Peut-on être un spinoziste modéré, ou spinoziste athée ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Vanleers » 01 nov. 2013, 14:35

A Enegoid

Je reviens au point 2 de votre post.

Si vous disposez de « 100 mots sur l’Ethique de Spinoza » de Misrahi, consultez l’article « Attribut ». Par exemple :

« […] la substance est connaissable par ses attributs, et les attributs sont réels parce qu’ils SONT la substance »
« Mais l’affirmation de l’objectivité de l’attribut repose bien évidemment sur une identité de l’attribut et de la substance. »

… etc.

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Messagepar Enegoid » 01 nov. 2013, 19:29

A Vanleers

1 Quelle activité sur ce forum! Vous avez de nombreux fers au feu!

2 Pour vous suivre je vais me plonger dans les définitions et dans le fil que vous citez, mais il me faudra un peu de temps. Je n' oublie pas cependant mes réticences logiques.

3 Ce soir je me contenterai de vous faire part de la remarque intuitive suivante :
On parle des concepts de substance, d'attribut, d'essence, mais aussi d'entendement (ou d'intellect). Ce dernier concept me parait une sorte de point aveugle du raisonnement : on ne le définit pas (dans les définitions du site), mais il a un rôle central (filtre et identificateur d'attributs);il fait partie de ce qu'il détermine, cad que d'une certaine façon il parle de lui-même (il fait partie de l'attribut pensée, non?).
Il se trouve ainsi dans la situation de l’œil qui ne peut voir l’œil. D'où la sensation de vertige intellectuel que j'éprouve, ainsi que je l'ai déjà dit.

NB Cela me fait penser aux "boucles étranges" autoréférentielles de Hoffstadter dans son bouquin "Gödel, Escher, Bach...", si vous connaissez.

Bien à vous
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Messagepar Vanleers » 02 nov. 2013, 17:23

A Enegoid

Vos remarques sur l’intellect mériteraient un examen approfondi.
Je me contente, ici, de citer une partie du commentaire de Macherey sur la définition de l’attribut (E I déf. 4) :

« Cette notion d’intellect, qui correspond implicitement à l’activité mentale par laquelle sont saisies des essences, est ici exploitée sans avoir été préalablement définie : mais on peut considérer que, dans l’ensemble de ces énoncés, elle se définit elle-même en acte, à travers l’opération de la définition qui consiste précisément en une telle saisie d’essences. A la fin du de Deo, au sujet de l’intellection, Spinoza dira dans ce sens qu’elle est « la chose que nous percevons le plus clairement…, (telle que) rien n’est perçu par nous plus clairement » (E I 31 sc.) »

Ce qu’a fait Hofstadter relève de l’imagination, c’est-à-dire de la connaissance du premier genre et ne peut donc pas nous aider à comprendre la notion d’intellect.

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Messagepar Enegoid » 06 nov. 2013, 19:16

A Vanleers

1. J’ai entrepris de relire attentivement votre échange avec Hokusai. C’est un peu long et mes dispos sont limitées. Donc, à plus tard (si vous êtes encore là et toujours intéressé !)

2. Je (re)donne ici mon impression actuelle : l’architecture Spinoziste de la substance et des attributs est sophistiquée mais pas entièrement satisfaisante (pour mon esprit du moins). Elle utilise pour tenir debout deux artifices, et fait l’impasse sur un point aveugle.

3. Artifice numéro 1 , proposition 14 : l’attribut est « conçu par soi » mais n’est pas une substance (assimilée à un être) alors que « conçue par soi » est la définition de la substance. Cet attribut « qui n’est pas un être » sera pourtant plus loin (prop23) affecté par des modifications modales. J’en conclue que c’est la relation attribut/substance, cad la phrase «ce que l’entendement perçoit d’une substance » qu’il faut méditer pour y voir plus clair.

4. Artifice numéro 2 : une des définitions de l’essence (il y en a plusieurs, ce qui permet de mettre un peu d’huile dans la rigueur des raisonnements, selon moi) est qu’il suffit que soit donné ce qui fait partie de l’essence de la chose pour poser la chose et réciproquement. Si deux attributs sont distincts, un seul ne peut suffire à « poser la chose ». J’en conclue qu’il faut interroger la relation attribut/essence pour y voir plus clair.

5. Le point aveugle est que les attributs distincts sont traités « à plat » en quelque sorte, posés les uns à côté des autres, distincts et sans rapport entre eux comme des billes dans un sac. On s’apercevra pourtant plus loin dans l’Ethique que la pensée et l’étendue ne sont pas comme deux éléments distincts d’une collection de billes : la pensée, dotée de la propriété de réflexivité (elle pense sur elle-même) pense aussi l’étendue et non l’inverse. Donc d’une manière ou d’une autre il y a une relation asymétrique entre les deux : distincts oui mais reliés entre eux. Par quoi ? Comment ? On connait l’étendue par la pensée, ce qui ne va pas trop avec l’axiome 5.

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Messagepar Vanleers » 06 nov. 2013, 20:50

A Enegoid

J’ai relu le commentaire de Macherey sur la définition de l’attribut.
Définition qui a « déclenché une controverse qui, aujourd’hui encore, n’est pas close »

Je donne cet extrait qui éclairera peut-être les deux premiers points de votre post :
« C’est comme attribut que l’intellect connaît la substance dans sa réalité essentielle » (p. 42)

Je comprends cette phrase en disant que l’attribut C’EST la substance. Nous en avons déjà discuté : il n’y a qu’une distinction de raison entre la substance et l’attribut.

Voyez aussi E I 19 : « Dieu, autrement dit tous les attributs de Dieu sont éternels ».
Dans la démonstration de cette proposition, Spinoza écrit :
« Ensuite, par attributs de Dieu il faut entendre ce qui (par la déf. 4) exprime l’essence de la substance divine, c’est-à-dire ce qui appartient à la substance : c’est cela même, dis-je, que doivent envelopper les attributs. »

L’essence de la substance, c’est « ce qui appartient à la substance ».
Ce n’est que plus tard, en E II déf. 2, que Spinoza parlera de l’essence d’une chose. Est-ce que cela s’applique à Dieu ?

A propos de l’attribut et de son rapport à la substance, Spinoza utilise les termes : « constitue » (déf. 4), « exprime » (prop. 19), « explique » (prop. 14 et 20).

Voilà de quoi réfléchir.

Quant au troisième point de votre post, je m’interroge : est-ce l’attribut Pensée qui est réflexif ou n’est-ce pas plutôt l’intellect, comme l’écrit Macherey dans son commentaire d’E I 31 ?

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Messagepar hokousai » 06 nov. 2013, 23:09

à Vanleers

Enegoid vous suggère une asymétrie dans la prop 3 de votre raisonnement)

3 Je peux concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et je peux concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A


A étant (je suppose) la pensée et B l 'Etendue
A se pense
mais A pense B

Si A pense B de ma même manière que A pense A on est dans l'idéalisme. Pour sortit de l'idéalisme il faut que B existe réellement. IL nets pas prouvé que B( l'étendue ) existe réellement du seul fait d 'être pensé . Il faut pour le prouver démontrer qu'il existe plus d un attribut ( plusieurs et une infinité )

Et de mon point de vue la démonstration de Spinoza est faible .(scolie prop 10/1). Elle part d 'un constat intuitif qui est que l'on conçoit 2 attributs réellement distincts.

Or ce qui est à démonter c' est qu'ils sont bien distincts tout en ne constituant pas deux étants différents .
Pour démontrer cela il faut estimer que l'expression par une infinité d'attribut a plus de réalité que par un attribut ( la pensée par exemple ).
Donc démontrer qu' il y a plus de de réalité ou plus d être s'il y a plus d' attribut....
Mais cela n'est pas démontré.

Les idéalistes (comme les matérialistes d' ailleurs de leur côté ) ne n' admettent pas ce qui parait des plus clairs à Spinoza .

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Messagepar Vanleers » 07 nov. 2013, 11:09

A Hokousai

1) J’ai déjà répondu à la suggestion d’Enegoid.
L’Etendue et la Pensée appartiennent à la nature naturante et on ne peut donc pas dire que l’attribut Pensée pense l’attribut Etendue ou que cet attribut se pense lui-même.
C’est comme cela que je comprends E I 31 : l’intellect en acte doit être rapporté à la nature naturée.
Dans la formule :
« Je peux concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et je peux concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A »
qui précise ce qu’est une simple distinction de raison entre A et B, il faut remplacer « Je peux concevoir » par « L’intellect conçoit » (intelligo).

2) Dès la deuxième définition de l’Ethique, Spinoza admet qu’il y a plusieurs genres d’être (ce qu’il désignera ensuite par des attributs) en illustrant la définition de la chose finie par l’exemple des corps et des pensées.
Je pense pour ma part qu’il s’agit d’un constat empirique et que cet exemple est donc un axiome.

A Enegoid

L’Ethique est une drôle de machine volante et l’expérience montre qu’avec ça on peut voler.
Des mécaniciens chevronnés discutent encore pour comprendre comment fonctionne telle ou telle partie de la machine.
Il en est ainsi pour la doctrine de l’attribut.
Ça marche mais pourquoi ça marche ? : les avis divergent.
Est-ce si grave ?
Après tout, il n’est pas indispensable de maîtriser à fond la théorie de la relativité générale pour se laisser guider par un GPS.

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Messagepar hokousai » 07 nov. 2013, 13:52

à Vanleers

« Je peux concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et je peux concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A »
Vous ne pouvez pas penser l'étendue sans penser.(concevoir/intelliger si vous voulez )

Vous estimez que dans la naturante l 'étendue existe sans être pensée. ( mais que dans la naturée elle est pensée ). Moi je veux bien et je veux bien même que ce soit l'idée de Spinoza, mais est -ce vraiment démontré ?

L' existence dans la naturante d'un deuxième attribut n'est pas démontrée (ou faiblement ).
Ce n'est pas que vous le conceviez placé dans la naturée ( qui est votre situation ) qui va le démontrer.

Soit dit en passant la distinction et donc l' existence de deux attributs implique toutes les difficultés du "parallélisme".
A vrai dire on ne comprend pas ( au bout de la chaine ) l' union de l'esprit et du corps. Je devrais dire le premier maillon du bout de la chaine car c'est en ce maillon là que nous sommes situé.

Est ce important ?
Peut -être. Car in fine dans la 5eme partie c'est la pensée qui est sauve .(ce au dépend de l'étendue ). Distinguée dans la naturante (au départ ) elle se trouve distinguée à l arrivée dans l 'amour intellectuel de Dieu .
L' étendue avait peut -être quelque chose d' embarrassant, on s' en est débarrassé.

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Messagepar Vanleers » 07 nov. 2013, 16:56

A Hokousai

1) Je voudrais d’abord préciser le point 1 de mon post précédent en m’appuyant, une fois de plus, sur le chat de Sévérac (animal des plus utiles) :

« Si donc on ne considère l’idée du chat qu’en son essence formelle, comme pur mode de la pensée, sans la rapporter à son objet (on considère l’idée du chat en tant qu’IDEE, et non en tant qu’idée du CHAT), on doit alors la rapporter à cet attribut de la pensée en lequel elle est effectivement contenue (E II 5 dém.). […] Mais si on considère l’idée du chat dans son essence objective, comme idée rapportée à un certain objet (le chat), alors on doit la rapporter à l’entendement divin, qui pense toute chose. » (p. 92)

Lorsque je pense l’attribut Etendue, c’est-à-dire que j’ai une idée de cet attribut, je dois considérer que l’essence formelle de cette idée se rapporte à l’attribut Pensée et que l’essence objective de cette idée se rapporte à l’entendement divin.

L’attribut Pensée contient donc l’essence formelle de l’idée de l’attribut Etendue mais c’est l’entendement divin (nature naturée) qui contient l’essence objective de l’idée de l’attribut Etendue.

C’est dans ce sens que l’on peut dire que c’est l’entendement divin qui pense l’attribut Etendue.

2) J’ai écrit à Enegoid que Spinoza ayant démontré que Dieu existe (E I 11) et ayant démontré ensuite que « A part Dieu, il ne peut y avoir ni se concevoir de substance » (E I 14), tous les attributs possibles doivent être attribués à Dieu.

N’y aurait-il qu’un seul attribut possible ?
Pour les matérialistes : l’Etendue.
Pour les idéalistes : la Pensée.

Spinoza opte pour « plus qu’un seul » et je suis d’accord pour considérer qu’il ne le démontre pas. C’est pour cela que je parlais d’axiome.

Il faut considérer en effet que l’Ethique ne peut pas se construire uniquement à partir des définitions et des démonstrations. Spinoza a besoin de se référer à des constats empiriques qu’il introduit dans l’ouvrage par des axiomes ou postulats.

Vous parlez de difficultés du « parallélisme ». Je parlerais également de richesse et de fécondité.

3) Le corps, et donc l’Etendue, n’est pas complètement oublié à la fin de la partie V : voir E V 39.

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Messagepar hokousai » 07 nov. 2013, 20:40

à Vanleers

« Si donc on ne considère l’idée du chat qu’en son essence formelle, comme pur mode de la pensée, sans la rapporter à son objet (on considère l’idée du chat en tant qu’IDEE, et non en tant qu’idée du CHAT), on doit alors la rapporter à cet attribut de la pensée en lequel elle est effectivement contenue (E II 5 dém.). […] Mais si on considère l’idée du chat dans son essence objective, comme idée rapportée à un certain objet (le chat), alors on doit la rapporter à l’entendement divin, qui pense toute chose. » (p. 92)


Bon d'accord ! Mais ça ne fait pas avancer sur la question de l'existence ou pas de l étendue en elle même,
puisque l'essence de l'Etendue formelle ou objective se rapporte(nt) à la Pensée.

Parallélisme :
de richesse et de fécondité.
. A mon avis que des problèmes ! Spinoza n'a pas dit parallélisme mais on est obligé plus ou moins de le comprendre ainsi. Je pense que la distinction ( théorique des deux attributs ) conduit à des difficultés et qu'il faut recomprendre la substance indivisible à nouveau frais. Vraiment indivisible et non pas divisible en une infinité d'attributs.
C 'est comme on veut mais je ne peux demeurer dans la récurrente redite de cette distinction . D' où ma tiède participation.
3) Le corps, et donc l’Etendue, n’est pas complètement oublié à la fin de la partie V : voir E V 39.
Pour ça d 'accord, Spinoza part de l'idée du corps (prop 29/5).


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