De l'infini au fini

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Miam
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Messagepar Miam » 25 nov. 2013, 23:07

Quelques remarques.

Nulle part dans l'Ethique on trouve le syntagme - mode fini -. En revanche, les choses singulières sont finies et les modifications (en I 28, démo.) peuvent être finies ou infinies.

Dire qu'un mode fini est éternel, c'est une contradictio in adjecto puisque l'éternité, c'est l'existence infinie.

La coexistence du fini et de l'infini dans la chose singulière ou le "mode fini" est attestée par la physique spinozienne. "Le corps humain est composé d'un très grand nombre d'individus" (II, Postulat 1) mais non d'une infinité (contrairement à la lecture de Deleuze). En revanche, le corps humain, comme tout individu, est composé de parties elles-mêmes composées de parties et ainsi à l'infini de même qu'il est lui-même partie d'un individu supérieur, et ainsi à l'infini (à savoir jusqu'aux modes infinis - Scolie du Lemme 7). Ce qui rejoint, je pense, l'opposition intrinsèque/extrinsèque qui est proposée par Sévérac.

Enfin, si l'éternité, c'est l'existence infinie, en revanche la durée, qui est le mode temporel du mode "fini", est qualifiée d'indéfinie. L'existence du mode "fini" ne serait alors que la constitution de l'essence infinie et éternelle qu'il reste intrinsèquement en tant qu'affection de cette essence, quoique ce soit sous une forme finie "extrinsèquement" : ainsi le mental infini que l'on trouve dans la cinquième partie de l'Ethique est constitué d'un nombre fini d'idées adéquates qui, en tant qu'adéquates, sont pourtant elles-mêmes éternelles et donc infinies. J'insiste sur le terme "constitution" : c'est dans la durée indéfinie de son existence que le mode "fini" constitue l'essence infinie dont il est l'expression.

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Messagepar hokousai » 26 nov. 2013, 00:00

Phidias demande
Comment passe-t-on de l’infini au fini ?

Comment passe -t-on de l'intrinsèquement à l'extrinsèquement ?

Le texte de Severac parle:
d' un point de vue qui l’envisage par rapport à ce qu’elle n’est pas, « extrinsèquement ».


Grosse difficulté : le conatus/ l'effort ne se comprend pas par l' extérieur mais par la nature de ce pour quoi il fait effort . Le point de vue est intrinsèque. L' effort est indéfini ...ce qui est une forme de l'infinité.

Le point de vue extrinsèque existe bel et bien ( point de vue du négatif ce que la chose n'est pas ).Il est évident que ce point de vie est illusion puisqu'il ne dit rien de ce que la chose est.
La division est une forme majeure de cette illusion.

Je réponds à Phidias qu'on passe de l'infini au fini par l'effet d'une illusion. La Nature ou Dieu produit des illusions ( aussi ), on peut dire (aussi ) des idées inadéquates.

Et tant qu'on reste avec l'idée qu'il y a "en soi " des choses finies on est dans l'illusion.

Spinoza, de mon point de vue, s'il pense ainsi n' a pas réussi à bien l'exprimer ( sauf peut -être dans la lettre 12 sur l'infini )

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Messagepar Vanleers » 26 nov. 2013, 09:44

A Miam

Quelques questions à propos de vos remarques.

1) Vous écrivez :

« l'éternité, c'est l'existence infinie. »

Comment déduisez-vous cet énoncé d’E I déf. 8 et de son explication et qu’entendez-vous par « infinie » dans l’expression « existence infinie » ?

2) Comment joignez-vous clairement « l'opposition intrinsèque/extrinsèque qui est proposée par Sévérac » à vos considérations sur le Corps humain (postulat 2, lemme 7) ? Qu’y a-t-il d’intrinsèque et d’extrinsèque quant au corps humain, dans ces considérations ?

3) Vous écrivez :

« L'existence du mode "fini" ne serait alors que la constitution de l'essence infinie et éternelle qu'il reste intrinsèquement en tant qu'affection de cette essence […] »

a) Je suppose que lorsque vous écrivez « L’existence du mode « fini » », vous entendez l’existence temporelle.

b) Lorsque vous écrivez « qu’il reste intrinsèquement », je suppose que le « il », c’est le mode fini.

c) Je suppose que l’essence dont vous parlez, c’est l’essence du mode « fini ».
Dans ce cas, je ne comprends pas que ce mode soit une affection de l’essence. Je rejoins Sévérac pour dire qu’il est question de deux points de vue différents sur une même chose et non pas que l’une serait une affection de l’autre. Il écrit en effet :

« Mais nous ne les [les choses singulières] percevons plus alors de façon spatio-temporelle, en les imaginant à partir de l’effet qu’elles font sur nous ; nous les concevons dans leur réalité éternelle, en les comprenant dans leur enchaînement nécessaire. »

d) Qu’entendez-vous précisément par « constitution » et à quoi vous référez-vous dans l’Ethique pour définir ce mot ?

3) Vous écrivez :

« le mental infini que l'on trouve dans la cinquième partie de l'Ethique est constitué d'un nombre fini d'idées adéquates »

Où, dans la partie V, Spinoza écrit-il que le mental infini est constitué d’un « nombre fini » d’idées adéquates ?

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 26 nov. 2013, 13:08

et d'ailleurs je suis d'accord avec Severac
Le point de vue par lequel est perçue la finitude est extrinsèque au sens où il compare le mode éternel, l’entendement humain par exemple, à un autre plus grand ; au sens où il le rapporte à une autre partie de l’esprit, constituée d’idées inadéquates.

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Messagepar Vanleers » 26 nov. 2013, 15:47

A Hokousai

Vos remarques sur le conatus m’amènent à donner deux citations de Sévérac que je trouve très éclairantes (p. 176) :

« Vis, conatus, cupiditas : force, effort, désir. Ces trois concepts renvoient à la même réalité, celle d’une puissance de vie qui fait « tout son possible » (sans reste) pour conserver son être. La force (vis) est cette puissance en tant qu’elle est comprise à partir de la puissance éternelle de Dieu. L’effort (conatus) est cette puissance en tant qu’elle est considérée comme impliquée dans une existence en commerce avec d’autres existences. Le désir (cupiditas) est encore cette même puissance, en tant qu’elle est déterminée, par une quelconque affection, à faire quelque chose de particulier. »

« Les trois concepts mis en relation – force, effort, désir – permettent donc de penser de façon de plus en plus précise l’essence humaine et ses propriétés : pas de désir sans un effort de persévérance ; pas d’effort sans une force essentielle exprimant précisément la puissance de Dieu. »

A mon avis, et contrairement à ce que vous écrivez, le conatus ne peut pas se comprendre sans ce qui est extérieur à lui.

Il n’en est pas de même de la force (vis), ce que Sévérac a déjà dit dans la partie précédente de son livre et qu’il reprendra dans son commentaire d’E IV 68 dont j’ai déjà donné un extrait.

Ces deux citations ne font que renforcer sa position dont j’essaie de rendre compte dans les échanges avec Phidias depuis le début.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 26 nov. 2013, 21:32

à Vanleers

A mon avis, et contrairement à ce que vous écrivez, le conatus ne peut pas se comprendre sans ce qui est extérieur à lui.

Si vous voulez, je ne suis pas contrariant. Chez Spinoza il n'y a rien qui ne peut se comprendre sans la Nature toute entière.
...................................................
Severac a écrit :il n’en est pas de même de la force (vis),

?
Si vous pouviez me re-citer le passage de Severac, parce que je ne vois pas trop le rapport entre prop 68/4 et le sujet du fil.

Pour moi Severac répond à sa façon à la question du fil .( mais je ne trouve pas Severac toujours très clair)
Severac a écrit :Le point de vue par lequel est perçue la finitude est extrinsèque au sens où il compare le mode éternel, l’entendement humain par exemple, à un autre plus grand ; au sens où il le rapporte à une autre partie de l’esprit, constituée d’idées inadéquates.

Plus petit plus grand !!! On est dans une partition, parties plus petites et plus grandes. On compare des quantités.
Et puis on divise en idées adéquates et idées inadéquates L'idée adéquate en l'occurrence serait peut -être d' estimer que les idées inadéquates ne sont pas plus finies que les adéquates.

Je dis "peut- être" parce qu'en matière d' idées adéquates, c'est à chacun de se prononcer pour lui même.

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Messagepar Vanleers » 27 nov. 2013, 10:21

A Hokousai

Votre remarque : « Si vous voulez, je ne suis pas contrariant. » me laisse penser que vous n’avez sans doute pas saisi le nerf de l’argumentation de Sévérac. (Je dis : sans doute…)

Vue sub specie temporis, la chose (effort – conatus) ne peut être définie intrinsèquement
A l’inverse, sub specie aeternitatis, la même chose (force – vis) peut être définie intrinsèquement.

C’est sans doute pour cela que vous ne faites pas le lien avec le début de la démonstration d’E IV 68 (vous trouverez cela dans un post de la page 1 de ce fil)

La question du passage de l’infini au fini est éthiquement très importante.
Ce passage s’opère par l’intermédiaire des modes éternels non infinis qui partagent, avec les modes infinis éternels dont ils sont des parties « totales » (Leibniz), la propriété d’éternité.

Car, in fine, l’Ethique nous invite à entendre, au travers des dissonances temporelles, l’harmonie des modes éternels non infinis qui, eux, sont à l’unisson.

C’est pour cela que la connaissance du troisième genre est plus proche du chant d’allégresse que de la démonstration mathématique.

Il est demandé au spinoziste de tendre l’oreille.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 27 nov. 2013, 12:15

à Vanleers

Votre phrase ne dit rien sur le fond de la question

Ce passage s’opère par l’intermédiaire des modes éternels non infinis qui partagent, avec les modes infinis éternels dont ils sont des parties « totales » (Leibniz), la propriété d’éternité


Avoir une propriété commune au fini et à l'infini ne suffit pas à expliquer le passage de l'infini au fini.

De plus, il y a - t-il propriété commune ?

"modes éternels non infinis" ?
Il n'y en a pas de modes éternels non infinis.(ie finis ). Parce qu'il n'y a pas de fini qui soit éternel. Le fini c'est dans la durée. Nous concevons l'existence des modes dans la durée.

"modes éternels non infinis" c'est contradictoire. On est dans deux régimes de pensée différent ( éternité et durée ).

Evidemment si vous posez la possibilité de la co-existence du fini et de l'infini dans l' éternité, alors vous assumez le constat et il n'y a rien à expliquer.

Spinoza lui au moins explique que c'est parce que nous concevons ainsi, il ramène à une activité de division ( partition mathématique entre autres ) Il dit que ce faisant:" ils déraisonnent ceux qui pensent que la substance étendue est composée de parties ".

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Messagepar Vanleers » 27 nov. 2013, 12:43

A Hokousai

Je pense que je ne peux plus rien pour vous.

Bien entendu, dans l’argumentation de Sévérac que je n’ai cessé de répéter, non infini ne signifie pas fini.

Bien à vous

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Messagepar Miam » 27 nov. 2013, 17:36

Pour Van Leers

1) Pensées métaphysiques II, 1 : "Cette existence infinie, je l'appelle éternité"
Lettre 12 où l'éternité est définie comme la "jouissance infinie de l'existence"
Quant à I, 8, c'est qu'il est directement déduit de I 7 : l'existence appartient à la nature d'une substance seulement si les attributs de cette substance n'ont rien de commun, cad sont infinis, autrement dit si l'essence de cette substance est infinie.
On peut aussi le déduire de II 10 scolie car existence, infinité, éternité et nécessité sont conjoints en tant que "manières d'exister" (in PM II, 11) de la substance qui appartiennent (mais ne constituent pas comme le font les attributs) l'essence de la substance.

2) Cela me semble évident puisqu'il est d'une part fini en fonction de ses parties constitutives du premier niveau et se distingue (notamment quant au degré de puissance) des autres modes en fonction du nombre de ces parties et, d'autre part, comme tous les modes, il est infini en profondeur (constitué de parties constituées de parties etc...et individu partie d'un individu, partie d'un individu etc..)

3) a. J'entends par là l'existence du mode "fini" comme durée indéfinie et donc comme constitution, non pas comme temporalité finie (qui est issue de l'imagination)
b. Oui

4) Sans cela, l'entendement d'un mode "fini" serait infini et non une partie de l'entendement infini, or (par exemple) : "notre mental, en tant qu'il connaît, est un mode éternel du penser qui est terminé par un autre mode éternel du penser, ce dernier à son tour par un autre mode et ainsi à l'infini, de façon que toutes ensemble constituent l'entendement éternel et infini de Dieu." (V 40 scolie) qui, comme chacun sait, en tant que nature naturée et contrairement à l'attribut, est constitué de parties .


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