Le problème des attributs et la surface blanche.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Miam
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Le problème des attributs et la surface blanche.

Messagepar Miam » 09 nov. 2012, 14:17

Salut à tous.

De nombreux commentateurs de Spinoza se sont disputés (au sens scolastique) au sujet de la relation entre substance et attribut, notamment quant au rôle de l'entendement dans la définition de l'attribut (I D4) et à l'unification des attributs-essences constituant la seule et unique essence de la substance.

Ces querelles entre "nominalistes" et "réalistes" portent le plus souvent sur l'interprétation à donner au dernier paragraphe de Lettre 9 à Simon De Vries. Cependant, elles se confinent aussi sûrement au passage concernant l'identité entre Jacob et Israël. Je m'en étonne car l'illustration suivante par la relation entre le "plan" et le "blanc" me semble beaucoup plus significatif. Comment en effet ne pas mettre en rapport ce passage avec la Métaphysique Z4 1029b 16 et ss d'Aristote qui distingue la quiddité du par soi (kath'auto) par le même exemple de la surface et du blanc ?

Cette omission paraît d'autant plus étonnante que la question de l'essence de l'accident et, par suite, de la relation entre l'être et l'essence, constitua l'un des conflits les plus importants dans la philosophie chrétienne occidentale à partir de la réception des textes d'Aristote.

Deleuze effleure la question lorsqu'il donne l'exemple d'un mur blanc. On trouve du reste ce même exemple chez Maître Eckaert. Cependant, Deleuze se réfère plutôt et curieusement à Bergson et à la distinction formelle de Scot plutôt que d'examiner les enjeux de la problématique, notamment au sein de l'opposition des thomistes et des "averroïstes". Ce qui, là aussi, m'étonne beaucoup.

Bref : l'un de vous aurait-il connaissance d'une lecture de la fin de la Lettre 9 qui se réfère à cette problématique aristotélicienne dont le destin me semble capital pour la compréhension de la pensée moderne ?
Merci beaucoup.

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Messagepar hokousai » 09 nov. 2012, 16:16

je cite la lettre de Spinoza

"La définition telle que je vous l’ai communiquée, sauf erreur, s’énonce comme il suit : J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’enveloppe pas le concept d’une autre chose. Par attribut j’entends la même chose à cela près que le terme d’attribut s’emploie par rapport à l’entendement qui attribue à une substance telle nature déterminée. Cette définition, dis-je, explique avec une clarté suffisante ce que je veux entendre par substance ou attribut. Vous désirez cependant, bien que cela ne soit guère utile, que je montre par un exemple comment une seule et même chose peut être désignée par deux noms. Pour ne point paraître lésiner j’en donnerai deux : j’entends par Israël le troisième patriarche, et par Jacob le même personnage auquel le nom de Jacob a été donné parce qu’il avait saisi le talon de son frère. J’entends par plan ce qui réfléchit tous les rayons lumineux sans altération ; j’entends par blanc la même chose à cela près que l’objet est dit blanc par un homme qui regarde le plan."

Le texte d'Aristote

"Procédons d'abord par voie de définition, et disons que l'essence de chaque être, c'est cet être en soi. Être toi, ce n'est pas être musicien ; ce n'est pas en toi que tu es musicien : ton essence est donc ce que tu es en toi. Il y a cependant des restrictions : ce n’est point l’être en soi comme une surface est blanche, car être surface ce n’est pas être blanc. L'essence n'est pas non plus la réunion des deux choses : surface blanche. Pourquoi ? Parce que le mot surface se trouve dans la définition. Pour qu'il y ait définition de l'essence d'une chose, il faut donc que dans la proposition qui exprime son caractère, ne se trouve pas le nom de cette chose. De sorte que si être surface blanche, c'était être surface polie, être blanc et être poli seraient une seule et même chose."(Trad. fr, Alexis Pierron et Charles Zevort)
traduction claire

Tricot traduit ainsi: c 'est pourquoi si la quiddité de la surface blanche est identique à la quiddité de la surface polie , c'est la quiddité du blanc et du poli qui seront une seule et même quiddité "
..................................................................
à miam

Vous remarquerez que Spinoza ne dit pas j' entends par plan blanc.
"ce qui réfléchit tous les rayons lumineux sans altération", cest une chose pas deux comme substance blanche chez Aristote.
Et blanc c'est une chose pas deux .

par ex: Spinoza et "l' auteur de l "Ethqiue" .
Dans les deux énoncés on a UNE chose. D 'où l'identité de quidddité .

Mais chez Spinoza l'identité n'est pas absolue, elle est relative au point de vue de l' énonciateur. Une des quiddité est dite pas l' homme ; Spinoza ne dit rien du point de vue sous lequel est dite l 'autre .

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Messagepar AUgustindercrois » 10 nov. 2012, 00:26

Votre débat est très intéressant. Il renvoie à un débat connu des philosophes hindouistes et relatifs à la question du miroir.

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Messagepar LARRY » 10 nov. 2012, 11:03

Le plan et l’objet blanc sont deux manières de nommer une seule et même chose : « ce qui réfléchit tous les rayons lumineux sans altération »… on ne vois pas ce qui ferait problème ici…

De même, substance et attribut sont deux manières de dire une seule chose , il n’y a pas préséance de l’une à l’autre, mais notre entendement ne peut nommer que ce qu’il perçoit, c’est, comme dit Hokusai, le point de vue de l’énonciateur qui attribue une nature déterminée à une chose pour la distinguer d’autre chose, de façon tout à fait utilitaire, disons.
Mais, dans l'absolu, il y a complète indistinction de ce qu’on appelle les attributs, où un attribut, et la substance, bref : substance et attribut sont la même chose.
C’est, je crois, ce que Spinoza voulait dire…

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Messagepar hokousai » 10 nov. 2012, 15:03

à Larry

Je ne vois pas non plus le problème.

Où il y a un problème c' est dans la réalité hors de l'intellect humain d'une distinction entre les attributs.
Une manière de poser le problème est de demander à Spinoza si pensée et étendue sont deux manières de dire la même chose.
Vu que d'éminents spécialistes se sont opposés là dessus, je n'ai pas d' opinion définitive
Je pense que Spinoza n'aurait pas répondu oui . Sinon pourquoi une infinité d'attribut s 'ils sont la même chose?

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Messagepar Miam » 10 nov. 2012, 17:31

C'est là retrouver la thèse nominaliste : les attributs sont chacun un point de vue sur - ou une manière de dire la substance.
Seulement chez Aristote, il ne s'agit pas d'une manière de dire mais de l'être par soi qui n'est précisément pas une manière de dire ou une quiddité. Le blanc n'est pas dit de la surface. Il n'est pas la quiddité de la surface. Il est la surface. Il la "constitue" dirait Spinoza.

Or, cela, l'interprétation nominaliste l'oublie. L'attribut n'est pas dit de l'essence d'une substance. Il n'est pas la quiddité d'une substance. L'essence de la substance n'est pas étendue. Elle est une "chose étendue" parmi d'autres choses qui la constituent.
En revanche l'essence d'une substance est (après la proposition 7) dite infinie et éternelle. La quiddité d'une substance, ce qui appartient à l'essence d'une substance, c'est l'existence infinie (c'est à dire l'éternité et la nécessité que les Pensées métaphysiques nomment les "manières d'exister" d'une substance), et non du tout les attributs qui constituent son essence (le corollaire de la définition 6 de Dieu, si on le lit bien, est clair à ce sujet).

Comme le montre également la note 5 du Court Traité I, 2, lorsque un entendement perçoit un attribut comme constituant l'essence d'une substance, c'est qu'il perçoit un attribut (une essence) comme existant (et qui exprime l'existence, c'est à dire qui est affecté par des modes qui durent cf. I 10s) mais que l'existence de l'attribut appartient à autre chose qui doit être une substance. C'est ici seulement qu'intervient cette nécessité logico-épistémologique pour un entendement qu'il y ait un "sujet" à l'existence de l'attribut. C'est cette existence (et ces manières d'exister) qui est "dite de" l'essence d'une substance.

L'attribut (disons l'étendue) n'est pas une forme de l'entendement à la manière kantienne ou une propriété dite d'une substance comme le sont les "propres de Dieu" dans le Court traité. Il est la chose elle-même existante. Ce qui est une "forme" de l'entendement, une nécessité logique ou discursive pour cet entendement, ce n'est pas la perception de l'attribut par l'entendement mais la nécessité pour cet entendement de postuler une substance qui soit le sujet de l'existence et non de l'essence de cet attribut.

Par conséquent, l'interprétation "nominaliste" ou "phénoméniste" ne tient pas. Du reste, dans la Lettre 9, Israël et Jacob désignent une substance et son attribut et pas du tout les deux noms-attributs d'une substance déjà individuée.

Dans cette mesure, cette interprétation demeure incapable de montrer pourquoi les divers attributs-essences constituent ensemble une seule essence d'une substance. Et je pense qu'on en restera incapables tant que, que ce soit de façon réaliste ou nominaliste, l'on confonde la constitution de l'essence d'une substance avec sa quiddité.

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Messagepar hokousai » 10 nov. 2012, 18:56

à miam

je ne comprends pas comment vous interprétez Aristote.
Seulement chez Aristote, il ne s'agit pas d'une manière de dire mais de l'être par soi qui n'est précisément pas une manière de dire ou une quiddité. Le blanc n'est pas dit de la surface. Il n'est pas la quiddité de la surface. Il est la surface. Il la "constitue" dirait Spinoza.


Bien sûr que si le blanc est dit de la surface : la surface est blanche .
Ce texte d 'A vise à montrer que si on prédique de quelque chose on n 'a pas la quiddité.

quiddité( TRicot ) est traduit par l 'être ce que c' est par M P Dumenil et A Jaulin
et par "l' essence" par Pierron et Zevort;

Si vous dites la surface blanche( composée ) , la surface n'est pas par soi mais par blanche .
Plus loin dans le texte Aristote dit:
"La quiddité d un être est son essence individuelle et déterminée Quand une chose est attribuée à une autre chose à titre de prédicat le composé ne constitute pas une essence individuelle déterminée." trad Tricot

Bref je ne comprends pas votre texte.( mais vous allez m' expliquer )
.................................................
.
L'attribut n'est pas dit de l'essence d'une substance. Il n'est pas la quiddité d'une substance. L'essence de la substance n'est pas étendue. Elle est une "chose étendue" parmi d'autres choses qui la constituent


"L'attribut n'est pas dit de l'essence d'une substance."
D accord c'est ce que dit Spinoza dans sa lettre.

"Il n'est pas la quiddité d'une substance."
Pas d'accord. Pour être la même chose il faut une identité de quiddité. Unicité de quidité et deux manière de nommer la cose (Jacob et Israel)

Ce qui n 'engage en rien pour le nominalisme ou pour le réalisme.

hokousai

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Messagepar Miam » 11 nov. 2012, 12:54

Relisez les Analytiques post. I, 4 et les différentes acceptions de "par soi".
La première, le sens fort, concerne les attributs qui appartiennent à l'essence du sujet. Telle est la quiddité et, chez Spinoza, l'existence infinie de l'essence de la substance.
La deuxième se dit des attributs contenus dans des sujets qui sont eux-mêmes compris dans la définition exprimant la nature de l'attribut.
C'est le cas de l'attribut chez Spinoza (définition 4). C'est également le cas pour le blanc que voit celui qui regarde la surface dans la Lettre 9. Et aussi celui de "surface blanche" en Métaphysique Z4. Telle est la constitution par l'attribut de l'essence d'une substance.

Ceci dit mon premier post formulait une question.
J'attends des réponses et des propositions, pas des questions sur ce qui me paraît évident.

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Messagepar hokousai » 11 nov. 2012, 19:59

à miam

vous renvoyez à ça Métaphysique Z4 1029b 16 et ss
Moi je réponds sur ça .Parce que ss ça peut vouloir dire tout de la métaphysique d' Aristote .... qui suit.
Alors là on n'en est pas sorti.

Si vous voulez une réponse sur autre chose , formulez une question claire. Je n'en vois d' ailleurs pas de précise dans votre premier post.
.........................................

Analytique 2/1/4 n'est pas en contradiction avec métaphysique Z. Mais dans le passage sur surface blanche et polie Aristote vise à montrer autre chose que ce que c'est que la définition (la définition ça vient après dans le texte ).

.................................

Comment en effet ne pas mettre en rapport ce passage avec la Métaphysique Z4 1029b 16 et ss d'Aristote qui distingue la quiddité du par soi (kath'auto) par le même exemple de la surface et du blanc ?


Aristote dit que blanc et polie ne sont pas des attributs qui appartiennent à l'essence de surface.
Voila peut être pourquoi on n' a pas mis en rapport .

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Messagepar Miam » 15 nov. 2012, 22:54

Chez Spinoza non plus l'attribut n'appartient pas à l'essence de la substance. Il constitue cette essence. Il est vrai que tant que vous n'admettez pas cette différence, vous ne pouvez comprendre la question.
Ensuite dans les Analytiques post I, 4, Aristote passe en revue toutes les acceptions de "par soi". Point barre.
Enfin je n'ai écrit nulle part que le passage des analytiques contredisait celui de la métaphysique Z.
Ne me faites pas perdre mon temps.


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