spinoza reprenait une tradition ancienne selon laquelle « Parler de « corps », ce n’est pas parler de ce qui est solide, liquide ou à trois dimensions ; c’est parler d’un principe actif » (Marcel Conche). Dans sa « petite physique », Spinoza ne parle pas, en effet, du corps comme « de ce qui est solide, liquide ou à trois dimensions » et je cite ici la fin de la note 8 de Pascale Gillot :
« Les corps singuliers, à l’encontre de l’enseignement cartésien, ne se conçoivent donc pas comme des parties ou délimitations numériques de l’espace-étendue. Tout corps, dans sa définition spinoziste, exprime sur un mode fini la puissance de la « substance étendue ». Or cette puissance, au principe immédiat du mouvement et du repos, rend raison à elle seule de la diversification infinie des corps dans la nature. L’essence du corps singulier se comprend donc selon Spinoza, dans les termes mécaniques (au sens d’une mécanique dynamique) d’une certaine impulsion [impetus], d’un certain conatus de mouvement. » (Corps et individualité dans la philosophie de Spinoza).
Notons ici la conception dynamique du mouvement qui n’est pas considéré comme une translation dans un espace mais à partir des notion d’impetus et de conatus.

4) L’ordre des corps
Dans la lettre 32 à Oldenburg, Spinoza donne des précisions importantes sur la façon dont, selon lui, les corps existent et opèrent. Il le fait en s’appuyant sur l’hypothèse d’un ver, petit et intelligent (démon de Maxwell avant l’heure), qui circule dans le sang en distinguant les particules de lymphe et de chyle qui, à l’époque, étaient censées être les composants du sang. Spinoza écrit :
« Tous les corps en effet sont encerclés par d’autres, et les uns par les autres sont déterminés à exister et opérer selon un rapport précis et déterminé, toujours conservant tous ensemble en toutes choses, c’est-à-dire dans tout l’univers, le même rapport de mouvement et de repos. Il s’ensuit que tout corps existant, en tant qu’il est modifié d’une certaine manière, doit être considéré comme une partie de l’univers tout entier, doit convenir avec son tout et doit s’ajuster aux autres parties. Et puisque la nature de l’univers n’est pas, comme la nature du sang, limitée, mais est absolument infinie, il en résulte que par la nature de cette puissance infinie ses parties sont réglées d’une infinité de manières, et contraintes de pâtir d’une infinité de variations ».
Pascal Sévérac commente cette lettre et écrit (op. cit. p.26) :
« Le tout impose une loi de liaison aux parties, et partant établit entre leurs mouvements un rapport précis (certa ratio) par lequel elles s’ajustent les unes aux autres pour le constituer. On décèle ici comme une circularité du tout aux parties qui, s’accommodant en lui obéissant, le réalisent : les parties sont contrainte par la loi du tout (coguntur), et elles sont amenées ainsi à consentir (consentiant) les unes aux autres, c’est-à-dire à collaborer et conspirer ensemble à la constitution du tout qui les organise ».
J’ajouterai deux remarques :
a) C’est le tout, c’est-à-dire le mode infini MÉDIAT (et non immédiat) de l’Étendue qui règle les rapports des parties. Autrement dit, c’est un mode, le mode infini médiat, et non une loi, qui règle les rapports des modes finis, c’est-à-dire les corps. Le physicien, quant à lui, dans une approche de la nature qui n’est pas l’approche ontologique de Spinoza, doit procéder par abstraction, légitime, d’une loi qui ne se confond pas avec les objets auxquels elle s’applique.
b) La circularité apparente que souligne Sévérac se comprend, à mon sens, par le fait que, selon Spinoza, Dieu, c’est-à-dire, ici, l’Étendue, est cause immanente de ce qu’il produit et aussi, et surtout, parce que Dieu est cause de soi et donc s’autoproduit. Il y a autoproduction de l’Étendue, ce qui a des conséquences éthiques fortes. En effet, nous participons, corps et âme à cette autoproduction, nous en sommes des expressions particulières, Dieu s’autoproduit à travers nous.
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Messagepar Vanleers » 08 janv. 2013, 15:21

A Hokousai
Vous écrivez :
« ... savoir si je suis même compétent en spinozisme. »
Pascal Sévérac, à la fin du dernier chapitre du livre que j’ai souvent cité dernièrement, parle du sentiment d’éprouver l’union éthique d’une communauté intellectuelle. Il cite une partie d’E V 40 sc. et la commente :
« « Notre esprit, en tant qu’il comprend, est une manière de penser éternelle, qui est déterminée par une autre manière de penser éternelle, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l’infini ; en sorte qu’elles constituent toutes ensemble l’intellect éternel et infini de Dieu. » (E V 40 sc.)
Nous ne pensons pas seuls, y compris, et surtout, lorsque nous pensons par nous-mêmes : penser adéquatement c’est y être déterminé par d’autres à travers une causalité qui nous est commune - celle de Dieu, qui est la communauté même des corps et des esprits. Telle est la puissance du commun que nous activons lorsque nous comprenons, et de ce fait convenons, avec les autres. Se vivre et se comprendre dans son union avec Dieu revient donc à faire cause commune avec d’autres intellects, qui s’entre-déterminent au point de concourir tous ensemble à une même action : au point de constituer une même chose singulière, voire un même individu plus puissant… infiniment plus puissant. »
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Messagepar Explorer » 08 janv. 2013, 15:24

A Vanleers :
Votre réponse est très intéressante. Je me dis après l'avoir lu que, de deux choses l'une : soit Spinoza et son système ne sont pas si heuristiques que cela car d'une certaine façon en contradiction ou en déphasage avec les avançées des sciences physiques et même des sciences au sens le plus large (qui elles, ne peuvent être épinglées sur le plan de leur portée heuristique), soit au contraire, c'est la position que vous aurez compris que je soutiens, Spinoza a goûté aux essences, et son chef d'oeuvre, l'Ethique, comporte en une foule de germes adéquats, ce que les sciences n'ont fait qu'expliciter dans un détail de plus en plus impressionnant, jusqu'à aujourd'hui.

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Messagepar Vanleers » 08 janv. 2013, 16:54

A Explorer
1) En utilisant le terme « heuristique » et si j’ai bien compris, vous visez la question des rapports entre le système de Spinoza et les sciences. J’aimerais dire ceci:
a) A la différence de Descartes, Spinoza n’a pas cherché à faire œuvre de physicien. Son objectif était ailleurs, comme il le dit dans la préface de la deuxième partie de l’Éthique : « nous conduire comme par la main à la connaissance de l’Esprit humain et de sa suprême béatitude »
b) Pour autant, Spinoza ne s’est pas désintéressé des sciences de son temps, bien au contraire (voir par exemple la correspondance avec Boyle). J’ai répété à plusieurs reprises qu’il avait emprunté certaines notions à ces sciences, ce qui pose la question de savoir comment elles doivent être comprises car « transplantées » dans ce qui n’est pas une science.
c) C’est un fait que le système de Spinoza a inspiré et inspire des scientifiques. Je pense, entre autres et dans des domaines différents à Atlan, Damasio, Lordon. Cela n’est pas surprenant : une méta-physique peut bien inspirer des physiciens.
Je ne dirai donc pas comme vous : « de deux choses l’une » car la situation est moins simple… et beaucoup plus intéressante.

2) Vous dites que « Spinoza a goûté aux essences ». Je ne m’exprimerais pas ainsi. Pourquoi ?
Spinoza a construit un système que nous pouvons comprendre, en grande partie au titre de la connaissance du deuxième genre sans « goûter » à la connaissance du troisième, la connaissance des essences singulières. Sauf dans la deuxième moitié de la cinquième partie, il a effectué un travail de géomètre qui requiert surtout notre raison déductive et peu notre raison intuitive.

3) Si nous comprenons que Spinoza nous propose un « salut par l’ontologie », ce salut consistant dans « la connaissance de l’union qu’a l’esprit avec la nature tout entière » (TRE), alors s’ouvre à nous la tâche d’essayer de comprendre le mieux possible cette œuvre, ses fondements, son architecture, son extraordinaire cohérence. Sans chercher à « plaquer » les résultats des sciences sur quelque chose qui est de nature différente. En cherchant même à mieux voir en quoi cette nature est différente. Mais aussi, sans s’interdire, le cas échéant, de se laisser inspirer, en sens contraire, par la physique pour mieux entrer dans cette méta-physique.
L’essentiel me paraît donc de contribuer, comme nous le pouvons, à cette tâche concrète de comprendre ensemble une œuvre difficile. C’est le sens de mes interventions sur ce site.

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Messagepar hokousai » 08 janv. 2013, 17:36

à Explorer
On ne peut nier qu'il y ait dans la nature des régularités telles qu'on puisse imaginer des règles. Appellons ça des lois, peu importe le mot.

Ou bien la régularité est selon la règle ou bien la règle est selon la régularité. Ce qui n'est pas la même chose.

Pour la régularité on peut descendre des hautes sphères de la physique pour se re-pencher sur la chose ordinaire. Son essence est son conatus . Effort de persévérer dans une régularité .
C'est l'effort qui cause la régularité et non linverse . l'inverse ce serait l'essence supposée régler la chose.

Si la chose varie de nature l'effort lui est toujours là .
Car la chose ( n' importe laquelle ) varie de nature. C'est le propre d'un mode que de varier. Non seulement le mode est produit par des modifications mais en lui même il est constitués de modifications. Spinoza dit :"il faut bien remarquer que nous vivons dans un perpétuel changement"
Il y a résistance au changement sans quoi il n' y aurait pas de choses du tout. Or il y a des choses .

Je ne veux pas être trop long sur la question quitte à y revenir.

Je vais citer Françoise Barbaras : aucun ciel intelligible ne contient inscrit le résultat particulier de l 'opération divine, quoique l'effet en soit nécéssaire .
Un texte de F Barbaras est donné ici http://utime.unblog.fr/category/auteur/thoreau/#

Et je refais à l'occasion une publicité pour le livre de Maxime Rovere "Exister méthodes de Spinoza", C'est neuf , c'est consistant, ce n'est pas facile, mais ça vaut l'effort .

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Messagepar Vanleers » 10 janv. 2013, 15:13

A Hokousai
Une lecture trop superficielle d’E II 8 m’a conduit à abandonner l’idée que le mode infini immédiat et éternel de l’attribut Étendue était constitué par les essences éternelles des corps.
Dans cette proposition, Spinoza dit bien que les essences formelles des choses singulières qui n’existent pas sont contenues dans les attributs de Dieu. Mais un attribut ne relève-t-il pas de la Nature naturante et les choses singulières de la Nature naturée ?
Avant de poursuivre, je rappelle quelques définitions, clairement exposées par Pascal Sévérac (op. cit. p. 46) :
« […] il y a entre A et B une distinction réelle si on peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et si inversement nous pouvons concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A ; qu’il y a en revanche entre A et B une distinction modale si on peut concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A, mais qu’on ne peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B ; et enfin qu’il y a entre A et B seulement une distinction de raison si on ne peut pas concevoir de façon claire et distincte l’un sans l’autre »
Donc, s’il y a bien entre les attributs des distinctions réelles, il n’y a, entre la substance et ses attributs qu’une distinction de raison. L’attribut relève de la nature naturante.
Par contre, comme l’écrit Sévérac (p. 58), l’essence d’une chose singulière relève de la Nature naturée :
« […] Dieu et les attributs n’appartiennent à l’essence d’aucun mode (voir E II 10 sc. 2) : la Nature naturante n’appartient pas à la Nature naturée (et de la même manière, on ne dira pas que le mode appartient à Dieu réellement, mais seulement modalement). Le mode ne peut être conçu sans Dieu mais Dieu peut très bien l’être sans lui : une fois le mode supprimé, Dieu n’est pas détruit. »
A mon point de vue, nous devons donc comprendre la proposition E II 8 en disant que les essences formelles des choses singulières sont contenues dans les « attributs modalisés » de Dieu, et on pense ici aux modes infinis qui suivent immédiatement de la nature absolue des attributs. En effet, il n’y a pas de distinction réelle entre l’attribut et son mode infini immédiat mais une distinction modale.
Il y aurait lieu toutefois de démontrer que c’est dans ce mode infini immédiat que sont contenues les essences des choses singulières et non dans les modes infinis médiats.
J’ai recherché et trouvé un appui dans une « perle oubliée » : Le Dieu de Spinoza de Gabriel Huan (Alcan 1914). Il écrit (p. 262) :
« […] les essences formelles des choses particulières ne sont comprises que dans celui des modes infinis qui dérive immédiatement de la nature absolue de l’attribut dont elles font partie […] »
Dans l’état actuel de notre débat, je dirai ceci :
1) Entre une chose singulière et son essence, il n’y a qu’une distinction de raison.
2) Les essences des choses singulières sont éternelles.
3) Ces essences sont contenues dans les modes infinis immédiats des attributs dont relèvent les choses dont elles sont les essences.
Gabriel Huan écrit, à propos du point 3, quelque chose que je trouve très intéressant (pp. 277-278) :
« Sans cesser d’être finies, les essences éternelles des choses particulières enveloppent l’infini. Mais nous savons déjà qu’il y a pour les choses finies deux manières d’envelopper l’infini. Ou bien elles embrassent chacune d’un point de vue particulier l’infinité du Réel et présentent dans leur nature intime une image « microcosmique » de l’Univers tout entier ; ou bien, en vertu de la liaison causale qui enchaîne toutes choses avec une nécessité géométrique, elles se trouvent déterminées dans leur existence et leur activité par l’infinité des modes qui les précèdent et conditionnent dans leur existence et leur activité l’infinité des modes qui les suivent. Dans le premier cas, elles constituent en leur totalité une synthèse en dehors de laquelle elles ne peuvent ni exister ni être conçues sans ses éléments, de sorte que la synthèse a pour essence l’essence même de ses éléments et que ceux-ci ont réciproquement pour essence l’essence même de la synthèse. Il n’y a donc pas seulement harmonie ou accord entre la synthèse et ses éléments, mais communauté de nature, identité essentielle ; et c’est pourquoi l’un d’entre eux ne pourrait être anéanti sans que la synthèse tout entière ne s’évanouit (lettre 4) »
Gabriel Huan précise donc ici ce qu’il faut entendre par « connaissance de l’union qu’a l’esprit avec la Nature tout entière » (TRE), en quoi consiste notre salut selon Spinoza.
Bien à vous


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