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Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar hokousai » 07 févr. 2013, 10:53

à Vanleers

Sévérac a écrit :« La dernière partie de l’Éthique nous apprend en effet que Dieu, parce qu’il jouit de son infinie perfection,
c'est bien mon problème , cette sorte de bonne nouvelle, on nous apprends soudain que Dieu jouit de son infinie perfection.

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Messagepar Vanleers » 07 févr. 2013, 15:33

A Hokousai
1) Vous écrivez :
« Spinoza attribue un propre à Dieu comme le fait Thomas d 'Aquin »

Spinoza démontre en E I 31 que :
« L’intellect en acte, qu’il soit fini ou infini, ainsi que la volonté, le désir, l’amour, etc., doivent être rapportés à la Nature naturée, et non à la naturante. »
Si je comprends ce qu’est un « propre de Dieu » pour Thomas d’Aquin, cette proposition montre que ni l’entendement, ni la volonté ni l’amour ne sont des propres de Dieu car, selon Spinoza, ce sont des modes.

2) Vous écrivez :
« on nous apprend soudain que Dieu jouit de son infinie perfection. »

C’est en E V 35 que Spinoza écrit :
« la nature de Dieu jouit d’une infinie perfection »
Je cite le commentaire de Pierre Macherey (p. 163) :
« Il faut donc commencer par remarquer que les principales références données dans la démonstration de la proposition 35 renvoient aux thèses exposées dans le de Deo au sujet de la nature divine telle qu’elle s’impose à une compréhension rationnelle : définition 1 (de la causa sui, ou de ce dont l’essence enveloppe nécessairement l’existence, qui ainsi ne dépend d’aucune cause extérieure), définition 6 (de Dieu comme « être absolument infini », ens absolute infinitum, qui comme tel n’a rapport qu’à soi) et proposition 11 (dans laquelle a été démontré le caractère nécessaire de l’existence de Dieu dont le principe se trouve dans son essence même). »

J’ajoute que la démonstration de E V 35 s’appuie également :
- sur E II 3 qui se démontre uniquement à partir de la partie I
- sur E V 32 cor. qui ne sert qu’à définir ce que Spinoza entend par Amour intellectuel.
Dès la fin de la partie I (plus précisément, dès E I 35), Spinoza avait déjà de quoi démontrer E V 35.
On ne peut donc pas dire que nous sommes soudain face à une bonne nouvelle.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 07 févr. 2013, 18:25

à Vanleers

Je ne m' explique pas pourquoi Dieu tire un contentement .

"Si la joie consiste dans le passage à une perfection plus grande, la béatitude doit consister en ceci que l'âme jouit de la perfection même. "scolie pro 33/5

Pour la joie engendrée par le passage je vois très bien . Ne serait- ce que parce que cela s' éprouve in vivo. Mais je ne vois pas pourquoi la nature qui est parfaite devrait tirer contentement de cette perfection .
Ça c'est de ma part un doute ontologique.

Des esprits plus acerbes vous diraient qu'il n' y a vraiment pas à tirer contentement de tous les malheurs "naturels" du monde et encore moins de ceux causés par la malignité humaine.

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Messagepar Vanleers » 07 févr. 2013, 21:26

A Hokousai
Vous écrivez :
« Je ne m' explique pas pourquoi Dieu tire un contentement. »

Dans la démonstration de E V 35, Spinoza écrit :
« Dei natura gaudet infinita perfectione »
Misrahi traduit : « la nature de Dieu se réjouit d’une perfection infinie »
Guérinot : « la nature de Dieu jouit d’une perfection infinie »
Pautrat : « la nature de Dieu jouit d’une infinie perfection »

Il me semble que la traduction de Pautrat (et Guérinot) est plus logique car le début complet de la démonstration est :
« Dieu est absolument infini (par la déf. 6 partie I), c’est-à-dire (par la déf. 6 partie II), la nature de Dieu jouit d’une infinie perfection »
Si l’on retient le sens juridique du terme « jouissance » : action de disposer d’un bien, alors on peut dire ceci :
Dieu a été défini comme « un étant absolument infini » (E I déf. 6), c’est-à-dire comme un étant jouissant d’une réalité absolument infinie. Comme Spinoza entend par réalité et perfection la même chose (E II déf. 6), alors Dieu jouit d’une perfection infinie.
Il est vrai que la joie (lætitia) a été définie comme le passage de l’homme d’une moindre perfection à une plus grande (Déf 3 des affects)
Mais il ne s’agit pas ici de l’homme mais de Dieu, pour lequel nous ne pouvons concevoir de « passage ».
Nous devons essayer de comprendre, me semble-t-il, que, s’agissant de Dieu, jouir d’une perfection infinie c’est se réjouir d’une perfection infinie.
Toutefois, ce lien entre jouir et se réjouir, à propos de Dieu, ne semble pas rationnellement évident.
Nous en avons des images : par exemple un individu qui jouit d’une bonne santé ne pourra que s’en réjouir. Mais Dieu n’est pas un individu…

Ce ne sont là que quelques éléments de réflexion.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 07 févr. 2013, 23:55

à Vanleers

Toutefois, ce lien entre jouir et se réjouir, à propos de Dieu, ne semble pas rationnellement évident.

C'est ce que je voulais signifier.
La traduction de Pautrat de "gaudet" n' engage que lui mais l'idée du "se réjouir" est conservée. Le Gaffiot ne donne que des sens du registre du contentement éprouvé.

La thèse de Spinoza n'est pas incompréhensible . Il parle dans la lettre sur l'infini de la substance comme éternité, c'est à dire comme une jouissance infinie de l'existence ou de l'être.( je n'ai pas le texte dans la langue originale) mais dans l 'Ethique il est plus précis:" Dieu s' aime lui-même"

Wolfson écrit
"amour intellectuel de Dieu" aucune expression de Spinoza ne donne lieu à autant d interprétions homilétique ( sic du traducteur).
Wolfson relève ( c'est sa manière de commenter ) des antécédents.
"La réponse apportée par Crescas et d'autres face à la question du passage est qu' il y a un certain type de plaisir qui est sui généri et qui consiste dans la permanence de son état, dans la constance de sa perfection et dans la liberté à l'égard de tout changement et de toute transition.(page 657)

Soit dit en passant si c'était ce genre d' explication cela ne renvoie pas aux modes .

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Messagepar Vanleers » 08 févr. 2013, 17:39

A Hokousai
Wolfson est encore plus explicite (pp. 657-658) :
« [Spinoza] a déjà expliqué que, dans la mesure où nous agissons, la joie liée à l’esprit ne consiste pas dans le passage vers une plus grande perfection, mais plutôt dans la contemplation par l’esprit de lui-même et de sa propre puissance d’agir (E III 58). De la même nature, dit-il maintenant, est la joie associée à l’amour intellectuel de Dieu. Elle est sui generis ; et il l’appelle du nom traditionnel de Béatitude (beatitudo). A la différence des joies ordinaires, elle ne contient aucun passage vers une plus grande perfection, car « si la joie consiste dans le passage à une perfection plus grande, alors la Béatitude doit être le fait que l’esprit est doué de la perfection même (E V 33 sc.). »

De même que l’entendement de Dieu est un mode (le mode infini immédiat de l’attribut Pensée), je ne vois pas de difficulté à considérer l’amour intellectuel de Dieu comme un mode également. Je rappelle que Sévérac en fait le mode infini médiat de l’attribut Pensée et qu’il produit des arguments convaincants à l’appui de sa thèse.

La proposition E V 35, que Pierre Macherey résume par : « le monde est en joie » se comprend mieux par la proposition suivante.
Spinoza y démontre en effet que :
« l’Amour intellectuel de l’Esprit envers Dieu est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même »
L’amour infini dont Dieu s’aime lui-même, c’est ce dont parle la proposition 35.
L’Amour intellectuel de l’Esprit envers Dieu, c’est ce dont a parlé Spinoza dans la proposition 32 et, notamment, dans son corollaire.
Cet Amour intellectuel, qui nous est plus facilement accessible puisque c’est nous qui l’éprouvons, nous permet de mieux comprendre que « la nature de Dieu jouit d’une infinie perfection » (E V 35).

Cette proposition 36 est sans doute le point culminant de l’Éthique et Macherey écrit (p. 172) :
« « A partir de là nous comprenons en toute clarté en quoi consiste notre salut, c’est-à-dire notre bonheur et notre liberté », explique en conséquence le scolie de la proposition 36. Un amour constant et éternel envers Dieu, qui ne peut être qu’un amour intellectuel, et se révèle n’être autre que l’amour que Dieu porte aux hommes, apporte son définitif accomplissement au projet éthique de libération dont il satisfait pleinement les exigences : on ne voit pas en effet comment il serait possible d’aller plus loin dans le sens de ce mouvement d’approfondissement qui libère joyeusement en nous ce qui constitue notre nature essentielle. Et, réellement, nous ne pouvons rien souhaiter de mieux. »

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 08 févr. 2013, 20:07

à Vanleers

Wolson a écrit :De la même nature, dit-il maintenant, est la joie associée à l’amour intellectuel de Dieu.


J'ai la vague impression que tout autant que la joie , l' amour me pose aussi problème et ce en tant qu'il est pour Dieu rapporté à lui même. C' est ce rapport à lui même de Dieu qui me semble un peu " personnaliser " Dieu.

Comme je ne pense pas que l'amour intellectuel de Dieu soit un mode infini immédiat je le rapporte à la nature naturante et je ne vois pas vraiment de différence sur le fond avec ce que dit Thomas d'Aquin
Somme contre les gentils
47: DIEU SE COMPREND PARFAITEMENT SOI-MÊME
.................................................
Je ne pense pas que l' amour intellectuel soit un mode infini immédiat de la pensée.

Certes ,Spinoza dit : l'intellect en acte fini ou infini doit être rapporté à la nature naturée
il dit :"par intellect nous n' entendons pas la pensée absolue" . ( prop 31/1)
(et la thèse de Sévérac est tout à fait défendable à vous de me convaincre )

Oui mais à la prop 5/2 il dit " Nous y concluions en effet que Dieu peut former une idée de son essence et de tout ce qui en suit nécessairement de cela cela seul que Dieu est chose pensante et non de ce qu'il est l'objet de son idée".

"et non de ce qu'il est l'objet de son idée" est- il lancé pour suggérer que jamais au grand jamais Dieu n'est l' objet de son idée ?
Pourtant dans l'amour intellectuel de Dieu , Dieu est l'objet de son idée .
Dieu à l'idée de soi. Dieu à une idée qui a Dieu pour objet. Oui ou Non?

Macherey fait une bonne description de l'état des lieux. Il dit en partie ce que je pense.
"Cet Amour intellectuel, qui nous est plus facilement accessible puisque c’est nous qui l’éprouvons, nous permet de mieux comprendre que « la nature de Dieu jouit d’une infinie perfection »
Sauf que je ne comprends pas que Dieu jouisse (ou éprouve un contentement ) de son infinie perfection.
A moins qu'il l'éprouve sans l'éprouver.

Hélas! Puisque c'est nous qui l'éprouvons, difficile de ne pas comprendre ce que Dieu éprouve tel que nous l'éprouvons.

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Messagepar Vanleers » 08 févr. 2013, 22:36

A Hokousai
La proposition E I 31 est claire : une pensée ou un amour d’un objet, cet objet serait-il Dieu lui-même, relève de la nature naturée.
Si l’être formel d’une pensée ou d’un amour relève bien de la nature naturante, ici de l’attribut Pensée, son être objectif est une réalité modale.
C’est pour cela que l’idée de Dieu (que l’on désigne aussi par l’entendement ou l’intellect de Dieu) constitue le mode infini immédiat de l’attribut Pensée.
C’est évidemment une révolution par rapport à la théologie de Thomas d’Aquin.
La proposition E II 5 est claire : c’est bien Dieu en tant que nature naturante qui forme une idée de son essence mais l’idée de son essence, c’est le mode infini immédiat de la pensée comme indiqué ci-dessus.
Dans l’entendement de Dieu, Dieu est l’objet de son idée.
Dans l’amour de Dieu pour lui-même, Dieu est l’objet de son amour. Ce qui est également un argument pour dire, avec Sévérac, que cet amour constitue le mode infini médiat (et non immédiat comme vous l’écrivez) de la pensée.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 08 févr. 2013, 23:48

à Vanleers

J' avoue qu'étant peu familier de la thèse , j 'avais mal lu ceci
Je rappelle que Sévérac en fait le mode infini médiat de l’attribut Pensée et qu’il produit des arguments convaincants à l’appui de sa thèse.

Je ne connaissais qu'un mode infini médiat :" la figure du tout de l'univers" . Dans la mesure ou tout y est lié par l' amour, effectivement ...il y a de l' amour dans ce mode infini médiat.
Mais je ne sais plus si on est dans le sujet.
C'est à dire que le sujet (du débat) est pour moi au niveau de la substance. C'est pourquoi je le rapporte à la naturante.

Spinoza dit: je conçois l 'unité de la substance comme établissant une liaison encore plus étroite de chacune des parties avec son tout lettre 32
plus bas "il y a dans la nature une puissance infinie de penser"
C'est ( pour moi ) cette puissance infinie qui est conçue comme éternité, c est à dire comme une jouissance infinie de l' existence ou de l' être. Ainsi Spinoza ne dit pas que la nature naturée s' aime elle même ou que le grand individu constitué s' aime lui même , mais il dit que Dieu s' aime lui même. L' amour intellectuel de Dieu pour lui même ne m'apparait déjà pas comme un mode encore moins comme médiat.
L' amour de l'esprit humain pour Dieu, lui, est un mode.

L' amour intellectuel de Dieu pour lui même m 'apparait, de même que la conscience que Dieu a de lui même, comme constitutif de son essence antérieurement aux modes.
Spinoza écrit ( lettre 43 à Osten "toutes choses suivent avec une nécéssité inéluctable de la nature de Dieu de la même façon que tous affirment qu'il suit de la nature de Dieu qu' il se connait lui même. Personne certes ne nie que cela ne suive en effet de la nature de Dieu , et cependant personne ne conçoit que Dieu se connait lui même en vertu d' une nécessité contraignante, mais avec une entière liberté bien que nécessairement."
C'est là ou le rationalisme pêche. Il y a des réquisits théologiques implicites. Dieu se connait lui même, Dieu s' aime lui même et Dieu en tire un contentement. Toutes thèses théologiques qu'on a chez Thomas d' Aquin. (voire chez Aristote) S' il y a une révolution elle nest pas là .

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Messagepar Shub-Niggurath » 09 févr. 2013, 08:26

Il n'y a pas d'un coté l'amour infini que Dieu se porte à lui-même et de l'autre l'amour que l'esprit humain a pour Dieu. C'est la même chose. Les propositions 35 et 36 partie 5 forment un tout, et ne décrivent pas deux amours distincts.

"l'amour intellectuel de l'esprit envers Dieu est une partie de l'amour infini dont Dieu s'aime lui-même"

Il n'y a rien de plus clair. La proposition 36 précise la proposition 35 et la complète. Elles ne sont pas séparables.


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