Je poursuis sur la base des contributions de Int, cette fois :
Int a écrit :Si on ne conçoit pas Dieu comme un Tout, alors cette conception de l'infini en acte qui n'est pas l'infini potentiel m'est inintelligible. Première question : peut-on concevoir Dieu comme un Tout de la réalité ?
Toute conception qui place les choses singulières avant Dieu-Nature est erronée, ou disons critiquable. Donc Dieu n’est pas « ce en quoi est tout ce qui est », mais « ce qui est. » Pour la même raison, la notion de « Tout » est biaisée (même « Un, » même si c’est mieux, car le un sous-entend quelque part le deux, etc.) On peut dire par contre que tout ce qui est est en Dieu, est « du Dieu. »
La question de l’existence vient de ce que pour les choses particulières, l’essence se distingue de l’existence : ce qu’une chose est (et qui fait donc partie de la nature de la Nature) se distingue du fait qu’elle existe présentement en acte ou non. C’est pourquoi l’existence ne peut faire partie de son essence, car elle devrait alors exister nécessairement, son être même impliquant l’existence. Donc l’existence relève d’autre chose, d’une chose dont l’essence implique l’existence. Par ailleurs une définition ne porte que sur l’essence, pas sur l’existence. L’existence nécessaire ne peut donc que se
déduire de la définition de cette même chose. Ce type de chose ne peut faire appel à une autre dans sa définition, car alors cette autre serait antérieure en nature, et il serait par conséquent exclu que la première puisse exister par sa seule nature. Il n’y a alors qu’une seule définition possible : ce qui est conçu par soi (cela est, point) et (donc, une fois admis que toute idée claire et distincte est par là-même vraie, à l’encontre de quoi d’ailleurs il est vain de discuter de quoi que ce soit) qui est en soi. Une fois affirmée cette essence, l’existence en découle cependant immédiatement (E1P7.)
Sinon, tout ce qui exprime une essence est en Dieu, et hors de cela il n’y a rien. Pour les attributs, voir le lien donné
ci-dessus.
Int a écrit :Je pense être convaincu par ce que dit Shub concernant la pensée de Spinoza. Mais du coup, je ne suis plus convaincu par Spinoza et j'en reviens à ce qui me posait problème dans mes premiers messages de ce topic : le caractère arbitraire de la déf. 6. Tout repose sur la démonstration d'une substance absolument infinie. S'il appartient bien à la nature de la substance d'exister (j'accorde cela), déterminer la nature de cette substance comme absolument infinie me semble relever de l'arbitraire.
Pour le cas des attributs (voir le lien ci-dessus, à nouveau), il reste que Spinoza dit bien en substance « une infinité d’attributs dont nous ne connaissons que deux, » et que cela introduit (par le « deux, » sans aucune rectification concernant le niveau propre à Dieu-Nature) un infini dénombrable au niveau divin, sans aucun doute possible. La confusion d’un infini indénombrable et d’un infini dénombrable est bien que ce Spinoza fait, mais cela reste critiquable (« n’importe quel nombre » signifie « infini dénombrable ») de fait, et est une pierre d’achoppement, entre autres, dans cette approche par les attributs (mais pas de l’absolue infinité - ou de l’infinité en l’absence d’attribut - qui lui est antérieure.)
La définition 6 est équivalente à un axiome, autrement dit une affirmation acceptée d’emblée (donc sans démonstration, par nature, étant au contraire en amont de toute démonstration), et ce, s’agissant de Spinoza, comme étant réelle (une essence réelle est affirmée par-là.) Soit on l’accepte, soit on ne l’accepte pas, mais il n’y a aucun droit de la juger, sauf à montrer qu’une affirmation est antérieure en nature, et/ou qu’il y a contradiction, etc.
Int a écrit :Rien ne nous oblige de poser dans les définitions une substance constituée d'une infinité d'attributs pour comprendre le réel, et le réel n'est déterminé comme étant cet Être que si on pose arbitrairement cet Être comme définition ayant une valeur ontologique à la base de l'étude (en l'occurrence, l'Ethique 1). Mais l'évidence n'impose pas le recours à cet Être, au contraire des défs de la substance, de l'attribut, de la cause de soi, du fini, etc.
L’intuition première (c’est-à-dire non polluée par les imaginations, émotions, désirs passifs, etc., etc.) impose l’être infini. Infinité d’attributs ou pas, c’est secondaire.
Int a écrit :E1P11 démontre que Dieu existe nécessairement. A partir du moment où Dieu est défini comme une substance, il existe nécessairement ; ceci ne prouve pas spécifiquement que les autres propriétés de Dieu existent.
Je prends un exemple :
1. Henrique existe.
2. Or, Henrique fait partie de l'association dite des "adorateurs du soleil".
3. Donc, l'"association des adorateurs du soleil" existe.
Ce raisonnement, sur les plans matériel et formel, est évidemment faux. Supposer le contraire reviendrait à faire exister n'importe quoi.
Non. Si la 3 est fausse, alors la 2, qui est une prémisse, l’est aussi. Plus généralement, de ce que j’ai pu voir jusqu’à présent, il faut beaucoup se méfier de ces pseudo-réfutations par procès en fausse logique, alors que de fait on torture et biaise l’expression pour laisser paraître ce que l’on veut.
Autre exemple ; si je dis :
- Toute perfection est en Dieu (« qui est l’être absolument parfait » est équivalent.)
- Or, exister est une perfection.
- Donc, exister est en Dieu.
Je ne vois pas bien où est le problème...
Donc, l’existence nécessaire résulte de ce seul point que Dieu est défini (par Spinoza, ce qui équivaut à : affirmé comme essence réelle) comme substance. Tout le reste est affirmé d’emblée par E1D6, qui dans ce cas suffit donc à tout le reste. Il est clair néanmoins que si dans ce « tout le reste » il y avait référence à quelque chose d’autre, et donc antérieur, nous aurions contradiction avec la notion même de substance, qui ne supporte rien d’antérieur. Mais comme les attributs sont la substance même, vue sous un certain angle...
Int a écrit :Mais que pensez-vous, si vous avez du temps à m'accorder, du caractère arbitraire que je crois voir dans la déf. 6 ?
« Arbitraire » est un terme péjoratif en l’occurrence. Vous n’êtes pas convaincu de la réalité de cette affirmation
ab initio. Soit, mais ne faites pas à Spinoza le procès de n’avoir pas vu, lui, clairement (et sans démonstration puisqu’il s’agit d’une notion commune de la raison ; et
il n’y a pas de démonstration possible sans notions communes antérieures) ce qu’il exposait.
Spinoza affirme la réalité d’une essence - ou nature, ou forme (eidos) - (que vous l’acceptiez ou non, c’est un autre problème) et du fait qu’il s’agit d’une substance elle existe nécessairement, et du fait qu’elle est absolument infinie, elle seule peut exister. C’est très simple. Il n’y a rien à chercher du côté de la logique : vous acceptez la notion commune ou vous ne l’acceptez pas, c’est tout. Il n’y a aucune tautologie, pétition de principe, etc. (à partir du moment où on a compris que Spinoza ne fait pas de définition hypothétique, mais affirme au contraire la réalité d’une essence lorsqu’il en pose la définition.)
Int a écrit :... je ne reconnais aucune erreur logique à Spinoza dans le raisonnement de la prop. 11 si l'on considère que la déf. 6 est une définition qui porte sur un objet réel ; mais de ce fait je crois voir une pétition de principe. Le statut des définitions pose problème, puisque la déf. 6 prétend porter sur un objet réellement existant alors qu'il s'agit justement de démontrer l'existence de cet objet. Les démonstrations de l'existence de Dieu ne valent que si Dieu est réellement une substance absolument infinie.
Voir ci-dessus. Une essence seule se définit ; l’existence se constate uniquement... sauf dans
le cas très particulier où l’existence se déduit de l’essence. Spinoza affirme l’essence de Dieu, et en déduit son existence (c’est le seul et unique cas particulier en question) ; voilà tout.
Int a écrit :... je n'avance plus qu'un nombre limité d'attributs est compatible avec l'infinité divine (thèse qui n'est pas si absurde si on considère qu'infinité=Tout, ce qui est faux pour Spinoza comme vous me l'avez bien fait comprendre)
De fait, pour Spinoza, absolue infinité = rien en dehors = tout ce qui est, et c’est la chose qui vient en tout premier, avant les attributs. Comme cela est déjà contenu dans E1D6 même, l’histoire de l’infinité d’attributs n’est qu’une conséquence de ce qu’on a posé préalablement et par ailleurs la notion d’attribut (qui, elle, pose problème, comme déjà répété.)
L’introduction des attributs est le principal obstacle à la compréhension de la définition de Dieu : une chose qui est conçue par soi, est donc en soi et « cause de soi », et qui est
Ce qui est.
Int a écrit :De l'étendue et de la pensée, on pourrait conclure au dualisme cartésien, si Spinoza ne s'accorde pas avec le dualisme, c'est parce qu'il pose la déf. 6. Pourquoi pose-t-il cette définition ?
Je dirais d’emblée que le plus évident est qu’il y a manifestement un lien entre la Pensée et l’Étendue, ce qui exclut que ce puissent être des substances - lesquelles, concevable en elles-mêmes séparément, ne peuvent donc se concevoir l’une par l’autre (sauf à être la même)...
En revanche, je dis que l’introduction des attributs, quoique plus saine en regard de l’essentiel (cette unité en particulier) est néanmoins défectueuse (en ce que précisément elle tend à conserver le caractère de substance aux attributs, en ne les réunissant que par E1D6, et par le parallélisme (E2P7 reporté sur E1A4.) )
Mais ce qu’il faut retenir d’abord, comme l’a bien dit en substance Hokousai, est que Dieu est Ce-qui-est (donc : limité en rien ; en dehors duquel il n’y a rien ; tout ce qui est est en lui, etc.), autrement dit absolument infini. Dieu est ce qui se conçoit par soi et est l’Être absolu, qui est tout être. L’unique première question est donc : est-ce que vous sentez cela, l’unité de l’Univers en dehors duquel il n’y a rien, ou non ?
Les attributs, c’est une complication secondaire (comme l'indique le "c'est-à-dire" suivi de l'explication de E1D6 même...)
Connais-toi toi-même.