Régression à l'infini impossible?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Alexandre_VI
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Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 04 juin 2014, 05:35

Bonjour,

Dans la première partie de l'Éthique, proposition XXVIII, Spinoza dit qu'il y a une régression à l'infini de causes finies, chaque maillon étant déterminé à exister par le précédent.

Donc voilà, je me demande si cette idée est vraiment cohérente... Plusieurs philosophes théistes objectent qu'une telle régression à l'infini est impossible, et qu'il faut arriver à un premier terme, qui ne soit pas contingent, mais nécessaire.

En même temps, je crois comprendre ce que Spinoza a derrière la tête. Si la série des causes finies avait commencé, on aurait pu se demander : pourquoi à ce moment-là plutôt qu'à un autre moment? Et la réponse traditionnelle implique le libre choix du créateur, option qui n'est pas offerte à Spinoza, puisqu'il prétend que Dieu est déterminé (intérieurement, mais déterminé quand même).

Qu'en pensez-vous?

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar hokousai » 07 juin 2014, 02:15

Moi si tu veux ce qui me pose problème chez Spinoza et qui me le posera toujours , c'est le fini des causes finies .
c'est l'obligation de penser une nature naturée en terme de finitude ....C'est la catégorie de la quantité intervenant dans une sorte de sommation qui fait que Dieu est infiniment grand ( versus infiniment petit ). Or la quantité suppose que la substance soit divisible. :woh:

( et même en si comme chez Deleuze :cry: on rend les parties évanouissantes :!: pour leur substituer des relations pures on persiste à voir la Nature comme infiniment grande et comme somme d' une infinité de relations )

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 07 juin 2014, 06:47

hokousai a écrit :Moi si tu veux ce qui me pose problème chez Spinoza et qui me le posera toujours , c'est le fini des causes finies .
c'est l'obligation de penser une nature naturée en terme de finitude ....C'est la catégorie de la quantité intervenant dans une sorte de sommation qui fait que Dieu est infiniment grand ( versus infiniment petit ). Or la quantité suppose que la substance soit divisible. :woh:

( et même en si comme chez Deleuze :cry: on rend les parties évanouissantes :!: pour leur substituer des relations pures on persiste à voir la Nature comme infiniment grande et comme somme d' une infinité de relations )


Cher Paul Herr Jean-Luc,

Heureux de vous savoir encore actif après plus de 10 ans!

Oui ce que vous dites est un autre problème. Si la substance est infinie, pourquoi ses conséquences sont-elles finies? Quelle est l'origine du fini comme fini? Spinoza ne répond pas à cette question, en tout cas pas dans l'Éthique. En fait, pourquoi faut-il qu'il y ait des modes? Selon le théisme classique (celui de Thomas d'Aquin ou de certains philosophes du Grand Siècle, Dieu n'a pas de modes (Thomas d'Aquin dirait : accidents) à proprement parler. Spinoza fait une concession à l'expérience sensible.

Chez les chrétiens, la finitude des créatures s'explique par leur distinction d'avec Dieu. Dieu ne peut pas créer un autre Dieu (qu'Est-ce qui distinguerait les deux Dieux?), donc il crée des "moins-que-Dieu", donc des êtres finis.

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Lechat » 09 juin 2014, 10:37

Bonjour,

Peut-etre qu'un argument simple en faveur de Spinoza consisterait à dire que l'infini est impossible à imaginer et donc que l'esprit est enclin à inventer des limites et des "premiers termes". On rencontre ce genre de discours dans le scolie d'E1P15 sur l'indivisibilité de Dieu : "Si nous appréhendons la quantité telle qu'elle est donnée dans l'imagination, ce que nous faisons souvent avec le plus de facilité, nous la trouverons finie, divisible et composée de parties; mais si nous sommes attentifs à ce qu'elle est dans l'entendement...". Bref il s'agirait de comprendre et non pas d'imaginer.

Je suppose que si tu mets en doute cette proposition c'est que le raisonnement te semble obscur par endroit. Ma compréhension de la démonstration d'E1P28 coince un peu sur E1P21 qui est elle même assez difficile à comprendre je trouve avec ce contrexemple de "l'idée de Dieu dans la pensée".

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar hokousai » 09 juin 2014, 13:43

à Alexandre (que j'ai bien du mal à ne pas appeler par son prénom)

Spinoza fait une concession à l'expérience sensible.
Pas du tout et c'est même l'inverse . Partir du sensible c'est ce qu'il reproche aux scolastiques .
Le scolie sur l'essence d'une chose est révélateur ( dernier scolie de la prop 10 partie 2)
Ils sont partis des choses naturelles ... et pas de Dieu.
Ce qui constitue l' essence d'une chose c'est la présence . Et c'est pourquoi je fais de la conscience un élément essentiel du spinozisme. Dieu n'appartient pas à leur essence ( celle des choses ) c'est à dire que Dieu n'appartient pas à la présence.
La présence s'oppose à l'éternité.
La présence est un fait de conscience du maintenant ( là présent ). la présence est en quelques sorte une imagination (ou une image finie du monde ).

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 09 juin 2014, 17:27

Lechat a écrit :Bonjour,

Peut-etre qu'un argument simple en faveur de Spinoza consisterait à dire que l'infini est impossible à imaginer et donc que l'esprit est enclin à inventer des limites et des "premiers termes". On rencontre ce genre de discours dans le scolie d'E1P15 sur l'indivisibilité de Dieu : "Si nous appréhendons la quantité telle qu'elle est donnée dans l'imagination, ce que nous faisons souvent avec le plus de facilité, nous la trouverons finie, divisible et composée de parties; mais si nous sommes attentifs à ce qu'elle est dans l'entendement...". Bref il s'agirait de comprendre et non pas d'imaginer.

Je suppose que si tu mets en doute cette proposition c'est que le raisonnement te semble obscur par endroit. Ma compréhension de la démonstration d'E1P28 coince un peu sur E1P21 qui est elle même assez difficile à comprendre je trouve avec ce contrexemple de "l'idée de Dieu dans la pensée".


Bonjour,

Il me semble que les aristotéliciens et thomistes essaient de conceptualiser l'impossibilité d'une régression à l'infini. Ils ne se contentent pas d'imaginer. Avec mon imagination, je pourrais même affirmer cette régression à l'infini, puisque je peux imaginer sans fin des causes aux effets.

Remarque que je ne suis pas convaincu par la démonstration de Thomas d'Aquin dans la Somme de l'impossibilité d'une régression à l'infini... Elle me semble être une pétition de principe. Néanmoins, j'affirme cette impossibilité parce qu'elle me paraît consister à déplacer sans cesse le problème de l'origine des choses sans jamais le résoudre. Pour prendre une image parlante, si j'emprunte 100$ à A., je pourrais le rembourser en empruntant 100$ à B. Mais alors il me faudrait rembourser B. Je peux décider d'emprunter 100$ à C pour rembourser B, mais alors j'ai une dette envers C.... Et ainsi de suite. La seule façon pour moi de sortir de cette spirale, est de gagner 100$. De même, la seule façon de s'expliquer l'existence empruntée des êtres, c'est de poser un premier terme de la série qui soit nécessaire.

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 09 juin 2014, 17:36

hokousai a écrit :à Alexandre (que j'ai bien du mal à ne pas appeler par son prénom)

Spinoza fait une concession à l'expérience sensible.
Pas du tout et c'est même l'inverse . Partir du sensible c'est ce qu'il reproche aux scolastiques .
Le scolie sur l'essence d'une chose est révélateur ( dernier scolie de la prop 10 partie 2)
Ils sont partis des choses naturelles ... et pas de Dieu.
Ce qui constitue l' essence d'une chose c'est la présence . Et c'est pourquoi je fais de la conscience un élément essentiel du spinozisme. Dieu n'appartient pas à leur essence ( celle des choses ) c'est à dire que Dieu n'appartient pas à la présence.
La présence s'oppose à l'éternité.
La présence est un fait de conscience du maintenant ( là présent ). la présence est en quelques sorte une imagination (ou une image finie du monde ).


Cher Paul Herr Jean-Luc,

Mais si on partait vraiment de Dieu... comment arriverait-on à le concevoir comme affecté de modes? La tradition chrétienne a longtemps conçu Dieu comme simple (pas composé de substance et d'accident), ce qui n'est qu'une autre façon de dire qu'il est acte pur, puisque la substance est par rapport aux accidents comme la puissance par rapport à l'acte. Les perfections que représentent les modes, Dieu les a éminemment, alors il n'a pas besoin d'être réellement modifié. Dire que Dieu est infiniment parfait ne nous amène pas logiquement à le concevoir comme modifié. Du moins pas avec le système de concepts propre au théisme classique.

Je ne comprends pas non plus votre identification de l'essence à la présence... On peut très bien concevoir l'essence d'une chose absente à partir d'indices qu'elle a laissés : un mammouth par exemple.

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 09 juin 2014, 17:42

Je repense à cela... Chez Thomas d'Aquin, est affirmée la possibilité d'une régression temporelle infinie. On ne peut pas prouver que le monde a commencé.

Ce qui est impossible selon lui, c'est une régression à l'infini de causes actuelles, je veux dire de causes qui maintiennent actuellement quelque chose dans l'existence. Comme le Soleil pour la vie sur Terre.

Mais je pense que Thomas d'Aquin se trompe. Un passé infini me paraît incohérent. Il faudrait affirmer soit un premier moment soit un éternel retour.

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar hokousai » 09 juin 2014, 23:28

à Alexandre / Yves

puisque la substance est par rapport aux accidents comme la puissance par rapport à l'acte.
Il me semble que Spinoza ne raisonne pas en terme de puissance mais en terme d'acte. Comme Dieu n'est pas en puissance, pour être il est en acte . Donc il a besoin d'être réellement modifié.

On peut très bien concevoir l'essence d'une chose absente à partir d'indices qu'elle a laissés : un mammouth par exemple.


je veux dire (entre autre) qu'on ne peut pas concevoir une chose ayant existé ( puisque tu parles d 'une chose du passé ) ayant donc existé et qui n'ait pas été présente, peu ou prou, dans une présence. C'est ainsi par l' intermédiaire de la présence que nous concevons qu'une chose a pu exister.
Il faut qu'une chose ait été présente (dans un maintenant) ce sans quoi on ne dit pas qu'elle a existé en acte.

Spinoza ne dit pas "présence" ( c'est le traducteur Pautrat qui le dit ainsi) Spinoza dit
ad essentiam alicujus rei id pertinere dico quo dato res necessario ponitur et quo sublato res necessario tollitur,
Gilles Louise traduit ainsi :""je dis qu'appartient à l'essence d'une chose ce qui une fois donné pose nécessairement la chose et une fois supprimé supprime nécessairement la chose.""
[littéralement, la chose est posée, la chose est
supprimée].


C'' est ce posé que je pense en terme de présence .(ce qui n'engage que moi)

Mais Spinoza parle plusieurs fois de ut praesens
""[i]"affectus cujus causam in præsenti nobis adesse imaginamur, fortior est quam si eandem non adesse imaginaremur,
Un affect dont nous imaginons que la cause nous est maintenant présente est plus fort que si nous imaginions qu'elle n'est pas présente/i]

La présence chez Spinoza est liée le plus souvent à l'imagination.
La chose est posée ....
ESt- elle posée objectivement dans un maintenant objectif plus ou moins cernable objectivement comme si un instant existait objectivement ( ce dont Spinoza doute fermement )?
Sinon comment et par quoi le maintenant est -il posé ( je dis : par la conscience ...ou l'esprit humain si l'on veut )

bon je ne suis pas dans le sujet du fil, certes, mais cette affaire de régression me semble annexe.

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Re: Régression à l'infini impossible?

Messagepar Alexandre_VI » 10 juin 2014, 04:39

hokousai a écrit : Il me semble que Spinoza ne raisonne pas en terme de puissance mais en terme d'acte. Comme Dieu n'est pas en puissance, pour être il est en acte . Donc il a besoin d'être réellement modifié.


Cher Paul Herr Jean-Luc,

La scolastique thomiste distinguait les êtres composés d'acte et de puissance et d'autre part l'acte pur. Les accidents, qu'on appelait modes au 17e siècle, ne relèvent pas de l'acte pur, mais des êtres composés d'acte et de puissance, c'est-à-dire des créatures. Dieu est une sorte d'être monobloc sans fissure qui n'a pas besoin de modes pour manifester ses perfections. Les modes, c'est les façons d'êtres d'une substance, mais Dieu, le grand bloc, a déjà en lui éminemment les perfections contenues formellement dans quelque mode que ce soit des substances créées. les modes, c'est des actes partiels et limités par la capacité de substance, mais Dieu comme acte pure n'est limité par rien...

Bien sûr le thomisme a ses propres problèmes : comment expliquer le changement par l'immobilité? Comment comme créatures interagir avec un Dieu immobile? Et comment cet être peut-il être au courant de nos actes libres futurs? Cette dernière question s'est avérée être un vrai casse-tête pour la théologie naturelle. Les solutions classiques ne sont pas très satisfaisantes. Il y a des difficultés à ce que Dieu connaisse nos actes libres a priori et il y a des difficultés à ce qu'il les connaisse a posteriori, alors on est coincé.

désolé je m'égare.


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