Peut-on être un spinoziste modéré, ou spinoziste athée ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Enegoid » 27 oct. 2013, 18:08

A Vanleers

(Je réponds à votre précédent post citant les définitions exposées par Pascal Severac, considérées comme consensuelles)

Je vous suis pour ce qui concerne les attributs, un peu moins pour ce qui concerne la substance et l’attribut, et pour ce qui concerne la chose et l’essence.

J’accorde que la distinction entre attributs est réelle.

J’ai une restriction mentale à n’accorder qu’une distinction de raison entre substance et attribut : si l’on admet qu’il y a une infinité d’attributs, la plupart inconnus, on peut cependant concevoir la substance (A) de façon claire et distincte sans concevoir B (n’importe lequel des attributs inconnus) puisqu’on ne le connait pas. Je vous suis malgré tout (en grinçant un peu des dents !)

Concernant la chose et son essence ma réticence vient du fait qu’à part la substance-cause-de –soi chaque chose a une essence et éventuellement une existence. Si on se réfère à l’exemple de la statue des « Pensées métaphysiques », dire qu’il n’y a qu’une différence de raison entre la chose statue et ce que le sculpteur a (avait) dans la tête est un peu difficile à admettre. Mais nous parlons bien du premier type de « chose »…

(Puis je prends connaissance de votre deuxième post)

D’accord avec votre conclusion sur les instruments intellectuels, mais voyez-vous, tout ce montage n’entraine pas d’adhésion sans réserve de ma part : plus les outils sont sophistiqués plus les possibilités d’erreur de manipulation sont grandes (je parle surtout pour moi qui suis un amateur). « Caute », n’est-ce pas …

D’autant plus que la dissymétrie entre les deux attributs (la pensée pense l’étendue et pas l’inverse) resterait à prendre en compte, et aurait (peut-être) des conséquences sur les raisonnements…

(Et enfin je réfléchis un peu sur votre phrase qui prends mon raisonnement à contre pied :
"La démonstration d’E I 10 est alors évidente : puisqu’il n’y a qu’une distinction de raison entre la substance et l’attribut et que la substance se conçoit par soi (E I déf. 3), l’attribut se conçoit également par soi.")


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Messagepar Vanleers » 27 oct. 2013, 20:22

A Enegoid

Je réponds à deux de vos objections.

1) Dans la définition de l’attribut (E I déf. 4), Spinoza parle de l’intellect en général et non de l’intellect humain.
La proposition : « En vertu de la définition de l’attribut, il n’y a qu’une distinction de raison entre la substance et l’attribut » est éternellement vraie car elle est purement logique, et ce, qu’il existe ou non des choses finies qui connaissent certains attributs.
Le théorème de Pythagore était déjà vrai avant que l’homme apparaisse sur Terre et l’est éternellement

2) En vertu de la définition de l’essence d’une chose (E II déf 2) que pose Spinoza, on ne peut pas concevoir de façon claire et distincte l’essence sans la chose et réciproquement.
Il n’y a donc qu’une distinction de raison entre la chose et l’essence de la chose.

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Messagepar Enegoid » 29 oct. 2013, 19:41

Je vous remercie des points d’appui que vous donnez à ma réflexion. Mais je bute…

1. « Compte tenu de ces définitions, s’il y a bien entre les attributs des distinctions réelles, il n’y a, entre la substance et ses attributs qu’une distinction de raison. »
Si j’admets votre analyse des distinctions (ce que je fais avec un peu de réticence), je suis conduit à une impasse logique :
a. Si les attributs ne sont pas réellement distincts de la substance, ils sont réellement identiques à cette substance
b. Or les attributs sont réellement (et absolument) distincts l’un de l’autre.
c. Comment deux choses différentes peuvent-elles être identiques à une troisième ?

2. « Le théorème de Pythagore était déjà vrai avant que l’homme apparaisse sur Terre et l’est éternellement »
Merci de me le rappeler. Je suis d’accord. Mais c’est pour moi toute une piste de méditation : quid du théorème de Pythagore sans la notion de langage, de mesure, de théorie euclidienne (simple mode) …

3. "En vertu de la définition de l’essence d’une chose (E II déf 2) que pose Spinoza, on ne peut pas concevoir de façon claire et distincte l’essence sans la chose et réciproquement. Il n’y a donc qu’une distinction de raison entre la chose et l’essence de la chose."

Une chose dont l’essence ne s’accompagne pas de l’existence n’aurait donc qu’une distinction de raison avec la même chose accompagnée de l’existence (statue réalisée ou non…) ?

PS1 J’ai zappé votre réponse sur DIEU. Je regarde.
PS2 Il faut que je me refamiliarise avec les commandes de mise en forme de texte.
PS3 Je ne sais plus trop si je manque de prérequis sur les sujets abordés. Dans l'incertitude je me fie à mon entendement dans l'état où il est !
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Messagepar Vanleers » 29 oct. 2013, 20:37

A Enegoid

1) Appelons S la substance ; A et B deux attributs de la substance.

a) Je ne puis concevoir de façon claire et distincte S sans penser à A et réciproquement
b) Je ne puis concevoir de façon claire et distincte S sans penser à B et réciproquement
c) Je peux concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et je peux concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A

Je ne vois pas de contradiction logique entre les propositions a, b et c.

2) Mon allusion au théorème de Pythagore n’apportait rien à la véracité de la proposition : « En vertu de la définition de l’attribut, il n’y a qu’une distinction de raison entre la substance et l’attribut ». Cette proposition est une tautologie.

3) La proposition « En vertu de la définition de l’essence d’une chose (E II déf 2) que pose Spinoza, on ne peut pas concevoir de façon claire et distincte l’essence sans la chose et réciproquement » est également une tautologie. Sa véracité ne dépend pas de l’existence ou de l’inexistence de la chose.

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Messagepar Vanleers » 29 oct. 2013, 22:44

A Enegoid

A la réflexion, il y a sans doute une contradiction logique entre les propositions a, b et c :

1) Je ne puis concevoir de façon claire et distincte A sans penser à S
2) Or, je ne puis concevoir de façon claire et distincte S sans penser à B
3) Donc, je ne puis concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B

De même, en changeant A en B, on arriverait à la conclusion :
3’) Donc, je ne puis concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A

En conclusion, il n’y a entre A et B qu’une distinction de raison et non une distinction réelle.

Il n’y a plus qu’à appeler les pompiers.

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Messagepar Vanleers » 30 oct. 2013, 14:37

A Enegoid

Ce ne sera peut-être pas la peine d’appeler les pompiers.

Quelle a été l’erreur de raisonnement dans mon précédent post ?
En désignant la substance et deux de ses attributs par S, A et B et en raisonnant en utilisant ces symboles, j’ai implicitement assimilé la substance et ses attributs à des êtres distincts alors qu’il n’en est rien.
C’est ce qu’écrit Spinoza au début du scolie d’E I 10 :

« Il ressort de là que si deux attributs sont donnés, fût-ce d’une manière réellement distincte, chacun étant donc posé sans le secours de l’autre, nous ne pouvons pas en conclure pour autant qu’ils constituent eux-mêmes deux êtres, c’est-à-dire deux substances différentes » (traduction Misrahi)

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Messagepar Enegoid » 30 oct. 2013, 19:20

1 Allo Pascal Severac ?

2
« Il ressort de là que si deux attributs sont donnés, fût-ce d’une manière réellement distincte, chacun étant donc posé sans le secours de l’autre, nous ne pouvons pas en conclure pour autant qu’ils constituent eux-mêmes deux êtres, c’est-à-dire deux substances différentes » (traduction Misrahi)

Si une différence réelle est une différence entre deux êtres, et que l'être est assimilé à la substance,alors il n'existe nulle part aucune différence réelle puisqu'il n'y a qu'une substance. La réalité n'est qu'un grand tout indifférencié.

3 Si la montagne est une substance avec deux attributs : vallée et sommet. Je peux penser à la vallée sans penser au sommet (je peux penser à la rivière) et inversement. Ils sont distincts. Mais je ne peux en conclure qu'il n'y a aucune différence entre la vallée et la montagne.

4 Sur Dieu je me contente de dire que j'ai du mal à accepter que "Dieu s'aime"parce que si Dieu éprouve de la joie à l'idée de lui-même, cette joie ne peut correspondre qu'à une augmentation de puissance, impensable le concernant. Je sais bien que c'est une question largement débattue, et depuis longtemps...


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Messagepar Vanleers » 31 oct. 2013, 12:22

A Enegoid

1) Au début du scolie d’E I 10, Spinoza vise des êtres, c’est-à-dire, ajoute-t-il, des substances. On pourrait parler d’êtres substantiels.
Mon erreur, vous l’aurez compris, avait été d’appliquer un raisonnement valide lorsqu’il concerne des choses finies (des êtres modaux) à des êtres substantiels.

Votre raisonnement sur la montagne est entaché de la même erreur : une montagne n’est pas un être substantiel.

2) A vous de voir, si cela vous intéresse, comment comprendre le « Dieu s’aime », ce que Pierre Macherey, dans son commentaire d’E V 35, traduit par « le monde est en joie »
La démonstration d’E V 35 (« Dieu s’aime lui-même d’un amour intellectuel infini » repose sur un « gaudet » (Dei natura gaudet infinita perfectione) qu’il convient d’approfondir.

Bien à vous

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Messagepar Enegoid » 31 oct. 2013, 19:12

A Vanleers

Le montage extrêmement subtil de Spinoza destiné à maintenir l’unité de la substance malgré la diversité des attributs mérite certes l’admiration, mais il me donne l’impression, pardonnez-moi l’expression, d’être un peu « tiré par les cheveux ». Je ne peux y adhérer totalement.

Comme des milliers de lignes ont déjà été écrites sur le sujet, il est peu probable que notre échange aboutisse à des résultats « définitifs » ! Cependant il n’est pas interdit de continuer à exposer les réticences de notre entendement, tant que cela nous intéressera vous ou moi. Pour ma part, voici mes réactions à votre dernier post.

1. Je ne trouve pas que vous fassiez une erreur de logique. Quand vous acceptez de parler de S, A, ou B vous nommez des objets de raisonnement dont on ne présuppose rien. Si les conclusions auxquelles vous arrivez nécessitent des considérations sur la nature de ces objets cela veut tout simplement dire que la logique ne s’applique pas à la nature de ces objets. Autrement dit qu’il existe des objets « au-delà de la logique ». Cela me fait penser à ce qui se passe en mathématiques quand on trouve que la solution est « racine de -1 ». On a le choix entre dire : « il n’y a pas de solution » ou inventer les nombres imaginaires : la solution c’est i=racine de -1 !

2. La prop 10 établit que chaque attribut est « conçu par soi ». On pourrait objecter « mais alors, ce sont des substances ! Puisque c’est justement la définition d’une substance, d’être conçu par elle-même ». Spinoza répond : « pas du tout ! les attributs font partie de l’essence de la substance dont il vient d’être démontré qu’ils sont conçus par soi. C’est une conséquence de la définition de la substance. » Mais alors pourrait-on dire, ils nécessitent le concept de substance, donc ils ne sont pas conçus indépendamment de ce concept.
Personnellement, à ce stade, je dérape…
Bien à vous

PS Je laisse tomber «la joie de Dieu ». Merci des références.
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Messagepar Vanleers » 01 nov. 2013, 12:07

A Enegoid

Je laisse tomber ce que j’ai écrit précédemment pour aborder le problème autrement.
Comment comprendre qu’entre une substance et chacun de ses attributs il n’y ait qu’une distinction de raison, si ces attributs sont réellement distincts ?

Le problème est résolu s’il n’y a qu’une seule substance.
En effet, tous les attributs possibles réellement distincts se rapporteront nécessairement à cette substance unique.

Or Spinoza démontre l’unicité de la substance.
Il démontre d’abord que Dieu existe (E I 11)
Compte tenu de la définition de Dieu (E I déf. 6), il est alors facile de démontrer que « A part Dieu, il ne peut y avoir ni se concevoir de substance » (E I 14)

Spinoza l’annonçait déjà à la fin du scolie d’E I 10.

Je suis venu sur le site Spinozaetnous car je ne comprenais pas la première démonstration d’E I 11. Mon problème était le suivant.

La démonstration est très simple.
Spinoza a déjà démontré que « A la nature de la substance appartient d’exister » (E I 7)
Or, Dieu a été défini comme une substance (E I déf. 6)
Donc Dieu existe

Fort bien, mais si, en E I déf. 6, Spinoza avait écrit qu’il entendait par Dieu une substance caractérisée, disons, de façon un peu farfelue (même si ce n’est pas dans les habitudes de Spinoza), il démontrerait de la même façon en E I 11 que ce Dieu farfelu existe puisqu’il a été défini comme une substance.

Le problème est donc celui de la pertinence de la définition de Dieu en E I déf. 6 et ce fut l’objet d’une longue discussion avec Hokousai (que je salue au passage) qui commence en :

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-120 ... sc-80.html

Mais que faut-il entendre par « pertinence d’une définition » ?

Sur le présent site, on trouve, à l’article « Définition », des éclaircissements à ce sujet. Je cite le passage suivant :

« De ce point de vue, on pourrait tout à fait admettre, contrairement à ce que fait Spinoza, qu'une substance n'a qu'un seul attribut, puisque c'est concevable sans contradiction. Ainsi, on pourrait opposer une substance extensive et une substance pensante, l'attribut de la première étant la possibilité d'avoir des dimensions (longueur, largeur...) et de la deuxième de pouvoir être objet de conscience. Mais si alors on traite de choses qui seraient composées de plusieurs attributs, comme l'homme qui est à la fois corps et mental, possédant des dimensions et conscient de cela, ou encore la nature, qui contient l'homme, alors on ne pourra plus parler de substance en ce qui les concerne, puisqu'on aura posé qu'une substance est composée d'un seul attribut. Ainsi, il s'avère plus fécond de définir la substance comme constituée de plusieurs attributs, étant entendu que plus un être a de réalité, autrement dit de positivité, d’affirmation, plus on devra lui accorder d'attributs.
Ainsi, en définissant Dieu comme "substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence infinie et éternelle", Spinoza ne prétend d'abord que poser une notion cohérente, propre à expliquer globalement l'ordre de la nature. Ce qui est le plus important ici, ce n'est pas le mot qu'on utilise pour désigner l'idée dont la définition est l'expression, mais c'est la définition même. »

En ce début de l’Ethique où Spinoza forge les instruments intellectuels nécessaires afin de « pousser la recherche plus avant » (cf. TRE § 30 et 31), la puissance de sa notion de Dieu (E I déf. 6) est mise à l’épreuve et se déploie.

Bien à vous


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